Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Com., 1 juin 2022, n° 19-20.999, (B), FS

Rejet

Article 10 – Liberté d'expression – Violation – Défaut

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 juillet 2019), par décision n° 17-D-25 du 20 décembre 2017, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), considérant que la société Janssen-Cilag, qui commercialise un médicament princeps constitutif d'un dispositif transdermique de fentanyl appelé Durogesic, s'était, au cours de l'année 2008, immiscée indûment dans la procédure nationale d'examen des demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM) portant sur les spécialités produites par la société Ratiopharm, par une intervention juridiquement infondée auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (l'AFSSAPS), devenue depuis l'Agence nationale de sécurité du médicament, (l'ANSM), afin de convaincre cette dernière de refuser l'octroi, au niveau national, du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen, et avait, une fois ces autorisations octroyées, diffusé, jusqu'à mi-août 2009, un discours dénigrant sur les spécialités Ratiopharm auprès de professionnels de santé exerçant en milieu hospitalier et en ville, a infligé une sanction pécuniaire à la société Janssen-Cilag, ainsi qu'à la société Johnson & Johnson, en qualité de société mère, pour abus de position dominante entrant dans le champ d'application des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et L. 420-2 du code de commerce.

3. Saisie d'un recours contre cette décision, la cour d'appel de Paris a réformé, en le réduisant, le montant de la sanction.

Examen des moyens

Sur le cinquième moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson font grief à l'arrêt de rejeter le moyen d'annulation de la décision de l'Autorité pris de l'incompétence de celle-ci pour apprécier les arguments juridiques développés par la société Janssen-Cilag devant l'AFSSAPS et, par voie de réformation de cette décision, de leur infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 21 millions d'euros, alors :

« 1°/ que le directeur général de l'AFSSAPS, auquel les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 du code de la santé publique attribuent une compétence exclusive pour se prononcer sur l'identification d'un médicament comme une spécialité générique et sur son inscription au répertoire des groupes génériques, est seul compétent pour apprécier, sous le contrôle du juge administratif, le bien fondé, au regard des normes du code de la santé publique, des arguments juridiques et scientifiques soulevés par un laboratoire pharmaceutique dans le cadre de l'instruction préparatoire à l'édiction de telles décisions ; que l'Autorité n'a pas pour mission légale de veiller au respect des règles de santé publique ; qu'il s'ensuit que lorsque le directeur général de l'AFSSAPS a pris, en application des textes susvisés, une décision reconnaissant le bien-fondé des arguments soulevés par un laboratoire pharmaceutique, l'Autorité ne saurait, sans outrepasser les compétences que lui attribuent les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, se faire elle-même juge de la légalité des arguments juridiques soulevés par ce laboratoire au regard des normes du droit pharmaceutique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le directeur général de l'AFSSAPS avait édicté le 28 juillet 2008 une décision par laquelle il avait refusé en l'état d'identifier les spécialités Ratiopharm comme médicaments génériques en vue de leur inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu de l'absence de démonstration suffisante de l'identité de la quantité de substance active libérée dans l'organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm ; qu'il s'évinçait ainsi des termes de cette décision que son auteur avait nécessairement considéré qu'il disposait bien du pouvoir d'appréciation que la société Janssen-Cilag l'avait invité à exercer ; qu'en jugeant néanmoins que l'Autorité n'avait pas outrepassé sa compétence en appréciant elle-même le bien-fondé de l'argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l'AFSSAPS sans se considérer liée par l'analyse juridique que ce dernier avait pu suivre dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm, au motif que la mission de répression des pratiques anticoncurrentielles confiée à l'Autorité impliquerait une plénitude de compétence, qui ne saurait être entravée en la rendant captive d'une analyse juridique retenue par une autre autorité administrative, cependant que le directeur général de l'AFSSAPS était exclusivement compétent pour exercer le contrôle de la conformité de l'argumentation juridique soutenue devant lui aux normes du droit pharmaceutique, la cour d'appel a violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 du code de la santé publique et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce ;

2°/ que l'Autorité était d'autant moins compétente pour faire prévaloir sa propre appréciation de la légalité de l'argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l'AFSSAPS au regard des normes du droit pharmaceutique sur celle qu'en avait faite cette autorité sanitaire qu'une telle appréciation n'était pas dissociable d'un jugement sur la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle l'AFSSAPS avait fait droit à cette argumentation ; que l'Autorité avait énoncé dans sa décision qu'un laboratoire pharmaceutique en position dominante « ne peut pas s'immiscer indûment dans le processus décisionnel d'une autorité de santé, en présentant à cette dernière des arguments de nature à l'inciter à adopter une décision contraire au cadre juridique s'imposant à elle » et que tel était le cas en l'espèce puisque « l'agence française de santé ne disposait d'aucune marge de manoeuvre pour revenir sur ce statut [de médicament générique], reconnu par la décision du 23 octobre 2007 de la Commission européenne », de sorte qu'elle « était tenue d'accorder une AMM nationale reconnaissant le statut de générique aux spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm et d'en tirer les conséquences juridiques en les inscrivant au répertoire des génériques » et que « sur les sollicitations de Janssen-Cilag, l'AFSSAPS a réuni des groupes de travail – le GTMG et le GTNPA – revenant indûment sur le statut de générique de ces spécialités », puis « a alors rendu, le 28 juillet 2008, des décisions d'AMM concernant ces spécialités mais en refusant leur inscription au répertoire des génériques » ; qu'en affirmant néanmoins que l'Autorité n'avait pas outrepassé ses compétences dès lors qu'elle ne s'était pas prononcée sur la légalité des décisions prises par le directeur général de l'AFSSAPS, cependant qu'il ressortait des énonciations mêmes de la décision attaquée que l'examen du bien-fondé de l'argumentation soulevée par le laboratoire à laquelle l'Autorité s'était livrée n'était pas détachable d'une appréciation de la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle le directeur général de l'AFSSAPS y avait fait droit, la cour d'appel a violé derechef les textes susvisés ;

3°/ que la cour d'appel a elle-même énoncé que « dès lors que les spécialités Ratiopharm se sont vu reconnaître, par la décision de la Commission, la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, la qualité de spécialité générique, au sens des articles L. 5121-1, 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique, ne pouvait pas leur être déniée par les autorités nationales, et notamment l'AFSSAPS », de sorte que son directeur général était « tenu, en vertu du dernier de ces articles, de les inscrire au répertoire des groupes génériques en tant que génériques de Durogesic », que « le débat concernant la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, indûment soulevé par la société Janssen-Cilag, a parasité les travaux de l'AFSSAPS, l'empêchant de répondre d'emblée à la seule question pertinente de l'encadrement de la substitution » et qu'ainsi, « au lieu de se concentrer sur les modalités d'encadrement de la substitution en cours de traitement, l'AFSSAPS a consacré une partie de sa réflexion et de son temps à se demander si les spécialités Ratiopharm étaient des génériques de Durogesic, alors même que cette analyse avait été déjà faite par les autorités de l'Union, dont la décision s'imposait à elle » ; qu'en l'état de ces énonciations, qui font ressortir que l'examen du bien-fondé de l'argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l'AFSSAPS n'était pas détachable d'une appréciation, fût-elle incidente, de la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle le directeur général de l'AFSSAPS y avait fait droit, la cour d'appel de Paris ne pouvait, sans méconnaître le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, se livrer elle-même à cette appréciation, qui relevait de la compétence exclusive de la juridiction administrative et qu'elle aurait dès lors dû interroger par voie préjudicielle avant d'entrer en voie de répression ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

4°/ qu'en outre, lorsque la résolution d'une question de droit européen de la concurrence dépend au moins pour partie de la solution d'une question préalable imposant d'examiner la licéité de certaines pratiques au regard d'une législation interne ou européenne de droit pharmaceutique dont l'interprétation est discutée, la résolution de cette question préalable ne relève pas de la compétence des autorités nationales de concurrence, mais de celle des seules autorités administratives spécialisées dans cette matière sous le contrôle de leur propre juge et, pour autant qu'un tel examen a été effectué par ces dernières, les autorités nationales de concurrence sont tenues de se conformer à leurs décisions (CJUE, 23 janvier 2018, [Localité 4] C-179/16, §§. 60 et 61) ; qu'en l'espèce, l'Autorité avait fondé sa décision sur la considération générale d'après laquelle « l'immixtion d'une entreprise en position dominante dans le processus décisionnel d'une autorité publique est susceptible de constituer un abus de position dominante contraire aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, dans la mesure où cette intervention est indue, en ce qu'elle est juridiquement infondée, et qu'elle vise à convaincre l'autorité publique de prendre une décision qu'elle ne devrait pas prendre » et avait, en l'espèce, considéré que « le laboratoire Janssen-Cilag est intervenu de façon indue auprès de l'AFSSAPS afin de la convaincre de refuser l'octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l'obtention de ce statut au niveau européen », de sorte que « les interventions répétées de Janssen-Cilag devant l'agence nationale de santé ont conduit l'AFSSAPS à ne pas procéder à l'identification des spécialités de fentanyl transdermique comme génériques de Durogesic à l'occasion de la délivrance des AMM de ces spécialités en juillet 2008 » « constat ", selon elle, « suffisant pour fonder une pratique d'abus de position dominante » ; qu'en jugeant que l'Autorité n'avait pas outrepassé sa compétence dès lors qu'elle avait le devoir de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique, cependant qu'il résultait des énonciations précitées de la décision attaquée que l'Autorité ne s'était pas bornée à déterminer le « cadre juridique » dans lequel s'était inscrit l'intervention du pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS, mais avait directement déduit l'existence d'un abus de position dominante du constat d'après lequel le laboratoire Janssen-Cilag était, selon elle, parvenu à convaincre l'autorité de santé de prendre une décision qu'elle n'aurait pas dû prendre au regard des normes du droit pharmaceutique, la cour d'appel a derechef violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 de ce code et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, ensemble l'article 102 du TFUE ;

5°/ qu'enfin, la distinction faite par la cour d'appel entre les appréciations de caractère juridique, pour lesquelles l'Autorité disposerait d'une plénitude de compétence, et les appréciations de caractère scientifique, qui ne relèvent que de la compétence d'une autorité spécialisée telle que l'AFSSAPS, est étrangère à la jurisprudence Hoffmann-Laroche, qui a bien affirmé l'incompétence des autorités nationales de concurrence pour trancher elles-mêmes la question de la légalité d'une pratique au regard des dispositions internes et communautaires de droit pharmaceutique ; qu'en tant que l'article L. 5121-1, 5° du code de la santé publique définit la notion de médicament générique par référence à des critères tirés de notions scientifiques telles que celle de « bioéquivalence démontrée par des études de biodisponibilité appropriées », son interprétation et sa mise en oeuvre pratique sont elles-mêmes indissociables de considérations de nature scientifique et impliquent une expertise de cette nature ; qu'en opposant les appréciations de caractère juridique, pour lesquelles l'Autorité disposerait d'une plénitude de compétence, et les appréciations de caractère scientifique, quand une telle distinction n'était pas de nature à justifier la compétence prétendue de l'Autorité de substituer sa propre appréciation du bien-fondé de l'argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l'AFSSAPS à l'appréciation que ce dernier en avait faite dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm, la cour d'appel a violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 de ce code et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, ensemble le principe d'indépendance des législations. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt rappelle que l'Autorité, qui peut être saisie de toute pratique susceptible de constituer une infraction aux règles de concurrence, quel que soit le secteur d'activité concerné, a le devoir, aux fins d'apprécier leur éventuel caractère anticoncurrentiel, de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique – qui diffère suivant le marché sur lequel les pratiques se déroulent – et factuel. Il en déduit que l'Autorité n'a pas outrepassé ses pouvoirs en déterminant, au préalable, le cadre juridique et factuel dans lequel s'inscrivait l'intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS, sans se considérer liée par l'analyse juridique que celle-ci, ou son directeur général, avaient pu suivre dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm, la question de savoir si, ce faisant, elle a fait une interprétation erronée des dispositions applicables ou une mauvaise appréciation du contexte factuel relevant de l'appréciation de la légalité interne de la décision attaquée. Il relève qu'en considérant que la décision de la Commission européenne avait définitivement tranché la question de la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, au sens tant du droit de l'Union que du droit français, l'Autorité ne s'est pas immiscée dans le fonctionnement de l'AFSSAPS, dès lors que cette appréciation, portée en 2017, dans la décision contestée, n'a en rien empiété sur le traitement du dossier des spécialités Ratiopharm par cette autorité ou son directeur général dans le courant de l'année 2008 ni sur les décisions qu'ils ont pu prendre, et que l'Autorité, qui n'était saisie d'aucun recours contre les décisions de l'AFSSAPS ou de son directeur général et n'aurait d'ailleurs pas été compétente pour en connaître, ne s'est pas prononcée sur la légalité de ces décisions. Il estime également que l'Autorité était fondée à rechercher si les comportements de la société Janssen-Cilag, qui commercialisait le Durogesic depuis plusieurs années, ne tendaient pas à préserver sa position sur le marché des spécialités à base de fentanyl et que le fait que l'AFSSAPS fût, sans conteste, compétente pour délivrer des AMM aux spécialités Ratiopharm, et son directeur général pour les inscrire dans le répertoire des groupes génériques, n'interdisait nullement à l'Autorité d'apprécier si la société Janssen-Cilag s'était efforcée, par des moyens étrangers à une concurrence par les mérites, d'empêcher ou retarder ces délivrance et inscription. Il relève enfin que l'Autorité ne s'est, à aucun moment, prononcée sur l'éventuel caractère anticoncurrentiel des décisions de l'AFSSAPS ou de son directeur général, de sorte que la question de savoir si ces décisions sont détachables de l'exercice de prérogatives de puissance publique excluant la compétence de l'Autorité ne se pose pas.

7. L'arrêt énonce ensuite que s'il résulte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) Hoffmann-Laroche C-179/16 du 23 janvier 2018 que la vérification de la conformité au droit de l'Union des conditions dans lesquelles un médicament est, du côté de la demande, prescrit par les médecins, et, du côté de l'offre, reconditionné en vue de son utilisation hors AMM, n'incombe pas aux autorités nationales de la concurrence, mais aux autorités ayant compétence pour contrôler le respect de la réglementation pharmaceutique, c'est parce qu'une telle vérification implique des appréciations complexes de nature scientifique. Il déduit qu'il n'en résulte pas l'impossibilité pour une autorité de concurrence d'établir le cadre juridique dans lequel se sont inscrites les pratiques sanctionnées.

8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que des appréciations scientifiques n'étaient pas requises, au cas d'espèce, pour analyser la réglementation juridique en cause et que l'Autorité ne s'était pas livrée à de telles appréciations, la cour d'appel, qui n'a méconnu ni les pouvoirs et attributions de l'AFSSAPS et de son directeur général, ni la séparation des pouvoirs, ni la jurisprudence de la CJUE sur les compétences respectives des autorités sanitaires et des autorités de concurrence, a, à bon droit, décidé que l'Autorité était compétente pour qualifier les comportements reprochés à la seule société Janssen-Cilag, au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce dont elle est chargée de vérifier le respect et, le cas échéant, de sanctionner les pratiques qui y sont contraires.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson font grief à l'arrêt de rejeter le moyen d'annulation de la décision de l'Autorité pris du défaut de notification des actes d'instruction au ministre chargé de la santé et, par voie de réformation de cette décision, de leur infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 21 millions d'euros, alors :

« 1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'après avoir constaté que la décision de l'Autorité avait été prise au terme d'une procédure irrégulière au regard des dispositions de l'article L. 463-2 du code de commerce, faute pour le rapporteur ou le rapporteur général adjoint d'avoir notifié le rapport au ministre chargé de la santé, la cour d'appel a relevé d'office le moyen de défense tiré de l'application de l'article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 et du principe dégagé par le Conseil d'Etat d'après lequel « un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie » (CE, Ass., 23 décembre 2011, [P], n° 335477), puis a considéré que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n'avait privé les parties poursuivies d'aucune garantie et n'avait pu avoir d'influence sur le sens de la décision dès lors que l'Autorité disposait d'ores et déjà de l'éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique à la suite de l'audition des agents de l'AFSSAPS et de l'ANSM, de sorte que l'absence d'avis du ministre de la santé n'avait pu, en l'espèce, la priver d'éléments de compréhension dudit cadre ni, par conséquent, avoir une incidence sur son interprétation ; qu'en s'abstenant de rouvrir les débats pour provoquer les explications contradictoires des parties sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu' en toute hypothèse, pour juger que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n'était pas susceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision de l'Autorité, la cour d'appel a relevé que les rapporteurs avaient procédé à l'audition du chef du pôle juridique à la direction juridique et réglementaires de l'ANSM, d'un évaluateur au pôle réglementaire à la même direction, du responsable du département de l'évaluation pharmaceutique de l'AFSSAPS, d'un évaluateur à la direction générique et d'un évaluateur pharmacocinétique à la direction de l'évaluation de l'ANSM, de sorte que l'Autorité disposait d'ores et déjà de l'éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique par les agents de l'AFSSAPS et de l'ANSM ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que l'AFSSAPS, ainsi que l'ANSM, qui lui a succédé, sont des établissements publics de l'Etat placés par l'article L. 5311-1 du code de la santé publique « sous la tutelle du ministre chargé de la santé », circonstance de droit dont il s'évinçait que les réponses que de simples agents de l'AFSSAPS et de l'ANSM avaient pu donner lors de leur audition par les services de l'instruction de l'Autorité ne pouvaient être tenues pour équipollentes à l'avis que le ministre chargé de la santé, autorité de tutelle de l'établissement dont relevaient ces agents, aurait lui-même pu donner s'il avait été mis en mesure de le faire par la communication du rapport, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé le texte susvisé, ensemble l'article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

3°/ qu'en jugeant que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n'était pas susceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision de l'Autorité dès lors que celle-ci disposait déjà d'ores et déjà, au travers des auditions de plusieurs agents de l'AFSSAPS et de l'ANSM, de l'éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique dans lequel s'étaient déroulées les interventions reprochées à la société Janssen-Cilag, cependant qu'elle constatait par ailleurs que, par une décision du 28 juillet 2008, le directeur général de l'AFSSAPS avait délivré au laboratoire Ratiopharm les AMM demandées, mais avait refusé en l'état l'identification du fentanyl Ratiopharm comme médicament générique et son inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu de l'absence de démonstration suffisante de l'identité de la quantité de substance active libérée dans l'organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm, circonstance dont il s'évinçait que le directeur général de l'AFSSAPS, supérieur hiérarchique des agents entendus par l'Autorité lors de son instruction, avait implicitement mais nécessairement considéré que l'AFSSAPS n'était pas, du fait de la décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007 en situation de compétence liée pour décider de l'inscription au répertoire des groupes génériques des dispositifs transdermiques à base de fentanyl du laboratoire Ratiopharm, ce qui ne rendait que d'autant plus nécessaire de mettre le ministre chargé de la santé en mesure de faire connaître sa propre doctrine, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a derechef violé l'article L. 5311-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

4°/ qu'enfin l'article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 et le principe dont il s'inspire d'après lequel « un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie » ne sont applicables au cas d'omission d'une procédure obligatoire qu'à la condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte (arrêt [P], précité) ; qu'en relevant que l'Autorité, en sa qualité d'autorité administrative indépendante, n'est pas liée par les avis que les ministres intéressés peuvent lui transmettre, pour en déduire que l'éventuel avis du ministre chargé de la santé n'aurait pas été susceptible de modifier le sens de la décision attaquée, la cour d'appel s'est déterminée par un motif impropre à justifier sa décision, privant sa décision de base légale au regard du texte et du principe susvisés. »

Réponse de la Cour

11. En premier lieu, après avoir estimé que le ministre chargé de la santé était un ministre intéressé au sens de l'article L. 463-2, alinéas 1 et 2, du code de commerce et que la procédure suivie était, faute qu'il ait été procédé à la notification, à ce ministre, du rapport établi par les services d'instruction, irrégulière, la cour d'appel, qui était saisie d'un moyen de légalité externe de la décision de l'Autorité faisant valoir que la sanction de ce défaut de notification était la nullité, sans indiquer de quel texte celle-ci résultait, a relevé qu'aucune disposition légale ou réglementaire du code de commerce ne précisait les conséquences de cette irrégularité, ce dont elle a déduit, à juste titre, qu'il lui appartenait de les déterminer elle-même.

12. La sanction du vice de procédure relevé étant donc dans le débat, c'est sans méconnaître le principe de la contradiction qu'ayant retenu que le défaut de notification du rapport s'analysait comme un manquement à une consultation obligatoire au sens de l'article 70 de la loi n° 211-525 du 27 mai 2011 alors applicable, elle a, faisant application des règles dégagées par l'arrêt du Conseil d'Etat du 23 décembre 2011 [P], req. N° 335477, recherché si l'omission de la formalité en cause avait été susceptible d'exercer une influence sur la décision prise.

13. En second lieu, l'arrêt retient que les auditions d'agents de l'AFSSAPS et de l'ANSM, auxquelles il avait été procédé au cours de l'instruction, avaient éclairé suffisamment l'Autorité sur le cadre juridique et scientifique dans lequel les pratiques en cause avaient été relevées, de sorte que l‘absence d'avis du ministre chargé de la santé n'a pu, en l'espèce, la priver d'éléments de compréhension de ce cadre ni avoir une incidence sur son interprétation.

14. En l'état de ces seules énonciations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, c'est souverainement que la cour d'appel a estimé que l'omission de la formalité requise n'avait pu avoir d'influence sur le sens de la décision de l'Autorité, ce dont elle a déduit qu'il n'y avait pas lieu de l'annuler.

15. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson font grief à l'arrêt de rejeter les moyens d'annulation de la décision de l'Autorité pris de ce que l'Autorité avait commis des erreurs de droit quant à la détermination du cadre réglementaire dans lequel s'était inscrite l'intervention du laboratoire Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS desquelles résultait une inexacte qualification de cette intervention comme « juridiquement infondée » et de leur infliger une sanction pécuniaire, alors :

« 1°/ qu'en vertu de l'article 168, § 7 du TFUE, « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des Etats membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux » et « les responsabilités des Etats membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées » ; que, par ailleurs, l'article 10 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version consolidée issue de la directive 2004/27/CE ne donne de la notion de « médicament générique », substituée à celle de « spécialité essentiellement similaire », une définition qui ne vaut qu'« aux fins du présent article », c'est-à-dire pour les seuls besoins de la détermination du contenu du dossier devant être remis aux autorités de santé en vue de l'obtention d'AMM, l'article 4 § 3 de la même directive précisant au surplus que les dispositions qu'elle renferme « n'affectent pas les compétences des autorités des Etats membres, ni en matière de fixation des prix des médicaments ni en ce qui concerne leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance maladie, sur la base de conditions sanitaires, économiques et sociales, notamment en matière de remboursement » ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que, d'une part, les Etats membres de l'Union européenne jouissent d'une compétence exclusive pour déterminer les conditions et les procédures par lesquelles un médicament peut se voir reconnaître la qualité de médicament générique au sens et pour l'application de leur législation interne de sécurité sociale autorisant la substitution par les pharmaciens de médicaments génériques aux médicaments de référence et que, d'autre part, la décision, même prise sur la base de la procédure abrégée réservée aux spécialités génériques au sens de l'article 10 de la directive susvisée, par laquelle la Commission enjoint, en vertu de l'article 34 § 3 de cette directive, aux Etats membres concernés par une procédure de reconnaissance mutuelle d'AMM, de délivrer des AMM, n'a d'autorité de la chose décidée que dans les limites de son objet et ne saurait placer les autorités nationales de santé en situation de compétence liée pour trancher la question, distincte, de l'attribution pour la spécialité pharmaceutique concernée du statut de médicament générique conditionnant le droit de substitution du pharmacien prévu par leur législation interne ; qu'en affirmant néanmoins que, dès lors que les spécialités Ratiopharm s'étaient vu reconnaître par une décision de la Commission du 23 octobre 2007 la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, le directeur général de l'AFSSAPS ne pouvait refuser de leur reconnaître la qualité de médicament générique au sens des articles L. 5121-1, 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique et de procéder à leur inscription au répertoire des groupes génériques ouvrant le droit de substitution des pharmaciens, la cour d'appel, qui a ainsi attribué à la décision de la Commission une autorité de chose décidée qui excédait son propre objet, en méconnaissance des règles de répartition des compétences entre les organes de l'Union et les Etats membres, a violé l'ensemble des dispositions susvisées ;

2°/ que les articles L. 5121-10, alinéa 3, et R. 5121-5 du code de la santé publique ne confèrent qu'à l'AFSSAPS et à son directeur général la compétence pour identifier une spécialité pharmaceutique comme un médicament générique au sens de l'article L. 5121-1, 5° du même code et inscrire cette spécialité au répertoire des groupes génériques, sous la condition, s'il y a lieu, d'une mise en garde ; qu'aucune autre disposition légale ou réglementaire ne vient faire échec à cette compétence exclusive de l'AFSSAPS et au pouvoir qu'elle implique d'apprécier si le médicament en cause a bien la même composition qualitative et quantitative en substances actives que le médicament de référence, a la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et fait la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence avec le médicament de référence ; qu'en relevant que l'article L. 5121-10, alinéa 3, du code de la santé publique n'avait pas subordonné l'inscription d'un médicament au répertoire des groupes génériques à d'autres conditions que la vérification de ce qu'il répond à la définition de la spécialité générique donnée à l'article L. 5121-1, 5° du même code et que ce dernier texte avait lui-même défini la spécialité générique en usant de critères similaires à ceux employés pour définir la notion de « générique » par l'article 10 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version issue de la directive 2004/27/CE, si bien qu'il serait « juridiquement incohérent », de la part du directeur général de l'AFSSAPS de dénier une qualification de médicament générique que la Commission européenne avait préalablement admise, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à fonder l'existence d'une compétence liée du directeur de l'AFSSAPS par l'effet d'une décision prise par la Commission européenne en vertu de l'article 34 § 3 de la directive précitée, dont ce dernier texte restreint la portée à la seule délivrance de l'AMM ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les articles L. 5121-10, alinéa 3, et R. 5121-5 du code de la santé publique, ensemble l'article L. 5121-1, 5° du même code ;

3°/ que l'article 10 de la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version modifiée par la directive 2004/27/CE, n'ayant donné de la notion de médicament générique, substituée à celle de spécialité essentiellement similaire, une définition fonctionnelle qui ne vaut qu'« aux fins du présent article », c'est-à-dire pour les seuls besoins de la détermination du contenu du dossier devant être remis aux autorités de santé en vue de l'obtention d'AMM, il n'existe aucune « incohérence juridique » à ce que l'appréciation, par le directeur de l'AFSSAPS, de la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence du médicament en cause avec le médicament de référence soit exercée moyennant un standard d'exigence plus élevé, dès lors qu'il ne s'agit plus à ce stade de vérifier si ce médicament peut être mis sur le marché, ce qui est définitivement acquis, mais de déterminer s'il peut, sans danger et sans perte d'efficacité, être à tout moment substitué au médicament de référence pour des patients en cours de traitement ; qu'en énonçant qu'un médicament ne peut à la fois être qualifié de médicament générique, au sens du droit de l'Union et se voir dénier la qualité de spécialité générique, au sens du droit national, cependant qu'il résultait de ses propres constatations qu'« ainsi que le démontre la présente espèce, le constat de la biodisponibilité [lire : bioéquivalence] entre deux spécialités n'épuise pas toutes les questions liées à la substituabilité de l'une par l'autre », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé derechef les articles L. 5121-10, alinéa 3, et L. 5121-1, 5° du code de la santé publique, ensemble l'article 10 de la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version modifiée par la directive 2004/27/CE. »

Réponse de la Cour

17. L'arrêt retient d'abord que le droit de l'Union se borne à prévoir la possibilité d'accorder une AMM à un médicament reconnu comme le générique d'un médicament de référence ou de reconnaître, dans le cadre d'une procédure de reconnaissance mutuelle, une AMM délivrée par un Etat membre suivant la procédure abrégée édictée pour les médicaments génériques. Il constate que les termes « médicament générique » et « spécialité générique » sont définis de façon identique à l'article 10 § 2, sous b), de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27 la modifiant, et à l'article L. 5121-1, 5° du code de la santé publique qui définit la spécialité générique d'une spécialité de référence comme « celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principe[s] actif[s], la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées », ce même article précisant, depuis 2000, que la spécialité de référence et les spécialités qui en sont génériques constituent un groupe générique. Il relève que cette définition commune de la spécialité ou du médicament générique repose sur une liste exhaustive de trois conditions : avoir la même composition qualitative et quantitative en substances actives que le médicament de référence, avoir la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et faire la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence avec le médicament de référence. Il en déduit que les notions scientifiques de « bioéquivalence » et de « biodisponibilité » ne sauraient recouvrer des concepts différents en droit de l'Union et en droit national. Il estime qu'il s'ensuit que les notions de médicament essentiellement similaire, au sens de la directive 2001/83, dans sa version antérieure à la directive 2004/27, de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, de spécialité essentiellement similaire, au sens du code de la santé publique, dans sa version antérieure à un décret du 6 mai 2008, et de spécialité générique, au sens du code de la santé publique, tant avant qu'après l'entrée en vigueur de ce décret, ont la même signification. Il en déduit qu'un médicament ne peut à la fois être qualifié de médicament générique, au sens du droit de l'Union, et se voir dénier la qualité de spécialité générique, au sens du droit national.

18. L'arrêt retient ensuite qu'il résulte de la lecture combinée des articles 10 et 28 à 34 de la directive 2001/83, modifiée par la directive 2004/27, qu'une procédure de reconnaissance mutuelle d'une AMM nationale délivrée à un médicament sur la base d'un dossier abrégé ne peut aboutir que si la qualité de générique d'un médicament de référence est reconnue à ce médicament, puisque la procédure abrégée est réservée aux médicaments génériques par l'article 10 de la même directive. Il relève qu'il est constant que les autorités allemandes ont, le 4 avril 2006, délivré des AMM aux spécialités Ratiopharm selon la procédure abrégée, en considérant qu'elles étaient des génériques des spécialités de Durogesic et que, sur la base de ces AMM, la société Ratiopharm a, le 6 juillet 2006, lancé une procédure de reconnaissance mutuelle, la France faisant partie des États membres concernés. Il observe que des désaccords sont apparus entre Etats membres portant notamment sur la question de savoir si la bioéquivalence des spécialités Ratiopharm avec les spécialités de Durogesic, médicaments de référence, était démontrée par des études appropriées de biodisponibilité, soit l'une des trois conditions exigées pour pouvoir qualifier un médicament de générique. Il observe encore qu'il résulte d'un avis du comité des médicaments à usage humain, qu'il cite, qu'a été examinée la question de savoir si les spécialités de Ratiopharm pouvaient être qualifiées de génériques des spécialités de Durogesic et qu'à l'issue d'une analyse scientifique, il a été conclu par l'affirmative. Il estime que, compte tenu de la date des travaux en cause, l'avis s'est référé à la définition du médicament générique figurant à l'article 10 § 2, sous b) de la directive 2001/83, dans sa rédaction résultant de la directive 2004/27. Il retient encore qu'il ne saurait être déduit de l'absence, dans la décision de la Commission européenne, du mot « générique » la preuve que les autorités de l'Union n'ont pas pris position sur la qualité de médicament générique des spécialités Ratiopharm et en déduit que ces spécialités se sont vu reconnaître, par une décision de la Commission, la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27. Il en déduit également que du fait de cette décision, la qualité de spécialité générique au sens des articles L. 5121-1, 5° du code de la santé publique, qui définit cette notion, et L. 5121-10 du même code, qui prévoit l'inscription au répertoire des groupes génériques des spécialités génériques dont la mise sur le marché a été autorisée, ne pouvait pas leur être déniée par les autorités nationales.

19. L'arrêt relève en outre qu'en droit de l'Union, la qualification de générique n'emporte aucune conséquence quant à la possibilité,- ou à l'obligation -, de substitution d'un générique au médicament de référence par les pharmaciens, seul le droit national de chaque Etat membre étant susceptible de prévoir un tel mécanisme de substitution, et, le cas échéant, de le rendre facultatif ou obligatoire, et retient que si, compte tenu de la décision de la Commission, l'AFSSAPS avait une compétence liée en ce qui concerne l'octroi d'une AMM aux spécialités Ratiopharm, la délivrance de ces autorisations, par décision du 28 juillet 2008, a suffi pour qu'elle respecte, à son niveau, les obligations de la France à l'égard de l'Union européenne. Il en déduit que l'éventuelle obligation d'inscrire les spécialités Ratiopharm dans le répertoire des groupes génériques ne pouvait découler que de l'article L. 5121-10, alinéa 3, du code de la santé publique. Il rappelle que l'article L. 5121-1, 5° de ce code définit la spécialité générique d'une spécialité de référence comme « celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principe[s] actif[s], la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées », et que ce même article précise, également depuis 2000, que la spécialité de référence et les spécialités qui en sont génériques constituent un groupe générique. Il relève que l'article L. 5121-10, alinéas 2 et 3, dans sa version résultant de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004, dispose que « Lorsque l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a délivré une autorisation de mise sur le marché d'une spécialité générique, elle en informe le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence.

Le directeur général de l'agence procède à l'inscription de la spécialité générique dans le répertoire des groupes génériques au terme d'un délai de soixante jours, après avoir informé de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché de celle-ci le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence. [...] ». Il relève que l'alinéa 1er de l'article L. 5125-23 du même code, dans sa version résultant de la loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002, dispose que « [l]e pharmacien ne peut délivrer un médicament ou produit autre que celui qui a été prescrit, ou ayant une dénomination commune différente de la dénomination commune prescrite, qu'avec l'accord exprès et préalable du prescripteur, sauf en cas d'urgence et dans l'intérêt du patient ». Il retient enfin que s'il eût été loisible au législateur français d'exiger, pour que soit autorisée une telle substitution, des conditions plus strictes que celles requises pour pouvoir qualifier une spécialité de générique, il ressort de l'article L. 5121-10, alinéa 3, du code de la santé publique qu'il faut et il suffit qu'un médicament réponde à la définition de spécialité générique figurant à l'article L. 5121-1,5° du même code pour pouvoir être inscrit dans le répertoire des groupes génériques.

20. En l'état de ces seules énonciations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, la cour d'appel, qui n'a méconnu aucun des principes ni textes invoqués par le moyen, mais a au contraire mis en oeuvre, conformément au principe d'effectivité du droit de l'Union, une interprétation des textes nationaux à la lumière de ce dernier propre à garantir la cohérence de l'ensemble des législations en cause, a statué à bon droit.

21. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

22. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson font grief à l'arrêt de rejeter les moyens d'annulation de la décision de l'Autorité pris de l'absence de réunion des conditions requises pour qu'une intervention auprès d'une autorité publique constitue un abus de position dominante ainsi que de la légitimité de l'intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS et de leur infliger une sanction pécuniaire, alors :

« 1°/ que le simple fait, de la part d'une entreprise en position dominante, de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d'informations factuelles trompeuses, une argumentation juridique contraire au droit positif existant ou supposé tel à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même les mérites ne relève que de l'exercice normal de la liberté fondamentale d'expression qui doit gouverner le dialogue entre les entreprises et les administrations dont elles relèvent et ne saurait être regardé comme un abus au sens des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ; qu'en affirmant néanmoins que le fait pour une entreprise dominante de soutenir devant une autorité administrative une analyse juridique dont la fausseté ressort déjà de l'état du droit est susceptible de constituer un abus de position dominante et ne relève pas de l'exercice légitime des libertés fondamentales précitées, dès lors qu'il s'avère que le débat ainsi ouvert devant ladite autorité est susceptible d'entraver le libre jeu de la concurrence, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, ensemble les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 11 et 13 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2°/ que, outre, le simple fait, de la part d'une entreprise en position dominante, de « soulever » un débat juridiquement infondé devant une autorité administrative pleinement compétente pour se livrer à une appréciation indépendante de ses mérites ne saurait par lui-même produire un effet anticoncurrentiel ; qu'en effet, si l'autorité administrative ne fait pas droit à cette argumentation, l'effet anticoncurrentiel ne se produit pas et, dans le cas contraire, c'est la décision administrative qui en reconnaît le bien-fondé qui fait obstacle à la qualification d'abus de position dominante, car c'est d'elle seule que procède l'éventuel effet restrictif de concurrence sur le marché ; qu'en jugeant néanmoins que c'est le fait même pour la société Janssen-Cilag d'avoir « soulevé » un débat juridiquement infondé devant le directeur de l'AFSSAPS qui était de nature à produire un effet anticoncurrentiel, compte tenu de l'aversion au risque des personnes chargées d'élaborer les décisions de l'AFSSAPS et de la tendance au ralentissement du processus décisionnel qui pouvait s'ensuivre, cependant qu'il ne relevait que de la responsabilité propre de cette autorité administrative de consacrer le temps et les moyens adéquats pour examiner les arguments soutenus, fussent-ils infondés, la cour d'appel, qui n'a par ailleurs constaté aucune manoeuvre déloyale imputable à la société Janssen-Cilag dans le cadre de sa communication avec cette autorité administrative, a violé de plus fort les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

3°/ que si l'exercice par une entreprise en position dominante de voies contentieuses ne peut, dans une société démocratique, être qualifié d'abus au sens des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce que « dans des circonstances tout-à-fait exceptionnelles » (TUE, 17 juillet 1998, T-111/96, ITT Promedia) et aux conditions cumulatives de caractériser l'absence « manifeste » de tout fondement juridique des prétentions soutenues et leur insertion dans un plan d'ensemble visant à éliminer la concurrence (TUE, 13 septembre 2012, T-119/09, Protégé International, §. 57), ces conditions ne sauraient a fortiori être moindres lorsqu'il s'agit de rechercher si l'intervention d'une entreprise dominante devant une autorité administrative a pu revêtir le caractère d'un abus ; qu'en énonçant que « ne relève pas de l'exercice légitime de [la] liberté [d'expression], le fait pour une entreprise [en position dominante] d'intervenir dans le processus décisionnel d'une autorité publique en soulevant devant celle-ci une analyse juridique dont elle sait, ou doit savoir, qu'elle est contraire à l'interprétation constante des textes applicables » et en se contentant de citer une seule décision du Conseil d'Etat, elle-même impropre à établir l'existence d'une « jurisprudence constante », pour en déduire que la société Janssen-Cilag ne pouvait pas soutenir de façon juridiquement erronée que l'AFSSAPS aurait eu le pouvoir d'apprécier si les spécialités Ratiopharm devaient être identifiées comme médicaments génériques aux fins d'exercice du droit de substitution, quand il lui appartenait de caractériser l'absence manifeste de tout fondement de cette position et son insertion dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

4°/ que dans son arrêt Reckitt-Benkiser du 21 décembre 2007, le Conseil d'Etat avait jugé que lorsque le directeur général de l'AFSSAPS a pris une première décision par laquelle il a délivré une AMM à un médicament en l'identifiant comme un médicament générique et que cette décision est devenue définitive par l'expiration du délai de recours gracieux ou contentieux, les tiers ne sont plus fondés à contester cette qualification de médicament générique à l'appui d'un recours contentieux dirigé contre la décision subséquente d'inscription de ce médicament au répertoire des génériques ; que cet arrêt, rendu sur une configuration factuelle dans laquelle il n'apparaissait pas que la Commission fût intervenue de quelque manière dans la procédure d'AMM, ne permettait pas de fonder avec évidence la position consistant à affirmer qu'au cas d'espèce, la décision du 23 octobre 2007 par laquelle la Commission avait enjoint aux Etats membres concernés de délivrer des AMM aux spécialités Ratiopharm aurait placé l'AFSSAPS en situation de compétence liée pour trancher de la question, distincte, de l'attribution pour les spécialités pharmaceutiques concernées du statut de médicament générique conditionnant le droit de substitution du pharmacien prévu par la législation interne et ne pouvait en toute hypothèse caractériser l'existence d'une « jurisprudence constante » en ce sens ; qu'en se fondant néanmoins sur cette unique décision du Conseil d'Etat, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser « l'interprétation » prétendument « constante des textes applicables » qui aurait, selon elle, établi l'évidence d'un défaut de pouvoir du directeur général de l'AFSSAPS pour se prononcer sur la qualification de médicament générique des spécialités Ratiopharm, et a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

5°/ que la circonstance que l'autorité administrative compétente a d'abord reconnu le bien-fondé de l'argumentation juridique qui lui était soumise en édictant une première décision dans le sens souhaité suffit par elle-même à exclure la qualification d'abus de position dominante, en tant qu'elle atteste de ce que l'absence de fondement de cette argumentation juridique n'était pas manifeste ; que l'arrêt attaqué a lui-même constaté que le directeur général de l'AFSSAPS avait édicté le 28 juillet une première décision par laquelle il avait délivré aux spécialités Ratiopharm les AMM demandées, mais refusé en l'état leur identification comme médicaments génériques en vue de leur inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu, était-il précisé, de l'absence de démonstration suffisante de l'identité de la quantité de substance active libérée dans l'organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm ; qu'il s'évinçait ainsi des termes de cette décision que le directeur général de l'AFSSAPS avait nécessairement considéré qu'il disposait bien du pouvoir d'appréciation que la société Janssen-Cilag l'avait invité à exercer ; qu'en jugeant néanmoins, pour retenir l'existence d'un abus de position dominante, que dès l'instant où les requérantes reconnaissaient que des AMM devaient être délivrées aux spécialités Ratiopharm à l'issue d'une procédure abrégée dans laquelle leur qualité de générique de Durogesic avait été constatée par la Commission, elles ne pouvaient pas soutenir, sans méconnaître les articles L. 5121-1, 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique, que lesdites spécialités ne devaient pas être inscrites au répertoire des groupes génériques et ne pouvaient donc ignorer – et en tout cas n'aurait pas dû ignorer – que le débat qu'elles ouvraient devant l'AFSSAPS quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm reposait sur une analyse juridique qui ne pouvait plus être soutenue, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

6°/ que l'infraction d'abus de position dominante doit, en toute hypothèse, être écartée lorsqu'un comportement d'éviction peut être considéré comme objectivement nécessaire pour des raisons touchant à la santé ou à la sécurité qui sont liées à la nature du produit considéré ; que cette condition de nécessité objective doit s'apprécier en se plaçant à la date des faits incriminés ; qu'en l'espèce, la société Janssen-Cilag faisait valoir que l'intervention de son pharmacien responsable auprès de l'AFSSAPS avait indéniablement servi la protection de la santé publique dès lors que les informations scientifiques qui avaient été communiquées à cette autorité avaient déterminé celle-ci à publier une mise en garde informant les professionnels de santé de l'impérieuse nécessité d'une surveillance médicale attentive des patients en cours de traitement en cas de changement de spécialité à base de fentanyl ; qu'après avoir elle-même relevé que l'Autorité ne contestait pas le droit, voire le devoir, qu'avait le pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag de porter à la connaissance de l'AFSSAPS les préoccupations de santé publique que faisait naître, selon lui, la substitution de génériques aux spécialités de Durogesic et également constaté que l'intervention de cette société était légitime en tant qu'elle avait transmis à l'AFSSAPS ses préoccupations de santé publique liées à la substitution entre dispositifs transdermiques de fentanyl en cours de traitement, la cour d'appel a néanmoins jugé que l'ouverture devant cette autorité de santé d'un débat quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm n'était pas objectivement nécessaire et proportionnée à un objectif de protection de la santé publique, dès lors que l'AFSSAPS « considérait » elle-même « qu'elle pouvait encadrer la substitution d'un médicament princeps par son générique » et n'était donc pas confrontée à une alternative entre reconnaître la qualité de générique et autoriser une substitution sans limite, ou dénier la qualité de générique et interdire toute substitution ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant qu'elle relevait que le pouvoir de l'AFSSAPS d'assortir l'inscription d'un médicament au répertoire des groupes génériques d'une mise en garde n'avait été introduit dans l'ordre juridique qu'avec le décret du 6 mai 2008, lui-même postérieur à l'intervention du pharmacien responsable de Janssen-Cilag, et que ce pouvoir n'avait jamais été concrètement exercé auparavant même si l'AFSSAPS avait envisagé de se l'arroger, ce dont il résultait que l'état du droit demeurait à tout le moins incertain à l'époque des faits, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

23. Après avoir rappelé qu'est susceptible de constituer un abus le fait, pour une entreprise, de soutenir une analyse juridique dont la fausseté ressort déjà de l'état du droit, l'arrêt énonce que, si une entreprise en position dominante a droit au respect de sa liberté d'expression et doit pouvoir proposer à une autorité publique une analyse juridique dans un contexte où l'interprétation des textes légaux et réglementaires est encore incertaine, ne relève pas de l'usage légitime de cette liberté, l'intervention, par une entreprise en position dominante, dans le processus décisionnel d'une autorité publique, consistant à soulever, devant celle-ci, une analyse juridique dont elle sait ou devait savoir qu'elle est contraire à l'interprétation des textes applicables, lorsque le débat ainsi ouvert devant l'autorité concernée est susceptible d'entraver le libre jeu de la concurrence sur le marché dominé. Il relève que le retard de l'inscription des spécialités de la société Ratiopharm au répertoire des groupes génériques repoussait d'autant la mise en oeuvre du droit de substitution, lequel constitue l'un des principaux facteurs de la conquête de parts de marché par les fabricants de génériques. Il relève également que toute contestation devant une autorité sanitaire, en raison de la responsabilité d'une telle autorité, dans le contexte d'une judiciarisation certaine des questions de santé, conduit quasi-inéluctablement à un ralentissement du processus décisionnel, ce qu'aucun laboratoire pharmaceutique ne peut ignorer. Il en déduit qu'au cas d'espèce, c'est le fait même de soulever un débat juridiquement infondé qui était de nature à produire un effet anticoncurrentiel.

24. L'arrêt rappelle ensuite qu'il est établi depuis un arrêt du 21 décembre 2007 du Conseil d'Etat, Reckitt Benckiser, que les articles L. 5121-1, 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique doivent être interprétés en ce sens que, lorsque la décision délivrant l'AMM d'un générique est devenue définitive, ne peuvent plus être invoqués, à l'appui d'une contestation de la décision d'inscription au répertoire des groupes génériques de ce médicament, des moyens tirés de ce que celle-ci serait illégale au motif que les conditions posées à cette identification ne seraient pas satisfaites, ces moyens remettant nécessairement en cause la légalité de la décision d'AMM. Il relève que dès l'instant où la société Janssen-Cilag et la société Johnson & Johnson reconnaissent que des AMM avaient été délivrées aux spécialités de la société Ratiopharm à l'issue d'une procédure abrégée dans laquelle leur qualité de générique de Durogesic avait été constatée par la Commission, elles ne peuvent pas soutenir, sans méconnaître ces mêmes articles, que ces spécialités ne pouvaient pas être inscrites au répertoire des groupes génériques. Il en déduit qu'elles ne pouvaient pas ignorer ou n'auraient pas dû ignorer que le débat qu'elles ouvraient devant l'AFFSSAPS, quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, reposait sur une analyse juridique qui ne pouvait plus être soutenue.

25. L'arrêt relève en outre qu'il résulte d'un document intitulé « Plan produit pour 2007 », établi par la société Janssen-Cilag, que ses auteurs craignaient l'arrivée sur le marché de génériques de Durogesic dès 2007 et qu'ils savaient qu'une intervention était seulement susceptible de retarder, mais en aucun cas d'empêcher, la délivrance d'une AMM et que le projet d'obtenir le report du lancement est formalisé dans un document de stratégie commerciale qui ne fait mention d'aucun argument scientifique permettant de justifier un tel report, ce dont il déduit que le choix d'intervenir pour retarder le lancement des génériques de Durogesic est le fruit d'une approche commerciale déconnectée de toute considération de santé publique. Ayant ensuite relevé que seule une intervention auprès de l'AFSSAPS était de nature à parvenir au report souhaité, il observe que ce plan est antérieur de deux ans seulement à l'intervention incriminée. Il estime que la société Janssen-Cilag savait que les AMM avaient été délivrées à la société Ratiopham sur la base d'une procédure allégée au cours de laquelle leur qualité de générique de Durogesic avait été reconnue par les autorités allemandes et qu'ayant suivi la procédure de reconnaissance mutuelle, elle ne pouvait ignorer que la décision de la Commission européenne, qui imposait notamment aux autorités françaises de reconnaître les AMM allemandes, avait, à son tour, reconnu la qualité de générique de Durogesic des spécialités Ratiopham. Il en déduit qu'examinées à la lumière du plan produit pour 2007, ces circonstances permettent de conclure que la société Janssen-Cilag avait conscience du caractère injustifié du débat soulevé devant l'AFSSAPS et que son intervention constitue la mise en oeuvre du volet de ce plan relatif au report du lancement des génériques de Durogesic.

26. L'arrêt retient enfin qu'il était parfaitement possible que la société Janssen-Cilag échangeât avec l'AFSSAPS sur les risques liés à la substitution entre princeps et génériques qu'elle avait identifiés, sans remettre en cause la qualité de générique des spécialités Ratiopharm. Il retient également que si la possibilité d'accompagner la substitution en pharmacie par une mise en garde inscrite au répertoire des groupes génériques a été formellement introduite dans l'ordre juridique par la création de l'article R. 5121-5 du code de la santé publique par le décret n° 2008-435 du 6 mai 2008, l'AFSSAPS se reconnaissait déjà le pouvoir, avant cette date, d'encadrer la substitution au travers de messages à destination des professionnels de santé. Il en déduit que, dès avant l'entrée en vigueur de ce dernier texte, l'AFSSAPS n'était pas confrontée à une alternative entre reconnaître la qualité de générique et autoriser la substitution sans limite, ou dénier la qualité de générique et interdire toute substitution, mais pouvait choisir d'encadrer la substitution entre un médicament princeps et ses génériques.

27. En l'état de ces énonciations et appréciations, faisant ressortir que le comportement en cause ne s'insérait pas dans un débat d'intérêt général relatif aux conséquences sanitaires de l'entrée sur le marché d'un nouveau médicament mais dans une stratégie visant à retarder le développement sur le marché de produits concurrents et dont la mise en oeuvre, dans les circonstances propres au contexte dont elle a relevé les caractéristiques, pouvait, à lui seul, produire cet effet anticoncurrentiel, peu important la capacité décisionnaire exclusive de l'autorité de santé, cependant que l'état du droit devant être connu par l'opérateur dominant résultait d'un arrêt du Conseil d'Etat, aurait-il été unique, qui établissait les conséquences de plein droit, en matière d'inscription sur le répertoire des médicaments génériques, d'une AMM d'un médicament générique, peu important qu'elle fût intervenue sur la seule initiative de l'autorité nationale et non en exécution d'une décision de la Commission européenne, la loi ainsi interprétée ne faisant aucune distinction sur cet effet en fonction de la nature de l'autorité ayant pris une telle décision, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu le principe de la libre recherche scientifique et n'a pas porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit à la liberté d'expression de la société Janssen-Cilag au regard de la nécessité de préserver l'ordre public concurrentiel, lequel garantit le droit des entreprises à une concurrence non faussée, également protégé par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme (voir, mutadis mutandis, Ashby Donald et autres c. France, n° 36769/08, §§ 39-45, 10 février 2013), a, à bon droit, retenu que le comportement de cette société, qui ne s'était pas limitée à faire des préconisations scientifiques sur les modalités de substitution des génériques au princeps, ce qu'elle était en droit de faire, et peu important que le directeur général de l'AFSSAPS ait, dans l'attente d'informations complémentaires, réservé sa décision sur l'inscription des spécialités concernées sur le répertoire des génériques, était, en raison de sa responsabilité particulière née de sa position dominante sur le marché en cause, constitutif d'un abus de cette position.

28. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Et sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

29. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson &Johnson font grief à l'arrêt de leur infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 21 millions d'euros, alors :

« 1°/ que porte atteinte aux principe de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique l'infliction d'une sanction fondée sur l'application rétroactive d'une interprétation jurisprudentielle nouvelle des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce conduisant à regarder désormais comme un abus de position dominante un comportement dont la pratique décisionnelle de l'Autorité de concurrence de l'Union pouvait raisonnablement laisser supposer, à l'époque de sa commission, qu'il ne tombait pas sous le coup de la prohibition édictée par ces textes ; qu'à l'époque des faits litigieux, seule la décision AstraZeneca de la Commission en date du 15 juin 2005 s'était prononcée sur le point de savoir si les interventions d'un laboratoire pharmaceutique auprès d'une autorité administrative nationale pouvaient tomber sous le coup de la prohibition des abus de position dominante et qu'au titre du premier abus relevé, la Commission s'était déterminée en considération de ce que le laboratoire pharmaceutique avait soumis à l'autorité administrative en charge des brevets des informations factuelles inexactes et trompeuses en vue d'obtenir des décisions indues d'extension de la durée de ses droits de propriété industrielle, tandis qu'au titre du second, la Commission avait sanctionné le comportement d'un laboratoire ayant consisté à soumettre à des autorités de santé, qui ne disposaient d'aucune marge de manoeuvre pour refuser d'y faire droit, des demandes de radiation de ses propres AMM dans l'unique dessein d'entraver l'arrivée sur le marché de médicaments génériques ; que dans sa décision, la Commission avait expressément relevé, pour condamner cette seconde pratique, qu'« il convient de rappeler que les demandes d'AZ aux autorités publiques de radier les autorisations de marché ne sont pas des demandes adressées dans le cadre d'un processus ouvertement politique ou une tentative d'influencer les décisions prises dans un domaine où ces autorités disposent d'une marge de manoeuvre, ou en général pour recevoir un examen indépendant du bien-fondé de la requête.

En l'espèce, les autorités nationales concernées ont considéré, comme le souhaitait AZ, qu'elles n'avaient pas le pouvoir discrétionnaire de maintenir l'autorisation de mise sur le marché lorsque leur retrait était demandé. Dans ces conditions, l'effet anticoncurrentiel qui en résultera ne résultera pas d'un contrôle indépendant du bien-fondé de la requête, mais plutôt de l'effet automatique (ou quasi automatique) d'une demande privée, présentée sous la forme d'un exercice d'un droit spécifique » (Décision n° C(2005)1757 du 15 juin 2005, affaire COMP/A.37.507/F3, AstraZeneca) ; qu'en se fondant sur cette décision de la Commission, pour considérer que la société Janssen-Cilag s'en trouvait nécessairement avertie que ses interventions dans le processus décisionnel d'une autorité publique pourraient, en fonction des circonstances de l'espèce, être qualifiées d'abus de position dominante, dès lors qu'elles seraient susceptibles de retarder la concurrence exercée par des médicaments générique, cependant qu'il ressortait clairement des motifs de la décision de la Commission que, par contraste avec le comportement d'AstraZeneca, le simple fait pour un laboratoire pharmaceutique de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d'informations factuelles trompeuses, une demande ou une prétention à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même le bien-fondé et exercer ainsi un contrôle indépendant ne pourrait se voir attribuer un effet anticoncurrentiel, la cour d'appel a violé les principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique, ensemble les articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2°/ qu'en affirmant que la sanction infligée à la société Janssen-Cilag n'était pas fondée sur une interprétation nouvelle des dispositions servant de fondement aux poursuites, cependant, d'une part, que les seules décisions des juridictions de l'Union ayant sanctionné l'émission d'une prétention juridiquement infondée par une entreprise en position dominante avaient été rendues dans le cadre de l'exercice abusif d'actions en justice et avaient subordonné la qualification d'abus de position dominante à la double condition de caractériser l'absence « manifeste » de tout fondement juridique des prétentions soutenues et leur insertion dans un plan d'ensemble visant à éliminer la concurrence (TUE, 17 juillet 1998, T-111/96, ITT Promedia ; TUE, 13 septembre 2012, T-119/09, Protégé International) et, d'autre part, que la Présidente de l'Autorité avait elle-même jugé bon de communiquer la décision de sanction prise à l'encontre de la société Janssen-Cilag au syndicat pharmaceutique Les Entreprises du Médicament (LEEM) en précisant, par un courrier du 20 février 2018, que « l'Autorité a, pour la première fois, sanctionné un laboratoire en raison de son intervention juridiquement infondée », la cour d'appel a derechef violé les principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique, ensemble les articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

3°/ qu'en matière d'infractions de concurrence, le principe de proportionnalité des peines commande de tenir compte du caractère plus ou moins évident de la règle violée afin d'adapter la sanction au degré de conscience que l'entreprise pouvait avoir d'agir en infraction avec les règles de concurrence (CE, 15 avril 2016, n° 375.658, Sté Copagef) ; qu'en rejetant la demande subsidiaire de la société Janssen-Cilag tendant à la réduction de la sanction prononcée à son encontre à raison de l'absence de précédent ayant sanctionné un laboratoire du fait de la présentation d'arguments juridiquement infondés à une autorité administrative, au motif que cette société devait s'estimer suffisamment avertie par la décision AstraZeneca du 15 juin 2005 que ses interventions dans le processus décisionnel d'une autorité publique pourraient, en fonction des circonstances de l'espèce, être qualifiées d'abus de position dominante, cependant que rien dans cette décision ne pouvait laisser supposer que le fait pour un laboratoire pharmaceutique de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d'informations factuelles trompeuses, une demande ou une prétention à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même le bien-fondé pourrait être qualifié d'abus de position dominante, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce ;

4°/ que la société Janssen-Cilag faisait valoir que l'intervention de son pharmacien responsable auprès de l'AFSSAPS avait été, non seulement légitime, mais surtout directement utile à la collectivité en tant qu'elle avait permis de révéler à l'autorité de santé publique certains risques graves attachés à une substitution sans surveillance médicale suffisante des dispositifs transdermiques à base de fentanyl et avait mis celle-ci en mesure d'émettre une mise en garde à destination des professionnels de santé, de sorte qu'il devait à tout le moins en être tenu compte en tant que circonstance atténuante ; que, pour refuser de tenir compte de l'utilité de cette intervention du pharmacien responsable comme circonstance atténuante, la cour d'appel retient qu'en réduisant de 15 % à 13 % le pourcentage de la valeur des ventes permettant de calculer le montant de base de la sanction, elle a déjà tenu compte du fait qu'il est seulement reproché à cette société d'avoir soulevé devant l'AFSSAPS un débat infondé sur la qualité de générique des spécialités Ratiopharm et de ce que la procédure d'inscription de ces spécialités au répertoire des groupes génériques a aussi été ralentie par la communication légitime relative aux risques liées à la substitution en cours de traitement, de sorte que « rien ne justifie d'accorder, pour ce même motif, une réduction de la sanction à titre de circonstance atténuante » ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant que la réformation de la décision à laquelle elle s'est livrée avait seulement pour but de tirer les conséquences du fait que l'Autorité s'était méprise sur le sens et la portée de l'intervention de la société Janssen-Cilag lorsqu'elle avait considéré que cette intervention avait pour objet de remettre en cause la délivrance d'AMM aux spécialités Ratiopharm, ce qui l'avait conduite à surestimer la gravité des faits et le dommage causé à l'économie, de sorte qu'elle ne pouvait faire double-emploi avec la demande qui lui était faite de prendre en compte l'utilité de l'intervention du pharmacien responsable pour la collectivité en tant que circonstance atténuante, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

30. L'arrêt énonce d'abord que le caractère inédit d'une pratique n'implique pas nécessairement que sa qualification d'abus de position dominante et sa sanction reposent sur une nouvelle interprétation, rétroactive, des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. Il retient qu'il est constant, depuis la décision de la Commission du 15 juin 2005 relative aux pratiques mises en oeuvre par la société AstraZeneca, que l'intervention d'une entreprise en position dominante dans le processus décisionnel d'une autorité publique est susceptible de constituer un abus de position dominante et qu'étant relative au secteur des médicaments, cette décision était nécessairement connue de la société Janssen-Cilag. Il retient également qu'une décision du Conseil de la concurrence du 3 novembre 2005 avait qualifié d'abus de position dominante le fait, pour un opérateur économique dans cette situation, d'être intervenu auprès d'une autorité publique afin qu'elle refuse un projet de convention qu'un concurrent négociait avec l'un de ses clients, sans qu'il lui ait été reproché d'avoir communiqué des informations erronées, mais seulement d'avoir exercé des pressions sur les autorités de tutelle de son concurrent. Il en déduit que toute entreprise en position dominante est avertie que son intervention dans le processus décisionnel d'une autorité publique peut, en fonction des circonstances de l'espèce, être qualifiée d'abus de position dominante et que la condamnation intervenue n'est pas fondée sur une nouvelle interprétation des dispositions servant de fondement aux poursuites. Il relève ensuite que, s'agissant du dénigrement des produits d'un concurrent, il est de pratique décisionnelle et de jurisprudence constantes que ce comportement mis en oeuvre par une entreprise en position dominante est susceptible d'être qualifié d'abus de cette position. Il retient encore qu'un laboratoire pharmaceutique, détenteur d'un médicament princeps sur le marché duquel il occupe une position dominante, qui rouvre, devant une autorité incompétente pour en connaître, un débat définitivement clos quant à la qualité de génériques des produits concurrents, mais dont il sait qu'il va retarder la concurrence de son princeps par ces spécialités, est nécessairement conscient qu'il emploie des moyens étrangers à une concurrence par les mérites et qu'il commet un abus de position dominante.

31. L'arrêt retient ensuite que dès lors qu'a déjà été prise en considération, au stade de l'appréciation des conséquences conjoncturelles et structurelles du comportement de la société Janssen-Cilag, la circonstance que la procédure d'inscription a été aussi ralentie par la communication, légitime, relative aux risques liés à la substitution en cours de traitement, de sorte que le montant de base de la sanction, fixé en considération de la gravité des faits et du dommage à l'économie, devait être réduit par rapport à celui fixé par l'Autorité, il n'y a pas lieu au surplus de considérer que l'intervention, en partie légitime, de la société Janssen-Cilag auprès de l'AFSSAPS caractérise une circonstance atténuante.

32. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la prohibition des comportements litigieux était accessible et raisonnablement prévisible pour un opérateur tel que la société Janssen-Cilag, c'est à bon droit et sans méconnaître l'objet du litige, ni aucun des principes ni textes invoqués par le moyen, et en faisant application des critères d'infliction de la sanction défini par l'article L. 464-2 du code de commerce que la cour d'appel a retenu que le caractère inédit d'une pratique anticoncurrentielle dont les diverses manifestations possibles, compte tenu de leur variété et complexité, ne sont pas énumérées de façon exhaustive ni dans le droit de l'Union, ni dans le droit interne, n'empêche pas sa sanction.

33. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Champalaune - Avocat général : Mme Beaudonnet - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; article L. 420-2 du code de commerce ; article L. 463-2, alinéa 2, du code de commerce ; article 10, § 2, sous b), de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, dans sa version résultant de la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 la modifiant ; articles L. 5121-1, 5°, et L. 5121-10 du code de la santé publique ; article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; article L. 420-2 du code de commerce ; articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; articles L. 420-2 et L. 464-2 du code de commerce.

1re Civ., 15 juin 2022, n° 21-16.513, (B), FS

Rejet

Article 6, § 1 – Equité – Exigences – Matière disciplinaire – Droits de la défense – Exclusion – Officiers publics et ministériels – Suspension provisoire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 mars 2021), le 20 juillet 2020, la chambre régionale de discipline des huissiers de justice du ressort de la cour d'appel de Douai a assigné en référé M. [E], huissier de justice, devant le président du tribunal judiciaire afin que soit prononcée sa suspension provisoire en application de l'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. [E] fait grief à l'arrêt de prononcer sa suspension provisoire et de commettre MM. [I] et [V] en qualité d'administrateurs pour le remplacer dans ses fonctions, alors « que l'exigence d'un procès équitable commande que l'officier public dont la suspension provisoire est sollicitée, ou son avocat, soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier ; qu'en ce qu'il ne constate pas que l'avocat de M. [E], huissier de justice, a pu avoir la parole en dernier, l'arrêt ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, de sorte qu'il est dépourvu de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

4. L'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels dispose :

« Tout officier public ou ministériel qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire peut se voir suspendre provisoirement l'exercice de ses fonctions.

En cas d'urgence, la suspension provisoire peut être prononcée, même avant l'exercice des poursuites pénales ou disciplinaires, si des inscriptions ou vérifications ont laissé apparaître des risques pour les fonds, effets ou valeurs qui sont confiés à l'officier public ou ministériel à raison de ses fonctions. »

5. Selon l'article 35 de l'ordonnance précitée, le tribunal judiciaire peut, à tout moment, à la requête soit du procureur de la République, soit de l'officier public ou ministériel, mettre fin à la suspension provisoire. Celle-ci cesse de plein droit dès que les actions pénale et disciplinaire sont éteintes et, dans le cas prévu au dernier alinéa de l'article 32 précité, si, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de son prononcé, aucune poursuite pénale ou disciplinaire n'a été engagée.

6. Il ressort de ces textes que cette suspension provisoire n'est pas une sanction, mais une mesure de sûreté conservatoire, d'une durée limitée à celle des actions pénale ou disciplinaire engagées.

7. Il s'en déduit que l'exigence d'un procès équitable, issue de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'implique pas le droit pour la personne contre qui il est demandé le prononcé d'une telle mesure, ou son avocat, d'avoir la parole le dernier avant la clôture des débats.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Kloda - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2e Civ., 9 juin 2022, n° 20-22.588, (B), FS

Annulation sans renvoi

Article 6, § 1 – Equité – Procès équitable – Violation – Revirement de jurisprudence – Défaut de prévisibilité – Appel civil

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 7 octobre 2020), Mme [L] a relevé appel, le 28 juillet 2017, d'un jugement rendu par un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à la société Taxis Mario.

2. La société Taxis Mario a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté l'incident de caducité qu'elle avait soulevé, tiré de ce que le dispositif des premières conclusions de l'appelante ne contenait aucune demande d'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, de sorte qu'elles ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article 908 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

3. Mme [L] fait grief à l'arrêt de déclarer caduc l'appel du 28 juillet 2017, alors « qu'aux termes de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; qu'il résulte d'un arrêt du 17 septembre 2020 de la Cour de cassation que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; que cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ; que dès lors, ne saurait être prononcée la caducité d'une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020, au motif que l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, dès lors que la caducité de l'instance, qui prive le justiciable de tout recours, y compris en cassation, prive a fortiori l'appelante du droit à un procès équitable ; qu'il en résulte que la cour d'appel, en décidant que l'appel était caduc dès lors que les conclusions d'appelant ne comportait aucune formule indiquant qu'elle sollicitait l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée, a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

5. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

6. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

7. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement.

En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).

8. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour déclarer caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d'appel par Mme [L], énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule indiquant qu'elle sollicite l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 28 juillet 2017, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver Mme [L] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Portée et conséquences de l'annulation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie en effet que la Cour de cassation statue au fond.

13. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe n° 10 qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société Taxis Mario de son incident de caducité de la déclaration d'appel et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société Taxis Mario de son incident de caducité de la déclaration d'appel et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel d'Orléans.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Yves et Blaise Capron ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull., (rejet) ; 2e Civ., 20 mai 2021, pourvoi n° 19-22.316, Bull., (annulation) ; 2e Civ., 20 mai 2021, pourvoi n° 20-13.210, Bull., (annulation).

2e Civ., 30 juin 2022, n° 21-15.003, (B), FRH

Cassation

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Atteinte excessive – Appel civil – Procédure sans représentation obligatoire – Déclaration d'appel – Nécessité – Chefs du jugement expressément critiqués

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 février 2021), M. [K], salarié de la société Asturienne (l'employeur), a été victime le 25 octobre 2016, d'un accident pris en charge, au titre de la législation professionnelle, par la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire (la caisse).

2. L'employeur a saisi un tribunal de grande instance d'une contestation du taux d'incapacité permanente partielle attribué par la caisse à M. [K].

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu de statuer sur ses demandes en l'absence d'effet dévolutif de l'appel, alors « que la règle suivant laquelle lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, ne s'applique pas à la procédure sans représentation obligatoire ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 562 et 933 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 562 et 933 du code de procédure civile :

4. Selon le premier de ces textes, l'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Selon le second, régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel, la déclaration désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, et mentionne, le cas échéant, le nom et l'adresse du représentant de l'appelant devant la cour.

5. Si, pour les procédures avec représentation obligatoire, il a été déduit de l'article 562, alinéa 1er que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas (2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi n° 18-22.528, publié) et que de telles règles sont dépourvues d'ambiguïté pour des parties représentées par un professionnel du droit (2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi n° 19-16.954, publié), un tel degré d'exigence dans les formalités à accomplir par l'appelant en matière de procédure sans représentation obligatoire constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n'est pas tenu d'être représenté par un professionnel du droit.

La faculté de régularisation de la déclaration d'appel ne serait pas de nature à y remédier (2e Civ., 9 septembre 2021, pourvoi n° 20-13.673).

6. Il en résulte qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d'appel qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel, en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement.

7. Pour dire n'y avoir lieu de statuer sur les demandes de la caisse, l'arrêt retient que celle-ci indiquait dans sa déclaration interjeter appel du jugement rendu le 2 avril 2019, dans le litige l'opposant à l'employeur, sans mentionner aucun chef de jugement critiqué, qu'en ne mentionnant pas le chef du jugement critiqué, l'appel n'opérait pas d'effet dévolutif et qu'elle n'était donc investie de la connaissance d'aucun litige.

8. En statuant ainsi, alors que le litige relevait du contentieux de la sécurité sociale pour lequel la procédure d'appel est sans représentation obligatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 562 et 933 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 9 septembre 2021, pourvoi n° 20-13.673 (rejet).

Com., 22 juin 2022, n° 19-25.434, (B), FS

Cassation sans renvoi

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Droit d'agir – Violation – Défaut – Cas – Appel d'offre pour un contrat de concession

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée (tribunal de grande instance de Bordeaux, 18 novembre 2019), rendue en la forme des référés, la société Atlandes, société concessionnaire d'autoroute, a publié au mois d'avril 2019 un appel d'offres pour l'attribution des opérations de dépannage des poids lourds sur une portion d'autoroute qu'elle exploite.

2. Deux offres ont été déposées, l'une par la société Bernard dépannage, précédemment chargée de ce service depuis l'année 2012, l'autre par le groupement d'intérêt économique DBF-DRB (le GIE DBF-DRB), constitué par les sociétés de dépannage DBF Cestas et Dépannage remorquage Bertrande.

3. La société Bernard dépannage, informée le 26 juin 2019 que sa candidature n'avait pas été retenue, a saisi le juge du référé contractuel en nullité du contrat au motif que la société Atlandes n'avait pas respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Examen des moyens

Le pourvoi incident discutant la recevabilité de la demande, son examen devrait être préalable. Toutefois, étant formé à titre éventuel, il ne sera examiné, conformément à la volonté du demandeur à ce pourvoi, que si la cassation est encourue sur le pourvoi principal.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La société Bernard dépannage fait grief à l'ordonnance de rejeter ses demandes, alors « qu'elle faisait valoir que les documents de la consultation, qui prévoyaient un dépanneur agréé par secteur et interdisaient toute sous-traitance, faisaient obstacle à la candidature d'un groupement d'intérêt économique et qu'à tout le moins les membres du groupement attributaire auraient dû être agréés ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

5. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Un défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motif.

6. Pour rejeter les demandes de la société Bernard dépannage, l'ordonnance, après avoir énoncé que I'article R. 2142-22 du code de la commande publique dispose que I'acheteur ne peut exiger que le groupement d'opérateurs économiques ait une forme déterminée pour la présentation d'une candidature ou d'une offre, retient qu'il est constant que les groupements d'intérêt économique peuvent se voir attribuer des contrats de la commande publique, l'article R. 2142-3 du même code permettant à un opérateur économique candidat à I'attribution d'un marché de se prévaloir des capacités d'autres opérateurs économiques, quelle que soit la nature juridique des liens qui I'unissent à ces opérateurs.

7. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Bernard dépannage qui faisait valoir que les documents de la consultation, qui prévoyaient un dépanneur agréé par secteur et interdisaient toute sous-traitance, faisaient obstacle pour le marché en cause à la candidature d'un groupement d'intérêt économique qui ne bénéficie pas de moyens propres, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

8. La cassation étant encourue sur le pourvoi principal, il y a lieu d'examiner le pourvoi incident éventuel.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

9. La société Atlandes fait grief à l'ordonnance de déclarer la société Bernard dépannage recevable en son action, alors :

« 2°/ qu'un contrat est un marché au sens du code de la commande publique lorsque l'attributaire accomplit une prestation au profit du pouvoir adjudicateur en contrepartie d'une rémunération reçue de ce dernier ; qu'au contraire, le contrat répond à la qualification de concession, ou de contrat d'exploitation s'il n'est pas conclu par un pouvoir adjudicateur, lorsqu'il est conféré au prestataire le droit d'exploiter l'ouvrage ou le service à l'effet d'obtenir une rémunération de la part des usagers ; qu'en retenant en l'espèce que le contrat consistant pour un concessionnaire d'autoroute à autoriser une société de dépannage à exploiter le secteur autoroutier concédé constituait un marché pour cette raison que l'agrément donné au dépanneur pour intervenir sur ce secteur avait pour contrepartie économique le prix facturé aux usagers, le président du tribunal de grande instance n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique ;

4°/ que le fait de bénéficier d'une situation de monopole n'exclut pas l'existence d'un aléa d'exploitation, qui est tributaire des coûts d'exploitation et non de l'existence d'une concurrence ; qu'en affirmant que la qualification de marché, au lieu de celle de contrat de concession ou de contrat d'exploitation, pour cette raison que la société Bernard dépannage n'était pas exposée à un risque particulier en raison de sa situation monopolistique sur le secteur autoroutier concédé à la société Atlandes, l'ordonnance attaquée a été rendue en violation des articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 122-20, 2° du code de la voirie routière, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019, l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et les articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique :

10. En application du premier de ces textes, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, il est fait application pour les marchés relevant du droit privé, des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

11. Aux termes du deuxième de ces textes, les personnes qui ont un intérêt à conclure l'un des contrats de droit privé mentionnés aux articles 2 et 5 de la présente ordonnance et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles ils sont soumis peuvent saisir le juge d'un recours en contestation de la validité du contrat.

La demande est portée devant la juridiction judiciaire.

12. Aux termes du troisième de ces textes, un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent.

13. Aux termes du quatrième de ces textes, un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix.

La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable.

Le concessionnaire assume le risque d'exploitation lorsque, dans des conditions d'exploitation normales, il n'est pas assuré d'amortir les investissements ou les coûts, liés à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, qu'il a supportés.

14. Pour déclarer l'action recevable, le juge du référé contractuel relève que si le concessionnaire ne verse aucun paiement au dépanneur pour l'exécution du contrat, I'agrément qu'il donne à celui-ci en lui permettant d'intervenir de façon exclusive sur un secteur d'autoroute déterminé a pour contrepartie économique le prix facturé aux usagers, sans l'exposer pour autant véritablement aux aléas du marché compte tenu de sa situation monopolistique.

15. Il déduit de ces éléments que malgré l'absence de définition de la notion de marché dans le code de la voirie routière, les contrats de dépannage et de remorquage sur les autoroutes, qui permettent à la société concessionnaire d'assurer une mission qui lui incombe en vertu du contrat de concession pour les travaux, fournitures ou services, doivent être qualifiés de marchés entrant dans le champ d'application de l'article L. 122-12 de ce code.

16. En statuant ainsi, après avoir relevé que le contrat qui lui était soumis ne prévoyait aucune rémunération versée par le concessionnaire à l'entreprise de dépannage, la situation de monopole de l'entreprise de dépannage désignée pour accomplir la mission n'étant pas exclusive de l'existence d'un aléa susceptible d'affecter le volume et la valeur de la demande de dépannage sur la portion d'autoroute concernée, le juge du référé contractuel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

17. La société Atlandes fait le même grief à l'ordonnance, alors « qu'en l'absence de référé contractuel ou précontractuel devant le juge judiciaire, tout intéressé à une procédure d'appel d'offres dispose de la faculté de saisir le juge de droit commun statuant au fond ou en référé ; qu'en affirmant que toute solution qui consisterait à fermer la voie du référé contractuel prévue par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 reviendrait à priver le candidat évincé de tout recours judiciaire, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 par fausse application, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit d'accès au juge. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 :

18. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial.

19. Pour déclarer l'action recevable, le juge du référé contractuel énonce qu'il résulterait de I'interprétation de l'article L. 122-12 du code de la voirie routière soutenue par la société Atlandes Ia privation pour les candidats évincés de tout recours judiciaire à raison de manquements commis par la société concessionnaire, contrairement à la volonté du législateur de soumettre la passation des contrats des sociétés concessionnaires d'autoroute, critiqués pour leur opacité, aux procédures de référés précontractuel et contractuel.

20. En statuant ainsi, alors que l'impossibilité de saisir le juge du référé contractuel n'empêche pas les candidats évincés d'un appel à concurrence de saisir le juge de droit commun pour faire valoir leurs droits et ne porte donc pas atteinte à leur droit d'accès à un tribunal, le juge du référé contractuel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

La cassation est encourue tant sur le pourvoi principal que sur le pourvoi incident. Ce dernier étant préalable, la cassation ne sera prononcée que sur ce pourvoi.

21. Sur la suggestion de la société Atlandes, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

22. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

23. Il appartient au seul législateur, en vertu des dispositions de l'article 34 de la Constitution selon lesquelles la loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales, de rendre applicable à des contrats passés par des personnes privées le recours au juge du référé précontractuel et contractuel.

24. L'article L. 122-20, 2° du code de la voirie routière, qui prévoit l'application pour les marchés de droit privé des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, réserve cette compétence aux marchés à l'exclusion des contrats de concession.

25. Il n'est pas contesté que le contrat conclu entre la société Atlandes, société privée concessionnaire d'une portion d'autoroute, et l'entreprise de droit privé sélectionnée à l'issue de l'appel d'offres pour accomplir les prestations de dépannage sur cette portion ne prévoyait ni rémunération versée par le concessionnaire d'autoroute ni mécanisme de compensation des pertes éventuelles. Il n'est pas contesté non plus que l'entreprise sélectionnée ne maîtrisait pas le nombre et le volume des prestations à accomplir, de sorte qu'elle supportait les risques liés à l'exploitation du service rendu. Dans ces conditions, le contrat en cause ne constitue pas un marché au sens des dispositions de l'article L. 1111-1 du code de la commande publique.

26. Il s'ensuit que les éventuels manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence relatifs à la passation de ce contrat ne relèvent pas de l'application des dispositions des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, de sorte que le juge du référé contractuel ne peut en connaître.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 18 novembre 2019, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Bordeaux ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DECLARE irrecevable le recours formé par la société Bernard dépannage.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Michel-Amsellem - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle -

Textes visés :

Article L. 122-20, 2°, du code de la voirie routière ; articles 2 à 4, et 11 à 14 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

2e Civ., 30 juin 2022, n° 21-12.720, (B), FRH

Rejet

Article 6, § 1 – Violation – Défaut – Cas – Déclaration d'appel – Nullité – Chefs de jugement critiqués récapitulés dans un message électronique

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 janvier 2021), la société JMD immobilier (la société), ainsi que M. et Mme [E], ont relevé appel, le 7 juin 2019, du jugement d'un tribunal de commerce rendu dans un litige les opposant à la société Allianz Iard (l'assureur).

2. L'assureur a saisi la cour d'appel d'un incident tendant à dire n'y avoir lieu à statuer en l'absence d'effet dévolutif, la déclaration d'appel n'énonçant pas les chefs critiqués du jugement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société et M. et Mme [E] font grief à l'arrêt de constater que la déclaration d'appel ne précise pas les chefs du jugement critiqués, qu'aucun effet dévolutif d'appel ne s'exerce et que la cour n'est donc pas saisie du litige, alors :

« 1°/ qu'une déclaration d'appel irrégulière ou incomplète peut être régularisée par l'appelant, dans le délai pour conclure, par l'envoi au greffe, qui en accuse réception, d'un message RPVA mentionnant les chefs du jugement critiqués et enregistré sous le libellé « Complément DA » ; qu'en concluant à l'absence d'effet dévolutif de l'appel, sans prendre en compte la régularisation de la déclaration d'appel qui avait été effectuée à deux reprises par les appelants, par un premier message du 7 juin 2019 reçu par le greffe moins d'une demi-heure après la déclaration d'appel, et par un second message du 3 juillet 2019, lesquels figuraient au dossier RPVA sous le libellé « Complément DA », la cour d'appel a violé les articles 562 et 901 du code de procédure civile, ensemble l'article 748-3 de ce code ;

2°/ qu'en toute hypothèse, interdire la régularisation par l'appelant de sa déclaration d'appel, dans le délai pour conclure, par l'envoi au greffe d'un message RPVA mentionnant les chefs du jugement critiqués, enregistré sous le libellé « Complément DA » et dont il est accusé réception par le greffe, quand une régularisation dans ce même délai par une nouvelle déclaration d'appel est possible, porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel ; qu'en refusant, pour conclure à l'absence d'effet dévolutif de l'appel, de prendre en compte la régularisation de la déclaration d'appel qui avait été effectuée à deux reprises par les appelants, par un premier message du 7 juin 2019 reçu par le greffe moins d'une demi-heure après la déclaration d'appel, et par un second message du 3 juillet 2019, lesquels figuraient au dossier RPVA sous le libellé « Complément DA », la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que, dans leurs conclusions, les appelants soutenaient que c'était en raison d'un dysfonctionnement technique du RPVA que les chefs du jugement critiqués, qu'ils avaient renseignés lors de l'enregistrement de la déclaration d'appel dans la rubrique « Commentaires », n'avaient pas été retranscrits dans le document récapitulatif attestant de la réception de la déclaration d'appel par le greffe (conclusions, p. 12, § 3 et p. 15, § 6) ; qu'en concluant à l'absence d'effet dévolutif de l'appel, sans répondre aux conclusions des appelants sur ce point, dont il s'évinçait que l'irrégularité qui entachait la déclaration d'appel trouvait sa cause dans un problème purement technique de transmission des chefs de dispositif au greffe, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que, dans leurs conclusions, les appelants faisaient valoir que la déclaration d'appel du 7 juin 2019 avait été immédiatement régularisée par un message RPVA du 7 juin 2019, adressé au greffe moins d'une demi-heure après cette déclaration d'appel (conclusions, p. 12, § 2 et s.) ; qu'en se bornant à retenir que la déclaration d'appel du 7 juin 2019 n'avait pu être régularisée par le second message RPVA adressé par les appelants au greffe le 3 juillet 2019, sans répondre aux conclusions des appelants fondées sur le premier message rectificatif daté du jour même de la déclaration d'appel, dont il s'évinçait que l'irrégularité affectant la déclaration d'appel avait été immédiatement corrigée par les appelants, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que, dans leurs conclusions, les appelants soutenaient que le message du 7 juin 2019 comme le message du 3 juillet 2019 étaient inscrits sur la fiche détaillée du dossier RPVA, qu'ils versaient aux débats, sous le libellés « Complément DA » (conclusions, p. 13, § 5) ; qu'en concluant à l'absence d'effet dévolutif de l'appel, sans répondre aux conclusions des appelants sur ce point, dont il s'évinçait que ces messages RPVA et leur contenu faisaient corps avec la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. En vertu de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

5. Selon l'article 901 du même code, la déclaration d'appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

6. Il résulte de ces textes que seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement, de sorte que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas.

7. La déclaration d'appel qui ne mentionne pas expressément les chefs critiqués du jugement ne peut être régularisée que par une nouvelle déclaration d'appel dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, conformément à l'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile.

8. Un message électronique de l'avocat de l'appelant ne peut, quel que soit son libellé et même adressé au greffe dans le délai requis, valoir régularisation de la déclaration d'appel.

9. Ces règles, qui encadrent les conditions d'exercice du droit d'appel dans les procédures dans lesquelles l'appelant est représenté par un professionnel du droit, poursuivent un but légitime au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en l'occurrence la célérité de la procédure et une bonne administration de la justice. Elles sont, en outre, accessibles et prévisibles, et ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé.

10. Ayant constaté que la déclaration d'appel contenait pour seule mention « appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués » et que le conseil des appelants avait alerté le greffe, par message RPVA du 7 juin 2019, pour lui demander de tenir compte des chefs critiqués du jugement non pris en compte et dont il récapitulait l'énoncé, la cour d'appel, retenant à bon droit que les appelants pouvaient procéder à une nouvelle déclaration d'appel afin de régulariser un appel conforme aux dispositions de l'article 901 du code de procédure civile, en a exactement déduit que le message adressé au greffe le 3 juillet 2020 (lire 2019) par RPVA, sous l'intitulé « Complément DA », accompagné d'explications circonstanciées et assorti du message précédent du 7 juin 2019 sous format numérique, ne pouvait être qualifié de nouvelle déclaration d'appel régularisée.

11. Il résulte de ce qui précède que c'est sans méconnaître l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la cour d'appel, qui a pris en considération les deux messages réceptionnés par le greffe le 7 juin 2019 et le 3 juillet 2019 et qui n'avait pas à répondre à de simples allégations, a, à bon droit, décidé qu'à défaut d'effet dévolutif, elle n'était pas saisie.

12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2e Civ., 2 juin 2022, n° 21-16.072, (B) (R), FS

Cassation

Protocole additionnel n° 1 – Article 1 – Violation – Cas – Profession libérale – Cotisations vieillesse – Paiement tardif

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 mars 2021), M. [C] (l'assuré), affilié à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (la Caisse), du 1 avril 1978 au 31 décembre 1995, a sollicité la liquidation de sa pension de vieillesse à effet au 1 juillet 2014.

2. La Caisse n'ayant pas pris en considération pour le calcul de la pension de retraite de base les points correspondant aux cotisations acquittées tardivement au titre des années 1982 à 1984, 1987 et 1990 à 1995, l'assuré a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'assuré fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes, alors :

« 1°/ que l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants ; que le droit individuel à pension constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application de l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le dispositif de l'article R. 643-10 du code de la sécurité sociale qui sanctionne le retard de paiement des cotisations au-delà d'un délai de cinq ans suivant leur date d'exigibilité par une absence totale d'attribution de points au titre desdites cotisations dans le régime de retraite de base constitue une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés au régime, en ce qu'il porte une atteinte à la substance de leurs droits à pension, en les privant de pension de retraite s'ils ne justifient pas du paiement de leur cotisations dans le délai de cinq ans suivant leur date d'exigibilité et ce alors même qu'ils ont déjà réglé des majorations et pénalités de retard ; que cette ingérence contrevient aux principes qui régissent l'aménagement des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse, dont le régime d'assurance vieillesse des indépendants fait partie, et, notamment, au caractère contributif des régimes énoncé à l'article L. 111-2-1, II, alinéa 1, du code de la sécurité sociale ; que l'intérêt légitime attaché au recouvrement des contributions sociales comme l'équilibre financier des régimes concernés, ne justifient pas une atteinte disproportionnée aux droits des assurés, telle la privation totale d'une allocation de subsistance venant en contrepartie de cotisations effectivement versées, même avec plus de cinq ans de retard, durant des périodes d'activité ; qu'en statuant comme elle l'a fait et en considérant notamment que la réduction du montant de la pension de retraite au regard des cotisations versées au délai du délai de cinq ans à compter de leur date d'exigibilité instituée par l'article R. 643-10 du code de la sécurité sociale, qui ne parait pas d'une rigueur excessive à l'endroit du cotisant et lui permet de régulariser effectivement sa dette pour préserver ses droits futurs, n'était pas incompatible avec la protection du droit de propriété instituée par le droit européen, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne ;

2°/ qu'une réglementation ne peut porter atteinte à l'intérêt patrimonial protégé par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne qu'aux conditions d'être justifiée par un intérêt public ou général légitime, et d'être proportionnée au but poursuivi ; que le juste équilibre à préserver n'est pas respecté si l'atteinte portée à l'intérêt patrimonial que constitue une prestation de sécurité sociale, est excessive dès lors qu'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens employés ; qu'en prévoyant comme sanction que les cotisations de retraite payée au-delà du délai de cinq ans suivant leur exigibilité n'attribuent au cotisant aucun point pour le calcul du montant de la retraite de base manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits et effectivement réglées même avec plus de cinq ans de retard, la clause de l'article R. 643-10 du code de la sécurité sociale, si elle contribue à l'équilibre financier du régime de retraite concerné et à la solidarité entre génération, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu'elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence ; qu'en refusant dès lors d'écarter l'application de l'article R. 643-10 du code de la sécurité sociale susvisé, la cour d'appel a violé l'article 1 du premier Protocole additionnel à la Convention européenne. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 643-1 et R. 643-10 du code de la sécurité sociale :

4. Aux termes du premier de ces textes, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

5. Le droit individuel à pension d'une personne assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application de ces dispositions, qui impliquent un rapport raisonnable de proportionnalité, exprimant un juste équilibre entre ce droit individuel et les exigences de financement du régime de retraite considéré.

6. Aux termes du deuxième, le montant de la pension servie par le régime d'assurance vieillesse de base des professions libérales est obtenu par le produit du nombre total de points porté au compte de l'intéressé par la valeur de service du point.

7. Aux termes du dernier, lorsque les cotisations arriérées n'ont pas été acquittées dans le délai de cinq ans suivant la date de leur exigibilité, les périodes correspondantes ne sont pas prises en considération pour le calcul de la pension de retraite de base.

8. Ce dispositif, en tant qu'il exclut toute prise en considération, pour le calcul de la pension de retraite de base, des cotisations acquittées plus de cinq ans après leur date d'exigibilité, constitue une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés à ce régime en portant atteinte à la substance de leurs droits à pension.

9. Cette ingérence, qui repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne, accessibles, précises et prévisibles, poursuit un motif d'intérêt général dès lors qu'elle contribue à l'équilibre financier de ce régime de retraite par répartition et qu'elle est de nature à inciter les cotisants à la célérité dans le paiement de leurs cotisations obligatoires.

10. Toutefois, les points acquis en contrepartie du paiement des cotisations doivent être regardés comme l'étant au fur et à mesure de leur versement. Dès lors, le défaut de prise en compte des cotisations payées au-delà du délai de cinq ans suivant leur date d'exigibilité, mais avant la liquidation du droit à pension, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu'elle poursuit et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

Par suite, il y a lieu d'écarter l'application de l'article R. 643-10 du code de la sécurité sociale.

11. Pour débouter l'assuré de son recours, l'arrêt relève qu'il est de l'intérêt public, général et légitime que les cotisations soient versées à leur date d'exigibilité, ou régularisées dans un délai limité, afin que le système social de répartition puisse fonctionner au mieux. Il retient que le délai de cinq ans, bien supérieur au délai de grâce maximal que le juge civil peut accorder à un débiteur, ne paraît pas être d'une rigueur excessive à l'endroit du cotisant et lui permet de régulariser effectivement sa dette pour préserver ses droits futurs.

L'arrêt ajoute que si le retard de paiement de cotisations peut, de manière générale en droit de la sécurité sociale, entraîner des majorations de retard et des pénalités, ce mécanisme n'exclut pas en matière de retraite l'existence d'une sanction plus lourde touchant à l'étendue des droits à pension acquis. Il en déduit que le versement de l'intégralité des cotisations est un préalable légal à l'ouverture des droits à la pension de retraite, et que la réduction du montant de cette pension de retraite au regard des cotisations versées au-delà de cinq années à compter de leur date d'exigibilité instituée par l'article R. 643-10 du code de la sécurité sociale n'est pas incompatible avec la protection du droit de propriété instituée par le droit européen.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. L'assuré fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de dommages-intérêts, alors « qu'aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en procédure orale, il ne peut être présumé qu'un moyen relevé d'office par le juge a été débattu contradictoirement, dès lors qu'une partie n'était pas présente à l'audience ; que pour déclarer l'assuré irrecevable en ses demandes de dommages-intérêts, la cour énonce que celles-ci sont formées pour la première fois en appel ; qu'en statuant ainsi, alors que l'assuré a été dispensé de comparaître et n'était donc pas présent à l'audience et qu'il ne ressort ni de la décision ni des pièces du dossier de procédure que la Caisse, partie présente ait été, au préalable, invitée à formuler ses observations sur le moyen relevé d'office, pris de la nouveauté de la demande de dommages-intérêts en appel, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

14. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

15. En procédure orale, il ne peut être présumé qu'un moyen relevé d'office par le juge a été débattu contradictoirement, dès lors qu'une partie n'était pas présente à l'audience.

16. Pour déclarer irrecevable la demande tendant à la condamnation de la Caisse au paiement de dommages-intérêts, l'arrêt retient que cette demande a été formée pour la première fois en cause d'appel.

17. En statuant ainsi, alors que l'assuré, dispensé de comparaître, n'était pas présent à l'audience et qu'il ne ressort ni de la décision ni des pièces du dossier de procédure qu'il ait été, au préalable, invité à formuler ses observations sur le moyen relevé d'office, pris de l'irrecevabilité de sa demande, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Dudit - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

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