Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

ETRANGER

1re Civ., 15 juin 2022, n° 20-22.889, (B), FRH

Rejet

Mesures d'éloignement – Obligation de quitter le territoire français – Exécution d'office – Conditions – Détermination – Portée

S'il résulte de l'article L. 512-3, alinéa 2, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, que l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant que le tribunal administratif, saisi d'un recours formé contre celle-ci, n'ait statué, il ne s'en déduit pas qu'un tel recours ait pour effet de prolonger le délai d'un an, prévu à l'article L. 561-2, I, 5°, du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018, lequel court à compter de la décision portant obligation de quitter le territoire français et au terme duquel cette obligation ne peut plus fonder une décision de placement en rétention.

Mesures d'éloignement – Obligation de quitter le territoire français – Exécution d'office – Conditions – Recours devant le tribunal administratif – Effets – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Toulouse, 20 octobre 2020) et les pièces de la procédure, le 14 octobre 2020, M. [O], de nationalité turque, en situation irrégulière sur le territoire français, a été placé en rétention administrative, en exécution d'un arrêté du 12 août 2019 pris par le préfet et prononçant une obligation de quitter ce territoire et une interdiction d'y retourner pendant un an.

2. Le juge des libertés et de la détention a été saisi, le 15 octobre 2020, par le préfet, d'une demande de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et, le 16 octobre 2020, par M. [O] d'une contestation de la décision de placement en rétention sur le fondement de l'article L. 512-1, III, du même code.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le préfet fait grief à l'ordonnance de décider de la remise en liberté de M. [O], alors :

« 1°/ que l'étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à une obligation de quitter sans délai le territoire français, peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de quarante-huit heures, en prenant en compte son état de vulnérabilité et tout handicap, dès lors, entre autres cas, qu'il doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français, nonobstant le fait que l'intéressé n'ait pas satisfait à l'obligation de quitter le territoire dont il était par ailleurs l'objet ; qu'en retenant, pour dire que l'arrêté de placement en rétention visant M. [O] ne serait pas légalement fondé et pour ordonner sa remise en liberté, que l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français aurait été édicté « plus d'un an avant l'arrêté de placement en rétention », le conseiller délégué du premier président de la cour d'appel de Toulouse a violé les articles L. 551-1 et L. 561-2, I, 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

2°/ qu'il ressort des mentions de l'ordonnance attaquée que, devant la cour d'appel, le préfet de Saône-et-Loire soutenait que l'interdiction de retour d'un an que comportait l'arrêté du 12 août 2019 permettait de fonder le placement en rétention sans limitation dans le temps, dès lors que la personne en cause n'avait jamais quitté le territoire national ; qu'en se bornant à apprécier les conditions de l'arrêté de placement en rétention au seul regard du délai d'un an écoulé depuis l'obligation de quitter le territoire français, sans répondre au moyen opérant invoqué par le préfet de Saône-et-Loire et tiré de l'existence d'une interdiction de retour, le conseiller délégué du premier président de la cour d'appel de Toulouse a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Selon les articles L. 551-1, I, et L. 561-2, I, 5°, du CESEDA, dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018, l'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé, et qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement peut être placé en rétention administrative.

5. Selon les articles L. 551-1, I, et L. 561-2, I, 6°, dans leur rédaction issue de la même loi, l'étranger qui doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français et qui ne présente pas les garanties précédemment énoncées peut également être placé en rétention administrative.

6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, (CJUE, 26 juillet 2017, C-225/16, Ouhrami, point 49), que, jusqu'au moment de l'exécution volontaire ou forcée de l'obligation de retour et, par conséquent, du retour effectif de l'intéressé dans son pays d'origine, un pays de transit ou un autre pays tiers, au sens de l'article 3, point 3, de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, le séjour irrégulier de l'intéressé est régi par la décision de retour et non pas par l'interdiction d'entrée, laquelle ne produit ses effets qu'à partir de ce moment, en interdisant à l'intéressé, pendant une certaine période après son retour, d'entrer et de séjourner de nouveau sur le territoire des États membres.

7. Ayant relevé que M. [O] avait fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français prise plus d'un an auparavant et que l'obligation de départ n'avait pas été exécutée ce qui excluait toute méconnaissance par celui-ci d'une interdiction de retour, le premier président, qui n'avait pas à répondre à un moyen inopérant, en a déduit à bon droit que l'arrêté de placement en rétention était irrégulier.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Le préfet fait le même grief à l'ordonnance, alors « que l'étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à une obligation de quitter sans délai le territoire français, peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de quarante-huit heures, en prenant en compte son état de vulnérabilité et tout handicap, dès lors, entre autres cas, qu'il fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant ; que le délai d'un an court à compter de la date à laquelle l'obligation de quitter le territoire, si elle a été contestée, est devenue définitive et peut faire l'objet d'une exécution d'office ; qu'en jugeant, pour ordonner la remise en liberté de M. [O], que l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français aurait été pris plus d'un an avant l'arrêté de placement en rétention, quand il était constant et non contesté que cet arrêté préfectoral du 12 août 2019 portant obligation de quitter le territoire sans délai avec interdiction de retour d'un an, avait été contesté devant le tribunal administratif de Dijon, le conseiller délégué du premier président de la cour d'appel de Toulouse a violé les articles L. 551-1, I et L. 561-1, I, 6° du code de l'entrée et du séjour de étrangers et du droit d'asile, ensemble l'article L. 512-3, alinéa 2, du même code. »

Réponse de la Cour

10. S'il résulte de l'article L. 512-3, alinéa 2, du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, que l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant que le tribunal administratif, saisi d'un recours formé contre celle-ci, n'ait statué, il ne s'en déduit pas qu'un tel recours ait pour effet de prolonger le délai d'un an, prévu à l'article L. 561-2, I, 5°, précité, lequel court à compter de la décision portant obligation de quitter le territoire français et au terme duquel cette obligation ne peut plus fonder une décision de placement en rétention.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Feydeau-Thieffry - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Articles L. 512-3, alinéa 2, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 et L. 561-2, I, 5°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

1re Civ., 15 juin 2022, n° 21-20.325, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Prolongation de la rétention – Nouvelle saisine du juge des libertés et de la détention – Appel – Recevabilité – Condition – Motivation de la déclaration d'appel – Exclusion – Pertinence

Il se déduit des articles L. 552-9, alinéa 2, devenu L. 743-23, alinéa 1, R. 552-13, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1457 du 28 octobre 2016, et R. 552-14-1, alinéa 2, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) que le premier président ou son délégué ne peut constater l'irrecevabilité d'une déclaration d'appel, comme étant non motivée, que si celle-ci est dépourvue de toute motivation, peu important sa pertinence.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 16 décembre 2020), et les pièces de la procédure, le 1er octobre 2020, M. [F], de nationalité congolaise, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative, en exécution d'une obligation de quitter le territoire français.

La mesure a été prolongée à trois reprises par le juge des libertés et de la détention.

2. Le 14 décembre 2020, le juge des libertés et de la détention a été saisi par le préfet, sur le fondement de l'article L. 552-7, alinéa 5, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), d'une nouvelle requête en prolongation de la mesure de rétention.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. M. [F] fait grief à l'ordonnance de dire son appel irrecevable, alors « que, le premier président de la cour d'appel ne peut rejeter par ordonnance que les requêtes d'appel manifestement irrecevables ; que par ailleurs, une déclaration d'appel non motivée est une déclaration de laquelle est absente toute motivation de fait ou de droit, sans que son bien fondé n'ait d'incidence sur cette qualification ; qu'en jugeant au contraire que l'appel était irrecevable comme dénué de motivation au visa de l'article R. 552-13 du CESEDA, et en statuant en conséquence par ordonnance, sans convoquer les parties à une audience, en déduisant le caractère non motivé de l'appel de son mal fondé, énonçant à cet égard que le refus de test PCR devait être qualifié d'obstruction et que les diligences de l'autorité administrative avaient été effectives, la déléguée du premier président, qui s'est fondée sur le mal fondé de la requête pour la juger non motivée et statuer en conséquence par voie d'ordonnance, a violé les articles L. 552-9, R. 552-13 et R. 552-14-1 du ceseda, dans leur rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 552-9, alinéa 2, devenu L. 743-23, alinéa 1er, R. 552-13, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1457 du 28 octobre 2016, et R. 552-14-1, alinéa 2, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, du CESEDA :

4. Selon le deuxième de ces textes, à peine d'irrecevabilité, le premier président ou son délégué est saisi par une déclaration d'appel motivée transmise par tout moyen au greffe de la cour d'appel.

5. Aux termes du premier, le premier président de la cour d'appel ou son délégué peut, par ordonnance motivée et sans avoir préalablement convoqué les parties, rejeter les déclarations d'appel manifestement irrecevables.

Selon le troisième, sont manifestement irrecevables au sens du premier les déclarations d'appel non motivées.

6. Il s'en déduit que le premier président ou son délégué ne peut constater une telle irrecevabilité que si la déclaration d'appel est dépourvue de toute motivation, peu important sa pertinence.

7. Pour dire l'appel de M. [F] irrecevable, l'ordonnance retient que les moyens d'appel tirés de la violation de l'article L. 552-7, alinéa 5, du CESEDA ainsi que de l'absence de diligences et de perspectives sont dénués de motivation en droit et en fait au sens de l'article R. 552-13 du même code, dès lors que l'intéressé a fait une nouvelle fois, dans les derniers quinze jours, obstruction à la mesure d'éloignement en refusant le test PCR, empêchant ainsi son embarquement pour le vol prévu le 3 décembre 2020, et que les diligences de l'administration ont été effectives, un nouveau vol étant prévu pour le 17 décembre 2020.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la déclaration était motivée, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond dés lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 10 novembre 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Feydeau-Thieffry - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Articles L. 552-9, alinéa 2, devenu L. 743-23, alinéa 1, R. 552-13, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1457 du 28 octobre 2016, et R. 552-14-1, alinéa 2, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

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