Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

CAUTIONNEMENT

Com., 21 juin 2023, n° 21-24.691, (B), FRH

Cassation partielle

Conditions de validité – Acte de cautionnement – Proportionnalité de l'engagement (article L. 341-4 du code de la consommation) – Domaine d'application – Créancier professionnel – Définition

N'est pas un créancier professionnel au sens de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, de sorte que les règles du code de la consommation relatives à la disproportion manifeste ne lui sont pas applicables, l'associé majoritaire, dirigeant, qui cède les parts qu'il détient dans le capital social d'une société, sa créance n'étant pas née dans l'exercice de sa profession ni ne se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même accessoire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 5 août 2021) et les productions, par un acte du 21 novembre 2014, M. [U] a cédé à la société JLG Invest, représentée par M. [X], les cent quatre-vingt-quatorze actions qu'il détenait sur les deux cents formant le capital social de la société [U] Forage Horizontal, payable à hauteur de 300 000 euros dans les trois jours ouvrés à compter de la date de la cession, puis en vingt-quatre mensualités de 50 000 euros, à compter du 1er avril 2015.

2. Par le même acte, M. [X] s'est rendu caution solidaire en garantie du paiement du prix de cession par la société JLG Invest.

3. Alléguant l'existence d'un dol, la société JLG Invest et M. [X] ont assigné M. [U] aux fins de le voir condamner à leur payer des dommages et intérêts. M. [U] a demandé reconventionnellement la condamnation de M. [X] à lui payer, en sa qualité de caution, le solde du prix de cession des actions.

4. Un jugement du 23 mars 2016 a placé la société JLG Invest sous sauvegarde, M. [M] [O] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. M. [U] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement dirigée contre M. [X] au titre de son engagement de caution, alors « que le créancier professionnel est celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles ; que tel n'est pas le cas de l'associé-cédant ayant consenti, à l'occasion de la cession de la totalité de ses actions, un crédit-vendeur au cessionnaire dans la mesure où d'une part, la cession d'actions ne caractérise pas, en elle-même, l'exercice d'une activité professionnelle - même si l'associé cédant a été le dirigeant de la société dont les actions ont été cédées - et où d'autre part, le crédit-vendeur ne se trouve pas en rapport direct avec la profession de dirigeant exercée par le cédant ; qu'en retenant cependant que « M. [U] en cédant les parts sociales de sa société en consentant un crédit-vendeur garanti par le cautionnement de M. [X] [devait] être considéré comme un créancier professionnel » de sorte qu'il ne pouvait se prévaloir du cautionnement prétendument disproportionné souscrit par M. [X], la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 332-1 [L. 341-4, alors applicable] du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

7. Il résulte de ce texte que le créancier professionnel s'entend de celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n'est pas principale.

8. La cession par un associé des droits qu'il détient dans le capital d'une société ou le remboursement des avances qu'il a consenties à la société ne caractérisent pas en eux-mêmes l'exercice d'une activité professionnelle, même si le cédant a été le gérant de la société cédée.

9. Pour considérer que les dispositions de l'article L. 341-4 étaient applicables à l'engagement souscrit par M. [X], l'arrêt, après avoir relevé que M. [U] n'était pas retraité à l'époque où le cautionnement a été souscrit en sa faveur mais était associé et dirigeant de la société [U] Forage Horizontal, retient que M. [U], en cédant les parts sociales de sa société en consentant un crédit-vendeur garanti par le cautionnement de M. [X], doit être considéré comme un créancier professionnel.

10. En statuant ainsi, alors que la créance de M. [U] n'était pas née dans l'exercice de sa profession ni ne se trouvait en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même accessoire, de sorte que les règles du code de la consommation relatives à la disproportion manifeste ne lui étaient pas applicables, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il déboute M. [U] de sa demande en paiement dirigée contre M. [X] au titre de son engagement de caution et le condamne à payer à M. [X] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 août 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Guerlot - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la notion de créancier professionnel en matière de cautionnement, à rapprocher : 1re Civ., 9 juillet 2009, pourvoi n° 08-15.910, Bull. 2009, I, n° 173 (rejet).

Com., 1 juin 2023, n° 21-23.850, (B), FRH

Cassation

Etendue – Limite – Limite dans le temps – Portée

Il résulte des articles 1134 et 2292 du code civil, le premier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le second dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, qu'en l'absence de stipulation expresse contractuelle limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier, le fait que la caution soit appelée à payer postérieurement à la date limite de son engagement est sans incidence sur l'obligation de la caution portant sur la créance née avant cette date. Cette règle s'applique même lorsque le cautionnement est consenti en garantie d'une dette déterminée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 9 septembre 2021), par un acte du 11 décembre 2009, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest (la banque) a consenti à la société Rault financière (la société) un prêt d'une durée de 84 mois, garanti par les cautionnements de MM. [K] et [N].

2. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a, par acte du 12 janvier 2019, assigné en paiement les cautions, qui lui ont opposé l'extinction, depuis le 11 décembre 2018, des obligations de règlement au titre des cautionnements.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer l'action introduite contre MM. [K] et [N] irrecevable comme forclose, alors « que le fait que le créancier n'a introduit son action contre la caution que postérieurement à la date limite de l'engagement de la caution est sans incidence sur l'obligation de la caution dès lors que la dette du débiteur principal est antérieure à cette date limite et que l'acte de cautionnement ne comporte aucune stipulation restreignant dans le temps le droit de poursuite du créancier à l'encontre de la caution ; que la seule fixation, par l'acte de cautionnement, d'une durée du cautionnement excédant le terme de l'obligation principale cautionnée ne restreint pas dans le temps le droit de poursuite du créancier à l'encontre de la caution ; qu'en énonçant, par conséquent, pour déclarer l'action introduite par la banque à l'encontre de MM. [K] et [N] irrecevable comme forclose, que le contrat de prêt conclu le 11 décembre 2009 fixait à 84 mois la durée du prêt et à 108 mois celle de l'engagement des cautions, que, lorsque le cautionnement garantit une dette déterminée, [la distinction entre] l'obligation de couverture[, qui détermine l'étendue de la garantie au jour de l'engagement,] et l'obligation de règlement, qui détermine les dettes entrées dans le champ du cautionnement, n'est opérante que dans le cas du cautionnement de dettes futures, qu'il s'en déduit que la fixation d'une durée au cautionnement excédant le terme de l'obligation principale ne peut s'interpréter que comme exprimant la commune intention des parties de stipuler un délai limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier, que les stipulations contractuelles produites en l'espèce révélaient ainsi que les parties avaient entendu fixer la durée de l'engagement des cautions à la durée du prêt, prolongée de deux ans, afin de permettre à la banque d'agir contre les cautions au titre de leur obligation de règlement en cas de défaillance de la société emprunteuse et que la prolongation de deux ans du délai d'engagement de la caution au delà de l'échéance de l'obligation principale ne pouvait avoir d'autre sens que de déterminer la durée de l'obligation de règlement des cautions et, partant, de fixer un terme au délai d'action de la banque envers celles-ci, quand, en se déterminant de la sorte, elle considérait que la seule fixation par l'acte du 11 décembre 2009, par lequel MM. [K] et [N] s'étaient engagés en qualité de cautions solidaires envers la banque, d'une durée des cautionnements excédant le terme de l'obligation principale cautionnée restreignait nécessairement dans le temps le droit de poursuite de la banque à l'encontre de MM. [K] et [N], la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1134 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui est applicable à la cause, et de l'article 2292 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 2292 du code civil, le premier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le second dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :

4. Il résulte de ces textes qu'en l'absence de stipulation expresse contractuelle limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier, le fait que la caution soit appelée à payer postérieurement à la date limite de son engagement est sans incidence sur l'obligation de la caution portant sur la créance née avant cette date.

5. Pour déclarer la banque irrecevable comme forclose, l'arrêt retient que lorsque le cautionnement garantit une dette déterminée, l'obligation de couverture et l'obligation de règlement sont confondues pour avoir dès l'origine une même étendue, définie par référence à la dette garantie, et pour s'éteindre en même temps. Il en déduit que la fixation d'une durée au cautionnement excédant le terme de l'obligation principale ne peut s'interpréter que comme exprimant la commune intention des parties de stipuler un délai limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier.

6. En se déterminant ainsi, sans relever l'existence dans le contrat de cautionnement d'une stipulation expresse restreignant dans le temps le droit de poursuite de la banque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat général : M. Crocq - Avocat(s) : SCP Capron ; SAS Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2292, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la limitation dans le temps d'un cautionnement, à rapprocher : 1re Civ., 19 juin 2001, pourvoi n° 98-16.183, Bull. 2001, I, n° 179 (cassation).

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