Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES

Com., 22 juin 2022, n° 20-11.846, (B), FS

Cassation partielle

Consentement – Erreur – Erreur sur la substance – Erreur sur une qualité substantielle – Qualité substantielle – Eligibilité à un dispositif de défiscalisation – Conditions – Convention expresse ou tacite

Il résulte des articles 1108, 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que l'erreur qui tombe sur la substance même de la chose qui est l'objet de la convention est une cause de nullité de celle-ci.

Les parties peuvent convenir, expressément ou tacitement, que le fait que le bien, objet d'une vente, remplisse les conditions d'éligibilité à un dispositif de défiscalisation constitue une qualité substantielle de ce bien.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société Océa du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [W], la société [W] et associés et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mai 2018), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 14 avril 2015, pourvoi n° 14-10.951), le 26 juin 1996, dans le cadre d'une opération de défiscalisation qui leur avait été présentée par la société Financière du cèdre, M. [N] [P] et [J] [P] ont acquis de la société Réalisations économiques et industrielles (la société REI) des quirats d'un navire construit par la société Océa.

4. L'administration fiscale leur ayant refusé le bénéfice de la réduction d'impôt qu'ils escomptaient de cette opération, au motif que le navire ne remplissait pas les conditions d'éligibilité au dispositif fiscal concerné, M. [N] [P] et [J] [P] ont assigné les sociétés Océa, REI et Financière du cèdre en annulation de la vente et en indemnisation.

Examen des moyens

Sur les moyens du pourvoi principal, le premier moyen, pris en sa première branche, et les deuxième et troisième moyens du pourvoi incident, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi incident, en ce qu'il reproche à l'arrêt de rejeter la demande de M. et Mme [P] de condamnation des sociétés Financière du cèdre et REI à leur payer la somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance

6. Les motifs critiqués par le moyen n'étant pas le soutien du chef de dispositif rejetant la demande de M. et Mme [P] de condamnation des sociétés Financière du cèdre et REI à leur payer la somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance, le moyen est inopérant.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de M. et Mme [P] d'annulation de l'acte d'acquisition des quirats et de condamnation des sociétés Financière du cèdre et REI à leur payer les sommes de 160 071,46 euros au titre de la restitution des sommes investies et de 21 215,44 euros au titre des frais de souscription du prêt bancaire et de son remboursement

Enoncé du moyen

7. Les consorts [P] font grief à l'arrêt de rejeter les demandes de M. et Mme [P] d'annulation de l'acte d'acquisition des quirats et de condamnation des sociétés Financière du cèdre et REI à leur payer les sommes de 160 071,46 euros au titre de la restitution des sommes investies et de 21 215,44 euros au titre des frais de souscription du prêt bancaire et de son remboursement, alors « que l'erreur est un vice du consentement entraînant la nullité du contrat ; qu'en ne recherchant pas, comme cela lui était demandé dans les conclusions d'appel de M. et Mme [P], si leur consentement n'avait pas été surpris par erreur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1109 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1108, 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

8. Il résulte de ces textes que l'erreur qui tombe sur la substance même de la chose qui est l'objet de la convention est une cause de nullité de celle-ci.

9. Les parties peuvent convenir, expressément ou tacitement, que le fait que le bien, objet d'une vente, remplisse les conditions d'éligibilité à un dispositif de défiscalisation constitue une qualité substantielle de ce bien.

10. Pour rejeter la demande d'annulation de la vente des quirats formée par M. et Mme [P], l'arrêt se borne à énoncer que les éléments relatifs à la déduction fiscale figurent sur la plaquette de présentation, dont il n'est pas établi qu'elle émane de la société REI et qui comporte uniquement le logo de la société Financière du cèdre, de sorte que l'existence de manoeuvres dolosives dont la société REI serait l'auteur ou auxquelles elle aurait participé n'est pas caractérisée.

11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'éligibilité des quirats au dispositif de défiscalisation en cause ne constituait pas une qualité substantielle du bien vendu, convenue par les parties et en considération de laquelle elles avaient contracté, de sorte que, dès lors qu'il aurait été exclu, avant même la conclusion du contrat, que ce bien permît d'obtenir l'avantage fiscal escompté, le consentement de M. et Mme [P] aurait été donné par erreur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

12. En application de l'article 131-1 du code de procédure civile, il y a lieu d'ordonner une mesure de médiation judiciaire, à laquelle les parties représentées ont donné leur accord, et de surseoir à statuer, jusqu'à l'issue de cette mesure, sur la question du renvoi de l'affaire devant une cour d'appel pour qu'il soit statué sur les points restant à juger à la suite de la cassation partielle de l'arrêt attaqué.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief du pourvoi incident, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme [P] d'annulation de l'acte d'acquisition des quirats et de condamnation des sociétés Financière du cèdre et REI à leur payer les sommes de 160 071,46 euros et de 21 215,44 euros au titre des frais de souscription du prêt bancaire et de son remboursement, l'arrêt rendu le 15 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Ordonne une médiation ;

Désigne en qualité de médiateur :

M. [X] [S]

Adresse : [Adresse 4]

Téléphone : [XXXXXXXX01]

Courriel : [Courriel 12]

Dit que le médiateur, connaissance prise du dossier, devra convoquer les parties et leurs conseils dans les meilleurs délais afin de les entendre et leur permettre de trouver une solution amiable au litige qui les oppose ;

Fixe la durée de la médiation à 3 mois à compter de la première réunion entre le médiateur et les parties et dit que la mission pourra être renouvelée une fois, pour la même durée, à la demande du médiateur ;

Rappelle qu'en application des articles 131-2, 131-9 et 131-10 du code de procédure civile, la médiation ne dessaisit pas le juge qui, dans le cadre du contrôle de la mesure, peut être saisi de toute difficulté et mettre fin à la mission du médiateur à l'initiative de ce dernier, sur demande d'une partie ou d'office lorsque le bon déroulement de la médiation apparaît compromis ou lorsqu'elle est devenue sans objet ;

Dit qu'à l'expiration de sa mission, le médiateur devra informer le juge de l'accord intervenu entre les parties ou de l'échec de la mesure et présenter une demande de taxation de ses honoraires ;

Dit qu'en cas d'accord, les parties pourront saisir le juge d'une demande d'homologation de cet accord par voie judiciaire ;

Fixe la provision à valoir sur la rémunération du médiateur à la somme de 3 000 euros HT, qui sera versée pour un tiers par les consorts [P], pour un tiers par la société Financière du cèdre et pour un tiers par la société Ocea, directement entre les mains du médiateur au plus tard le jour de la première réunion ;

Dit que, faute de versement de la provision dans ce délai, la désignation du médiateur sera caduque, sauf pour les parties à solliciter un relevé de caducité ;

Sursoit à statuer, dans l'attente de l'issue de la mesure de médiation, sur la question du renvoi de l'affaire devant une cour d'appel pour qu'il soit statué sur les points restant à juger à la suite de la cassation partielle de l'arrêt attaqué.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Blanc - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles 1108, 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Com., 9 juin 2022, n° 20-18.490, (B), FRH

Rejet

Effets – Effets à l'égard des tiers – Cession de contrat – Cédé ayant donné son accord à l'avance – Opposabilité à l'égard du cédé – Conditions – Prise d'acte – Applications diverses – Locataire ayant payé entre les mains du cessionnaire

Il résulte de l'article 1216, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que lorsqu'un contractant, le cédant, cède sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, et que son cocontractant, le cédé, a donné son accord à cette cession par avance, la cession ne produit effet à l'égard du cédé que si le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu'il en prend acte.

C'est exactement qu'une cour d'appel retient qu'une société, cessionnaire d'un contrat de location, a qualité à agir contre le locataire, cocontractant cédé, dès lors que les juges d'appel ont relevé que, après avoir été mis en demeure de payer par la société cessionnaire, le locataire a payé un loyer directement entre ses mains, de tels motifs faisant ressortir que le cédé a pris acte de la cession de contrat intervenue entre son bailleur d'origine, cédant, et la société cessionnaire.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Rennes, 14 novembre 2019), rendu en dernier ressort, le 12 avril 2017, Mme [D] a souscrit auprès de la société Leasis un contrat de location financière d'une durée de douze mois, moyennant un loyer mensuel de 202,80 euros TTC.

2. Le même jour, la société Leasis a cédé le contrat à la société Grenke location (la société Grenke).

3. A compter du mois de mai 2017, Mme [D] a cessé de payer les loyers.

4. Le 13 juillet 2017, la société Grenke l'a mise en demeure de s'acquitter des loyers impayés.

5. Mme [D] n'ayant payé que le loyer du mois de juillet 2017, la société Grenke a résilié le contrat, par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 septembre 2017.

6. Le 19 avril 2018, la société Grenke a mis en demeure Mme [D] de lui payer les échéances impayées et l'indemnité de résiliation contractuelle, avant de l'assigner en paiement.

7. Mme [D] a soulevé le défaut de qualité à agir de la société Grenke, au motif que n'était pas établie l'existence d'une cession de contrat intervenue entre cette société et la société Leasis.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Mme [D] fait grief au jugement de rejeter sa fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société Grenke et, en conséquence, de la condamner au paiement de diverses sommes au profit de cette dernière, alors « que lorsque l'accord à la cession d'un contrat à un tiers est donné par avance par le contractant cédé, la cession ne produit effet à l'égard du cédé que lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié, ou lorsqu'il en prend acte ; qu'en se bornant, pour dire que la société Grenke location, se prétendant cessionnaire du contrat de location conclu le 12 avril 2017 entre Mme [D] auprès de la société Leasis, avait qualité à agir à l'encontre de Mme [D] en paiement des sommes dues en exécution dudit contrat, à relever la société Leasis avait cédé ce contrat conformément aux conditions générales du contrat de location, sans constater que cette cession ait été notifiée à Mme [D] ou qu'elle en ait pris acte, le tribunal a violé les dispositions de l'article 1216 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Il résulte de l'article 1216, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que lorsqu'un contractant, le cédant, cède sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, et que son cocontractant, le cédé, a donné son accord à cette cession par avance, la cession ne produit effet à l'égard du cédé que si le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu'il en prend acte.

10. Après avoir constaté que le contrat de location avait été conclu entre la société Leasis et Mme [D], le jugement relève qu'à la suite de la mise en demeure de payer les loyers impayés depuis le mois de mai 2017 que la société Grenke lui avait adressée le 13 juillet 2017, Mme [D] ne s'est acquittée que du loyer du mois de juillet 2017, laissant impayés ceux des mois de mai et juin 2017.

Par ces seuls motifs, desquels il ressort que, en payant un loyer entre les mains du cessionnaire, Mme [D] avait pris acte de la cession intervenue entre les sociétés Leasis et Grenke, le tribunal en a exactement déduit que cette dernière avait qualité à agir contre Mme [D] au titre du contrat en cause.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article 1216, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur le régime relatif à la substitution de cocontractant, antérieurement à l'ordonnance du 10 février 2016 : Com., 6 mai 1997, pourvoi n° 94-16.335, Bull. 1997, IV, n° 117 (cassation).

Com., 15 juin 2022, n° 19-25.750, (B), FRH

Rejet

Exécution – Manquement – Effets à l'égard des tiers – Existence d'un dommage – Réparation – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 octobre 2019), sur les conseils de la Société générale et de la société Merrill Lynch Capital Markets France, aux droits de laquelle est venue la société Bank Of America Merrill Lynch International (la société Merrill Lynch), [R] [L] a souscrit le 15 mai 2001, auprès de la première, un prêt remboursable in fine d'un montant de 7 500 000 francs, soit 1 143 367,63 euros, arrivant à échéance le 31 mai 2008, et versé le capital ainsi prêté sur un contrat d'assurance-vie, souscrit par l'intermédiaire de la seconde, dont le rachat devait permettre le remboursement du prêt à son terme.

2. Ce rachat est intervenu le 3 décembre 2008 pour une somme de 569 339,37 euros. Après déduction de ce montant, [R] [L] est restée débitrice, au titre du prêt, d'une somme de 684 982,56 euros qu'elle a remboursée au moyen d'une ouverture de crédit utilisable par découvert en compte consentie par la Société générale.

3. [R] [L] étant décédée, ses enfants et héritiers, MM. [F], [V], [U], [A] et [W] [L], Mme [P] [L] et Mme [K] [L]-[H] (les consorts [L]), ont assigné les 8 et 9 juillet 2013 la Société générale et la société Merrill Lynch en indemnisation de préjudices résultant de manquements à leurs obligations d'information et de conseil envers leur mère.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. Les consorts [L] font grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de leurs demandes, alors :

« 1°/ que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; que les ayants droits d'une personne peuvent agir contre le cocontractant du défunt, en se prévalant, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, du manquement de ce dernier à une obligation résultant de ce contrat, lorsqu'elle leur a causé un dommage ; qu'en l'espèce, les consorts [L] ont assigné la Société générale et la société Merrill Lynch afin d'obtenir leur condamnation « à réparer le préjudice subi par les requérants, ayants droits de Madame [R] [L], en raison des manquements à leur devoir d'information et de conseil envers cette dernière » commis lors de la mise en place d'un montage financier dénoué en 2008 ; que pour rejeter les demandes présentées sur ce fondement, la cour d'appel a retenu que dès lors qu'ils sollicitaient à titre d'indemnisation la somme de 685 000 euros, représentant le montant qu'avait dû emprunter [R] [L] pour rembourser le solde du prêt non couvert par l'évolution du contrat d'assurance-vie ainsi que la somme de 558 032,52 euros représentant les intérêts versés par [R] [L] au titre de l'ensemble des prêts, celui payable in fine et le second destiné à rembourser le premier, ils se prévalaient exclusivement de préjudices subis par leur auteur, dont ils ne pouvaient poursuivre l'indemnisation que sur un fondement contractuel et non d'un préjudice personnel par ricochet ; qu'en statuant de la sorte, quand les consorts [L], en leur qualité de tiers aux contrats souscrits par Mme [R] [L], pouvaient invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle les manquements contractuels imputés à la Société générale et à la société Merrill Lynch, qui leur avaient causé un dommage en aggravant le passif de la succession de leur mère, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; que revêt un caractère personnel le préjudice subi par chacun des ayants droits de la partie à un contrat victime d'un manquement de son cocontractant à ses obligations, consistant dans l'obligation de régler sa part de dette de la succession à l'égard du contractant en cause ; qu'en l'espèce, les consorts [L] faisaient valoir que le relevé de compte de la succession de Mme [L] déposé à l'étude de M. [M], notaire en charge de cette succession, présentait un solde nul au 31 décembre 2019, de sorte qu'ils se trouveraient dans l'obligation de payer sur leurs deniers personnels le reliquat des sommes dues au titre des prêts accordés par la Société générale ; qu'en jugeant que les consorts [L] se prévalaient exclusivement de préjudices subis par leur auteur, dont ils ne pouvaient poursuivre l'indemnisation que sur un fondement contractuel et non d'un préjudice personnel par ricochet, sans rechercher si l'obligation pour chacun des consorts [L] de régler, sur ses deniers personnels, le reliquat des prêts consentis par la Société générale à Mme [R] [L] ne constituait pas pour eux un préjudice personnel dont ils étaient fondés à poursuivre la réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle des défenderesses, en leur qualité de tiers aux contrats souscrits par leur mère auprès de ces sociétés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et de l'article 1382, devenu 1240, de ce code que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Un héritier ne peut agir sur ce fondement en invoquant un manquement contractuel commis envers son auteur qu'en réparation d'un préjudice qui lui est personnel. N'est pas un préjudice personnel subi par l'héritier celui qui aurait pu être effacé, du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l'être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession en application de l'article 724 du code civil.

7. D'une part, ayant retenu que les consorts [L] invoquaient un préjudice, causé par les manquements de la Société générale et de la société Merrill Lynch, correspondant à la somme qu'avait dû emprunter [R] [L] pour rembourser le solde du prêt non couvert par le rachat du contrat d'assurance-vie, augmentée des intérêts payés par celle-ci au titre du prêt in fine et du crédit souscrit pour son remboursement, la cour d'appel en a exactement déduit que les consorts [L] se prévalaient ainsi, non d'un préjudice qu'ils auraient personnellement subi, mais d'un préjudice subi par leur mère dont la réparation ne pouvait être poursuivie que sur un fondement contractuel.

8. D'autre part, en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la deuxième branche, inopérante dès lors qu'en faisant valoir qu'en cas de rejet de leurs demandes de réparation des préjudices causés par les manquements reprochés à la Société générale et à la société Merrill Lynch, ils seraient tenus de payer sur leurs deniers personnels les sommes restant dues au titre du crédit souscrit par leur mère pour rembourser le prêt in fine à son terme, les consorts [L] ne se prévalaient d'aucun préjudice qui n'aurait pu être effacé par une action en indemnisation exercée par leur mère, de son vivant, ou, après le décès de celle-ci, par un de ses héritiers en application de l'article 724 du code civil, a légalement justifié sa décision.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Blanc - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles 1165, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 1382, devenu 1240, et 724 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité, pour le tiers à un contrat, d'obtenir sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation du dommage causé par un manquement contractuel, dans le même sens : Ass. Plén., 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963, Bull., (cassation partielle).

Com., 15 juin 2022, n° 20-22.160, (B), FRH

Cassation

Nullité – Causes – Exclusion – Cas – Exercice illégal de l'activité de banquier

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2020), aux termes d'un contrat conclu 19 novembre 2012 avec la société Fuchs lubrifiant France (la société Fuchs), la société Back to Bike s'est engagée à acheter chaque année, pendant cinq ans, une certaine quantité de lubrifiants lui ouvrant droit à des remises, la société Fuchs lui consentant une avance sur celles-ci d'un montant de 30 000 euros, amortissable en cinq annuités de 6 833 euros chacune.

2. Le même jour, M. et Mme [M] se sont rendus cautions solidaires des engagements de la société Back to Bike envers la société Fuchs.

3. La société Back to Bike ayant été mise en liquidation judiciaire le 11 septembre 2017, la société Fuchs a assigné les cautions en paiement de la somme restant due au titre de l'avance sur remises.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Fuchs fait grief à l'arrêt d'annuler le volet relatif au prêt du contrat passé le 19 novembre 2012 avec la société Back to Bike et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors « que s'il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel, cette interdiction ne fait pas obstacle à ce qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse dans l'exercice de son activité professionnelle consentir à ses contractants des délais ou avances de paiement, et réalise une opération de crédit dès lors que celle-ci n'est pas une opération purement financière mais constitue le complément indissociable d'un contrat d'approvisionnement exclusif entrant dans le champ de son activité habituelle ; qu'en prononçant la nullité du volet relatif au prêt du contrat passé le 19 novembre 2012 avec la société Back to Bike, et en déboutant la société Fuchs de l'ensemble de ses demandes dirigées contre les cautions, tout en constatant que le prêt de 30 000 euros était consenti dans le cadre d'un contrat de fourniture de lubrifiants, avec un objectif annuel, prévoyant une remise de 50 % sur le chiffre d'affaires, et stipulant une « avance sur remises » de 30 000 euros, amortissable par la société Back to Bike en cinq annuités de 6 833 euros, la cour d'appel a violé les articles L. 511-5, du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013, et L. 511-7, I, 1, du même code. »

Réponse de la Cour

5. L'arrêt retient d'abord qu'aux termes du contrat du 19 novembre 2012, la société Fuchs a consenti à la société Back to Bike un prêt d'un montant de 30 000 euros remboursable en cinq annuités comprenant des intérêts. Il retient ensuite que cette opération de crédit, au sens de l'article L. 311-1 du code monétaire et financier, ne correspond pas aux exceptions prévues par l'article L. 511-7, I, 1, du même code, dès lors qu'elle ne consiste ni en l'octroi de délais de paiement ni en la perception d'avances de paiement. Il retient enfin que la société Fuchs a précisé pratiquer habituellement ce type de prêts auprès de sa clientèle.

6. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que, ce faisant, la société Fuchs a conclu avec la société Back to Bike une opération de crédit, au sens de l'article L. 313-1 du code monétaire et financier, en méconnaissance de l'interdiction édictée par l'article L. 511-5 de ce code, peu important que cette opération ait constitué, dans l'esprit des parties, un complément indissociable de l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit par la société Back to Bike envers la société Fuchs.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. La société Fuchs fait le même grief à l'arrêt, alors « que la caution qui conteste la validité de l'obligation principale en se prévalant d'une exception inhérente à la dette, doit mettre en cause le débiteur principal ou son liquidateur ; qu'en prononçant la nullité du volet relatif au prêt du contrat passé le 19 novembre 2012 avec la société Back to Bike et en déboutant la société Fuchs de l'ensemble de ses demandes dirigées contre les cautions, par une décision rendue entre ces seules parties, en l'absence de mise en cause du liquidateur de la société Back to Bike, la cour d'appel a violé l'article 14 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 14 du code de procédure civile :

9. Aux termes de ce texte, nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.

10. L'arrêt prononce l'annulation du volet relatif au prêt du contrat conclu le 19 novembre 2012 entre la société Back to Bike et la société Fuchs et, en conséquence, rejette l'ensemble des demandes de cette dernière.

11. En statuant ainsi, sans qu'ait été appelé à l'instance le liquidateur de la société Back to Bike, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

12. La société Fuchs fait le même grief à l'arrêt, alors « que, sanctionnée pénalement et sur le plan disciplinaire, la seule méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-5 du code monétaire financier n'est pas de nature à entraîner la nullité des contrats conclus ; qu'en se fondant, pour prononcer la nullité du volet relatif au prêt du contrat passé le 19 novembre 2012 avec la société Back to Bike et débouter la société Fuchs de l'ensemble de ses demandes dirigées contre les cautions, sur l'interdiction pour toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel, la cour d'appel a violé l'article L. 511-5 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 511-5 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013 :

13. Aux termes de ce texte, il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel.

Le seul fait qu'une opération de crédit ait été conclue en méconnaissance de cette interdiction n'est pas de nature à en entraîner l'annulation.

14. Pour prononcer l'annulation du volet relatif au prêt du contrat du 19 novembre 2012, l'arrêt retient que ces stipulations constituent une opération de crédit et que la société Fuchs a précisé pratiquer habituellement ce type d'opérations auprès de sa clientèle, cependant qu'en application de l'article L. 511-5 du code monétaire et financier, seuls les établissements de crédit sont autorisés à effectuer de telles opérations à titre habituel.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Blanc - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article L. 511-5 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013.

Rapprochement(s) :

Sur la sanction de l'exercice illégal de la profession de banquier, à rapprocher : Com. 7 juin 2005, pourvoi n° 04-13.303, Bull. 2005, IV, n° 125 (cassation partielle).

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