Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 15 juin 2023, n° 21-10.119, (B), FS

Cassation partielle

Preneur – Obligations – Paiement des loyers – Impossibilité d'exercice de l'activité en raison des mesures gouvernementales de lutte contre le Covid-19 – Exonération – Force majeure (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 5 novembre 2020), le 27 septembre 2012, M. [G] (le bailleur) a donné à bail commercial à la société Park & Suites, aux droits de laquelle est venue la société Appart'City (la locataire), deux appartements situés dans une résidence de tourisme.

2. Le 22 avril 2014, le bailleur a assigné la locataire en paiement d'un arriéré locatif, indemnisation de ses préjudices, remboursement de frais d'huissier de justice et communication de documents comptables de la résidence.

3. Actualisant, en cause d'appel, sa demande au titre de l'arriéré locatif, le bailleur l'a étendue au solde des loyers des premier et deuxième trimestres 2020, soit ceux échus, pour partie, alors que les mesures gouvernementales d'interdiction de recevoir du public afin de lutter contre la propagation du virus covid-19, étaient en vigueur.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses cinquième et septième branches, les troisième à cinquième moyens et le sixième moyen, pris en sa troisième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au bailleur certaines sommes complémentaires au titre des loyers des premier et deuxième trimestres 2020, alors :

« 1°/ qu'est constitutif d'un cas de force majeure un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution ; que constitue un cas de force majeure, susceptible de l'exonérer, au moins temporairement, du paiement des loyers, l'impossibilité pour une société de location touristique d'exercer son activité, en raison des interdictions prononcées par les autorités publiques dans le cadre des mesures sanitaires prises pour la lutte contre la pandémie de covid-19 ; que dans ses conclusions d'appel, la société Appart'city soutenait qu'elle n'avait pas pu se libérer du règlement des loyers durant la période de confinement, dès lors qu'elle avait subi une perte totale de clientèle, s'apparentant à la perte de la chose due ; que la cour d'appel a refusé de retenir l'existence d'un cas de force majeure lié à l'épidémie de covid-19, en se bornant à constater qu'il n'était pas justifié par la société Appart'city de difficultés de trésorerie rendant impossible l'exécution de son obligation de payer les loyers ; qu'en s'abstenant ainsi de rechercher, comme elle y était invitée, si ces difficultés de trésorerie ne se déduisaient pas de ce que la société Appart'city avait été dans l'impossibilité d'exercer la moindre activité pendant la période de confinement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, et de l'article 10 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans sa version modifiée par le décret n° 2020-604 du 20 mai 2020 ;

2°/ qu'est constitutif d'un cas de force majeure un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution ; que constitue un cas de force majeure, susceptible de l'exonérer, au moins temporairement, du paiement des loyers, l'impossibilité pour une société de location touristique d'exercer son activité, en raison des interdictions prononcées par les autorités publiques dans le cadre des mesures sanitaires prises pour la lutte contre la pandémie de covid-19 ; que la cour d'appel a écarté tout événement de force majeure lié à l'épidémie de covid-19, dès lors que l'article 10 du décret du 11 mai 2020, modifié le 20 mai 2020, tout en interdisant l'accueil du public dans les résidences de tourisme, a prévu une dérogation concernant les personnes qui y élisent domicile, de sorte que toute activité n'aurait pas été interdite à la société Appart'city, laquelle ne produit aucun élément permettant de constater que l'activité qu'elle exerce ne correspond qu'à la location de locaux d'habitation proposés à une clientèle touristique qui n'y élit pas domicile, pour une occupation à la journée, à la semaine ou au mois, comme prévu à l'article R. 321-1 du code du tourisme ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société Appart'city ne s'était pas trouvée dans l'impossibilité totale d'exercer son activité pour la période de confinement antérieure au décret du 11 mai 2020, modifié le 20 mai 2020, pendant laquelle il était interdit à la population de se déplacer à plus d'un kilomètre de son domicile sauf pour des motifs impérieux limitativement énumérés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

3°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que le bail commercial du 21 septembre 2012 stipule que les lots donnés à bail constituent une résidence de tourisme, telle que définie par l'article D. 321-1 du code du tourisme, ce qu'a constaté la cour d'appel, texte dont il résulte que les locaux d'habitation meublés sont proposés à une clientèle touristique qui n'y élit pas domicile ; qu'en jugeant que toute activité n'avait pas été interdite à la société Appart'city, dès lors que l'article 10 du décret du 11 mai 2020, tel que modifié par le décret du 20 mai 2020, prévoyait une dérogation à l'interdiction d'accueillir du public dans les résidences de tourisme concernant les personnes qui y élisent domicile, et que l'exposante ne produisait aucun élément permettant de constater que l'activité qu'elle exerce ne correspond qu'à la location de locaux d'habitation proposés à une clientèle touristique qui n'y élit pas domicile, quand il résultait clairement des termes du contrat de bail commercial qu'une telle activité lui était interdite, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que le fait du prince correspond à une décision de l'autorité publique ayant pour conséquence de porter atteinte à l'équilibre financier de situations contractuelles et qui, en matière civile, peut constituer un cas de force majeure ; qu'en jugeant que la théorie jurisprudentielle du fait du prince concernait uniquement les rapports entre une personne morale de droit public et son cocontractant, la cour d'appel a violé l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

7. Constitue un cas de force majeure un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution (Ass. plén., 14 avril 2006, pourvoi n° 02-11.168, Bull. 2006, Ass. plén. n° 5), l'irrésistibilité n'étant pas caractérisée si l'exécution est seulement rendue plus difficile ou onéreuse.

8. Dès lors, le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Com., 16 septembre 2014, pourvoi n° 13-20.306, Bull. 2014, IV, n° 118).

9. Il en résulte que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19, ne pouvait exonérer la locataire du paiement des loyers échus pendant les premier et deuxième trimestres 2020.

10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au bailleur une certaine somme au titre du loyer dû pour le quatrième trimestre de l'année 2014, alors « que le juge ne peut pas dénaturer dans les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, pour contester sa condamnation au paiement des loyers échus, l'exposante faisait valoir dans ses conclusions, tableau à l'appui, qu'elle était à jour de l'ensemble des loyers au début de l'année 2020, M. [G] lui devant même des sommes à cette date ; qu'en jugeant pourtant, pour confirmer le jugement ayant prononcé une condamnation au titre du loyer du 4ème trimestre de l'année 2014, que le montant des loyers de retard fixé dans le jugement déféré n'était pas contesté, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'exposante, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

12. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

13. Pour condamner la locataire à payer au bailleur une certaine somme au titre du loyer dû pour le quatrième trimestre de l'année 2014, l'arrêt énonce que le montant des loyers de retard fixé dans la décision déférée n'est pas contesté.

14. En statuant ainsi, alors que la locataire soutenait être à jour de l'ensemble des loyers au début de l'année 2020, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

15. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au bailleur une certaine somme en réparation du préjudice subi du fait des retards de paiement du loyer, alors « que les dommages-intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure ; que le juge ne peut allouer des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser, d'une part, la mauvaise foi du débiteur, d'autre part, l'existence d'un préjudice indépendant du retard ; qu'en l'espèce, pour allouer à M. [G] la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts au titre de son préjudice subi du fait des divers retards de paiement de la société Appart'city, la cour d'appel a relevé l'impossibilité pour M. [G] de régler certaines dépenses afférentes aux biens donnés à bail, et le rejet avec mise en demeure de prélèvements bancaires dès lors que M. [G] avait domicilié sur un même compte les paiements des loyers et charges, et les remboursements d'emprunts, relatifs aux biens loués ; que la cour d'appel a également relevé que M. [G] avait été contraint de suivre de façon particulièrement précise le paiement des loyers, qu'il avait dû recourir à de très nombreuses démarches et avait engagé des frais de recouvrement (lettres recommandées de mise en demeure et plus de vingt sommations de payer) ; qu'en statuant par de tels motifs, insuffisants à établir la mauvaise foi de la société Appart'city, la cour d'appel a violé l'article 1153, devenu 1231-6, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

16. Aux termes de ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

17. Pour condamner la locataire à payer au bailleur une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des retards de paiement du loyer, l'arrêt retient que ces retards ont entraîné l'impossibilité de régler certaines dépenses afférentes aux biens donnés à bail, le rejet de prélèvements bancaires et l'engagement de frais de recouvrement.

18. En statuant ainsi, sans constater la mauvaise foi de la locataire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le sixième moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

19. La locataire fait grief à l'arrêt de lui ordonner de communiquer les comptes d'exploitation individualisés pour les années 2013 et 2014, les bilans des mêmes années et les comptes d'exploitation de la résidence pour les exercices 2012 et 2015 à 2019, alors :

« 1°/ que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il avait ordonné à la société Appart'city de communiquer sous astreinte à M. [G] les comptes d'exploitation individualisés pour les années 2013 et 2014 et les bilans des années 2013 et 2014, sans examiner, fût-ce sommairement, la pièce n° 2 de la société Appart'city, dont il résultait que ces documents avaient été communiqués à M. [G] par courrier officiel du conseil de la société Appart'city du 25 juin 2016, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en ordonnant à la société Appart'city de communiquer sous astreinte à M. [G] les comptes d'exploitation pour les exercices 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019, sans examiner, fût-ce sommairement, les pièces n° 3, 6 et 9 de la société Appart'city, dont il résultait que les comptes d'exploitation pour ces exercices avaient bien été transmis à M. [G], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

20. Il résulte de ce texte que le juge doit procéder à l'examen, même sommaire, des pièces produites par les parties.

21. Pour condamner la locataire à communiquer sous astreinte les comptes d'exploitation des années 2013 et 2014, l'arrêt retient qu'il résulte de ses conclusions que ces documents ne sont pas régulièrement communiqués.

22. Il ajoute que concernant les années ultérieures, la preuve de l'envoi au bailleur des comptes d'exploitation n'est pas rapportée.

23. En statuant ainsi, sans examiner, même sommairement, les courriers des 25 juin et 20 juillet 2016, 11 avril 2019 et 24 avril 2020, relatifs à la communication au bailleur des documents en litige pour les années 2013 à 2019, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Appart'City, d'une part, à payer à M. [G] les sommes de 2 509,52 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2015, au titre du loyer dû pour le quatrième trimestre de l'année 2014 et de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts complémentaires pour retard de paiement du loyer, d'autre part, à communiquer sous astreinte à M. [G] les comptes d'exploitation et les bilans de la résidence Innovallée de Montbonnot pour les années 2013 et 2014 ainsi que les comptes d'exploitation, au sens de l'article L. 321-2, alinéa 2, du code du tourisme, pour les années 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. David - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Com., 16 septembre 2014, pourvoi n° 13-20.306, Bull. 2014, IV, n° 118 (rejet) ; 3e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n° 21-20.190, Bull., (rejet) (3), et l'arrêt cité.

3e Civ., 15 juin 2023, n° 21-23.902, (B), FS

Rejet

Résiliation – Clause résolutoire – Suspension – Octroi de délais de paiement – Article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 – Echéance pendant la période protégée – Inobservation des délais – Sanction – Interdiction – Domaine d'application

Les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 interdisant, à l'égard des personnes physiques et morales de droit privé susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité, les sanctions pour défaut de paiement des loyers et charges dont l'échéance de paiement est intervenue pendant la période protégée ne s'appliquent pas au non-respect d'une échéance au paiement duquel les effets d'une clause résolutoire étaient suspendus par une décision de justice antérieure ayant constaté l'acquisition de cette clause un mois après la délivrance du commandement de payer la mettant en oeuvre.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 octobre 2021), Mme [H] (la locataire) est, depuis le 2 juin 2008, cessionnaire d'un fonds de commerce comprenant un bail commercial portant sur un bien à usage de restaurant et de vente à emporter appartenant à Mme [I] (la bailleresse).

2. Une ordonnance du 17 décembre 2019, rendue en référé et signifiée le 9 janvier 2020, a autorisé la locataire à s'acquitter d'un arriéré locatif en vingt-quatre mensualités à compter du 15 du mois suivant sa signification, a ordonné la suspension de la clause résolutoire du bail et, prévu, qu'à défaut de paiement à bonne date, en sus du loyer, charges et accessoires courants, d'une seule des mensualités, la clause résolutoire sera acquise, huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure et l'expulsion pourra être poursuivie.

3. En raison des mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, la locataire a cessé son activité à compter du 14 mars 2020.

4. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 3 septembre 2020, la bailleresse a mis la locataire en demeure de payer trois mensualités de l'échéancier fixé et deux termes de loyer échus pendant la période de protection, puis a notifié le 29 octobre 2020, en exécution de l'ordonnance précitée, un commandement de quitter les lieux dont la locataire a contesté la validité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du commandement de quitter les lieux délivré le 29 octobre 2020, alors :

« 1°/ que les personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ne peuvent encourir d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, lorsque ces loyers et charges locatives étaient échus entre le 12 mars et le 10 septembre 2020 ; que le défaut de paiement des loyers intervenu entre le 12 mars et 10 septembre 2020 ne peut donc entraîner la mise en oeuvre d'une clause résolutoire, peu important que les effets de ladite clause ait été, avant le commencement de la période protégée, suspendus par une décision de justice sous réserve de paiement des loyers ; qu'en l'espèce, par ordonnance du 17 décembre 2019, le juge des référés a suspendu les effets de la clause résolutoire invoquée par Mme [L] sous réserve du paiement des loyers et d'un arriéré locatif par Mme [H] durant 24 mois ; que, durant la période protégée, et en raison des conséquences de la crise sanitaire, Mme [H] n'a pas été en mesure de s'acquitter des échéances des mois d'avril et mai 2020 ; qu'un tel défaut de paiement des loyers pendant la période protégée ne pouvait justifier l'acquisition de la clause résolutoire ; qu'en retenant pourtant, pour dire régulier le commandement de quitter les lieux, que « la locataire s'est abstenue de payer, aux dates prévues par l'ordonnance de référé du 17 décembre 2019, les mensualités imparties pour l'apurement de l'arriéré locatif, de même que les loyers et charges courants, aux mois d'avril et mai 2020 », la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 ;

2°/ que les personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ne peuvent encourir d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, et ce, entre les 12 mars et 10 septembre 2020 ; que le défaut de paiement d'un arriéré de charges et loyers qu'un jugement rendu antérieurement au commencement de la période protégée avait ordonné au preneur de payer sous peine d'acquisition de la clause résolutoire, ne peut donc donner effet à ladite clause ; qu'en l'espèce, par ordonnance du 17 décembre 2019, le juge des référés a suspendu les effets de la clause résolutoire invoquée par Mme [L] sous réserve du paiement des loyers et d'un arriéré locatif par Mme [H] durant 24 mois ; que, durant la période protégée, et en raison des conséquences de la crise sanitaire, Mme [H] n'a pas été en mesure de s'acquitter des échéances des arriérés locatifs des mois d'avril et mai 2020 ; que ce défaut de paiement de ces arriérés locatifs pendant la période protégée ne pouvait justifier l'exécution de la clause résolutoire ; qu'en retenant que « ces dispositions ne s'appliquent qu'aux loyers et charges locatives dont l'échéance est intervenue pendant les périodes protégées susvisées, et non pas aux chefs de dispositif d'une décision de justice exécutoire condamnant au paiement d'une dette locative née antérieurement à ces périodes protégées », la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 ;

3°/ que ne peuvent encourir d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux les personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ; qu'il n'est donc pas nécessaire d'avoir effectivement bénéficié du fonds de solidarité pour jouir du statut protecteur, mais uniquement d'avoir été susceptible d'en jouir, c'est-à-dire d'en remplir les conditions ; qu'en retenant pourtant en l'espèce, pour dire régulier le commandement de quitter les lieux adressé à Mme [H] qu'« en ce qui concerne l'applicabilité de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316, même si Mme [H] justifie de plusieurs récépissés de demandes d'aide aux « entreprises fragilisées Covid-19 », déposées les 30 avril, 6 juillet, 3 août et 29 octobre 2020, elle ne justifie pas en avoir bénéficié finalement » la cour d'appel a violé les articles 1er et 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, ensemble les articles 1er, 3-1 de de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 et 2 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;

4°/ que sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, les personnes ayant fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ; que le bénéfice du fonds de solidarité n'est donc aucunement subordonné à une interdiction générale et absolue de recevoir du public ; qu'ainsi, une interdiction, serait-elle partielle et ne frappant qu'une partie de l'activité concernée, rend éligible les commerçants concernés au bénéfice du fonds de solidarité ; qu'afin de ralentir la propagation du virus covid-19, n'ont pas pu recevoir du public du 14 mars au 15 avril 2020, les établissements relevant de la catégorie N de l'arrêté du 25 juin 1980, à savoir les restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter ; qu'en conséquence, une personne exploitant un restaurant et un établissement de vente à emporter, en ce qu'elle a fait l'objet d'une interdiction partielle de recevoir du public, était bien éligible au fonds de solidarité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a pourtant considéré que Mme [H] n'aurait pu bénéficier du fonds de solidarité au prétexte que « la destination des lieux loués visée au bail liant les parties est stipulée être la restauration et la vente à emporter. Or l'article 1, I, de l'arrêté du 15 mars 2020, complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, prévoit la fermeture administrative des restaurants, sauf pour leurs activités de vente à emporter » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1er et 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, ensemble les articles 1er, 3-1 de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, 2 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 et 1er de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19. »

Réponse de la Cour

6. Selon la combinaison des articles 1er et 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, 1er et 3-1 de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, 2 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 et 1er de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, les personnes physiques et morales de droit privé qui, exerçant une activité économique particulièrement touchée par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour la limiter, sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité, ne peuvent encourir d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.

7. Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée.

La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

8. Il en résulte que faute de libération dans les conditions fixées par le juge, l'effet résolutoire de la clause est réputé avoir joué au jour où le bénéfice de cette clause a été acquis au bailleur, soit un mois après délivrance d'un commandement de payer resté infructueux.

9. Il s'en évince que l'interdiction des sanctions pour défaut de paiement des « loyers et charges » dont l'échéance de paiement intervient pendant la période protégée, prévue à l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020, ne s'applique pas aux effets d'une clause résolutoire acquise antérieurement à la période protégée, dont la suspension était conditionnée au respect d'un échéancier fixé par le juge.

10. La cour d'appel a d'abord relevé, que l'ordonnance de référé du 17 décembre 2019 avait constaté les effets de la clause résolutoire insérée au bail et, en avait suspendu les effets à l'apurement de l'arriéré locatif par fractions mensuelles devant intervenir le 15 de chaque mois suivant sa signification.

11. Elle a, ensuite, exactement retenu que les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 ne s'appliquaient pas au non-respect d'une échéance au paiement duquel les effets de la clause résolutoire étaient suspendus par une décision de justice antérieure qui emporte résiliation du bail un mois après délivrance d'un commandement de payer la mettant en oeuvre.

12. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; Me Goldman -

Textes visés :

Article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020.

3e Civ., 29 juin 2023, n° 22-16.034, (B), FS

Rejet

Vente de la chose louée – Droit de préemption du preneur à bail – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Local à usage industriel – Définition

Les locaux à usage industriel sont exclus du champ d'application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce. Au sens de ce texte, doit être considéré comme à usage industriel tout local principalement affecté à l'exercice d'une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 10 mars 2022), le 2 janvier 1997, Mmes [G], [K] et [D] [C] (les consorts [C]), propriétaires indivises d'un ensemble immobilier, l'ont donné à bail commercial à la société TP Bat, aux droits de laquelle s'est trouvée la société SEAC (la locataire).

2. Par acte reçu le 31 août 2017 par M. [B] (le notaire), les consorts [C] ont, par l'intermédiaire de la société Ipsom, vendu les biens loués à la société Financière Perdis.

3. Invoquant une atteinte au droit de préférence dont elle bénéficiait, la locataire a, le 5 octobre 2017, assigné les consorts [C] et la société Financière Perdis en annulation de la vente et indemnisation de son préjudice.

4 Les consorts [C] ont appelé le notaire et la société Ipsom en garantie.

Examen des moyens

Sur le moyen d'annulation

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité de la vente et en paiement d'une certaine somme à titre de dommages et intérêts, alors :

« 1°/ qu'en vertu des dispositions d'ordre public de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, le locataire commercial bénéficie d'un droit de préemption lorsque le propriétaire envisage de vendre le local dans lequel il exerce une activité artisanale ou commerciale ; qu'exerce une activité commerciale le locataire qui accompli des actes de commerce à des fins spéculatives, telles que l'achat d'importantes quantités de matériaux pour les revendre après les avoir travaillés et mis en oeuvre ; qu'une telle activité ne devient industrielle qu'à partir du moment où, en raison de la mécanisation et de l'automatisation de la chaîne de production, le rôle des installations techniques, des matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant dans l'exploitation par rapport à l'activité humaine ; qu'en considérant, pour dire le droit de préemption du locataire inapplicable à la cause, qu'au vu de la définition du dictionnaire Larousse selon laquelle constituait un usage industriel « la production de biens matériels par la transformation et la mise en oeuvre de matières premières », l'activité de fabrication d'éléments de construction exercée par la société SEAC sur le site de Châteauneuf-sur-Loire avait, par nature, un caractère industriel, la cour d'appel a violé les articles L. 110-1, L. 145-1 et L. 145-46-1 du code de commerce ;

2°/ que, subsidiairement, la société SEAC faisait valoir, dans ses dernières conclusions, qu'aucune activité industrielle n'était exercée dans les locaux objet du bail commercial litigieux dès lors, d'une part, que son activité de fabrication était réalisée sur commande et non pas pour la vente en gros, d'autre part, que cette activité de fabrication était cantonnée à trois des treize produits vendus par son établissement de [Localité 6] et, enfin, que la mécanisation de la fabrication était réduite à une presse pour le moulage, la cure de béton étant affectée au seul séchage des éléments ; qu'en affirmant que l'activité de fabrication exercée par la société SEAC au sein des locaux loués était industrielle sans rechercher, comme il lui était demandé, si cette qualification juridique n'était pas exclue compte tenu de la fabrication sur commande des produits et du caractère limité des moyens techniques mis en oeuvre à cette fin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

3°/ que le locataire commercial bénéficie d'un droit de préemption dès lors que le local pris à bail, dont le propriétaire envisage la vente, est affecté à un usage artisanal ou commercial ; qu'en excluant la société SEAC du bénéfice du droit de préemption accordé par la loi au locataire exerçant une activité commerciale du seul fait que l'activité de négoce qu'elle exerçait à titre habituel, même si elle représentait plus du tiers de son chiffre d'affaires, n'était pas exclusive, la cour d'appel a violé, par adjonction d'une condition qu'il ne comporte pas, l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

4°/ que le locataire commercial bénéficie d'un droit de préemption dès lors que le local pris à bail, dont le propriétaire envisage la vente, est affecté à un usage artisanal ou commercial ; qu'en retenant, pour exclure tout droit de préemption de la société SEAC, qu'il n'était ni établi ni allégué que son activité de négoce correspondait à une activité de vente ou de réception de clients sur place, la cour d'appel a violé, par adjonction d'une condition qu'il ne comporte pas, l'article L. 145-46-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article L. 145-1 du code de commerce, dans sa version applicable au litige, le statut des baux commerciaux s'applique aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce.

8. L'article L. 145-46-1 du même code, créé par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dispose que lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement, cette notification valant offre de vente au preneur.

9. Les locaux à usage industriel se trouvant donc exclus du champ d'application de ce texte, le pourvoi pose la question de leur définition.

10. Ni le libellé de l'article L. 145-46-1 précité, ni aucune autre disposition du code de commerce, ne permettant de donner un sens certain à la notion de local à usage industriel, il convient de rechercher l'intention du législateur.

11. Il résulte des travaux parlementaires de la loi du 18 juin 2014 qu'alors que le projet de loi initial prévoyait au profit du locataire l'instauration d'un droit de préférence en cas de vente d'un local à usage commercial, industriel ou artisanal, deux amendements excluant les locaux industriels du champ d'application du droit susvisé ont été adoptés, sans qu'il soit possible de déterminer les motifs de cette exclusion.

12. La Cour de cassation n'a, à ce jour, pas rendu de décision relative à la notion de local à usage industriel.

13. Le Conseil d'Etat a quant à lui jugé que, au sens des articles 44 septies (CE, 28 février 2007, n° 283441), 244 quater B (CE, 13 juin 2016, n° 380490) et 1465 (CE, 3 juillet 2015, n° 369851) du code général des impôts, ont un caractère industriel les entreprises exerçant une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant.

14. Si la définition donnée par le juge administratif relève de la matière fiscale, les critères dégagés sont opérants, au regard de l'objet de l'article L. 145-46-1 précité, pour délimiter la portée de l'exclusion des locaux à usage industriel du droit de préférence.

15. Dès lors, au sens de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, doit être considéré comme à usage industriel tout local principalement affecté à l'exercice d'une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant.

16. La cour d'appel a constaté que la locataire n'invoquait aucun usage artisanal, que les locaux loués étaient notamment destinés à un usage de fabrication d'agglomérés et que l'extrait du registre du commerce et des sociétés de la locataire mentionnait les activités de « pré-fabrication de tous éléments de construction à base de terre cuite plancher murs et autres » ainsi que de « fabrication de hourdis, blocs et pavés béton ».

17. Elle a retenu que l'activité de négoce également exercée sur le site de [Localité 6], seul en litige, n'était qu'accessoire.

18. Sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et abstraction faite de motifs surabondants, critiqués par la quatrième branche du moyen, elle a pu en déduire que le local donné à bail n'était pas à usage commercial ou artisanal au sens de l'article L. 145-46-1 du code de commerce.

19. Par conséquent, le moyen, inopérant en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

20. La locataire fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le juge est tenu d'analyser, même sommairement, les éléments de preuve invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ; que la société SEAC faisait valoir, d'une part, que son bail commercial du 2 janvier 1997 portait sur « un terrain de 20 000 m² environ » comprenant « deux bâtiments » et, d'autre part, qu'il résultait clairement de la clause « Conditions de la location » stipulée à l'acte authentique du 31 août 2017 que l'immeuble objet de la vente litigieuse d'une superficie de « 02 h 34 a 02 ca » était, dans son intégralité et sans réserve, couvert par son bail commercial ; qu'en affirmant qu'à partir du moment où l'acte authentique de vente portait sur « un ensemble immobilier composé de plusieurs bâtiments dont une maison en état d'insalubrité et terrains », il était établi que cette maison ne faisait « pas partie du local pris à bail par la société SEAC » sans analyser, même sommairement, le contrat du 2 janvier 1997 dont il résultait clairement que le bail commercial portait sur plusieurs bâtiments implantés sur un terrain d'une superficie comparable à celle de l'immeuble vendu, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que le droit de préemption est inapplicable en cas de vente globale d'un immeuble qui n'est que partiellement loué au locataire commercial ; qu'en se bornant à affirmer, après avoir constaté que l'acte authentique de vente du 31 août 2017 faisait état d'« une maison d'habitation en état d'insalubrité », que sa location à un tiers devait néanmoins être admise compte tenu de la demande de transmission d'un bail d'habitation y afférent faite par le notaire instrumentaire à la société SEAC postérieurement à la vente et du mandat de mise en location donné à cette fin par l'acquéreur à une agence immobilière, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des éléments inopérants en ce qu'ils sont, d'une part, dépourvus de toute valeur contractuelle à l'égard de la société SEAC et, d'autre part, impropres à contredire la clause de l'acte authentique du 31 août 2017 selon laquelle l'immeuble vendu par les consorts [C] était loué à la société SEAC, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-46-1, alinéa 6, du code de commerce ;

3°/ que c'est sur celui qui se prévaut d'une cause d'exclusion du droit de préemption du locataire commercial que pèse la charge et, par suite, le risque de la preuve ; qu'en retenant, pour juger que la vente litigieuse portait sur un immeuble qui n'était que partiellement loué au locataire commercial, que « la société SEAC n'allègue pas qu'elle consent elle-même une sous-location sur cette maison qui ferait partie des lieux qu'elle loue », quand c'est à la société financière Perdis, demanderesse à l'allégation, qu'il incombait d'établir que la maison d'habitation visée à l'acte de vente n'était pas comprise dans le bail commercial du 2 janvier 1997, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles 1315, devenu 1353, du code civil et 9 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

21. Ayant retenu par des motifs non utilement critiqués par le premier moyen que le local donné à bail à la locataire n'était pas à usage commercial ou artisanal au sens de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, la cour d'appel a exactement déduit de ces seuls motifs que le droit de préférence du locataire prévu par ce texte n'était pas applicable.

22. Dès lors, les motifs relatifs aux autres causes d'exclusion du droit de préférence du locataire, critiqués par le second moyen, sont surabondants.

23. Le moyen est donc inopérant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. David - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article L. 145-46-1 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

CE, 28 février 2007, n° 283441, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 13 juin 2016, n° 380490, inédit au Recueil Lebon ; CE, 3 juillet 2015, n° 369851, inédit au Recueil Lebon.

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