Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

TESTAMENT

1re Civ., 22 juin 2022, n° 21-10.570, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Legs – Legs universel – Atteinte à la réserve – Exercice de la réduction – Indemnité – Calcul – Modalités

Legs – Legs universel – Atteinte à la réserve – Exercice de la réduction – Réduction en valeur – Effets – Indivision entre le légataire universel et l'héritier réservataire – Exclusion – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 octobre 2020), [B] [P] est décédé le 15 septembre 2013 en laissant pour lui succéder ses deux fils, [U] et [D], en l'état d'un testament olographe daté du 8 avril 2010 et instituant son fils [D] légataire universel.

2. Des difficultés sont survenues lors du règlement de la succession.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. M. [U] [I] fait grief à l'arrêt de dire, aux fins de détermination du montant de l'indemnité de réduction due par M. [D] [I], que l'expert désigné à cette fin aura mission de déterminer la consistance et la valeur de tous les biens existant au décès de [B] [I] et d'y réunir les biens dont il a été disposé en déterminant leur consistance et leur valeur dans les conditions prévues à l'article 922 du code civil et de rejeter sa demande tendant à la valorisation des biens légués à la date la plus proche du paiement de l'indemnité de réduction en vertu de l'article 924-2 du code civil, alors « qu'il résulte de la combinaison des articles 924, 924-1 et 924-2 du code civil que si le montant de l'indemnité de réduction due à l'héritier réservataire par le bénéficiaire d'une libéralité excédant la quotité disponible doit être calculé d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet, le montant de cette indemnité destinée à reconstituer la réserve doit être évalué, faute de partage, le jour où elle est liquidée en vue de son paiement ; qu'en retenant « qu'en l'absence d'indivision, aucun partage ne pouvait avoir lieu », que « le légataire universel détenant la propriété léguée à la date du décès, qui était donc la date de la jouissance divise des biens, c'était à cette date que l'indemnité est due au réservataire et doit donc être liquidée » et que M. [U] [I] ne pouvait dès lors reprocher au tribunal de ne pas avoir prévu, dans la mission de l'expert commis, la valorisation des biens donnés ou légués à leur valeur actuelle, lorsqu'en l'absence d'indivision, ces biens, faute de partage, devaient être valorisés, pour le calcul de l'indemnité de réduction, à la date de la liquidation de cette indemnité en vue de son paiement, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 924-2 du code civil :

4. Aux termes de ce texte, le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet.

5. En l'absence d'indivision entre le bénéficiaire de la libéralité et l'héritier réservataire et, par conséquent, en l'absence de partage, le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque de sa liquidation ou de leur aliénation par le gratifié.

6. Pour rejeter la demande de M. [U] [I] tendant à voir incluse, dans la mission de l'expert désigné, la détermination de la valeur des biens donnés ou légués à la date la plus proche du paiement de l'indemnité de réduction en application de l'article 924-2 du code civil, l'arrêt retient qu'en l'absence d'indivision et donc de partage, le légataire universel détient la propriété des biens légués à la date du décès, qui est celle de la jouissance divise, de sorte que c'est à cette date que l'indemnité de réduction est due au réservataire et doit donc être liquidée.

7. En statuant ainsi, alors que l'indemnité de réduction devait être calculée conformément à l'article 924-2 du code civil, la cour d'appel l'a violé.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement rendu le 21 février 2019 en ce qu'il n'inclut pas, dans la mission de Mme [Y] [V], expert désigné, la détermination de la valeur des biens donnés ou légués à la date la plus proche du paiement de l'indemnité de réduction en application de l'article 924-2 du code civil, l'arrêt rendu le 27 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que Mme [Y] [V], expert désigné, aura mission de déterminer la valeur des biens donnés ou légués à la date la plus proche du paiement de l'indemnité de réduction en application de l'article 924-2 du code civil.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Poinseaux - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SAS Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article 924-2 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 11 mai 2016, pourvoi n° 14-16.967, Bull. 2016, I, n° 104 (rejet) ; 1re Civ., 4 novembre 2020, pourvoi n° 19-10.179, Bull., (cassation), et l'arrêt cité.

1re Civ., 22 juin 2022, n° 20-23.215, (B), FS

Cassation partielle

Legs – Réserve – Atteinte – Application – Legs en usufruit – Imputation sur la quotité disponible – Imputation en assiette

Il se déduit de l'article 913 du code civil, dont il résulte qu'aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi, et de l'article 919-2 du même code, aux termes duquel la libéralité faite hors part successorale s'impute sur la quotité disponible, l'excédent étant sujet à réduction, que les libéralités faites en usufruit s'imputent en assiette.

Dès lors, viole ces textes la cour d'appel qui, pour rejeter la demande en réduction du legs de l'usufruit d'un immeuble, retient que la valeur de l'usufruit du bien immobilier légué, estimé à soixante pour cent de sa valeur en pleine propriété, est inférieure au montant de la quotité disponible, alors que l'atteinte à la réserve devait s'apprécier en imputant le legs en usufruit sur la quotité disponible, non après conversion en valeur pleine propriété, mais en assiette.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 2 octobre 2020), [N] [E] est décédé le 3 décembre 2013, en laissant pour lui succéder Mme [V], sa compagne, et Mme [E] [U], sa fille, née d'une précédente union, et en l'état d'un testament olographe daté du 25 mai 2011, par lequel il léguait à Mme [V] l'usufruit de sa maison d'habitation.

2. Mme [E] [U] a assigné Mme [V] en réduction de ce legs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [E] [U] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en réduction du legs, alors « qu'aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi ; qu'en présence d'un legs en usufruit portant sur un bien immobilier dont la valeur excède celle de la quotité disponible, il est porté atteinte à la réserve, l'héritier réservataire ne pouvant jouir en pleine propriété de la part que le législateur lui réserve ; qu'en retenant, pour débouter Mme [E] [U] de sa demande en réduction du legs en usufruit consenti par son père à Mme [V], que la masse successorale s'élevant à la somme totale de 383 000 euros et, partant, la quotité disponible à celle de 191 500 euros, la valeur de l'usufruit légué, qui s'établit à 60 % de la valeur du bien (60 % X 240 000 euros, soit la somme de 144 000 euros, n'excède pas le montant de la quotité disponible, quand l'usufruit objet du legs du 25 mai 2011 portait sur un immeuble dont la valeur (240 000 euros) était supérieure au montant de la quotité disponible (191 500 euros) et qu'il y avait donc nécessairement atteinte à la réserve de Mme [E] [U], la cour d'appel a violé l'article 913 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Mme [V] conteste la recevabilité du moyen, comme étant contraire aux conclusions d'appel de Mme [E] [U].

6. Cependant, Mme [E] [U] avait soutenu en appel que l'assiette des biens légués était supérieure au montant de la quotité disponible, ce qui lui ouvrait un droit à réduction.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 913 et 919-2 du code civil :

8. Il résulte du premier de ces textes qu'aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi.

9. Aux termes du second, la libéralité faite hors part successorale s'impute sur la quotité disponible.

L'excédent est sujet à réduction.

10. Il s'en déduit que les libéralités faites en usufruit s'imputent en assiette.

11. Pour rejeter la demande en réduction du legs formée par Mme [E] [U], l'arrêt retient que la valeur de l'usufruit du bien immobilier légué à Mme [V], estimé à soixante pour cent de sa valeur en pleine propriété, est inférieure au montant de la quotité disponible.

12. En statuant ainsi, alors que l'atteinte à la réserve devait s'apprécier en imputant le legs en usufruit sur la quotité disponible, non après conversion en valeur pleine propriété, mais en assiette, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en réduction de Mme [E] [U], l'arrêt rendu le 2 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Poinseaux - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Articles 913 et 919-2 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 19 mars 1991, pourvoi n° 89-17.094, Bull. 1991, I, n° 100 (cassation partielle).

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