Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION

Soc., 8 juin 2022, n° 20-20.100, (B), FS

Cassation

Salaire – Fixation – Mode de fixation – Convention collective – Convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 – Article 38 – Rémunération du travail – Classement fonctionnel – Transfert du contrat de travail – Reclassement d'un salarié transféré – Conditions – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 9 juillet 2020), Mme [K] a été engagée à compter du 6 janvier 1988 par l'association Marie Ange Mottier, soumise à la convention collective des établissements privés d'hospitalisation du 31 octobre 1951. Elle a occupé, à compter du 1er janvier 2014, un emploi d'éducatrice coordinatrice.

2. Son contrat de travail a été transféré à compter du 1er janvier 2015 à l'association Anaïs, aux droits de laquelle vient la fondation Anaïs, soumise à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, et la salariée a été, à l'issue de la période prévue par l'article L. 2261-14 du code du travail, reclassée dans l'emploi d'animateur de première catégorie, coefficient 679.

3. Revendiquant le bénéfice du coefficient 762, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une somme à titre de rappel de salaire pour la période arrêtée au 28 février 2018, et de dire que la salariée était fondée à se voir appliquer le coefficient 762 à compter de cette date, alors « que le reclassement d'un salarié au sein d'une grille de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 est prononcé à la majoration d'ancienneté correspondant au salaire égal ou, à défaut, immédiatement supérieur à celui dont bénéficiait l'intéressé dans son précédent classement ; qu'en déterminant le coefficient de salaire de Mme [K] par rapport à son ancienneté depuis son engagement dans l'association Marie-Ange Mottier le 6 janvier 1988, pour en déduire un coefficient de 762, cependant que la salariée, par l'effet de la cession de la maison d'accueil spécialisée « La Forêt » et de la mise en cause de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, avait été reclassée dans la grille « animateur 1ère catégorie », de sorte que son nouveau coefficient devait être déterminé en fonction du salaire perçu jusqu'à l'application de la convention de 1966, et non en fonction de son ancienneté, la cour d'appel a violé l'article L. 2261-14 du code du travail, ensemble l'article 38 de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966. »

Réponse de la Cour

Vu la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 :

5. Aux termes de l'article 38 de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, l'embauchage à chacun des emplois définis en annexes à la présente convention est prononcé, en principe, sur la base du salaire de début.

Quand il résultera d'une mesure d'avancement, il sera tenu compte obligatoirement de la majoration d'ancienneté acquise par le salarié, conformément aux dispositions de l'article 39 ci-après.

Le classement dans le nouvel emploi sera alors prononcé à la majoration d'ancienneté correspondant au salaire égal ou, à défaut, immédiatement supérieur à celui dont l'intéressé bénéficiait dans son précédent emploi.

En outre, lorsque cet avancement ne lui procurera pas une augmentation supérieure à celle résultant de l'avancement normal dans l'ancien emploi, l'intéressé conservera dans son nouvel échelon de majoration d'ancienneté l'ancienneté qu'il avait acquise dans l'échelon de son ancien emploi, à concurrence de la durée moyenne exigée.

6. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est-à-dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.

7. Il résulte des dispositions précitées, et de l'article L. 1224-1 du code du travail, que le reclassement du salarié dont le contrat de travail a été transféré doit se faire à la majoration d'ancienneté correspondant au salaire égal ou, à défaut, immédiatement supérieur à celui dont l'intéressé bénéficiait dans son précédent emploi.

8. Pour dire que la salariée était fondée à se voir appliquer le coefficient 762 à compter du 28 février 2018, et condamner l'employeur à lui payer un rappel de salaire à ce titre, l'arrêt retient qu'il résulte de la grille de déroulement de carrière de la convention de 1966, qui reçoit application à partir de 2016, qu'au bout de 28 ans d'ancienneté, le coefficient est de 762.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte sus-visé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 09 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Laplume - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Poulet-Odent -

Textes visés :

Article 38 de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 ; article L. 1224-1 du code du travail.

Soc., 9 juin 2022, n° 20-16.992, (B), FS

Rejet

Salaire – Paiement – Prescription – Prescription triennale – Point de départ – Détermination

La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail.

Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.

Salaire – Paiement – Prescription – Durée – Détermination – Nature de la créance invoquée – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 30 avril 2020), M. [R] a été engagé, à compter du 10 mars 2001, par la société Anna Compost, aux droits de laquelle est venue la société Suez Organique, en qualité d'ouvrier hautement qualifié, à raison de huit heures par semaine, suivant un contrat de travail à durée déterminée, qui a été renouvelé le 8 mars 2002.

Le contrat de travail s'est poursuivi, à compter du 7 septembre 2002, en un contrat de travail à durée indéterminée.

En dernier lieu, le salarié occupait le poste de conducteur d'engin.

2. Il a été licencié le 16 octobre 2015.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 12 décembre 2016, afin de solliciter la requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps plein et d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident du salarié, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur

Enoncé du moyen

5.L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, de requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaires de novembre 2013 au 16 décembre 2015, outre les congés payés afférents, alors :

« 1°/ que l'action en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet est une action en paiement du salaire qui se prescrit, selon l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, la requalification est fondée sur l'article L. 3123-17 du code du travail, selon lequel lorsque le recours à des heures complémentaires a pour effet de porter la durée du travail d'un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale ou conventionnelle, le contrat à temps partiel doit, à compter de la première irrégularité, être requalifié en contrat de travail à temps plein, et sur le fait que M. [R] a travaillé 182 heures en août 2013, au-delà de la durée légale, afin d'obtenir la requalification en contrat à temps complet à compter de septembre 2013 ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que l'action en requalification et en paiement des salaires était prescrite lors de la saisine de la juridiction prud'homale le 12 décembre 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 3245-1 du code du travail ;

2°/ que le point de départ de l'action en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet court à compter du moment où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'il incombe dans un premier temps au juge de vérifier si l'action en requalification est recevable et fondée pour, dans un second temps, déterminer si le salarié est recevable et fondé à présenter une demande de rappel de salaires sur la base d'un temps complet ; qu'en l'espèce, en retenant, dans un premier temps, que ‘‘n'étaient pas prescrits les rappels de salaires échus à compter de novembre 2013'' moins de trois ans avant la rupture du contrat de travail, dont M. [R] demandait paiement, et ‘‘par suite, l'action en requalification du contrat de travail'', cependant qu'il incombait à la cour d'appel de vérifier la prescription l'action en requalification en retenant comme point de départ le moment où celui qui l'exerçait avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, pour éventuellement ensuite, si l'action n'était pas prescrite, lui accorder un rappel de salaire, la cour d'appel a violé de plus fort l'article L. 3245-1 du code du travail, ensemble l'article L. 3123-17 du même code. »

Réponse de la Cour

6. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail.

7. Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

8. Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.

9. Ayant, d'abord, constaté que le salarié soutenait avoir atteint la durée légale du travail en septembre 2013, la cour d'appel a exactement retenu que le point de départ du délai de prescription n'était pas l'irrégularité invoquée par le salarié, mais la date d'exigibilité des rappels de salaire dus en conséquence de la requalification. Elle en a exactement déduit que la prescription triennale avait été interrompue par la saisine de la juridiction prud'homale le 12 décembre 2016.

10. La cour d'appel, qui a, ensuite, retenu que les rappels de salaires échus à compter du mois de novembre 2013, soit moins de trois ans avant la rupture du contrat de travail, n'étaient pas prescrits, en a exactement déduit que le salarié était fondé à tirer les conséquences, dans cette limite, du dépassement, au mois de septembre 2013, de la durée légale du travail, pour prétendre au paiement d'une rémunération sur la base d'un temps plein.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principal et incident.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 3242-1 et L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel le délai de prescription ne court qu'à compter de la date d'exigibilité de la créance, à rapprocher : Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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