Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

PRESCRIPTION CIVILE

Soc., 9 juin 2022, n° 20-16.992, (B), FS

Rejet

Délai – Point de départ – Action en paiement des salaires – Date d'exigibilité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 30 avril 2020), M. [R] a été engagé, à compter du 10 mars 2001, par la société Anna Compost, aux droits de laquelle est venue la société Suez Organique, en qualité d'ouvrier hautement qualifié, à raison de huit heures par semaine, suivant un contrat de travail à durée déterminée, qui a été renouvelé le 8 mars 2002.

Le contrat de travail s'est poursuivi, à compter du 7 septembre 2002, en un contrat de travail à durée indéterminée.

En dernier lieu, le salarié occupait le poste de conducteur d'engin.

2. Il a été licencié le 16 octobre 2015.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 12 décembre 2016, afin de solliciter la requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps plein et d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident du salarié, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur

Enoncé du moyen

5.L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, de requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaires de novembre 2013 au 16 décembre 2015, outre les congés payés afférents, alors :

« 1°/ que l'action en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet est une action en paiement du salaire qui se prescrit, selon l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, la requalification est fondée sur l'article L. 3123-17 du code du travail, selon lequel lorsque le recours à des heures complémentaires a pour effet de porter la durée du travail d'un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale ou conventionnelle, le contrat à temps partiel doit, à compter de la première irrégularité, être requalifié en contrat de travail à temps plein, et sur le fait que M. [R] a travaillé 182 heures en août 2013, au-delà de la durée légale, afin d'obtenir la requalification en contrat à temps complet à compter de septembre 2013 ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que l'action en requalification et en paiement des salaires était prescrite lors de la saisine de la juridiction prud'homale le 12 décembre 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 3245-1 du code du travail ;

2°/ que le point de départ de l'action en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet court à compter du moment où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'il incombe dans un premier temps au juge de vérifier si l'action en requalification est recevable et fondée pour, dans un second temps, déterminer si le salarié est recevable et fondé à présenter une demande de rappel de salaires sur la base d'un temps complet ; qu'en l'espèce, en retenant, dans un premier temps, que ‘‘n'étaient pas prescrits les rappels de salaires échus à compter de novembre 2013'' moins de trois ans avant la rupture du contrat de travail, dont M. [R] demandait paiement, et ‘‘par suite, l'action en requalification du contrat de travail'', cependant qu'il incombait à la cour d'appel de vérifier la prescription l'action en requalification en retenant comme point de départ le moment où celui qui l'exerçait avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, pour éventuellement ensuite, si l'action n'était pas prescrite, lui accorder un rappel de salaire, la cour d'appel a violé de plus fort l'article L. 3245-1 du code du travail, ensemble l'article L. 3123-17 du même code. »

Réponse de la Cour

6. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail.

7. Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

8. Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.

9. Ayant, d'abord, constaté que le salarié soutenait avoir atteint la durée légale du travail en septembre 2013, la cour d'appel a exactement retenu que le point de départ du délai de prescription n'était pas l'irrégularité invoquée par le salarié, mais la date d'exigibilité des rappels de salaire dus en conséquence de la requalification. Elle en a exactement déduit que la prescription triennale avait été interrompue par la saisine de la juridiction prud'homale le 12 décembre 2016.

10. La cour d'appel, qui a, ensuite, retenu que les rappels de salaires échus à compter du mois de novembre 2013, soit moins de trois ans avant la rupture du contrat de travail, n'étaient pas prescrits, en a exactement déduit que le salarié était fondé à tirer les conséquences, dans cette limite, du dépassement, au mois de septembre 2013, de la durée légale du travail, pour prétendre au paiement d'une rémunération sur la base d'un temps plein.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principal et incident.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 3242-1 et L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel le délai de prescription ne court qu'à compter de la date d'exigibilité de la créance, à rapprocher : Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Com., 29 juin 2022, n° 19-20.647, (B), FRH

Cassation partielle

Délai – Point de départ – Vente – Vices cachés – Action en garantie – Exercice – Assignation délivrée contre l'entrepreneur

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société SMAC du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Tyco Electronics France.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 mai 2019), la société GDF Suez, devenue la société Engie, a confié la réalisation d'une centrale de production d'électricité à la société SMAC, qui a acheté les panneaux photovoltaïques à la société Tenesol, laquelle, pour les construire, a assemblé des connecteurs fabriqués par la société suisse Tyco Electronics Logistics, devenue la société TE Connectivity Solutions Gmbh (la société TEC).

3. Invoquant des interruptions de la production d'électricité dues à des défaillances des connecteurs, la société Engie a assigné en réparation de ses préjudices matériel et immatériel les sociétés SMAC, Tenesol, devenue la société Sunpower Energy Solutions France, et TEC, qui ont formé des appels en garantie.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, le troisième moyen, pris en sa première branche, du même pourvoi, et les moyens des pourvois incident et provoqué, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. La société SMAC fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il condamne la société Tenesol à la garantir des condamnations prononcées à son encontre, alors « en toute hypothèse, que faute d'avoir motivé sa décision sur ce point, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des motifs de l'arrêt qu'en dépit de la formule générale du dispositif qui « rejette toutes les autres demandes », la cour d'appel n'a pas statué sur le chef de demande relatif à l'appel en garantie formé par la société SMAC contre la société Tenesol, dès lors qu'il ne résulte pas des motifs de la décision qu'elle l'ait examinée.

7. L'omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, le moyen n'est pas recevable.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société SMAC fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Engie une certaine somme en réparation de son préjudice matériel, outre intérêts, alors « que la garantie des vices cachés, qui n'est due que par le vendeur, est inapplicable au contrat de louage d'ouvrage, quand bien même l'entrepreneur fournirait la matière ; qu'en énonçant qu'en sa qualité de fournisseur final des connecteurs, la société SMAC est bien redevable à l'encontre de la societe Engie de la garantie des vices cachés, peu important le fait que le contrat qui les lie soit un contrat de louage d'ouvrage, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1641 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1641 du code civil :

9. Aux termes de ce texte, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

10. Pour condamner la société SMAC au paiement d'une certaine somme au titre du préjudice matériel, l'arrêt retient qu'elle est redevable à l'égard de la société Engie de la garantie des vices cachés, peu important qu'elles soient liées par un contrat de louage d'ouvrage.

11. En statuant ainsi, alors que, dans leurs rapports directs, l'action en garantie des vices cachés n'est pas ouverte au maître de l'ouvrage contre l'entrepreneur, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. La société SMAC fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir la société TEC la garantir des condamnations prononcées à son encontre, alors « que le délai dont dispose l'entrepreneur pour agir en garantie des vices cachés à l'encontre du fabricant en application de l'article 1648 du code civil court à compter de la date de l'assignation délivrée contre lui ; qu'en prenant comme point de départ la date de découverte du vice affectant les connecteurs, quand il lui appartenait de rechercher à quelle date la société SMAC avait été assignée par la société Engie, la cour d'appel a violé l'article 1648 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1648 du code civil :

13. En application de ce texte, le délai dont dispose l'entrepreneur pour former un recours en garantie contre le fabricant en application de l'article 1648 du code civil court à compter de la date de l'assignation délivrée contre lui.

14. Pour rejeter son appel en garantie, l'arrêt retient que la société SMAC ne justifie d'aucune action à l'encontre de la société TEC entre le mois de septembre 2012, date de la découverte du vice, et l'assignation introductive d'instance et en déduit que cette demande est prescrite.

15. En statuant ainsi, alors que la société SMAC n'avait été assignée en paiement par la société Engie que le 28 avril 2015 et que, dans ses conclusions d'appel, la société TEC soutenait elle-même que les premières demandes formées contre elle par la société SMAC figuraient dans des conclusions n° 4 du 18 janvier 2017, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société SMAC à payer à la société Engie la somme de 184 750,18 euros HT de son préjudice matériel, outre intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 2013, rejette le recours en garantie formé par la société SMAC contre la société TE Connectivity Solutions Gmbh et condamne la société SMAC aux dépens et en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Vaissette (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Boullez ; SCP Foussard et Froger ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 1641 du code civil ; article 1648 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la prescription de l'action en garantie des vices cachés, à rapprocher : Com., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-21.477, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 29 juin 2022, n° 21-10.720, (B), FRH

Cassation

Prescription quinquennale – Actions personnelles ou mobilières – Point de départ – Date de réalisation du dommage – Cas – Action en réparation pour manquement au devoir de conseil – Redressement fiscal – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 novembre 2020), M. [D], expert-comptable exerçant au sein de la société In Extenso Périgord (la société), assurée auprès de la société Covea Risk, devenue la société MMA, a proposé à M. [E], qui exploitait en son nom propre un fonds de commerce, un montage juridique lui permettant de céder ce fonds sans être imposé au titre des plus-values.

2. Par acte du 3 avril 2001 reçu par M. [C] (le notaire), notaire associé de la société civile professionnelle Laurence Diot-Dudreuilh et Anne-Elisabeth Rey (la SCP), M. [E] a donné son fonds de commerce en location gérance à la société Xantis, dont il était gérant et associé majoritaire.

3. Le 29 août 2007, l'administration fiscale lui a notifié un redressement d'un montant de 66 960 euros au titre de l'imposition des plus-values.

Par arrêt confirmatif du 7 janvier 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la demande de M. [E] tendant à faire reconnaître son droit à l'exonération.

4. Les 14 et 23 mars 2016, M. [E] a assigné le notaire, la SCP, la société et son assureur en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. [E] fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable comme prescrite, alors « que le délai de prescription de l'action en responsabilité court à compter de la date de réalisation du dommage ou à la date où la victime est en mesure d'agir ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription de l'action contre l'expert-comptable et le notaire à la date où M. [E] avait eu connaissance du redressement fiscal dont il faisait l'objet, après avoir relevé, d'une part, que celui-ci avait contesté cette dette fiscale en introduisant un recours contentieux dont le sort n'avait été définitivement connu que le 7 janvier 2014, date de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux rejetant ce recours, et, d'autre part, que l'action avait été introduite dans le courant du mois de mars 2016, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. Pour déclarer l'action de M. [E] prescrite, l'arrêt retient que le délai de prescription a couru à compter de la lettre de redressement reçue le 29 août 2007 par laquelle l'administration fiscale l'a informé que la cession devait faire l'objet d'une imposition au titre des plus-values.

8. En statuant ainsi, alors que le dommage de M. [E] ne s'était réalisé que le 7 janvier 2014, date de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux ayant rejeté son recours et constituant le point de départ du délai de prescription quinquennal, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Kloda - Avocat(s) : Me Haas ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

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