Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

APPEL CIVIL

2e Civ., 8 juin 2023, n° 21-22.263, (B), FRH

Cassation

Appel-nullité – Appel-réformation formé à titre subsidiaire – Possibilité de cumul

Il résulte des articles 542 et 562 du code de procédure civile qu'il est loisible à un appelant de faire, dans la même déclaration d'appel, un appel-nullité principal et un appel-réformation subsidiaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 9 juillet 2021), statuant sur déféré, une cour d'appel a confirmé l'ordonnance d'un conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevable l'appel-nullité formé à titre principal et l'appel-réformation formé à titre subsidiaire par la société Pompes funèbres assistance conseil funéraire (la société) à l'encontre du jugement d'un conseil de prud'hommes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La société fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevable l'appel-nullité formé à titre principal et l'appel réformation formé à titre subsidiaire par la société le 21 juillet 2020, alors « que lorsqu'un appel porte sur la nullité du jugement et non sur celle de l'acte introductif d'instance, la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité ; qu'ayant retenu qu'il n'est pas permis à l'appelant de présenter dans un même acte d'appel un appel-nullité à titre principal, irrecevable en l'espèce, et un appel réformation à titre subsidiaire, pour décider de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état, en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'appel-nullité formé à titre principal et l'appel réformation formé à titre subsidiaire par la société Pompes funèbres assistance conseil funéraire dans son acte d'appel du 21 juillet 2020, et en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles, la cour d'appel a violé les articles 561, 562 et 549 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542 et 562 du code de procédure civile :

3. Selon le premier de ces textes, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

4. Il résulte du second, que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

5. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

6. Pour déclarer irrecevables l'appel-nullité formé à titre principal par la société, comme son appel-réformation subsidiaire, l'arrêt retient, par motifs propres, que la déclaration d'appel comprend à titre principal un appel-nullité et, à titre subsidiaire, un appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués. Il relève que l'appel-nullité est une voie de recours d'exception fondée sur un excès de pouvoir, qui ne se conçoit qu'à titre subsidiaire lorsque l'appel ordinaire est temporairement ou définitivement impossible, et relève que le jugement étant susceptible d'appel, la société ne pouvait présenter dans un même acte un appel-nullité principal et un appel réformation subsidiaire. Il en déduit que tant l'appel principal que l'appel subsidiaire sont irrecevables.

7. En statuant ainsi, alors qu'il est loisible à un appelant de faire, dans la même déclaration d'appel, un appel-nullité principal et un appel-réformation subsidiaire, la cour a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Caillard - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 542 et 562 du code de procédure civile.

Com., 14 juin 2023, n° 21-15.445, (B), FS

Cassation partielle

Recevabilité – Conditions – Jugement se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond – Procédure à jour fixe – Copie de la requête jointe à l'assignation – Nécessité (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 décembre 2020), entre décembre 2014 et juillet 2015, la société Eukor Car Carriers Inc (la société Eukor), de droit coréen, a été chargée du transport de véhicules au départ d'[Localité 7] (Belgique) vers la République de Corée, selon plusieurs connaissements sur lesquels figure la société Hanbul Motors Corporation (la société Hanbul Motors).

2. Des dommages ayant été constatés par la société Hanbul Motors qui a réceptionné les véhicules, les compagnies d'assurance AXA Corporate solutions assurance, aux droits de laquelle se trouve la société XL Insurance Company SE, CNA Insurance Company Limited, AIG Europe Ltd, XL Insurance Company Ltd, Royal & Sun Alliance Insurance PLC, KA [Localité 11] Assekuranz Agentur GmbH, et Torus Insurance Marketing Ltd (les assureurs), ayant indemnisé la société Hanbul Motors, ont saisi le tribunal de commerce de Paris d'une action contre la société Eukor, laquelle a soulevé l'incompétence des juridictions françaises en se prévalant d'une clause des connaissements attribuant compétence au tribunal de district civil de Séoul (République de Corée).

Les assureurs ont répliqué que les juridictions françaises étaient compétentes en application de l'article 14 du code civil, faisant valoir à cet égard que la société AXA CS solutions assurance était une société de droit français.

Examen des moyens

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur le pourvoi incident qui, bien qu'éventuel, est préalable, sur l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats à l'audience publique du 7 février 2023, où étaient présents : M. Pireyre, président, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Durin-Karsenty, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mme Jollec, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, Mme Thomas, greffier de chambre.

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Eukor fait grief à l'arrêt de dire l'appel recevable, alors « que toute partie demeurant à l'étranger a la faculté de déclarer au greffe de la juridiction saisie qu'elle élit domicile en France afin d'être rendue destinataire de la notification du jugement à intervenir ; qu'en retenant en l'espèce, pour juger que la notification du jugement faite au domicile élu en France par les sociétés de droit étranger n'avait pas fait courir le délai d'appel, que l'élection de domicile n'emporte pas pouvoir pour l'agent désigné de recevoir la notification du jugement destinée à la partie elle-même, la cour d'appel a violé les articles 682, 689 et 689-1 du code de procédure civile, ensemble les articles 84 et 85 du même code. »

Réponse de la Cour

4. Ayant exactement rappelé qu'en application de l'article 84, alinéa 1, du code de procédure civile, le délai d'appel court à compter de la notification du jugement, qui, pour les parties domiciliées à l'étranger, est augmenté de deux mois et doit respecter les dispositions spéciales prévues pour les notifications à l'étranger, puis relevé que les compagnies d'assurance, dont certaines sont étrangères, ont interjeté appel du jugement rendu en matière de compétence par le tribunal de commerce de Paris le 17 septembre 2019 par une déclaration d'appel du 27 septembre 2019 et qu'aucun élément n'est produit pour savoir si la notification a été valablement faite au siège des sociétés étrangères et française, la cour d'appel en a exactement déduit que faute de connaître la date de la notification de la décision aux parties en France et à l'étranger, le délai d'appel doit être considéré comme n'ayant pas couru.

5. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. La société Eukor fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en cas de représentation obligatoire, l'appel d'un jugement statuant sur la compétence est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe ; qu'en cas de procédure à jour fixe, copies de la requête adressée au premier président et de son ordonnance sont jointes à l'assignation, à peine d'irrecevabilité de l'appel ; qu'en retenant en l'espèce que l'absence d'une copie de la requête à l'acte d'assignation adressé par les sociétés appelantes n'entachait pas leur appel d'irrecevabilité, la cour d'appel a violé les articles 85 et 920 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 83 du code de procédure civile, lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l'objet d'un appel dans les conditions prévues notamment par les articles 84 et 85 du même code.

8. Selon l'article 84 précité, l'appelant doit à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire.

9. Aux termes de l'article 85 du même code, outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933, la déclaration d'appel précise qu'elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d'irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration. Nonobstant toute disposition contraire, l'appel est instruit ou jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l'appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d'appel imposent la constitution d'avocat.

10. Il résulte de ces textes que la requête adressée au premier président, qui n'a pas à justifier d'un péril, contrairement à ce qu'exige l'article 918 de ce code pour d'autres procédures à jour fixe, ne tend qu'à obtenir une date d'audience.

11. L'information des intimés et, par elle, le respect des droits de la défense, sont assurés par la notification qui leur est faite de la déclaration d'appel motivée et des conclusions qui y sont jointes.

12. Dans ces conditions, la circonstance que la copie de la requête ne soit pas jointe à l'assignation délivrée aux intimés ne peut donner lieu à sanction.

13. L'arrêt constate que si la procédure sur appel-compétence emprunte à la procédure à jour fixe et renvoie à cette fin aux dispositions, dont l'article 920 du code de procédure civile pour l'instruction et le jugement de l'appel, la déclaration d'appel en la matière est soumise à un régime propre défini par les articles 84 et suivants précités, la requête n'étant qu'une modalité procédurale permettant à l'appelant de faire fixer par le premier président le jour où l'affaire sera appelée.

14. Il retient enfin que l'acte délivré par l'appelant aux intimés, qui contient l'assignation, la déclaration d'appel, l'ordonnance sur requête, les conclusions d'appel sur la compétence et les pièces, a clairement et efficacement informé la société Eukor de la date et de l'enjeu du débat.

15. En l'état de ces énonciations et constatations, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté la demande d'irrecevabilité de l'appel.

16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

17. Les assureurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, de dire la juridiction saisie incompétente et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors « que les compagnies d'assurances demanderesses rappelaient que, pour 98 % des connaissements en litige établis par la société Eukor, les sociétés Woori, Shinan, Industrial Bank, ou Korea Développement étaient seules désignées en qualité de destinataires contractuels, que les connaissements avaient été établis à l'ordre de ces sociétés, et que la société Hanbul Motors, qui avait les qualités de « notify party » et de destinataire réel des marchandises, n'avait jamais acquis et porté les connaissements litigieux ; qu'en relevant, à supposer ce motif adopté, que « les connaissements comportent un paragraphe à leur recto indiquant qu'en acceptant ce connaissement, le chargeur, le propriétaire ou destinataire des marchandises et le porteur de ce connaissement [...] sont d'accord sur toutes les stipulations », sans caractériser, pour 98 % des connaissements en litige pour lesquels la société Hanbul Motors avait la simple qualité de destinataire réel et de « Notify Party », l'acceptation de ces connaissements par la société Hanbul Motors et sa qualité de tiers porteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, devenu 1103, et 1165, devenu 1199, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 14, 1134, devenu 1103, et 1165, devenu 1199, du code civil :

18. La recevabilité de l'action en responsabilité contractuelle contre un transporteur maritime s'apprécie indépendamment des mentions du connaissement émis pour constituer, notamment, la preuve du contrat de transport, ces mentions n'ayant pas pour objet d'attribuer de manière exclusive aux seules personnes qu'elles indiquent la qualité de partie à ce contrat, de sorte que l'action contractuelle peut être ouverte au destinataire qui invoque un préjudice du fait du transport. Pour autant, étant extérieur au connaissement, ce destinataire n'est lié par ce document qu'en ce qu'il définit et précise les conditions du transport lui-même, depuis la prise en charge jusqu'à la livraison. Il ne peut, dès lors, se voir opposer la clause de compétence que le connaissement contiendrait, à moins qu'il ne l'ait spécialement acceptée ou que la compétence internationale qu'elle institue ne s'impose en vertu d'un Traité ou du droit de l'Union européenne.

19. Pour dire les juridictions françaises incompétentes, l'arrêt, après avoir dit le droit coréen applicable au contrat, retient que c'est au regard de ce droit que la détermination des effets du connaissement doit être appréciée et que, selon celui-ci, établi par les consultations ou opinions juridiques dont la teneur n'a pas été contestée, lorsque les marchandises arrivent à destination, le destinataire acquiert les mêmes droits que ceux du chargeur et qu'en l'espèce la société Hanbul Motors, qui a réceptionné les véhicules à la livraison et a subi le préjudice, indépendamment de sa qualité de notify ou de destinataire mentionnée sur les connaissements, est bien le destinataire réel des marchandises confiées par les chargeurs au transporteur en vertu des connaissements dont elle a été porteur, de sorte que la clause attributive de juridiction désignant la juridiction coréenne lui est opposable.

20. En se déterminant ainsi, alors que, s'agissant d'un litige opposant des assureurs, dont certains sont établis en France et invoquent le privilège de l'article 14 du code civil, subrogés dans les droits de la société Hanbul Motors, établie en République de Corée, à un transporteur coréen, aucune Convention internationale pertinente n'existant entre cet Etat et la France, la cour d'appel, qui, d'une part, s'est référée implicitement à une solution qui n'est acquise, en matière maritime, que dans les limites d'application du droit de l'Union européenne, d'autre part, attribue à la société Hanbul Motors les diverses qualités de réceptionnaire des véhicules, notify, destinataire ou porteur des connaissements, qualités qu'elle dit déduire tantôt des connaissements, tantôt des circonstances de la cause, sans indiquer ni la nature des connaissements, ni sous quel intitulé exact y apparaît la société Hanbul Motors, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il constate l'intervention volontaire de la société XL Insurance Company SE venant aux droits de la société AXA CS solutions, dit l'appel recevable et dit que la caducité de la déclaration d'appel n'est pas encourue, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 84, alinéa 1, du code de procédure civile ; articles 84 et 85 du code de procédure civile ; articles 14, 1134, devenu 1103, et 1165, devenu 1199, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'opposabilité d'une clause attributive de juridiction, à rapprocher : 1re Civ., 16 décembre 2008, pourvoi n° 07-18.834, Bull. 2008, I, n° 283 (cassation).

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