Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

BANQUE

Com., 21 juin 2023, n° 21-18.312, (B), FS

Rejet

Faute – Manquement à l'obligation d'information du client – Applications diverses – Contre-performance du contrat – Contrat d'assurance-vie nanti en garantie du remboursement d'un prêt in fine – Préjudice – Perte d'une chance – Perte d'une chance d'éviter la réalisation de ce risque

Le dommage résultant du manquement d'une banque à l'obligation d'informer le souscripteur d'un prêt in fine du risque que le rachat de contrats d'assurance-vie, du fait d'une contre-performance de ceux-ci, ne permette pas le remboursement du prêt à son terme consiste en la perte d'une chance d'éviter la réalisation de ce risque.

Lorsqu'ayant pris conscience de l'existence de ce risque, dont il pouvait légitimement craindre qu'il se réalisât, l'emprunteur rembourse le prêt par anticipation à seule fin d'en prévenir la réalisation, son préjudice consiste en la perte d'une chance, non d'éviter la réalisation du risque, mais d'éviter les conséquences dommageables de ce remboursement anticipé.

Responsabilité – Faute – Manquement à l'obligation d'information du client – Applications diverses – Contre-performance du contrat – Contrat d'assurance-vie nanti en garantie du remboursement d'un prêt in fine – Remboursement du prêt par anticipation à seule fin d'en prévenir la réalisation – Préjudice – Perte d'une chance – Perte d'une chance d'éviter les conséquences dommageables de ce remboursement anticipé

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 novembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (Com., 22 janvier 2020, pourvoi n° 17-20.819), le 29 août 2000, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est (la banque) a consenti à la société La Seiglière un prêt remboursable in fine, le 12 novembre 2013, garanti par le nantissement de deux contrats d'assurance-vie souscrits par M. et Mme [M], associés de la société.

2. Reprochant à la banque un manquement à ses obligations d'information et de conseil, la société La Seiglière et M. et Mme [M] l'ont assignée en responsabilité.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. La société La Seiglière et M. et Mme [M] font grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la société en paiement de dommages et intérêts formées à l'encontre de la banque, alors :

« 1°/ que la perte de chance d'éviter un risque est certaine lorsque le risque s'est réalisé ; que, dans un contrat de prêt in fine nanti par un contrat d'assurance-vie, la perte de chance d'éviter le risque de ne pas pouvoir rembourser le capital emprunté grâce au rachat du contrat d'assurance-vie est certaine lorsque la valeur du contrat d'assurance-vie, à la date d'exigibilité du capital, n'en permet pas le remboursement ; qu'en jugeant que le préjudice était hypothétique, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la situation des contrats d'assurance-vie permettait ou aurait permis à l'échéance du terme de rembourser le capital, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;

2°/ les juges du fond doivent examiner tous les documents de la cause ; que la société La Seiglière produisait aux débats les relevés annuels de valorisation d'épargne au 31 décembre 2013, que la banque leur a envoyés le 4 février 2014, selon lesquels au 31 décembre 2013, les comptes affichaient les sommes de 35 231,91 euros pour celui de Mme [M] et de 34 677,06 euros pour celui de M. [M] ; qu'en n'examinant pas ces documents, dont il ressortait que les contrats d'assurance-vie ne permettaient pas à l'échéance du crédit, le 12 novembre 2013, de s'acquitter de la somme due en capital de 152 449 euros, et qui établissaient la réalisation du risque dont la société La Seiglière n'avait pas été informée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Le dommage résultant du manquement d'une banque à l'obligation d'informer le souscripteur d'un prêt in fine du risque que le rachat de contrats d'assurance-vie, du fait d'une contre-performance de ceux-ci, ne permette pas le remboursement du prêt à son terme consiste en la perte d'une chance d'éviter la réalisation de ce risque.

6. Lorsqu'ayant pris conscience de l'existence de ce risque, dont il pouvait légitimement craindre qu'il se réalisât, l'emprunteur rembourse le prêt par anticipation à seule fin d'en prévenir la réalisation, son préjudice consiste en la perte d'une chance, non d'éviter la réalisation du risque, mais d'éviter les conséquences dommageables de ce remboursement anticipé.

7. La valeur de rachat des contrats d'assurance-vie à la date du terme initialement prévu est dès lors sans incidence sur l'appréciation de ce préjudice.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Blanc - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Aricle 1147, devenu 1231-1, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ de la prescription en matière d'action en responsabilité contre une banque, à rapprocher : Com., 6 mars 2019, pourvoi n° 17-22.668, Bull., (cassation partielle).

Com., 14 juin 2023, n° 21-23.864, (B), FRH

Rejet

Garantie à première demande – Recours du donneur d'ordre contre le bénéficiaire – Recevabilité – Conditions – Remboursement préalable du garant (non)

Après paiement d'une garantie autonome, le donneur d'ordre est recevable à exercer un recours contre le bénéficiaire pour faire juger que celui-ci a perçu indûment le montant de la garantie, sans avoir à justifier du remboursement préalable du garant.

Garantie à première demande – Caractère – Caractère autonome – Portée – Paiement de la garantie – Paiement indu – Recours du donneur d'ordre contre le bénéficiaire – Recevabilité – Conditions – Remboursement préalable du garant (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 5 octobre 2021), la société Evotel a confié à la société Mark Warner Alpes, aux droits de laquelle se trouve la société Mark Warner France, la location-gérance d'un fonds de commerce d'hôtel-restaurant-bar.

Le 10 avril 2007, une garantie à première demande a été consentie par la société Mark Warner Limited au profit de la société Evotel en cas de défaillance de la société Mark Warner France.

La société Mark Warner France n'ayant pas renouvelé le contrat, la société Evotel, invoquant la non-remise en état des lieux et une perte de valeur du fonds de commerce, a assigné la société Mark Warner Limited en exécution de la garantie.

La demande a été accueillie par un arrêt du 26 septembre 2017 qui a condamné la société Mark Warner Limited à payer à la société Evotel la somme de 611 187,40 euros.

2. Le 25 janvier 2017, soutenant que les conditions de mise en oeuvre de la garantie consentie le 10 avril 2007 n'étaient pas réunies lorsqu'elle a été appelée par la société Evotel, la société Mark Warner France a assigné cette dernière en demandant sa condamnation à lui reverser cette somme.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société Evotel fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de la société Mark Warner France et, statuant sur le fond, et fixant à 115 000 euros le montant du préjudice subi par la société Evotel ensuite de la restitution de son fonds de commerce par la société Mark Warner France, de la condamner à rembourser à la société Mark Warner France la somme de 633 928,99 euros outre intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019, outre celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que si le donneur d'ordre dispose, contre le bénéficiaire d'une garantie autonome, d'un recours en remboursement fondé sur le contrat de base en cas d'appel injustifié de la garantie, l'exercice de ce recours fondé sur l'enrichissement sans cause exige que le donneur d'ordre se soit appauvri en remboursant au garant les sommes réglées par ce dernier au bénéficiaire ; que pour déclarer recevable les prétentions de la société Mark Warner France au regard de l'intérêt et de la qualité à agir, l'arrêt se borne à relever que « le donneur d'ordre d'une garantie à première demande est recevable à demander la restitution de son montant au bénéficiaire, à charge pour lui d'établir que le bénéficiaire en a reçu indument le paiement, par la preuve de l'exécution de ses propres obligations contractuelles ou par celle de l'imputabilité de l'inexécution du contrat à la faute du cocontractant bénéficiaire de la garantie ou par la nullité du contrat de base, et ce sans avoir à justifier d'une fraude ou d'un abus manifeste, comme en cas d'opposition préventive à l'exécution de la garantie par le garant » ; qu'en statuant ainsi, sans s'assurer que la société Mark Warner France (donneur d'ordre) avait remboursé à la société Mark Warner Limited (garant) la somme versée à la société Evotel (bénéficiaire) en exécution de la garantie à première demande, la cour d'appel a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile ;

2°/ que la société Evotel faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la société Mark Warner France n'avait pas qualité ni intérêt pour solliciter le remboursement d'une somme qu'elle n'avait pas payée personnellement et qu'elle ne justifiait pas avoir dû payer à la société Mark Warner Limited ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Après paiement d'une garantie (ou contre-garantie) autonome, le donneur d'ordre est recevable à exercer un recours contre le bénéficiaire pour faire juger que celui-ci a perçu indûment le montant de la garantie, sans avoir à justifier du remboursement préalable du garant.

5. Après avoir énoncé que le donneur d'ordre d'une garantie à première demande est recevable à demander la restitution partielle ou totale de son montant au bénéficiaire, à charge pour lui d'établir que le bénéficiaire en a reçu indûment le paiement, par la preuve de l'exécution de ses propres obligations contractuelles, ou par celle de l'imputabilité de l'inexécution du contrat à la faute du cocontractant bénéficiaire de la garantie, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'interroger sur le remboursement préalable du garant par le donneur d'ordre, en a exactement déduit que l'action de la société Mark Warner France contre la société Evotel en remboursement des sommes indûment perçues était recevable.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Piwnica et Molinié -

Rapprochement(s) :

Sur le recours du donneur d'ordre contre le bénéficiaire d'une garantie à première demande, à rapprocher : Com., 31 mai 2016, pourvoi n° 13-25.509, Bull. 2016, IV, n° 79 (rejet).

Com., 1 juin 2023, n° 21-19.289, n° 21-21.831, (B), FRH

Cassation partielle

Paiement – Opération de paiement non autorisée – Applications diverses – Modification ultérieure du numéro IBAN du compte destinataire par un tiers

Il résulte des articles L. 133-3 et L. 133-6 du code monétaire et financier dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, qu'une opération de paiement initié par le payeur, qui donne un ordre de paiement à son prestataire de service de paiement, est réputée autorisée uniquement si le payeur a également consenti à son bénéficiaire.

Aux termes de l'article L. 133-18 du même code, en cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu, sauf, dans le cas d'une opération réalisée au moyen d'un instrument de paiement doté de données de sécurité personnalisées, si la responsabilité du payeur est engagée en application de l'article L. 133-19 du même code.

Ne constitue pas une opération autorisée un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais dont le numéro IBAN du compte destinataire a été ultérieurement modifié par un tiers à l'insu du donneur d'ordre.

Compte – Virement – Paiement – Opération de paiement non autorisée – Applications diverses – Modification ultérieure du numéro IBAN du compte destinataire par un tiers

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-19.289 et 21-21.831 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mars 2021), le 4 juillet 2015, M. et Mme [I] ont rempli, signé et adressé par lettre simple à la société la Banque postale deux ordres de virement de, respectivement, 14 000 euros et 86 000 euros, à exécuter à partir de leur compte-joint ouvert dans les livres de cette banque.

3. Les ordres de virement mentionnaient Mme [I] comme bénéficiaire et comportaient les coordonnées de son compte détenu auprès de la société ING Belgique.

4. Le 29 juillet 2015, M. et Mme [I] ont constaté que les fonds virés n'avaient pas été crédités sur le compte détenu auprès de la société ING Belgique et ont appris de la société la Banque postale qu'ils avaient été versés sur un compte tiers à la suite d'une modification du numéro IBAN figurant sur les ordres de virement.

5. Le 23 décembre 2015, M. et Mme [I] ont assigné la société la Banque postale en remboursement, laquelle a appelé en garantie la société ING Belgique.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi n° 21-19.289 et les premier et second moyens du pourvoi n° 21-21.831

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 21-19.289

Enoncé du moyen

7. Par leur premier moyen, M. et Mme [I] font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande de remboursement de la somme de 100 000 euros par la société la Banque postale, alors « qu'aux termes de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, « en cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24 dudit code, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu » ; que ce texte ne distingue pas selon que l'opération non autorisée consiste en un ordre de virement faux ab initio ou en un ordre de virement falsifié ; qu'en retenant en l'espèce qu'un virement falsifié après sa rédaction régulière ne constitue pas un virement non autorisé au sens de ce texte et en réservant en conséquence le bénéfice du droit légal à remboursement prévu par celui-ci aux seuls ordres de virement faux ab initio, soumettant, en revanche, les ordres de virement falsifiés à un régime de responsabilité pour faute du banquier, la cour d'appel a violé l'article L. 133-18 du code monétaire et financier, dans sa rédaction, applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, tel qu'il doit s'interpréter au regard des articles 54 et 60 de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 133-3, L. 133-6 et L. 133-18 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 :

8. Il résulte des deux premiers de ces textes qu'une opération de paiement initié par le payeur, qui donne un ordre de paiement à son prestataire de service de paiement, est réputée autorisée uniquement si le payeur a également consenti à son bénéficiaire.

9. Aux termes du dernier, en cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu, sauf, dans le cas d'une opération réalisée au moyen d'un instrument de paiement doté de données de sécurité personnalisées, si la responsabilité du payeur est engagée en application de l'article L. 133-19 du même code.

10. Pour rejeter la demande de condamnation de la société La Banque postale à rembourser la somme de 100 000 euros à M. et Mme [I], l'arrêt retient que, dans l'hypothèse d'un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais ultérieurement falsifié, notamment par la modification du nom ou du numéro de compte du bénéficiaire, il n'y a pas de virement non autorisé, de sorte que la responsabilité de la société La Banque postale ne peut être recherchée que pour faute. Il ajoute que la modification du numéro IBAN et l'existence d'un grattage ne se révélant que par un examen particulièrement minutieux des documents et sous une lumière puissante, il ne peut être reproché à la société La Banque postale de ne pas avoir décelé une telle falsification et que, justifiant des diligences entreprises pour tenter de récupérer les fonds dès qu'elle a été informée de la malversation, sa responsabilité n'est pas engagée.

11. En statuant ainsi, alors qu'un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais dont le numéro IBAN du compte destinataire a été ultérieurement modifié par un tiers à l'insu du donneur d'ordre ne constitue pas une opération autorisée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant le jugement, elle déboute M. et Mme [I] de leur demande de remboursement de la somme de 100 000 euros par la société La Banque postale et de leur demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, l'arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Boutié - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles L. 133-3, L. 133-6, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, L. 133-18, L. 133-19 et L. 133-24 du code monétaire et financier.

1re Civ., 28 juin 2023, n° 21-24.720, (B), FS

Cassation partielle

Responsabilité – Faute – Manquement à l'obligation d'information du client – Prêt d'argent libellé en devise étrangère – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ

Responsabilité – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Manquement au devoir d'information – Connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles du manquement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 27 septembre 2021), suivant offres des 4 juin et 21 octobre 2004, la société caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe (la banque) a consenti à M. et Mme [S] (les emprunteurs) deux prêts immobiliers in fine, libellés en francs suisses et remboursables respectivement les 31 juillet 2017 et 31 octobre 2016, aux taux d'intérêt variables indexés sur l'indice Libor trois mois.

2. Le 26 avril 2016, les emprunteurs ont assigné la banque en responsabilité et en constatation du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, en tant qu'il est dirigé contre le chef du dispositif qui déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, en tant qu'il est dirigé contre le chef du dispositif qui déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir d'information

Enoncé du moyen

4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité fondée sur le manquement de la banque à son devoir d'information, alors « que le point de départ de l'action en responsabilité exercée contre une banque pour manquement à son devoir d'information court à compter du jour où l'emprunteur a eu connaissance du risque qu'il n'avait pas été mis en mesure d'appréhender lors de la conclusion du contrat ; qu'en retenant, pour juger que la prescription avait commencé à courir au jour de la conclusion des prêts, que les offres de prêt faisaient apparaître de manière nette et sans ambiguïté que le montant emprunté était libellé en francs suisses, monnaie dans laquelle devaient s'effectuer les remboursements et que les emprunteurs n'établissaient pas qu'ils pouvaient, à cette date, légitimement ignorer le risque de préjudice invoqué au titre d'un manquement de la banque à son devoir d'information, cependant que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour où les emprunteurs avaient eu connaissance du risque né de la conclusion de prêts en devises étrangères, dont ils n'avaient pas été informés, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

5. Il résulte de ces textes que l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information portant sur le fonctionnement concret de clauses d'un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement.

6. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir d'information, l'arrêt retient que ceux-ci n'établissent pas qu'ils ont pu légitimement ignorer les risques de leur préjudice au moment de la souscription des contrats, de sorte que le point de départ du délai quinquennal de la prescription doit être fixé à la date de conclusion des contrats, et qu'en tout état de cause les conséquences de la dégradation de la parité entre le franc suisse et l'euro se sont nécessairement manifestées dès l'année 2009, une dégradation significative de cette parité étant constatée à partir de janvier 2011.

7. En statuant ainsi, alors que les emprunteurs n'avaient pu connaître l'existence du dommage résultant d'un tel manquement à la date de la conclusion des prêts, la cour d'appel, à qui il incombait de caractériser la date de leur connaissance effective des effets négatifs de la variation du taux de change sur leurs obligations financières, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 incluses dans les offres de prêt émises le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004 et de rejeter en conséquence leur demande tendant à voir juger que l'ensemble des paiements intervenus depuis l'origine des remboursements était réputé être intervenu en euros et à ce qu'il soit ordonné à la banque de recalculer les paiements sur ces bases et de leur verser le surcoût engendré par l'effet de change Euro/CHF lors des versements qu'ils ont effectués en euros pour honorer les échéances d'intérêts libellées en CHF, ainsi que leur demande tendant à cantonner à 218 942 euros le montant du capital du prêt in fine à restituer au titre de l'offre du prêt n° 203361-001-50 au 31 juillet 2017, en substitution du montant de 353 000 CHF prévu par le contrat litigieux, et à 147 444 euros au titre du prêt n° 203361-002-51 au 31 octobre 2016, en substitution du montant de 237 725 CHF prévu par le contrat litigieux, alors :

« 1°/ que l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible implique que les clauses indexant le remboursement d'un prêt sur le cours d'une devise étrangère soient comprises par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se bornant à juger, pour écarter l'application de la réglementation des clauses abusives, que les clauses des conditions particulières des prêts prévoyant le remboursement en devises étrangères, qui relevaient de l'objet principal des prêts, étaient rédigées en des termes clairs et compréhensibles, dénués d'ambiguïté ou de contradiction, en ce qu'elles décrivaient le mécanisme à mettre en place pour procéder au paiement des échéances en francs suisses, ce qui avait dû nécessairement interpeller les emprunteur qui ne disposaient pas de ressources d'origine suisse, cependant que la seule indication dans les offres de prêt, d'une part, d'un prélèvement des échéances du prêt sur un compte en devises étrangères (art. 4.3) et, d'autre part, de la circonstance, sans mention du terme de risque, que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourraient intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt (art. 10.5), ne pouvait permettre aux consommateurs de connaître les risques réels encourus, pendant toute la durée du contrat, en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où ils étaient domiciliés et d'une hausse du taux d'intérêt étranger et d'ainsi comprendre qu'ils s'exposaient à un risque de change qui pourrait être économiquement difficile à assumer, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;

2°/ que l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible oblige les établissements financiers consentant des prêts libellés en devise étrangère à informer concrètement l'emprunteur des risques réels qu'il encourt en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où il est domicilié ; qu'en se bornant à juger que les attestations par lesquelles les emprunteurs exposaient avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse suffisaient à démontrer que les emprunteurs avaient pu prendre la mesure de leurs engagements, cependant que telles attestations, dont elle relevait elle-même qu'elles avaient été signées le jour même ou le lendemain de l'émission des offres de prêt et qui ne précisaient pas le contenu de l'information transmise, ne permettaient pas de retenir que les consommateurs avaient été informés des risques réels encourus, pendant toute la durée du contrat, en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où ceux-ci sont domiciliés et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-1 du code la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

9. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

10. Par arrêt du 10 juin 2021 (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, § 2, de la directive 93/13/CE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

11. Pour rejeter la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 des contrats relatives aux modalités de remboursement des prêts et aux possibilités de conversion en euro des prêts souscrits en franc suisse, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la description du mécanisme permettant le paiement des échéances a nécessairement dû alerter les emprunteurs qui ne disposaient pas de ressources en franc suisse, que le recours à la devise suisse n'emportait aucune incidence sur la durée du prêt sauf en cas de remboursement anticipé et que la banque produit pour chaque prêt une attestation annexée à l'offre, signée des emprunteurs, par laquelle ils déclarent expressément avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse.

12. En statuant ainsi, sans constater que le professionnel avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée des contrats, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ceux-ci percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité formée par M. et Mme [S] au titre d'un manquement de la société caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe à son devoir d'information et qu'il rejette la demande tendant à réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 des offres de prêt émises les 4 juin et 21 octobre 2004, rejette en conséquence leur demande tendant à voir juger que l'ensemble des paiements intervenus depuis l'origine des remboursements est réputé être intervenu en euros et à ce qu'il soit ordonné à la banque de recalculer les paiements sur ces bases et de leur verser le surcoût engendré par l'effet de change Euro/CHF lors des versements qu'ils ont effectués en euros pour honorer les échéances d'intérêts libellées en CHF, ainsi que leur demande tendant à cantonner le montant du capital du prêt in fine à restituer au titre de l'offre du prêt n° 203361-001-50 au 31 juillet 2017 à 218 942 euros, en substitution du montant de 353 000 CHF prévu par le contrat litigieux et au titre du prêt n° 203361-002-51 au 31 octobre 2016 à 147 444 euros, en substitution du montant de 237 725 CHF prévu par le contrat litigieux, condamne M. et Mme [S] aux dépens, rejette leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamne in solidum à payer à la société Crédit mutuel Mulhouse Europe la somme de 2 500 euros, l'arrêt rendu le 27 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : Mme Cazaux-Charles - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

1re Civ. 28 juin 2023, pourvoi n° 22-13.969, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 28 juin 2023, n° 22-13.969, (B), FS

Cassation partielle

Responsabilité – Faute – Manquement à l'obligation d'information du client – Prêt d'argent libellé en devise étrangère – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ

Responsabilité – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Manquement au devoir d'information – Connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles du manquement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 25 janvier 2022), par actes des 27 octobre 2005 et 2 juin 2006, la société caisse de Crédit mutuel de la région d'Illfurth (la banque) a consenti à la société civile immobilière Masill (la SCI) deux prêts immobiliers respectivement remboursables en cent-quatre-vingt et deux-cent-quarante échéances mensuelles et libellés en francs suisses.

2. Le 17 janvier 2019, la SCI a assigné la banque en nullité des clauses d'indexation des contrats de prêt, en constatation du caractère abusif de certaines clauses, en responsabilité et en indemnisation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à dire abusives et réputées non écrites les clauses d'indexation, alors :

« 1°/ qu'une clause définissant la prestation essentielle du contrat peut être regardée comme abusive lorsqu'elle n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible ; que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible suppose non seulement que celle-ci doit pouvoir être comprise par le consommateur ou le non-professionnel sur le plan formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur ou non-professionnel moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se contentant de relever, pour juger que les clauses litigieuses étaient claires et compréhensibles, leur intelligibilité sur un plan grammatical et le fait qu'elles exposaient de manière transparente le risque de variation du taux de change, sans rechercher si elles exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de devise étrangère, ainsi que les conséquences économiques, potentiellement importantes, qu'une variation du taux de change pouvait avoir, de sorte que l'emprunteur était mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les risques que lui faisaient courir les clauses litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en jugeant qu'« on peut attendre d'une SCI qui contracte deux emprunts en vue de placer de l'argent en défiscalisation qu'elle lise complètement les contrats rédigés en termes clairs et qu'elle accepte le risque d'une variation du taux de change avec les conséquences économiques qui peuvent en découler », la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

4. En application de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

5. Une société civile immobilière agit en qualité de professionnel lorsqu'elle souscrit des prêts immobiliers pour financer l'acquisition d'immeubles conformément à son objet.

6. La cour d'appel a constaté que la SCI avait souscrit deux prêts immobiliers afin d'acquérir des immeubles à des fins d'investissement locatif.

7. Il en résulte qu'étant réputée agir conformément à son objet, la SCI a agi à des fins professionnelles et ne pouvait donc invoquer à son bénéfice le caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt.

8. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, sa demande tendant à voir reconnue la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde, alors « que le délai de prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que le dommage résultant d'un manquement d'une banque à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde sur le risque que faisait courir, en matière d'emprunt dans une devise étrangère, la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, ainsi que sur les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle variation sur les obligations financières de l'emprunteur, consiste en une perte de chance d'éviter le risque qui s'est réalisé ; que dès lors, le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à compter de la manifestation du dommage, c'est-à-dire lorsque du fait du renforcement du taux de change, l'augmentation des mensualités payées en euros alourdissant considérablement le coût du crédit, l'emprunteur a eu connaissance des conséquences préjudiciables et du coût excessif, pour lui, du prêt en devises ; qu'en jugeant, par motifs adoptés, que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité courrait à compter de la signature des contrats de prêt, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

10. Il résulte de ces textes que l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information portant sur le fonctionnement concret de clauses d'un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement.

11. Pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt retient que le dommage, qui ne peut consister qu'en une perte de chance de ne pas contracter, se manifeste nécessairement dès l'octroi des crédits et que l'action a été introduite par la SCI après le 19 juin 2013, date d'expiration du délai pour agir conformément aux dispositions transitoires de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

12. En statuant ainsi, alors que la SCI, qui invoquait une augmentation de ses échéances à compter de février 2015, n'avait pu connaître l'existence du dommage résultant d'un tel manquement à la date de la conclusion des prêts, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables la demande formée par la SCI Masill en nullité des clauses d'indexation et des contrats de prêt et en ce qu'il déclare recevable la SCI Masill en sa demande tendant à dire abusives et non écrites les clauses d'indexation des contrats de prêts mais l'en déboute, l'arrêt rendu le 25 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-24.720, Bull., (cassation partielle).

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