Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE

3e Civ., 29 juin 2022, n° 21-15.741, (B), FS

Cassation partielle

Indemnité – Indemnités accessoires – Indemnité de réinstallation – Eléments pris en considération – Détermination – Abattement pour vétusté (non)

Il n'y a pas lieu d'appliquer un abattement pour vétusté à l'indemnité pour frais de réinstallation allouée à une société évincée de locaux expropriés, afin de lui permettre de poursuivre son activité dans de nouveaux locaux.

Indemnité – Préjudice – Préjudice direct – Exclusion – Cas – Absence de restitution du dépôt de garantie

L'absence de restitution du dépôt de garantie qui, en dehors du champ d'application de l'article 22 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, incombe au bailleur originaire en cas de transfert de propriété des locaux donnés à bail, ne constitue pas un préjudice résultant de l'expropriation à la charge de l'expropriant.

Faits et procédure

1. L'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2021) fixe les indemnités revenant à la société GPS 3 Distribution à la suite de l'expropriation, au profit de la Société du Grand Paris, des locaux dans lesquels elle exploite un fonds de commerce.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première, troisième et quatrième branches, et sur le premier moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches, et sur le premier moyen du pourvoi incident, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, qui est irrecevable.

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. La Société du Grand Paris fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait l'indemnité pour frais de réinstallation allouée à la société GPS 3 Distribution, alors « que les indemnités allouées couvrant l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation doivent replacer l'exproprié ou le locataire évincé dans la situation où il se serait trouvé si l'expropriation n'avait pas eu lieu, sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit ; que les indemnités accessoires allouées en réparation des installations perdues doivent être évaluées en tenant compte d'un coefficient de vétusté ; qu'en se bornant à affirmer, pour fixer à la somme de 410 300,64 euros le montant de l'indemnité due par la Société du Grand Paris au titre des frais de réinstallation de la société GPS 3 Distribution, qu'il n'y a pas lieu de retenir en l'espèce un abattement pour vétusté, la cour d'appel a violé l'article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

5. Les indemnités allouées doivent donc permettre à une société exploitant un fonds de commerce dans les locaux expropriés, qui souhaite se réinstaller afin de poursuivre son activité, d'être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si l'expropriation n'était pas intervenue.

6. Dès lors, la cour d'appel a refusé, à bon droit, d'appliquer à l'indemnité pour frais de réinstallation, allouée à la société GPS 3 Distribution, pour lui permettre de poursuivre son activité dans de nouveaux locaux, un abattement tenant compte de la vétusté des aménagements des locaux expropriés.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. La Société du Grand Paris fait grief à l'arrêt d'allouer une indemnité pour perte de dépôt de garantie à la société GPS 3 Distribution, alors « qu'en cas de vente de locaux donnés à bail commercial, la restitution du dépôt de garantie incombe au bailleur originaire et, sauf stipulation contraire, ne se transmet pas à son ayant cause à titre particulier ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que les locaux donnés à bail à la société GPS 3 Distribution, concernés par l'opération déclarée d'utilité publique à l'origine de l'expropriation, ont été cédés par l'EPFIF à la Société du Grand Paris chargée de la réalisation des infrastructures du réseau de transport public du Grand Paris ; qu'en énonçant qu'il incombait à la société du Grand Paris, bénéficiaire de l'expropriation, d'indemniser le préjudice lié à la perte du dépôt de garantie, quitte à se retourner ultérieurement contre l'EPFIF, quand l'obligation de restituer le dépôt de garantie prévu par le bail ne s'était pas transmise à la Société du Grand Paris avec la propriété des biens, la cour d'appel a violé l'article 1743 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. La société GPS 3 Distribution conteste la recevabilité du moyen en raison de sa nouveauté.

10. Cependant, le moyen est de pur droit, dès lors qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.

11. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1743 du code civil et L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique :

12. Il résulte du premier de ces textes que, en dehors du champ d'application de l'article 22 de la loi du 6 juillet 1989, en cas de transfert de propriété de locaux donnés à bail, la restitution du dépôt de garantie incombe au bailleur originaire et, sauf stipulation contraire, ne se transmet pas à son ayant cause à titre particulier.

13. Selon le second, les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

14. Pour fixer une indemnité pour perte de dépôt de garantie au profit de la société GPS 3 Distribution, l'arrêt retient que, la Société du Grand Paris, étant bénéficiaire de l'expropriation, il lui incombe d'indemniser le préjudice lié à la perte du dépôt de garantie, quitte à se retourner ultérieurement contre l'établissement public foncier Ile-de-France, propriétaire et bailleur originaire.

15. En statuant ainsi, alors que le bailleur originaire étant tenu de restituer le dépôt de garantie, l'absence de restitution de celui-ci ne constitue pas un préjudice résultant de l'expropriation à la charge de l'expropriant, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

16. La société GPS 3 Distribution fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité pour perte de marchandises, alors « que le juge ne peut débouter une partie et refuser d'évaluer une créance dont il constate l'existence dans son principe ; que pour débouter la société GPS 3 de sa demande au titre de la perte de marchandises, la cour d'appel a retenu qu'il lui était demandé d'évaluer une indemnité de ce chef à un montant forfaitaire de 5 000 euros ou subsidiairement de surseoir à statuer dans l'attente de la production d'éléments comptables établissant la perte subie mais que le premier juge avait retenu à bon droit que l'exproprié n'apportait pas d'éléments justificatifs du montant de cette perte de marchandises et qu'il n'était en effet pas produit de pièces comptables ; qu'en statuant ainsi, sans contester le bien-fondé en son principe de la demande de la société GPS 3 au titre de la perte de marchandises, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code civil :

17. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.

18. Pour refuser d'indemniser la perte de marchandise et stock, l'arrêt retient que l'exproprié n'apporte pas d'éléments justificatifs du montant de cette perte, de sorte qu'elle ne peut évaluer l'indemnité à un montant forfaitaire de 5 000 euros, aucune pièce comptable n'étant produite.

19. En refusant ainsi d'évaluer le dommage dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe, au profit de la société GPS 3 Distribution une indemnité pour perte de dépôt de garantie et en ce qu'il refuse d'indemniser la perte de marchandise et stock, l'arrêt rendu le 21 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; article 1743 du code civil ; article 22 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 27 février 1991, pourvoi n° 89-70.289, Bull. 1991, III, n° 70 (rejet).

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