Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

INTERETS

1re Civ., 15 juin 2022, n° 20-16.070, (B), FS

Cassation partielle

Intérêts conventionnels – Taux – Taux effectif global – Calcul – Eléments pris en compte – Exclusion – Cas – Intérêts dus au titre du capital libéré de manière progressive au cours de la période de préfinancement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 février 2020), suivant offre acceptée le 23 juillet 2012, la société Crédit immobilier de France d'Île-de-France, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque), a consenti à M. et Mme [O] (les emprunteurs) un prêt à l'accession sociale destiné à financer l'acquisition d'un terrain et la construction de leur résidence principale, ce prêt comprenant une période d'anticipation de trente-six mois maximum, suivi d'une période d'amortissement progressif de trois cent vingt-quatre mois.

2. Les emprunteurs ont assigné la banque aux fins de voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts pour inexactitude du taux effectif global mentionné dans l'offre.

3. Devant la cour d'appel, ils ont invoqué le caractère abusif de la clause stipulant que le montant des échéances sera porté à leur connaissance à l'issue de la période d'anticipation.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que les intérêts et frais dus au titre de la période de préfinancement sont liés à l'octroi du prêt et entrent dans le calcul du taux effectif global, la durée de la période de franchise et les intérêts s'y rapportant relèvent des intérêts, frais, commissions et rémunérations de toute nature qui sont une condition de l'octroi du prêt aux conditions acceptées par l'emprunteur ; que les exposants faisaient valoir qu'en l'espèce, l'amortissement proposé à l'emprunteur est de 300 mois, précédé d'une période de différé de 36 mois, période au cours de laquelle des intérêts sont facturés mensuellement à l'emprunteur au taux conventionnel de 4,30 %, sur la base de 137.866 euros, capital emprunté, et que le coût de la période différé est parfaitement déterminable (36 x 494,02 euros), ajoutant que pour calculer le taux effectif global, le prêteur a procédé comme si le différé n'existait pas ; qu'en énonçant qu'il ressort de l'offre de prêt que le crédit fonctionnait en compte courant et que les emprunteurs étaient redevables du capital majoré des intérêts non payés pendant le différé d'amortissement ; que les emprunteurs ne peuvent pas reprocher à l'offre de n'avoir pas fait figurer, dès son émission, le coût correspondant à la période de préfinancement puisque, ainsi que le souligne à juste titre la banque, ledit coût était affecté d'un élément de variabilité qui allait dépendre du rythme des déblocages de fonds au fur et à mesure de l'avancement des travaux, et que les intérêts dus au cours de la période de préfinancement par anticipation sont calculés sur les sommes débloquées tout au long de cette période, de sorte que les frais induits par la période de préfinancement n'étaient dès lors pas déterminables d'emblée et avec certitude au moment de la détermination du taux effectif global, quand il résultait du contrat que la période de préfinancement était d'une durée de 36 mois, ce dont il résultait que le montant des frais et intérêts dus au titre de cette période était déterminable, comme le faisaient valoir les exposants, la cour d'appel a violé l'article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

5. Les intérêts et frais dus au titre de la période de préfinancement sont liés à l'octroi du prêt et entrent dans le calcul du taux effectif global, sous réserve qu'ils soient déterminables lors de la conclusion du contrat. Tel n'est pas le cas des intérêts dus au titre du capital libéré de manière progressive au cours de cette période, dès lors que leur montant dépend du rythme de cette libération, inconnu des parties lors de la souscription du prêt.

6. Ayant relevé que l'offre de prêt prévoyait un déblocage progressif des fonds au cours de la période de préfinancement, au fur et à mesure de l'avancement des travaux, la cour d'appel en a déduit à bon droit que les intérêts dus au titre de la phase de préfinancement n'étaient pas déterminables au moment de l'émission de l'offre de prêt, de sorte qu'ils n'avaient pas à être pris en compte dans le calcul du taux effectif global.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que la Cour de justice de l'union européenne a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ; que sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que constituait une clause abusive la fixation unilatérale par le prêteur des échéances et des modalités d'amortissement, qu'aux termes des conditions générales de l'offre de crédit (p. 10, clause B " Période d'amortissement ") il est stipulé que le montant des échéances sera porté à la connaissance de l'emprunteur à l'issue de la période d'anticipation, laquelle précède un mécanisme d'amortissement par cinq paliers, l'emprunteur n'ayant lors de l'acceptation de l'offre aucune idée du coût final de sa dette ni des modalités de son apurement ; qu'en ajoutant qu'un tel appareil dans son ensemble résulte de la volonté commune des parties, alors qu'aucune disposition légale n'interdit de procéder autrement que par détermination d'une obligation constante, la cour d'appel se prononce par un motif inopérant insusceptible d'exclure la qualification de clause abusive, et partant elle a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation devenu l'article L. 212-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

9. Le premier alinéa de ce texte dispose que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

10. Pour rejeter la demande des emprunteurs tendant à voir déclarer abusive la clause du contrat prévoyant que le montant des échéances sera porté à leur connaissance à l'issue de la période d'anticipation, l'arrêt retient qu'une telle stipulation ne saurait caractériser une clause abusive, aucun déséquilibre n'existant au détriment des emprunteurs puisqu'un tel appareil dans son ensemble permet de prendre en considération les éléments de la situation particulière d'emprunteurs candidats à un prêt à l'accession sociale et qu'il résulte de la volonté commune des parties, alors qu'aucune disposition légale n'interdit de procéder autrement que par détermination d'une obligation constante, que la progressivité de l'amortissement est une des caractéristiques du prêt à l'accession sociale.

11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'existence d'un déséquilibre significatif que la clause litigieuse aurait pour objet ou pour effet de créer au détriment des emprunteurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il exclut le caractère abusif de la clause prévoyant que le montant des échéances sera porté à la connaissance des emprunteurs à l'issue de la période d'anticipation, l'arrêt rendu le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Vitse - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 313-1 du code de la consommation, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

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