Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

1re Civ., 15 juin 2022, n° 21-14.928, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Communications électroniques – Implantation des stations radioélectriques – Implantation régulièrement autorisée sur une propriété privée ou sur le domaine public – Action aux fins d'interruption, d'interdiction, d'enlèvement ou de déplacement – Motifs liés à la protection de la santé publique ou aux brouillages préjudiciables – Fondement de l'action – Absence d'influence

Le juge administratif est compétent pour connaître de l'action, quel que soit son fondement, aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public par les autorités publiques compétentes en la matière dans l'exercice de leur pouvoir spécial de police, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 27 janvier 2021), rendu en référé, la société Free mobile (la société) est bénéficiaire d'un permis de construire obtenu en 2019, portant sur l'édification d'une antenne-relais sur le territoire de la commune d'Orléans.

2. Saisi sur le fondement de l'article 845 du code de procédure civile par M. [H] et vingt-trois autres riverains (les riverains) qui invoquaient diverses nuisances ainsi que les risques graves pour la santé résultant de l'implantation de cette installation, le président du tribunal judiciaire, a, le 27 mai 2020, ordonné la suspension des travaux de construction et interdit sa mise en service.

3. Le 10 juin 2020, la société a assigné les riverains en rétractation de l'ordonnance du 27 mai 2020 et soulevé l'incompétence de la juridiction judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction judiciaire compétente pour connaître du litige, alors « que, l'action portée devant le juge judiciaire, quel qu'en soit le fondement, aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière ; qu'en conséquence la juridiction administrative est seule compétente pour en connaitre ; qu'en l'espèce, en retenant la compétence des juridictions judiciaires, lorsque le litige d'une part, découlait, au moins en partie, de l'atteinte alléguée que le fonctionnement de l'antenne relais était susceptible de porter à leur santé et, d'autre part, visait à interdire sa mise en service, la cour d'appel a violé le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire, la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, les articles L. 42-1 et L. 43 du code des postes et des communications électroniques et les articles L. 2124-26 et L. 2333-1 du code général de la propriété des personnes publiques. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor An III, les articles L. 42-1 et L. 43 du code des postes et communications électroniques et L. 2124-26 et L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques :

5. Il résulte de ce principe et de ces textes, d'une part, que le juge administratif est compétent pour connaître de l'action, quel que soit son fondement, aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, par les autorités publiques compétentes en la matière, dans l'exercice de leur pouvoir spécial de police, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages, d'autre part, que le juge judiciaire est compétent pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers aux fins d'indemnisation des dommages causés par l'implantation ou le fonctionnement d'une station radioélectrique qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, ainsi que des actions aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables.

6. Pour dire la juridiction judiciaire compétente pour connaître de la demande de suspension des travaux et d'interdiction de mise en service de l'antenne-relais de téléphonie mobile, l'arrêt retient, que l'ordonnance du 27 mai 2020 n'avait pas vocation à apprécier la légalité d'un acte administratif, que le juge judiciaire est compétent pour prendre toute mesure propre à faire cesser le préjudice invoqué, que la requête est fondée sur les troubles anormaux de voisinage, vise non seulement un risque pour la santé globale des riverains, mais plus précisément un risque vital pour M. [H], atteint d'une affection neurodégénérative et d'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques, et que la demande de cessation des travaux a vocation à être provisoire dans l'attente du débat au fond.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

10. Il y a lieu de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, la juridiction judiciaire étant incompétente pour connaître du litige.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor An III ; articles L. 42-1 et L. 43 du code des postes et communications électroniques ; articles L. 2124-26 et L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 17 octobre 2012, pourvoi n° 11-19.259, Bull. 2012, I, n° 208 (cassation sans renvoi), et l'arrêt cité.

Soc., 29 juin 2022, n° 21-10.111, (B), FS

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Litige relatif à un contrat de droit privé – Contrat de droit privé – Caractérisation – Cas – Contrat d'apprentissage – Contrat conclu avec un employeur personne publique – Absence d'influence – Détermination – Portée

En vertu des dispositions de l'article 19 de la loi n° 92-675 du 17 juillet 1992 portant diverses dispositions relatives à l'apprentissage, à la formation professionnelle et modifiant le code du travail, les contrats d'apprentissage sont des contrats de droit privé. Les litiges relatifs aux allocations d'assurance chômage réclamées à la suite de la rupture de ces contrats relèvent de la compétence du juge judiciaire, alors même que l'employeur est une personne publique qui n'a pas adhéré, sur le fondement de l'article L. 5424-2 du code du travail, au régime particulier d'assurance chômage prévu par l'article L. 5422-13 du même code et que le salarié a antérieurement, au cours de la période retenue pour l'application de l'article L. 5422-2 de ce code, travaillé pour le même employeur dans le cadre de contrats de droit public.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 mai 2020), Mme [O] a été engagée par l'établissement public centre hospitalier [3] en qualité de préparatrice en pharmacie hospitalière par trois contrats à durée déterminée successifs du 3 septembre 2012 au 31 août 2013. Puis, le 2 septembre 2013, elle a conclu avec cet établissement public un contrat d'apprentissage d'une durée d'un an, qui a été rompu par une convention de rupture amiable à effet au 28 février 2014.

2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale aux fins de condamnation du centre hospitalier [3] en paiement de rappels de salaire, congés payés et compléments de salaire au titre du contrat d'apprentissage ainsi qu'au versement de l'allocation d'assurance-chômage.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que le juge prud'homal était incompétent pour connaître de ses demandes relatives aux allocations d'assurance-chômage et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors « que les contrats d'apprentissage sont des contrats de droit privé ; que les litiges relatifs à l'indemnisation du chômage consécutifs à la rupture d'un tel contrat relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé la loi du 16-24 août 1790, ainsi que l'article L. 6221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et l'article 19 de la loi n° 92-675 du 17 juillet 1992 portant diverses dispositions relatives à l'apprentissage, à la formation professionnelle et modifiant le code du travail :

4. Selon le dernier de ces textes, le contrat d'apprentissage conclu par une personne morale de droit public dont le personnel ne relève pas du droit privé est un contrat de droit privé.

En conséquence, les litiges nés à propos de la conclusion, de l'exécution, de la rupture ou de l'échéance de ces contrats relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Il en va de même des litiges relatifs à l'indemnisation du chômage consécutif à cette rupture ou à cette échéance, alors même que l'employeur n'a pas adhéré, sur le fondement de l'article L. 5424-2 du code du travail, au régime particulier d'assurance chômage prévu par l'article L. 5422-13 du même code.

5. Tel est également le cas si le salarié, titulaire du contrat d'apprentissage, a antérieurement, au cours de la période retenue pour l'application de l'article L. 5422-2 du code du travail, travaillé pour le même employeur dans le cadre de contrats de droit public.

6. Pour déclarer les juridictions judiciaires incompétentes pour connaître de la demande de versement de l'allocation d'assurance-chômage, l'arrêt retient que l'établissement public centre hospitalier de quatre villes n'a pas un objet industriel ou commercial, que ses décisions sont par nature des décisions administratives et qu'il assure lui-même la charge et la gestion de l'allocation d'assurance-chômage de ses agents.

7. En statuant ainsi, alors que le litige, qui opposait la salariée, titulaire d'un contrat d'apprentissage, à l'établissement public centre hospitalier [3], était relatif à l'indemnisation du chômage consécutif à la rupture de ce contrat, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'appel formé par Mme [O] à l'encontre du jugement en date du 7 juillet 2017, l'arrêt rendu le 18 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Principe de la séparation des pouvoirs ; loi des 16-24 août 1790 ; article 19 de la loi n° 92-675 du 17 juillet 1992, portant diverses dispositions relatives à l'apprentissage, à la formation professionnelle et modifiant le code du travail ; articles L. 5422-2, L. 5422-13 et L. 5424-2 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge judiciaire s'agissant des litiges nés à propos de la conclusion, de l'exécution, de la rupture ou de l'échéance de contrats de droit privé conclus avec un employeur personne publique, à rapprocher : Soc., 26 mars 2014, pourvoi n° 12-25.455, Bull. 2014, V, n° 90 (cassation partielle), et la décision citée. Sur la compétence du juge judiciaire quant au droit à indemnisation du chômage dû par un employeur personne publique, dans le même sens que : Tribunal des conflits, 15 décembre 2008, Bull. 2008, T. conflits, n° 36, et la décision citée.

Soc., 15 juin 2022, n° 20-22.430, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Salarié licencié pour inaptitude physique – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Droits résultant de l'origine de l'inaptitude – Appréciation – Possibilité

L'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. A cet égard, si le juge ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse ou de la nullité du licenciement ainsi que d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage.

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Salarié licencié pour inaptitude physique – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Appréciation postérieure à la notification du licenciement – Demande de résiliation judiciaire – Appréciation – Possibilité (non)

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Salarié licencié pour inaptitude physique – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Remboursement des indemnités de chômage par l'employeur aux organismes intéressés – Appréciation – Possibilité

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Salarié licencié pour inaptitude physique – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Licenciement sans cause réelle ou sérieuse ou licenciement nul – Demandes de dommages-intérêts – Appréciation – Possibilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 1er octobre 2020), Mme [C] a été embauchée par la société Établissements Mauviel (la société), en qualité d'assistante commerciale, à compter du 1er août 2010.

2. Elle a été désignée membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

3. Par requête en date du 26 janvier 2017, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes de résiliation de son contrat de travail et de paiement de diverses sommes.

4. Par lettre du 24 novembre 2017, elle a été licenciée, après autorisation de l'inspecteur du travail, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le quatrième moyen, en ce qu'il critique la condamnation de la société au paiement et au remboursement de diverses sommes

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée diverses sommes au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents, ainsi que « pour licenciement nul (en réalité indemnité de licenciement) », de lui ordonner de remettre à la salariée les documents de fin de contrat de travail et les bulletins de paie rectifiés, d'ordonner le remboursement des allocations chômage, de la condamner à payer à la salariée une certaine somme au titre de l'indemnité pour « rupture du licenciement produisant les effets d'un licenciement nul », alors :

« 1°/ que lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la salariée a été licenciée le 24 novembre 2017 après autorisation de l'inspecteur du travail, décision contre laquelle elle n'a pas exercé de recours ; qu'en prononçant cependant la résiliation judiciaire du contrat de travail et en jugeant qu'elle produisait les effets d'une rupture nulle, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, remettre en cause la validité du licenciement et donc accorder au salarié des dommages-et-intérêts pour licenciement nul ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la salariée a été licenciée le 24 novembre 2017 après autorisation de l'inspecteur du travail, décision contre laquelle elle n'a pas exercé de recours ; qu'en condamnant cependant l'employeur à lui payer la somme de 45 500 euros ''au titre de l'indemnité pour rupture du licenciement produisant les effets d'un licenciement nul'', la cour d'appel a violé le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

3°/ que lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, ordonner le remboursement par l'employeur des allocations chômage versées au salarié par Pôle emploi ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la salariée a été licenciée le 24 novembre 2017 après une autorisation de l'inspecteur du travail, décision contre laquelle elle n'a pas exercé de recours ; qu'en ordonnant cependant le remboursement par l'employeur des allocations chômage payées à la salariée, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, et l'article L. 1235-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »

Réponse de la Cour

7. L'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. A cet égard, si le juge ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse ou de la nullité du licenciement ainsi que d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage.

8. Ayant constaté que, à la suite du harcèlement moral subi par la salariée ayant rendu impossible la poursuite du contrat de travail, celle-ci avait été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement et fait ressortir que cette inaptitude avait pour origine le harcèlement moral dont la salariée avait été victime, la cour d'appel, qui a condamné en conséquence l'employeur à une indemnité pour licenciement nul et à une indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'au remboursement des indemnités de chômage, n'encourt pas les griefs du moyen.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail

Enoncé du moyen

10. La société fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, alors « que lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la salariée a été licenciée le 24 novembre 2017 après autorisation de l'inspecteur du travail, décision contre laquelle elle n'a pas exercé de recours ; qu'en prononçant cependant la résiliation judiciaire du contrat de travail et en jugeant qu'elle produisait les effets d'une rupture nulle, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, et L. 2411-13 du même code, alors applicable :

11. Lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture.

12. Pour prononcer la résiliation judiciaire, l'arrêt retient qu'a été reconnu le harcèlement moral dont se plaignait la salariée pour certains des agissements de l'employeur et que la gravité de ce manquement rendait impossible la poursuite du contrat de travail et justifiait la rupture de celui-ci.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le licenciement de la salariée, préalablement autorisé par l'inspecteur du travail, lui avait été notifié par lettre du 24 novembre 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le cinquième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

14. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il la condamne à payer à la salariée « la somme de 22 750 euros au titre de licenciement nul (en réalité indemnité de licenciement) », alors « que le juge ne peut modifier les termes du litige tels qu'ils résultent des conclusions des parties ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, la salariée indiquait que ''l'indemnité de licenciement ayant été versée, elle n'est plus sollicitée'' et ne se référait donc pas à une indemnité fixée par le jugement, mais manifestement à celle perçue à l'occasion du licenciement intervenu postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes ; qu'en affirmant, au soutien de sa décision, que la salariée précisait que l'indemnité de licenciement fixée par le jugement lui a été payée, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l' article 4 du code de procédure civile :

15. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

16. En condamnant la société au paiement d'une certaine somme à titre d'indemnité de licenciement, alors, d'une part, que, dans ses conclusions, la salariée spécifiait que l'indemnité de licenciement ayant été versée, elle n'était plus sollicitée et, d'autre part, qu'un tel chef de demande ne figurait pas au dispositif de ces conclusions, la cour d'appel, qui a modifié les termes du litige, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail, dit que cette résiliation produit les effets d'une rupture nulle du contrat de travail et condamne la société Établissements Mauviel au paiement de la somme de 22 750 euros « au titre de licenciement nul (en réalité indemnité de licenciement) », l'arrêt rendu le 1er octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la demande de résiliation judiciaire formée par Mme [C].

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité offerte à un salarié protégé, licencié pour inaptitude après une autorisation accordée par l'autorité administrative, de faire valoir devant les juridictions judiciaires les droits résultant de l'origine de l'inaptitude, à rapprocher : Soc., 27 novembre 2013, pourvoi n° 12-20.301, Bull. 2013, V, n° 286 (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.