Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

ASSURANCE DE PERSONNES

Com., 21 juin 2023, n° 21-19.853, (B), FS

Cassation

Assurance-vie – Contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte – Action du souscripteur contre le conseiller en gestion de patrimoine – Prescription – Délai – Point de départ

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 8 juin 2021), sur les conseils de la société Axyalis patrimoine, M. [T] a souscrit un contrat d'assurance-vie en unités de compte et a investi, le 9 décembre 2010, une certaine somme dans des unités de compte « Axyalis coupons ».

En 2014, les fonds ont été désinvestis et réinvestis dans des unités de compte « Kairos ».

2. Soutenant avoir subi une forte baisse des capitaux investis, résultant d'un manquement de la société Axyalis patrimoine à ses obligations de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports conseillés avec le profil de risque déclaré de l'investisseur, M. [T] l'a assignée en responsabilité.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en responsabilité contre la société Axyalis patrimoine, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le dommage résultant du manquement d'une société de conseil en gestion de patrimoine à son devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports d'investissement avec le profil de risque déclaré des investisseurs se réalise et ne peut être connu de ces derniers qu'à l'échéance des unités de compte constituées de produits structurés dont le résultat n'est acquis qu'à cette échéance ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a estimé que, dès la conclusion des contrats en cause, M. [T] savait que les supports conseillés comportaient des risques de perte en capital, le point de départ du délai de prescription de son action en responsabilité contre cette société de conseil en gestion de patrimoine se situant en conséquence à la date de conclusion desdits contrats ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports conseillés avec le profil de risque déclaré de l'investisseur, violant les articles 1134 ancien et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

5. Le manquement d'un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'informer le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes. Celles-ci ne se réalisent qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement.

Le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé ou conseillé, le souscripteur aurait pu obtenir du placement des sommes initialement investies sur ce support jusqu'à la date du rachat du contrat.

6. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date où l'investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d'assurance-vie.

7. Pour déclarer prescrite l'action de M. [T], l'arrêt retient qu'il résulte de divers éléments que, dès son premier investissement sous forme d'unités de compte, qu'il s'agisse de l'unité de compte Axyalis coupons ou de l'unité de compte Kairos, il était informé du risque inhérent à ce type de placement et de l'aléa que représente l'interdépendance entre les actions du panier. Il en déduit que, dès le 9 décembre 2010, M. [T] savait qu'un dommage caractérisé par la perte du capital investi était susceptible de se réaliser et qu'il en assumait intégralement le risque et que, par conséquent, le point de départ du délai de prescription doit être fixé à cette date.

8. En statuant ainsi, alors qu'à cette date, le dommage invoqué par M. [T], tenant aux pertes subies sur les sommes investies, ne s'était pas réalisé, de sorte que le délai de prescription n'avait pas commencé à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Boutié - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Ghestin ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du point de départ de la prescription en présence d'un nantissement d'un contrat d'assurance-vie, à rapprocher : Com., 6 mars 2019, pourvoi n° 17-22.668, Bull., (cassation partielle).

Com., 21 juin 2023, n° 21-18.312, (B), FS

Rejet

Assurance-vie – Nantissement en garantie du remboursement d'un prêt in fine – Action du souscripteur contre la banque – Préjudice – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 novembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (Com., 22 janvier 2020, pourvoi n° 17-20.819), le 29 août 2000, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est (la banque) a consenti à la société La Seiglière un prêt remboursable in fine, le 12 novembre 2013, garanti par le nantissement de deux contrats d'assurance-vie souscrits par M. et Mme [M], associés de la société.

2. Reprochant à la banque un manquement à ses obligations d'information et de conseil, la société La Seiglière et M. et Mme [M] l'ont assignée en responsabilité.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. La société La Seiglière et M. et Mme [M] font grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la société en paiement de dommages et intérêts formées à l'encontre de la banque, alors :

« 1°/ que la perte de chance d'éviter un risque est certaine lorsque le risque s'est réalisé ; que, dans un contrat de prêt in fine nanti par un contrat d'assurance-vie, la perte de chance d'éviter le risque de ne pas pouvoir rembourser le capital emprunté grâce au rachat du contrat d'assurance-vie est certaine lorsque la valeur du contrat d'assurance-vie, à la date d'exigibilité du capital, n'en permet pas le remboursement ; qu'en jugeant que le préjudice était hypothétique, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la situation des contrats d'assurance-vie permettait ou aurait permis à l'échéance du terme de rembourser le capital, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;

2°/ les juges du fond doivent examiner tous les documents de la cause ; que la société La Seiglière produisait aux débats les relevés annuels de valorisation d'épargne au 31 décembre 2013, que la banque leur a envoyés le 4 février 2014, selon lesquels au 31 décembre 2013, les comptes affichaient les sommes de 35 231,91 euros pour celui de Mme [M] et de 34 677,06 euros pour celui de M. [M] ; qu'en n'examinant pas ces documents, dont il ressortait que les contrats d'assurance-vie ne permettaient pas à l'échéance du crédit, le 12 novembre 2013, de s'acquitter de la somme due en capital de 152 449 euros, et qui établissaient la réalisation du risque dont la société La Seiglière n'avait pas été informée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Le dommage résultant du manquement d'une banque à l'obligation d'informer le souscripteur d'un prêt in fine du risque que le rachat de contrats d'assurance-vie, du fait d'une contre-performance de ceux-ci, ne permette pas le remboursement du prêt à son terme consiste en la perte d'une chance d'éviter la réalisation de ce risque.

6. Lorsqu'ayant pris conscience de l'existence de ce risque, dont il pouvait légitimement craindre qu'il se réalisât, l'emprunteur rembourse le prêt par anticipation à seule fin d'en prévenir la réalisation, son préjudice consiste en la perte d'une chance, non d'éviter la réalisation du risque, mais d'éviter les conséquences dommageables de ce remboursement anticipé.

7. La valeur de rachat des contrats d'assurance-vie à la date du terme initialement prévu est dès lors sans incidence sur l'appréciation de ce préjudice.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Blanc - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Aricle 1147, devenu 1231-1, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ de la prescription en matière d'action en responsabilité contre une banque, à rapprocher : Com., 6 mars 2019, pourvoi n° 17-22.668, Bull., (cassation partielle).

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