Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

PRUD'HOMMES

Soc., 1 juin 2022, n° 20-16.836, (B), FS

Cassation partielle

Référé – Mesures conservatoires ou de remise en état – Trouble manifestement illicite – Applications diverses – Salarié protégé – Heures de délégation – Paiement – Obligation de l'employeur – Effet – Remboursement des retenues opérées – Fondement – Détermination

Il résulte des dispositions de l'article L. 2143-17 du code du travail que les temps de délégation sont de plein droit considérés comme temps de travail et payés à l'échéance normale.

En application de l'article R. 1455-6 du même code, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dès lors, ayant constaté que l'employeur avait opéré des retenues sur le salaire mensuel du salarié au titre des heures de délégation, une cour d'appel caractérise l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser par le remboursement des retenues ainsi opérées, peu important l'existence de la contestation sérieuse élevée par l'employeur selon lequel les mandats représentatifs du salarié ne couvraient plus l'intégralité de son temps de travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 9 juin 2020), statuant en référé, M. [C] a été engagé le 9 avril 2002 par la société Feu vert en qualité de responsable accueil montage. Il est devenu conseiller vente en 2006. A compter de 2012, le salarié a été investi de mandats de délégué syndical, de représentant syndical au comité d'établissement, de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de conseiller prud'homme et de défenseur syndical. Il exerçait ses fonctions représentatives à temps complet depuis le 1er janvier 2013.

2. Au cours de l'année 2018, la société Feu vert a demandé au salarié de reprendre une activité professionnelle effective au motif que la durée de ses mandats ne couvrait plus l'intégralité de son temps de travail contractuel.

3. Le 20 février 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant au paiement d'une provision à titre de rappel de salaire pour retenues sur salaire injustifiées opérées d'octobre 2018 à janvier 2019 et de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une somme provisionnelle au titre des retenues sur salaire opérées pour la période d'octobre 2018 à janvier 2019 outre les congés payés afférents, alors :

« 1°/ que le conseil de prud'hommes statuant en référé n'est compétent pour accorder une provision au créancier que lorsque l'existence de son obligation n'est pas sérieusement contestable ; que s'il appartient à l'employeur d'établir, devant les juges du fond, à l'appui de sa contestation, la non-conformité de l'utilisation des heures de délégation avec l'objet du mandat représentatif, de sorte que la demande du salarié en paiement, en référé, d'une provision n'excédant pas le crédit d'heures dont il bénéficiait à ce titre n'est pas sérieusement contestable, en revanche, se heurte à une contestation sérieuse qui excède la compétence du juge des référés, la demande de provision du salarié au titre d'heures de délégation qui est contestée par l'employeur non pas en raison d'un défaut de conformité d'utilisation de celles-ci, mais parce que les mandats représentatifs du salarié ne couvrent plus désormais l'intégralité de son temps de travail, le privant ainsi du droit à la rémunération afférente ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-7 du code du travail ;

2°/ que le conseil de prud'hommes statuant en référé n'est compétent pour accorder une provision au créancier, sur le fondement de l'article R. 1455-7 du code du travail, que lorsque l'existence de son obligation n'est sérieusement contestable ; qu'en décidant « qu'en vertu de l'article R. 1455-6 du code du travail », le conseil des prud'hommes de Chambéry s'est déclaré valablement compétent pour statuer en référé sur les rappels de salaires sollicités par le salarié à titre provisionnel, relatifs aux retenues concernant les heures de délégations, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article R. 1455-6 du code du travail ;

3°/ en tout état de cause, que si en vertu de l'article R. 1455-6 du code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, encore faut-il qu'elle constate la réunion des conditions d'application de ce texte ; qu'en statuant sans avoir ni constaté ni caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 1455-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 2143-17 du code du travail que les temps de délégation sont de plein droit considérés comme temps de travail et payés à l'échéance normale.

6. En application de l'article R. 1455-6 du même code, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

7. La cour d'appel, qui a constaté que l'employeur avait opéré des retenues sur le salaire mensuel du salarié au titre des heures de délégation, a ainsi caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser par le remboursement des retenues ainsi opérées, peu important l'existence de la contestation sérieuse élevée par l'employeur selon lequel les mandats représentatifs du salarié ne couvraient plus l'intégralité de son temps de travail.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive, alors « qu'en se bornant à retenir, que faute pour la société Feu vert de justifier du paiement intégral des salaires de M. [C] à compter de février 2019 dans l'attente du jugement au fond sur la contestation du quotas des heures de délégations syndicales par le conseil des prud'hommes compte tenu de la présomption de conformité, M. [C] avait subi un préjudice lié au défaut de paiement en intégralité de ses salaires qu'il convenait d'évaluer à la somme de 2 000 euros, sans avoir caractérisé ni la résistance abusive de l'employeur ni l'existence d'un préjudice subi par le salarié indépendant du retard de paiement et causé par la faute de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 et 1241 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1231-6 du code civil :

10. Selon ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire.

11. Pour condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt retient qu'il est de principe qu'il incombe à l'employeur de démontrer, notamment par la production de pièces comptables, que le salaire dû afférent au travail effectué a été payé et que, faute pour l'employeur de justifier du paiement intégral des salaires à compter de février 2019 dans l'attente du jugement au fond sur la contestation du quota des heures de délégation syndicale par le conseil des prud'hommes compte tenu de la présomption de conformité, le salarié a subi un préjudice, lié au défaut de paiement en intégralité de ses salaires, qu'il convient d'évaluer à la somme de 2 000 euros.

12. En statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, pris en sa première branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Feu vert à payer à M. [C] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 9 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 2143-17 et R. 1455-6 du code du travail.

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