Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (prévention et règlement amiable)

Soc., 15 juin 2022, n° 21-13.312, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Prévention – Procédures d'alerte – Droit d'alerte économique du comité social et économique central – Exercice par un comité social et économique d'établissement – Possibilité (non)

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier, 3 mars 2021), statuant selon la procédure accélérée au fond, la société Kohler France (la société) est constituée d'un siège social, de trois sites de production dont un à [Localité 4], d'un site de montage et de recherche et développement à Reims et d'un centre de distribution.

2. Envisageant, suite à des difficultés économiques, la réorganisation de l'activité conduisant notamment à l'arrêt de l'activité sur les sites de [Localité 4] et [Localité 5], la société a engagé la consultation des comités sociaux et économiques au niveau central et au niveau des établissements.

3. Lors de la réunion du comité social et économique central, qui s'est tenue le 2 décembre 2020, ce dernier a désigné un expert en application des dispositions de l'article L. 1233-34 du code du travail.

4. Lors d'une réunion extraordinaire qui s'est tenue le 21 décembre 2020, le comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] a désigné le cabinet SECAFI en qualité d'expert sur le fondement de l'article L. 2315-92, I, 2°, dans le cadre du droit d'alerte économique.

5. Par acte d'huissier du 29 décembre 2020, la société a assigné le comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] aux fins d'annulation de la délibération du 21 décembre 2020.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société fait grief au jugement de mettre hors de cause M. [R] pris en sa qualité de secrétaire du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4], et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « qu'au sein des entreprises divisées en établissements distincts, le comité social et économique central exerce les attributions qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement ; que l'exercice du droit d'alerte économique prévu à l'article L. 2312-63 du code du travail étant subordonné à l'existence de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, les comités sociaux et économiques d'établissements ne sont pas investis de cette prérogative qui appartient au seul comité social et économique central ; qu'au cas présent, après avoir constaté que la procédure d'alerte économique litigieuse avait été mise en oeuvre par le CSE d'établissement de [Localité 4], lequel n'est pas investi de cette prérogative, le tribunal a néanmoins refusé d'annuler la délibération du 21 décembre 2020 par laquelle le CSE d'établissement de [Localité 4] a décidé de recourir à une expertise-comptable dans le cadre d'une procédure de droit d'alerte économique aux motifs inopérants que « le comité central d'entreprise n'a pas mis en oeuvre la procédure d'alerte économique », que la restructuration de la société Kohler France « aura des conséquences directes sur l'établissement de [Localité 4]", ce dont il a déduit « le caractère préoccupant de la situation économique de l'entreprise, condition nécessaire et suffisante de la mise en oeuvre du droit d'alerte » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il avait constaté que la procédure d'alerte économique litigieuse avait été mise en oeuvre par le CSE d'établissement de [Localité 4], lequel n'est pas investi de cette prérogative, le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 2316-1, L. 2312-63, L. 2312-64 et L. 2315-92 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2316-1, L. 2312-63, L. 2312-64, L. 2315-92, I, 2°, du code du travail.

7. Dans les entreprises divisées en établissements distincts, l'exercice du droit d'alerte prévu à l'article L. 2312-63 du code du travail étant subordonné à l'existence de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, les comités sociaux et économiques d'établissement ne sont pas investis de cette prérogative qui appartient au seul comité social et économique central.

8. Pour débouter la société de ses demandes, le jugement retient que lorsque le comité social et économique central n'a pas mis en oeuvre la procédure d'alerte économique, un comité social et économique d'établissement peut exercer la procédure d'alerte économique s'il justifie de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, ce qui est le cas en l'espèce, la société invoquant la nécessité d'une restructuration ayant des conséquences directes sur le site de l'établissement de [Localité 4] dont le principe de la fermeture a été arrêté et la recherche d'un repreneur mise en oeuvre dans le cadre du plan d'ajustement des effectifs compris comme un plan de licenciement collectif.

9. En statuant ainsi, le président du tribunal judiciaire a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il met hors de cause M. [R], pris en sa qualité de secrétaire du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4], le jugement rendu le 3 mars 2021, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier, statuant selon la procédure accélérée au fond ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ANNULE la délibération du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] de la société Kohler France en date du 21 décembre 2020 portant sur le recours à une expertise dans le cadre de l'exercice d'une procédure d'alerte économique au sein du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] de la société Kohler France ;

Déclare la présente décision opposable à la société SECAFI.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Articles L. 2312-63, L. 2312-64, L. 2315-92, I, 2°, et L.2316-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité pour le comité d'établissement, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, d'exercer le droit d'alerte, à rapprocher : Soc., 6 avril 2005, pourvoi n° 02-31.130, Bull. 2005, V, n° 126 (cassation sans renvoi) ; Soc., 12 octobre 2005, pourvoi n° 04-15.794, Bull. 2005, V, n° 287 (cassation sans renvoi), et l'arrêt cité.

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