Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

1re Civ., 15 juin 2022, n° 21-17.654, (B), FS

Rejet

Liberté individuelle – Définition – Exclusion – Cas – Liberté de procréer

La liberté de procréer n'entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 avril 2021), [X] [C] est décédé le 13 janvier 2017, à l'âge de 23 ans, des suites d'un cancer, après avoir procédé au dépôt de ses gamètes auprès du centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain (CECOS) de l'hôpital [3], établissement relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (l'AP-HP).

2. Par ordonnance du 2 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi par Mme [I], mère de [X] [C], a rejeté sa requête tendant à enjoindre à l'administration de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l'exportation des gamètes vers un établissement de santé situé en Israël.

Par ordonnance du 4 décembre 2018, le juge des référés du Conseil d'Etat a rejeté le recours de Mme [I] contre cette décision.

3. Par décision du 12 novembre 2019 (n° 23038/19 § 16 et 20), la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par Mme [I] qui invoquait une violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a déclaré sa requête irrecevable aux motifs, d'une part, que « le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté qu'elles soient mises en oeuvre après sa mort concernent le droit d'un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent qui relève de la catégorie des droits non transférables », d'autre part, que le champ d'application de l'article 8 de la Convention précitée ne comprend pas le droit de fonder une famille et ne saurait englober, en l'état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des grands-parents.

4. Le 22 janvier 2020, invoquant l'existence d'une voie de fait, Mme [I] a assigné l'AP-HP devant la juridiction judiciaire aux fins de lui voir enjoindre de lui restituer les gamètes de son fils.

L'AP-HP a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [I] fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction judiciaire incompétente, alors :

« 1°/ que toute personne physique ayant droit au respect de ses biens, nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; que l'article R. 2141-18 du code de la santé publique, qui règle les conditions de conservation des gamètes, prévoit leur destruction « en cas de décès de la personne » par l'administration ; que ce texte étant contraire au Premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, il ne saurait prévaloir sur les principes régissant la protection de la propriété prévus par cette Convention ; qu'en se fondant dès lors sur ce texte réglementaire pour décider que le refus de restitution des gamètes - équivalant à leur destruction - constituait « une décision qui se rattache aux prérogatives de l'AP-HP puisqu'elle procède de la stricte application des dispositions de l'article R. 2141-18 (...)", la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble la loi du 24 mai 1872 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que toute personne physique ayant droit au respect de ses biens, nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; que l'article R. 2141-18 qui règle les conditions de conservation des gamètes, prévoit leur destruction « en cas de décès de la personne » ; que ce texte étant contraire au Premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, il ne saurait prévaloir sur les principes régissant la protection de la propriété prévus par celle-ci ; qu'en l'espèce, [X] [C] ayant été propriétaire de ses gamètes, en a transmis la propriété à sa mère ; qu'en décidant le contraire, motif pris de ce que « le don est expressément réservé à la décision de leur déposant et de lui seul », circonstance prévue par le seul article R. 2141-18 du code de la santé publique, la cour d'appel a derechef violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble la loi du 24 mai 1872 et le premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que le juge judiciaire est également compétent pour statuer sur une voie de fait lorsque celle-ci résulte d'une décision prise par l'administration qui a porté atteinte à la liberté individuelle ; qu'en l'espèce, Mme [C] avait, aux termes de conclusions particulièrement circonstanciées, nombreuses pièces à l'appui, fait valoir que, durant son vivant, son fils [X] n'avait eu de cesse de concevoir un enfant, y compris post-mortem, dès lors qu'il se savait atteint d'une maladie incurable, fatale à court terme ; que la démarche de Mme [C] ne s'inscrit que dans la continuité de cette volonté exprimée devant plusieurs témoins et tenant à la liberté individuelle de d'assurer sa descendance ; qu'après avoir rappelé que le juge judiciaire retrouvait sa compétence en cas d'atteinte à une liberté individuelle, la cour d'appel s'est exclusivement placée sur le terrain de l'extinction du droit de propriété des gamètes ; qu'en se déterminant de la sorte, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si la destruction des gamètes par le CECOS ne portait pas atteinte à la liberté individuelle de pouvoir procréer exprimée de son vivant par [X] [C] et poursuivie, selon le souhait de celui-ci, par sa mère, la cour d'appel a, en toute hypothèse, privé sa décision de base légale au regard de l'article 66 de la Constitution, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble la loi du 24 mai 1872 et le premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

6. Selon les articles L. 2141-11,dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011, et R. 2141-18, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-173 du 4 mars 2016, du code de la santé publique, toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée peut bénéficier du recueil ou du prélèvement et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation, de la préservation et de la restauration de sa fertilité et, en cas de décès de la personne, il est mis fin à la conservation des gamètes ou des tissus germinaux.

7. La juridiction administrative est compétente pour connaître des demandes dirigées contre un établissement de santé public au titre notamment du transfert et de l'exportation de gamètes ou de tissus germinaux.

8. Il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

9. Dès lors que des gamètes humains ne constituent pas des biens au sens de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à la portée économique et patrimoniale attachée à ce texte (CEDH, 27 août 2015, n° 46470/11, [GC], § 215), que seule la personne peut en disposer et que la liberté de procréer n'entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, c'est à bon droit et sans être tenue de procéder à une recherche inopérante que la cour d'appel, faisant application de l'article R. 2141-18 du code de la santé publique, a retenu que le refus opposé par l'AP-HP à la restitution des gamètes se rattachait à ses prérogatives, écarté l'existence d'une voie de fait et déduit que la juridiction judiciaire était incompétente pour connaître du litige.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Gadiou et Chevallier ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 66 de la Constitution.

Soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060, (B), FS

Rejet

Libertés fondamentales – Liberté d'expression – Exercice – Droit d'expression des salariés – Atteinte – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 7 mai 2020), M. [C] a été engagé à compter du 5 août 1991 par la Société sucrière agricole de Maizy, devenue Union Sda puis Tereos Syral, en qualité d'ingénieur adjoint au directeur technique.

En 2015, son contrat de travail a été transféré à la société Tereos participations, filiale française du groupe Tereos.

Le 16 août 2016, il a pris les fonctions de directeur général de la société Tereos romania, filiale roumaine du groupe.

2. Il a été licencié pour faute grave le 20 janvier 2017.

3. Contestant cette mesure, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement de son salarié était nul et de le condamner à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis et d'indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2017, en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, alors :

« 1°/ que le juge doit examiner les griefs tels qu'ils sont énoncés dans la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, l'employeur reprochait notamment au salarié de s'être limité à multiplier les accusations graves sur de possibles faits de corruption et des manquements aux règles de sécurité, en mettant en cause son supérieur hiérarchique, M. [R] mais aussi le groupe dans son ensemble, lorsqu'il lui appartenait, en sa qualité de directeur de la filiale, d'établir un rapport circonstancié sur les dysfonctionnements constatés, de prendre les mesures pour y remédier et de proposer des actions et mesures concrètes pour rétablir un fonctionnement conforme aux règles du groupe ; qu'à ce titre, l'employeur rappelait, preuve à l'appui, qu'après l'accident survenu le 28 novembre 2016 sur le site de Ludus, le salarié avait cherché à se défausser de toute responsabilité en suggérant de confier à son adjoint, M. [J], dont il contestait pourtant les compétences et dont il envisageait le licenciement, une délégation de pouvoir en matière de sécurité, non sans lui avoir au préalable attribué la responsabilité des opérations de production ; que l'employeur indiquait, sans être contesté, qu'à l'inverse du salarié, son successeur avait mis en oeuvre les mesures qui s'imposaient (licenciement de l'ingénieur sécurité qui était en place lorsque le salarié dirigeait la filiale, élaboration de procédures conformes aux standards du groupe, travaux de mise en conformité, formation du personnel etc.) ce qui avait permis à la filiale de ne déplorer aucun accident du travail avec arrêt de travail en 2018 ; qu'en écartant tout manquement du salarié, aux prétextes que les faits dénoncés par lui, en des termes qui n'étaient ni injurieux, ni excessifs, ni diffamatoires, reposaient sur des éléments précis, objectifs et corroborés, que préalablement à l'accident survenu le 28 novembre, l'intéressé avait confié à M. [J] la mission de définir des plans d'action en matière de sécurité et pris ensuite des mesures en urgence pour parer à la survenance d'autres accidents, le salarié ayant enfin continué, malgré son souhait de ne plus occuper son poste en Roumanie, à exercer de manière effective la direction de cette entité jusqu'à sa mise à pied conservatoire, sans à aucun moment rechercher si, comme il en avait reçu l'instruction et comme le lui imposaient ses fonctions de directeur de l'entreprise litigieuse, le salarié avait pris toutes les mesures nécessaires pour identifier et résoudre les dysfonctionnements observés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2° / que si l'exercice de la liberté d'expression dans l'entreprise et en dehors de celle-ci ne peut justifier un licenciement, c'est à la condition qu'il ne dégénère pas en abus, celui-ci étant notamment constitué lorsque le salarié a usé de termes diffamatoires, injurieux ou excessifs ; qu'en l'espèce, évoquant la situation de la filiale roumaine du groupe Tereos qu'il dirigeait, le salarié déplorait, dans son courrier du 23 décembre 2016, « 4 ans de non gestion où le groupe a renié des valeurs aussi essentielles que sécurité et éthique »,« la sécurité : le management en place avant mon arrivée est incompétent, gravement incompétent », » personne n'est à la hauteur », » les limites de la « gestion à distance de M. [R] (présent 3 jours par an selon la rumeur) sont criantes », « concernant l'éthique, la situation est tout aussi dramatique », « j'ai une seule question : la direction de Tereos qui ne mettait presque jamais les pieds en Roumanie a-t-elle sciemment laissé perdurer cette situation ou a-t-elle, par manque d'implication, laissé toute latitude à un management local incompétent et corrompu... » ; qu'en déniant tout caractère excessif aux termes de ce courrier, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1221-1, L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ;

3° / que la preuve est libre en matière prud'homale ; que pour écarter les témoignages tendant à établir le chantage auquel s'était prêté le salarié, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'ils émanaient de hauts dirigeants de la société et du groupe ce qui les privaient " manifestement d'impartialité » ; qu'en statuant ainsi, lorsque la qualité des témoins était, en elle-même, insuffisante à ôter toute valeur probante à leurs déclarations strictement concordantes, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

4° / que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; que dans son attestation, M. [R] relatait que lors d'un appel téléphonique du 28 décembre 2016 à 19 heures, M. [C] lui avait indiqué « qu'il ne voulait plus travailler en Roumanie, ni dans le groupe Tereos, qu'il voulait rentrer en France tout en précisant qu'il ne démissionnerait pas et qu'il souhaitait bénéficier d'un licenciement », que celui-ci avait ensuite exposé, dans une logique de « chantage », qu'en l'absence de « réponse positive...sur sa demande d'ici le 3 janvier 2017 », « il se sentirait libre de communiquer à qui il veut en interne et en externe et à sa manière sur la situation de la société en Roumanie », « menaces » qu'il avait réitérées « lors d'un entretien téléphonique [du] 3 janvier 2017 », en présence du directeur de Tereos Sucre France, M. [U], et du directeur excellence industrielle, sucre et alcool, M. [L], le témoin concluant « il s'agissait clairement à nouveau de chantage » ; que cette situation était confirmée par les intervenants précités qui déclaraient également qu'« il s'agissait clairement d'un chantage envers M. [R] et le groupe Tereos, pour obtenir son licenciement » ; qu'en affirmant qu'aux termes de leurs attestations, les dirigeants concernés se limitaient à une interprétation personnelle et donc subjective des propos de M. [C] sans établir avec certitude le « chantage » auquel celui-ci se serait prêté, la cour d'appel a dénaturé ces attestations qui faisaient objectivement ressortir l'existence de manoeuvres du salarié afin de contraindre son employeur d'accepter un départ dans des conditions avantageuses ; que, ce faisant, elle a violé le principe susvisé ;

5° / qu'à tout le moins aux termes de l'article 12 de l'avenant du 29 juin 2016, le salarié s'était engagé à « conserver un secret professionnel absolu sur les méthodes, procédés, techniques et tarifs du groupe Tereos vis-à-vis de toute personne étrangère à ces derniers » et à « ne divulguer ou n'utiliser à [son] profit aucune information confidentielle portée à [sa] connaissance de par [ses] fonctions », « le non-respect de ces engagements [étant] considéré comme une faute grave » ; qu'en retenant que les témoignages ne permettaient pas d'établir avec certitude le chantage auquel se serait livré le salarié, sans rechercher si, indépendamment même du mobile poursuivi, le salarié n'était pas, en tout état de cause, fautif de s'être estimé libre de communiquer aux « institutions roumaines fournisseurs, [aux] planteurs de betteraves roumaines », aux « fournisseurs de matières premières à la sucrerie de Ludus » et " [aux] équipes locales « des informations cruciales sur la situation de la filiale roumaine qu'il était chargé de diriger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 1134 du code civil, devenus les articles 1103 et 1104 dudit code. »

Réponse de la Cour

5. Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression.

6. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

7. La cour d'appel a d'abord constaté que la lettre de licenciement articulait trois griefs envers le salarié en lui reprochant, dans un premier temps, les propos qu'il avait tenus dans un courrier adressé au président du directoire du groupe dans lequel il mettait en cause le directeur d'une filiale ainsi que les choix stratégiques du groupe.

8. Elle a ensuite relevé que cette lettre du 23 décembre 2016 adressée par le salarié au président du directoire du groupe, pour dénoncer la gestion désastreuse de la filiale roumaine tant sur le terrain économique et financier qu'en termes d'infractions graves et renouvelées à la législation sur le droit du travail, faisait suite à l'absence de réaction de sa hiérarchie qu'il avait alertée le 2 décembre 2016 sur ces problèmes majeurs de sécurité et de corruption imputables à la gestion antérieure.

9. Elle a enfin retenu que les termes employés n'étaient ni injurieux, ni excessifs, ni diffamatoires à l'endroit de l'employeur et du supérieur hiérarchique.

10. Elle en a exactement déduit, sans avoir à examiner les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement, dès lors qu'il était notamment reproché au salarié cet exercice non abusif de sa liberté d'expression, que le licenciement était nul.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la violation de son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel, ainsi que de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, alors « que l'employeur ne peut se voir reprocher la rétention d'une information qui lui était inconnue ; qu'en l'espèce, la société Tereos participations soutenait avoir ignoré les dysfonctionnements affectant la filiale roumaine du groupe Tereos avant les alertes du salarié et les investigations ultérieurement menées ; qu'en reprochant à l'employeur d'avoir fourni au salarié des éléments ne donnant pas une image fidèle de cette filiale, ce qui avait privé l'intéressé de la possibilité d'accepter son affectation en connaissance de cause, sans constater que, dès cette date, l'employeur disposait lui-même d'une information complète sur la situation de cette entité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, devenus les articles 1103 et 1104 dudit code. »

Réponse de la Cour

13. Ayant constaté que l'employeur n'avait pas permis au salarié d'accepter l'affectation qui lui était proposée en connaissance de cause, les documents qui lui avaient été communiqués préalablement à la formalisation de son affectation ne donnant pas une image fidèle de la filiale particulièrement en matière de sécurité, la cour d'appel a pu en déduire qu'il avait ainsi manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Seguy - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail ; article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la nullité du licenciement en cas d'atteinte à une liberté fondamentale, et notamment à la liberté d'expression du salarié, à rapprocher : Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur la sanction d'un licenciement fondé sur une pluralité de motifs dont un motif prohibé, à rapprocher : Soc., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-40.139, Bull. 2009, V, n° 172 (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-21.272, Bull. 2015, V, n° 241 (2) (rejet) ; Soc., 3 février 2016, pourvoi n° 14-18.600, Bull. 2016, V, n° 18 (rejet).

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