Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS

1re Civ., 15 juin 2022, n° 21-16.513, (B), FS

Rejet

Discipline – Suspension provisoire – Procédure – Audition des parties – Ordre

L'exigence d'un procès équitable, issue de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'implique pas le droit pour la personne contre qui il est demandé le prononcé d'une suspension provisoire en application de l'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, ou son avocat, d'avoir la parole le dernier avant la clôture des débats.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 mars 2021), le 20 juillet 2020, la chambre régionale de discipline des huissiers de justice du ressort de la cour d'appel de Douai a assigné en référé M. [E], huissier de justice, devant le président du tribunal judiciaire afin que soit prononcée sa suspension provisoire en application de l'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. [E] fait grief à l'arrêt de prononcer sa suspension provisoire et de commettre MM. [I] et [V] en qualité d'administrateurs pour le remplacer dans ses fonctions, alors « que l'exigence d'un procès équitable commande que l'officier public dont la suspension provisoire est sollicitée, ou son avocat, soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier ; qu'en ce qu'il ne constate pas que l'avocat de M. [E], huissier de justice, a pu avoir la parole en dernier, l'arrêt ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, de sorte qu'il est dépourvu de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

4. L'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels dispose :

« Tout officier public ou ministériel qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire peut se voir suspendre provisoirement l'exercice de ses fonctions.

En cas d'urgence, la suspension provisoire peut être prononcée, même avant l'exercice des poursuites pénales ou disciplinaires, si des inscriptions ou vérifications ont laissé apparaître des risques pour les fonds, effets ou valeurs qui sont confiés à l'officier public ou ministériel à raison de ses fonctions. »

5. Selon l'article 35 de l'ordonnance précitée, le tribunal judiciaire peut, à tout moment, à la requête soit du procureur de la République, soit de l'officier public ou ministériel, mettre fin à la suspension provisoire. Celle-ci cesse de plein droit dès que les actions pénale et disciplinaire sont éteintes et, dans le cas prévu au dernier alinéa de l'article 32 précité, si, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de son prononcé, aucune poursuite pénale ou disciplinaire n'a été engagée.

6. Il ressort de ces textes que cette suspension provisoire n'est pas une sanction, mais une mesure de sûreté conservatoire, d'une durée limitée à celle des actions pénale ou disciplinaire engagées.

7. Il s'en déduit que l'exigence d'un procès équitable, issue de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'implique pas le droit pour la personne contre qui il est demandé le prononcé d'une telle mesure, ou son avocat, d'avoir la parole le dernier avant la clôture des débats.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Kloda - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

1re Civ., 22 juin 2022, n° 20-22.712, (B), FRH

Cassation partielle

Notaire – Partage judiciaire – Notaire commis – Remplacement – Désignation par le tribunal ou le juge commis – Nécessité – Accord des copartageants sur le choix du remplaçant – Absence d'influence

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 9 octobre 2020) et les productions, [X] et [C] [V] sont décédés respectivement les 19 avril et 14 décembre 2006, en laissant pour leur succéder leurs deux filles, Mmes [D] et [G].

2. Un jugement du 12 mai 2010 a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision en résultant et désigné M. [Z], notaire, pour y procéder.

3. Le 5 juin 2014, M. [M], successeur de M. [Z], a établi un acte comportant projet d'état liquidatif, propositions d'allotissement et dires des parties, signé par les copartageantes, puis dressé, le 20 novembre 2014, un procès-verbal de carence dans le partage des successions, Mme [D] ne s'étant pas présentée à une convocation ultérieure.

4. Mme [G] a alors assigné sa soeur en homologation du projet de partage.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Mme [D] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de désignation d'un nouveau notaire, alors « que si la complexité des opérations le justifie, le tribunal désigne un notaire pour procéder aux opérations de partage ; que, dans le cas où le notaire est empêché, il est pourvu à son remplacement par le juge désigné à cette fin ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a rappelé que le 12 mai 2010, le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne a ordonné l'ouverture des opérations de partage et désigné M. [W] [Z], notaire à [Localité 3], pour y procéder, prévoyant qu'en cas d'empêchement, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du vice-président chargé de la chambre civile, sur requête de la partie la plus diligente » ; qu'elle a également constaté qu'à la suite de la cessation de ses fonctions par M. [Z], aucune partie n'a sollicité la désignation d'un nouveau notaire » ; qu'en rejetant la demande de Mme [D] en désignation d'un notaire en remplacement de M. [Z], quand il résultait de ses propres constatations qu'il n'avait pas été pourvu au remplacement de M. [Z] par une décision du juge désigné, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l'article 1364 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1364 et 1371, alinéa 2, du code de procédure civile :

7. Le premier de ces textes dispose :

« Si la complexité des opérations le justifie, le tribunal désigne un notaire pour procéder aux opérations de partage et commet un juge pour surveiller ces opérations.

Le notaire est choisi par les copartageants et, à défaut d'accord, par le tribunal. »

8. Selon le second, le juge commis peut, même d'office, procéder au remplacement du notaire commis par le tribunal.

9. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, si les copartageants peuvent choisir d'un commun accord le remplaçant du notaire initialement désigné, celui-ci ne peut poursuivre les opérations de partage sans être désigné par le tribunal ou le juge commis.

10. Pour rejeter la demande de Mme [D] tendant à la désignation d'un nouveau notaire pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage des successions de ses parents, l'arrêt retient, d'une part, que, par arrêté du garde des sceaux du 9 novembre 2011, publié le 23 novembre 2011, MM. [M] et [S] ont été nommés notaires associés en remplacement de M. [Z] et qu'ils ont prêté serment en cette qualité devant le tribunal le 7 décembre 2011, d'autre part, qu'aucune partie n'a sollicité la désignation d'un nouveau notaire en novembre 2011 et qu'il apparaît que Mmes [D] et [G] ont considéré que M. [M], successeur de M. [Z], poursuivrait les opérations de partage avec tous les documents dont disposait celui-ci.

11. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il résultait de ses propres constatations qu'il n'avait pas été pourvu au remplacement du notaire initialement désigné par une décision du tribunal ou du juge commis à la surveillance des opérations de partage, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt ayant rejeté la demande de Mme [D] tendant à la désignation d'un notaire en remplacement de M. [Z] entraîne la cassation du chef de dispositif homologuant le projet de partage établi le 5 juin 2014 par M. [M], visé par le deuxième moyen, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme [D] tendant à la désignation d'un notaire en remplacement de M. [Z] et homologue le projet de partage établi le 5 juin 2014 par M. [M], l'arrêt rendu le 9 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 1364 ; Article 1371, alinéa 2, du code de procédure civile.

1re Civ., 29 juin 2022, n° 21-10.720, (B), FRH

Cassation

Notaire – Responsabilité – Devoir de conseil – Manquement – Prescription action – Point de départ – Redressement fiscal – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 novembre 2020), M. [D], expert-comptable exerçant au sein de la société In Extenso Périgord (la société), assurée auprès de la société Covea Risk, devenue la société MMA, a proposé à M. [E], qui exploitait en son nom propre un fonds de commerce, un montage juridique lui permettant de céder ce fonds sans être imposé au titre des plus-values.

2. Par acte du 3 avril 2001 reçu par M. [C] (le notaire), notaire associé de la société civile professionnelle Laurence Diot-Dudreuilh et Anne-Elisabeth Rey (la SCP), M. [E] a donné son fonds de commerce en location gérance à la société Xantis, dont il était gérant et associé majoritaire.

3. Le 29 août 2007, l'administration fiscale lui a notifié un redressement d'un montant de 66 960 euros au titre de l'imposition des plus-values.

Par arrêt confirmatif du 7 janvier 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la demande de M. [E] tendant à faire reconnaître son droit à l'exonération.

4. Les 14 et 23 mars 2016, M. [E] a assigné le notaire, la SCP, la société et son assureur en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. [E] fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable comme prescrite, alors « que le délai de prescription de l'action en responsabilité court à compter de la date de réalisation du dommage ou à la date où la victime est en mesure d'agir ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription de l'action contre l'expert-comptable et le notaire à la date où M. [E] avait eu connaissance du redressement fiscal dont il faisait l'objet, après avoir relevé, d'une part, que celui-ci avait contesté cette dette fiscale en introduisant un recours contentieux dont le sort n'avait été définitivement connu que le 7 janvier 2014, date de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux rejetant ce recours, et, d'autre part, que l'action avait été introduite dans le courant du mois de mars 2016, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. Pour déclarer l'action de M. [E] prescrite, l'arrêt retient que le délai de prescription a couru à compter de la lettre de redressement reçue le 29 août 2007 par laquelle l'administration fiscale l'a informé que la cession devait faire l'objet d'une imposition au titre des plus-values.

8. En statuant ainsi, alors que le dommage de M. [E] ne s'était réalisé que le 7 janvier 2014, date de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux ayant rejeté son recours et constituant le point de départ du délai de prescription quinquennal, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Kloda - Avocat(s) : Me Haas ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

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