Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

TRAVAIL REGLEMENTATION, CONTROLE DE L'APPLICATION DE LA LEGISLATION

2e Civ., 23 juin 2022, n° 20-22.128, (B), FRH

Cassation

Lutte contre le travail illégal – Travail dissimulé – Donneur d'ordre – Solidarité financière – Contestation – Irrégularité du redressement opéré à l'encontre du cocontractant – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 22 septembre 2020), l'URSSAF de Franche-Comté (l'URSSAF) a adressé, le 4 janvier 2017, à la société [3] (la société) une lettre d'observations l'avisant de la mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par l'article L. 8222-2 du code du travail et du montant des cotisations dues, en suite du procès-verbal de travail dissimulé établi à l'encontre de son sous-traitant, la société [2].

2. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors :

« 1°/ que selon la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 31 juillet 2015 (n° 2015-479 QPC), les dispositions de l'article L. 8222-2 du code du travail « ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui découlent de l'article 16 de la Déclaration de 1789, interdire au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu » ; qu'après avoir retenu qu'il est établi qu'est entachée d'irrégularité la lettre d'observations adressée par l'URSSAF le 18 février 2015, à la société sous-traitante, pour le redressement au titre du travail dissimulé à l'origine de la mise en oeuvre de la solidarité financière de la société, la cour d'appel qui énonce que ledit redressement n'ayant pas été contesté par la société sous-traitante, débitrice des cotisations dues au titre du travail dissimulé, l'entreprise donneur d'ordre n'a pas qualité pour le contester pour son compte, notamment au motif que la lettre d'observations qui ne lui était pas destinée était irrégulière, a violé l'article L. 8222-2 du code du travail et les articles R. 243-59 et R. 133-8 du code de la sécurité sociale en leur version applicable au litige, ensemble l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen ;

3°/ que selon la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 31 juillet 2015 (n° 2015-479 QPC), les dispositions de l'article L. 8222-2 du code du travail « ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui découlent de l'article 16 de la Déclaration de 1789, interdire au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu » ; que dans la mise en oeuvre de la solidarité financière consécutive au constat d'un travail dissimulé, l'URSSAF a pour seule obligation, avant la décision de redressement, d'exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l'envoi de la lettre d'observations, sans être tenue de joindre à celle-ci le procès-verbal constatant le délit, dont le juge peut toujours ordonner la production pour lever le doute invoqué par le donneur d'ordre poursuivi ; que la société face au refus persistant de l'URSSAF de communiquer le procès-verbal de travail dissimulé du 4 juillet 2014 dressé à l'encontre de la société sous-traitante, « et ce afin de garantir le strict respect d'un débat contradictoire et des droits de la défense » avait sollicité, à titre subsidiaire, que la cour d'appel enjoigne l'URSSAF de communiquer ledit procès-verbal ; qu'en se bornant à relever que l'URSSAF, en application de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale avait pour seule obligation d'exécuter les formalités assurant le respect du principe du contradictoire par l'envoi de la lettre d'observations au donneur d'ordre, sans être tenue de joindre le procès-verbal constatant le délit, sans nullement rechercher ni apprécier, ainsi qu'elle y était invitée et tenue, si, au regard des circonstances de l'espèce et notamment du fait qu'avait été établie par l'URSSAF en 2013 une attestation de vigilance à l'égard de la société sous-traitante alors même qu'elle se serait prétendument rendue coupable de travail dissimulé, il n'y avait pas lieu d'ordonner la production par l'URSSAF dudit procès-verbal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8222-2 du code du travail, R. 243-59 et R. 133-8 du code de la sécurité sociale en leur version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. L'URSSAF conteste la recevabilité du moyen pris en sa troisième branche. Elle soutient que, sous couvert d'un manque de base légale, ce moyen dénonce une omission de statuer qui ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation.

5. Cependant, en énonçant que l'organisme de recouvrement n'était pas tenu de joindre le procès-verbal constatant le délit de travail dissimulé, la cour d'appel s'est prononcée sur la demande dont elle était saisie en la rejetant.

6. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 9 du code de procédure civile, L. 8222-1 et L. 8222-2, alinéa 2, du code du travail :

7. Aux termes du premier de ces textes, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

8. Selon le troisième, le donneur d'ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées au deuxième, est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.

9. Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquelles il est tenu.

10. Il en résulte que le donneur d'ordre peut invoquer, à l'appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré à l'encontre de son cocontractant du chef du travail dissimulé.

11. Il en résulte aussi que si la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d'ordre n'est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l'encontre du cocontractant, l'organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de ce document.

12. Pour rejeter le recours de la société, l'arrêt relève que le redressement à l'origine de la mise en oeuvre de la solidarité financière n'ayant pas été contesté par la société sous-traitante, débitrice des cotisations dues au titre du travail dissimulé, le donneur d'ordre n'a pas qualité à le faire au motif que la lettre d'observations qui ne lui était pas destinée était irrégulière. Il ajoute que l'organisme de recouvrement a pour seule obligation, avant la décision de redressement, d'exécuter les formalités assurant le respect du principe du contradictoire, sans être tenue de joindre le procès-verbal constatant le délit.

13. En statuant ainsi, alors que le donneur d'ordre était recevable à contester la régularité de la procédure suivie à l'encontre de son sous-traitant et que l'organisme de recouvrement devait produire devant la juridiction le procès-verbal de travail dissimulé dont le donneur d'ordre contestait l'existence et le contenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Leblanc - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Rapprochement(s) :

2e Civ., 8 avril 2021, pourvoi n° 19-23.728 (rejet).

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