Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 28 juin 2023, n° 22-14.834, n° 22-14.835, n° 22-14.836, n° 22-14.837, n° 22-14.838, n° 22-14.839, n° 22-14.840, n° 22-14.841, n° 22-14.843, n° 22-14.844 et suivants, (B), FS

Rejet

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Entité économique autonome – Caractérisation – Cas – Plusieurs parties d'entreprises distinctes d'un même groupe – Portée

L'existence d'une entité économique autonome, au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, est indépendante des règles d'organisation, de fonctionnement et de gestion du service exerçant une activité économique, en sorte qu'une telle entité économique autonome peut résulter de deux parties d'entreprises distinctes d'un même groupe.

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Entité économique autonome – Existence – Règles d'organisation, de fonctionnement et de gestion du service – Influence – Défaut

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-14.834, 2-14.835, 22-14.836, 22-14.837, 22-14.838, 22-14.839, 22-14.840, 22-14.841, 22-14.843, 22-14.844, 22-14.845, 22-14.846, 22-14.847, 22-14.848 et 22-14.849 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Toulouse, 18 février 2022), MM. [C], [W], [M], [K], [T], [U], [Z], [S], [L], [Y], [F], [N], [D] et [O] ont été engagés par la société Intel Corporation (Intel). M. [X] a été engagé par la société Intel Mobile Communications France (IMC).

3. Les sociétés Intel et IMC appartenaient au groupe Intel lequel a procédé, courant 2016, à une réorganisation de ses activités au niveau mondial. Compte tenu des suppressions d'emplois envisagées, un plan de sauvegarde de l'emploi a été mis en oeuvre au sein des deux sociétés françaises.

4. Le 1er juillet 2017, l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués, exploitée par les sociétés IMC et Intel Corp, a été reprise par la société Newco, créée pour cette opération puis devenue la société Renault Software Labs, appartenant au groupe Renault.

5. Les contrats de travail de quatre-cent-soixante salariés employés par les sociétés IMC et Intel ont été transférés à la société Newco.

6. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour contester l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail et obtenir la condamnation de leur employeur à leur payer diverses sommes liées à la rupture injustifiée de leur contrat de travail ainsi que des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d'une prime projet et d'actions gratuites.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. Les salariés font grief aux arrêts de juger l'article L. 1224-1 du code du travail applicable et de les débouter de leurs demandes fondées sur la contestation de la validité du transfert des contrats de travail, notamment celles visant à condamner l'employeur au paiement de différentes sommes à titre de dommages-intérêts liés à la perte du bénéfice de l'indemnité du plan de sauvegarde de l'emploi ou à la perte du bénéfice de l'indemnité de reclassement dans le cadre de ce plan, indemnité sur préavis, congés payés sur préavis, indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnité pour licenciement irrégulier, alors :

« 1° / que le transfert de plein droit du contrat de travail en application de l'article L. 1224-1 du code du travail suppose l'existence et le transfert à un nouvel employeur d'une entité économique autonome, définie comme un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ; que l'existence d'une entité économique autonome ne peut être caractérisée et admise qu'au sein d'une même société et non par référence à l'activité exercée au niveau d'un groupe de sociétés ; qu'en jugeant au contraire que le fait que l'activité transférée provienne de deux entreprises juridiquement distinctes mais faisant partie d'un même groupe de sociétés ne fait pas obstacle par principe à l'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail et en retenant en conséquence l'existence d'une entité économique autonome correspondant à l'activité « Recherche & Développement des logiciels embarqués » au sein des sociétés IMC et Intel Corporation, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

2° / que le transfert de plein droit du contrat de travail en application de l'article L. 1224-1 du code du travail suppose l'existence et le transfert à un nouvel employeur d'une entité économique autonome, définie comme un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ; que le transfert d'une entité économique autonome suppose ainsi l'identification d'une entité avant son transfert ; qu'en l'espèce, les salariés faisaient valoir et démontraient que les organigrammes des sociétés IMC et Intel Corporation avaient été modifiés à plusieurs reprises en 2016 et 2017 afin d'exclure certains salariés du champ du transfert des contrats de travail et que certains salariés affectés à des fonctions support essentielles n'avaient pas été transférées à la société Newco, notamment l'équipe Ressources Humaines, qui a fait l'objet d'un recrutement extérieur ultérieur de la part du nouvel exploitant de l'activité R&D des logiciels embarqués ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui s'est bornée à énoncer que des moyens en personnel, corporels et incorporels de l'activité Recherche & Développement des logiciels embarqués ont été effectivement transférés à la société Newco, notamment 460 salariés, ce qui permettait à l'activité R&D des logiciels embarqués de fonctionner de façon autonome, sans rechercher ni vérifier, d'une part, si les sociétés Intel Corporation et IMC avaient procédé à des changements d'organigramme modifiant l'identité de l'entité salariale pour créer artificiellement un ensemble de salariés « sur mesure », ce qui était de nature à exclure la condition d'un transfert concernant un ensemble organisé préexistant et autonome et si, d'autre part, l'équipe Ressources Humaines non transférée avait fait l'objet d'un recrutement extérieur ultérieur, quand il s'agissait d'une fonction support essentielle au fonctionnement de l'entité, de sorte qu'il en résultait que tous les contrats de travail des salariés nécessaires au fonctionnement de l'entité n'avaient pas été transférés à la société Newco, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

3° / qu'en cas de litige, le juge doit vérifier que les conditions d'un transfert légal au sens de l'article L 1224-1 du code du travail sont réunies ; qu'en l'espèce, après avoir constaté tout d'abord que les salariés transférés étaient rattachés à deux business units internationales différentes et que 15 salariés d'entre eux avaient perdu leur ancien manager de premier niveau, ce dont il se déduisait que tous les contrats de travail rattachés à l'entité économique autonome n'avaient pas été transférés au nouvel exploitant, et ensuite que, d'autres des salariés attachés à l'activité avaient artificiellement été sortis du périmètre et n'avaient pas été transférés à Newco, la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que, nonobstant l'intitulé de la fonction occupée, Intel Corp « explique » que les salariés non transférés « étaient affectés soit sur des postes concernant le hardware, c'est-à-dire hors périmètre, soit sur des postes mixtes sofware/hardware ou firmware avec une prédominance de ce dernier, ce qui justifie l'exclusion du périmètre », sans viser la moindre pièce qui aurait été produite par Intel, qui avait la charge de cette preuve, justifiant une telle affirmation, ni vérifier elle-même cette réalité, contestée par les exposants ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

4° / que le transfert d'une entité économique autonome suppose la transmission des moyens corporels et/ou incorporels significatifs et nécessaires à la poursuite de l'activité ; qu'en l'espèce, les salariés faisaient valoir et démontraient que seule une minorité des éléments d'actifs des sociétés IMC et Intel Corporation avait été transférée à la société Newco, à l'exclusion du matériel le plus coûteux et le plus important pour l'exercice de l'activité R&D des logiciels embarqués et l'effacement des données sur les PC des ingénieurs affectés aux projets Intel, ce qui établissait l'absence de poursuite d'activité chez le cessionnaire et ce qui avait eu pour conséquence de priver d'activité plusieurs salariés postérieurement à leur transfert, de sorte que la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que des moyens en personnel, corporels et incorporels de l'activité Recherche & Développement des logiciels embarqués ont été transférés à la société Newco et que des moyens significatifs, nécessaires et suffisants permettaient à l'activité R&D des logiciels embarqués de fonctionner de façon autonome et qu'il importait peu que les données informatiques aient été effacées dès lors que les serveurs et logiciels avaient été transférés, mais sans constater que ces données essentielles l'avaient été également ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher ni constater, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si l'exclusion d'une grande partie du matériel attachée à l'activité litigieuse avait privé de nombreux salariés de toute activité, ce qui était de nature à remettre en cause la réalité du transfert d'une entité économique autonome, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

5° / que l'entité transférée doit conserver son identité chez le nouvel exploitant ; qu'en l'espèce, les salariés démontraient par de nombreuses pièces qu'aucune entité économique autonome réelle n'avait été transférée à la société Newco puisque, préalablement à la reprise, l'activité économique des salariés avait été transférée à d'autres sociétés du groupe Intel à l'étranger ou à des sous-traitants, qu'ils n'avaient plus eu aucune activité pendant six mois à un an, que les conditions d'exploitation de l'activité avaient radicalement changé après le transfert, que l'activité R&D des logiciels embarqués avait en réalité été reprise par plusieurs repreneurs autres que Renault ; qu'en se bornant en l'espèce à affirmer que « les productions établissent que la société Newco, devenue Renault Software Labs, a continué à exploiter l'activité de R&D des logiciels embarqués des sociétés IMC et Intel Corp, dans des conditions analogues, avec une organisation des équipes basée sur l'encadrement de 1er niveau issu du transfert d'actif partiel de ces deux sociétés » et que peu importait la réorganisation ultérieure, quand le transfert était insuffisant à caractériser la poursuite, à l'identique, de l'activité dans les mêmes conditions, sans vérifier si l'absence de travail avérée de nombreux salariés transférés démontrait qu'il n'y avait pas de poursuite de la même activité, ce dont il se déduisait que l'entité économique transférée avait perdu son identité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

6° / qu'en affirmant en l'espèce que « l'arrêt de projets Intel ou le transfert de projets Intel dans d'autres sociétés du groupe, associé à l'interruption temporaire de l'activité du salarié, n'est pas incompatible avec la validité du transfert ultérieur de l'entité économique autonome », que « l'activité R&D logiciels embarqués concerne en effet des projets qui se succèdent dans le temps », que « le fait que l'activité s'exerce désormais dans le cadre du projet de voiture autonome et non plus majoritairement sur des téléphones et tablettes, ne modifie pas l'activité exercée, laquelle reste bien la recherche et le développement des logiciels embarqués » et que « l'adaptation des salariés transférés à l'environnement spécifique de l'automobile et aux outils informatiques et langages de programmation utilisés chez Renault est similaire au déroulement d'un nouveau projet comportant un environnement différent du projet précédent », quand il résultait au contraire de ces constats que l'activité des salariés après le transfert à la société 843 Corporation n'était pas identique à celle exercée au sein des sociétés Intel Corporation et IMC, ce qui était de nature à remettre en cause le transfert de plein droit des contrats de travail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

7° / que la fraude corrompt tout ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté, s'agissant de l'activité, l'arrêt de projets Intel ou le transfert dans d'autres sociétés, mais aussi, s'agissant des contrats de travail, l'absence de transfert d'une dizaine d'ingénieurs affectés à l'activité transférée et des mutations effectuées en amont ; s'agissant de la poursuite de l'activité, qu'après le transfert, il y avait eu à la fois l'effacement de données informatiques sur les projets Intel mais aussi des formations chez Renault aux outils informatiques et à la programmation, ce dont il résultait que l'activité n'était pas identique, elle ne pouvait exclure la fraude à l'article L. 1224-1, en analysant séparément chacune des conditions exigées pour permettre d'imposer un transfert automatique des contrats de travail alors surtout qu'elle constatait elle-même aussi, que les valeurs des actifs transférés par les sociétés IMC et Intel Corporation s'élevaient respectivement à 32 millions et à 34 millions d'euros, quand leur prix de cession a été fixé à seulement 2 euros au profit du cessionnaire apparent, la société Newco, utilisée pour masquer que le groupe Renault était le véritable bénéficiaire de l'opération, et elle ne pouvait pas plus retenir qu'Intel établit « qu'elle n'a pas fait d'économies en transférant les salariés à Renault au lieu de les licencier pour cause économique » ce qui était inopérant en l'absence de constat que les conditions d'un tel licenciement économique collectif étaient effectivement réunies, et alors surtout qu'elle a elle-même constaté que la société Renault Sofware Labs a été en outre « indemnisée » à hauteur de 55 millions d'euros, « compte tenu de la charge financière représentée par l'ancienneté, les droits à congés payés, les jours de repos et la rémunération variable des salariés transférés » ; qu'il en résultait que c'est le cessionnaire final, en réalité Renault, qui a bénéficié de la part des sociétés cédantes, d'une valeur de 121 millions d'euros (dont 118 millions de trésorerie et 3 millions de matériels) à l'occasion des apports partiels d'actifs litigieux ; qu'en cet état, la cour d'appel qui n'a pas tenu compte de l'ensemble de ces éléments constatés ou prouvés dans l'examen du moyen fondé sur la fraude à la loi d'ordre public française et aux droits des salariés n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé en conséquence l'article L. 1224-1 du code du travail ainsi que le principe selon lequel la fraude corrompt tout. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, que l'entité économique autonome dont le transfert entraîne la poursuite de plein droit avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés qui y sont affectés s'entend d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.

9. Il s'en déduit que l'existence d'une entité économique autonome est indépendante des règles d'organisation, de fonctionnement et de gestion du service exerçant une activité économique, en sorte qu'une entité économique autonome au sens des dispositions du texte susvisé peut résulter de deux parties d'entreprises distinctes d'un même groupe.

10. La cour d'appel a constaté que l'activité de recherche et développement sur les logiciels embarqués, développée par les sociétés IMC et Intel, constituait une activité autonome, distincte des autres activités exercées par le groupe Intel France relatives à la conception de circuits intégrés, vente/marketing, support client, que cette activité était dotée d'équipes de salariés dédiées dont l'expertise était spécifique et poursuivant un objectif propre, que les fonctions supports - services finances, services généraux, administration générale des sites - nécessaires à l'exercice de cette activité avaient été transférées, ainsi que les moyens corporels et incorporels spécifiquement affectés à l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués, tels les équipements et les licences informatiques, le matériel de laboratoire audio encore utilisé, les baux et les contrats de maintenance, de sous-traitance ainsi que les contrats conclus avec les fournisseurs.

11. Elle a également relevé que l'activité de recherche et de développement des logiciels embarqués transférée à la société Newco en vue de sa reprise ultérieure par la société Renault Software Labs avait conservé son identité et avait été effectivement poursuivie dans des conditions analogues, la modification ultérieure de l'organisation des équipes au sein de Renault Software Labs ne remettant pas en cause le transfert de droit.

12. Elle a enfin estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que la fraude alléguée par les salariés n'était pas établie.

13. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire le transfert d'une entité économique autonome dont l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués développée par les sociétés IMC et Intel était poursuivie par le cessionnaire et, par voie de conséquence, le maintien de plein droit des contrats de travail des salariés relevant de cette activité avec le nouvel employeur.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

15. Les salariés font grief aux arrêts de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts pour perte de chance d'obtenir des « restricted stocks units » (RSU) au titre de l'année 2017, alors « que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen de cassation entraînera nécessairement la censure de l'arrêt s'agissant des chefs de dispositif ayant débouté les salariés de leurs demandes de dommages-intérêts au titre des RSU. »

Réponse de la Cour

16. Le rejet du premier moyen rend sans portée la demande de cassation par voie de conséquence du second moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents, qui ne sont qu'éventuels, la Cour :

REJETTE les pourvois principaux.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1224-1 du code du travail ; directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001.

Soc., 1 juin 2023, n° 21-19.649, (B), FS

Rejet

Harcèlement – Harcèlement moral – Préjudice – Réparation – Cas – Salarié protégé – Salarié licencié pour faute grave après autorisation administrative – Compétence judiciaire – Validité de précédentes sanctions disciplinaires – Appréciation en lien avec un harcèlement moral – Possibilité – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars 2021), M. [X] a été engagé en qualité de conseiller clientèle par la société Bluelink (la société) le 14 février 2005.

Le 29 mai 2009, il a été désigné représentant syndical.

Le 9 décembre 2009, il a été élu membre titulaire au comité d'entreprise et délégué du personnel suppléant.

2. Le salarié a fait l'objet de plusieurs procédures disciplinaires. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 27 octobre 2010, de demandes à l'encontre de la société relatives à un harcèlement moral et à un traitement discriminatoire.

3. Le 7 décembre 2010, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Le 11 février 2011, l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de le licencier.

Le ministre du travail ayant autorisé le licenciement le 11 juillet 2011, le salarié a été licencié pour faute grave le 15 juillet 2011.

Le 11 octobre 2013, le tribunal administratif de Melun a rejeté le recours du salarié.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors « que si le juge judiciaire ne peut, en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement, sous réserve que les manquements invoqués n'aient pas été nécessairement contrôlés par l'autorité administrative dans le cadre de la procédure de licenciement ; qu'au cas présent, le ministre du travail avait autorisé le licenciement du salarié, en considérant que les faits reprochés à la date du 27 novembre 2010 étaient établis et qu'ils étaient suffisamment graves pour justifier une mesure de licenciement, compte-tenu des antécédents, consistant en un rappel à l'ordre du 28 juin 2010 et en une mise à pied disciplinaire de cinq jours le 8 novembre 2010 ; que le tribunal administratif a rejeté le recours formé à l'encontre de cette décision en jugeant qu'il ressortait des pièces du dossier et des témoignages de salariés, que le 27 novembre 2010, le salarié avait refusé de retourner à son poste de travail et de traiter les dossiers comme le lui demandait sa supérieure hiérarchique et que les paroles qu'il avait prononcées à l'encontre de cette personne étaient irrespectueuses à son égard, alors même qu'il avait été antérieurement rappelé à l'ordre pour pareille attitude, puis sanctionné pour des faits d'insubordination et irrespect des consignes, par une mise à pied disciplinaire ; qu'en jugeant que l'autorité administrative ne s'était prononcée que sur les seuls faits des 27 novembre et 3 décembre 2010, sans se prononcer sur la réalité des faits et le bien-fondé des réactions de l'employeur quant à la mise en garde du 28 juin 2010 et la mise à pied du 8 novembre 2010 qui étaient seulement mentionnées par le ministre du travail, ce qui l'autorisait à apprécier du harcèlement allégué relativement à ces faits, quand le licenciement avait été autorisé en considération de la gravité du manquement du 27 novembre 2010, appréciée au regard des manquements antérieurs, et notamment du rappel à l'ordre et de la mise à pied disciplinaire, ce dont il résultait que ces faits avaient nécessairement été contrôlés par l'administration et que le juge judiciaire ne pouvait plus les apprécier, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et les articles L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par une faute grave, il appartient à l'administration du travail de vérifier, d'une part que les faits sont établis et sont fautifs, d'autre part l'absence de lien entre la demande de licenciement et les mandats exercés par l'intéressé. Il ne lui appartient pas, en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de porter une appréciation sur la validité des précédentes sanctions disciplinaires invoquées par l'employeur. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'administration du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir le caractère systématique ou injustifié de ces sanctions devant le juge judiciaire au titre d'éléments permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

6. En conséquence, la cour d'appel a pu, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, prendre en compte les précédentes sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre du salarié qu'elle a estimées injustifiées, pour reconnaître l'existence d'un harcèlement moral.

7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La société fait grief à l'arrêt d'annuler la mise en garde du 28 juin 2010 ainsi que la mise à pied disciplinaire du 8 novembre 2010 et de la condamner à payer au salarié certaines sommes au titre du salaire correspondant à la mise à pied annulée et des congés payés afférents, alors « que si le juge judiciaire ne peut, en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement, sous réserve que les manquements invoqués n'aient pas été nécessairement contrôlés par l'autorité administrative dans le cadre de la procédure de licenciement ; qu'au cas présent, le ministre du travail avait autorisé le licenciement de M. [X], en considérant que les faits reprochés à la date du 27 novembre 2010 étaient établis et qu'ils étaient suffisamment graves pour justifier une mesure de licenciement, compte-tenu des antécédents, consistant en un rappel à l'ordre du 28 juin 2010 et en une mise à pied disciplinaire de 5 jours le 8 novembre 2010 ; que le tribunal administratif a rejeté le recours formé à l'encontre de cette décision en jugeant qu'il ressortait des pièces du dossier et des témoignages de salariés, que le 27 novembre 2010, M. [X] avait refusé de retourner à son poste de travail et de traiter les dossiers comme le lui demandait sa supérieure hiérarchique et que les paroles qu'il avait prononcées à l'encontre de cette personne étaient irrespectueuses à son égard, alors même qu'il avait été antérieurement rappelé à l'ordre pour pareille attitude, puis sanctionné pour des faits d'insubordination et irrespect des consignes, par une mise à pied disciplinaire ; qu'en annulant la mise en garde du 28 juin 2010 et la mise à pied disciplinaire du 8 novembre 2010, faute par l'employeur de justifier des éléments retenus pour justifier ces sanctions, quand le licenciement avait été autorisé en considération de la gravité du manquement du 27 novembre 2010, appréciée au regard des manquements antérieurs, et notamment du rappel à l'ordre et de la mise à pied disciplinaire, ce dont il résultait que ces faits avaient nécessairement été contrôlés par l'administration et que le juge judiciaire ne pouvait plus les apprécier, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et les articles L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail. »

Réponse de la Cour

9. Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par une faute grave, il appartient à l'administration du travail de vérifier, d'une part que les faits sont établis et sont fautifs, d'autre part l'absence de lien entre la demande de licenciement et les mandats exercés par l'intéressé. Il ne lui appartient pas, en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de porter une appréciation sur la validité des précédentes sanctions disciplinaires invoquées par l'employeur. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'administration du travail ne fait pas obstacle à ce que le juge judiciaire se prononce sur la validité de ces sanctions.

10. En conséquence, la cour d'appel a pu, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, annuler la mise en garde du 28 juin 2010 et la mise à pied disciplinaire du 8 novembre 2010 et condamner la société à payer au salarié certaines sommes au titre du salaire correspondant à la mise à pied annulée et des congés payés afférents.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats -

Textes visés :

Principe de la séparation des pouvoirs.

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