Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 8 juin 2022, n° 20-22.500, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Cause – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude physique du salarié – Avis du médecin du travail – Mention expresse d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise – Effets – Consultation des délégués du personnel – Obligation de l'employeur – Exclusion – Portée

Selon l'article L. 1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.

Licenciement – Cause – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude physique du salarié – Avis du médecin du travail – Mention expresse d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise – Effets – Obligation de reclassement – Exclusion – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 22 octobre 2020), Mme [M] a été engagée le 25 avril 1994 en qualité d'opératrice par la société Finder.

2. Le 6 novembre 2017, la salariée a été, à la suite d'un accident du travail, déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, dont l'avis mentionnait « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

3. Le 30 novembre 2017, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée une somme pour irrégularité tenant au défaut de consultation des délégués du personnel, alors :

« 1°/ que, par application des dispositions des articles L. 1226-10 et 1226-12 du code du travail, lorsque le médecin du travail précise expressément dans l'avis d'inaptitude que l'état du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur, qui est alors dispensé légalement de toute recherche de reclassement, n'est pas tenu de consulter les représentants du personnel pour recueillir leur avis sur un reclassement qu'il n'est pas tenu d'effectuer ; qu'en affirmant que la Société Finder composants était tenue de consulter les représentants du personnel après avoir pourtant relevé que dans son avis d'inaptitude en date du 6 novembre 2017, le Médecin du travail avait conclu à l'inaptitude de la salariée en précisant expressément que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

2°/ qu'en affirmant, pour faire droit à la demande de la salariée au titre de l'absence de consultation des représentants du personnel, que cette obligation s'imposait même en l'absence de possibilité de reclassement, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a derechef violé les articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

6. Il résulte du premier de ces textes que lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, et que cette proposition doit prendre en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.

7. Selon le second de ces textes, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

8. Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.

9. Pour condamner l'employeur à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts en raison du défaut de consultation des délégués du personnel, l'arrêt retient que, quelle que soit l'origine de l'inaptitude, l'employeur a l'obligation de solliciter l'avis du comité économique et social, anciennement délégués du personnel, en application des article L. 1226-2 et L. 1226-10 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que la consultation doit être faite même en l'absence de possibilité de reclassement et que le défaut de consultation des délégués du personnel est sanctionné à l'article L. 1226-15 du code du travail.

10. En statuant ainsi, par un motif inopérant, alors qu'elle avait constaté que l'avis du médecin du travail mentionnait que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, la cour d'appel a violé les textes sus-visés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée une somme au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis, alors « que l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1226-14 du code du travail, au paiement de laquelle l'employeur est tenu en cas de rupture du contrat de travail d'un salarié déclaré par le médecin du travail inapte à son emploi en conséquence d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et ne peut donner lieu au versement de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ; qu'en condamnant l'employeur à verser à la salariée, qui se prévalait d'un licenciement prononcé dans le cadre d'une inaptitude d'origine professionnelle, la somme de 5 167,80 euros au titre de l'indemnité compensatrice, outre la somme de 516,78 euros au titre des congés payés afférents, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1226-14 du code du travail :

12. Selon ce texte, l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et n'ouvre pas droit à congés payés.

13. La cour d'appel a alloué au salarié une somme correspondant à l'indemnité de préavis et une somme au titre des congés payés afférents.

14. En statuant ainsi, elle a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation prononcée sur les deuxième et troisième moyens n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Finder composants à payer à Mme [M] la somme de 10 335,60 euros pour irrégularité tenant au défaut de consultation des délégués du personnel et celle de 516,78 euros au titre des congés payés afférent à l'indemnité compensatrice de préavis, l'arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pecqueur - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; Me Balat -

Textes visés :

Articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Soc., 29 juin 2022, n° 20-19.711, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Défaut – Caractérisation – Conditions – Garantie de fond ou procédure disciplinaire conventionnelle – Violation – Constatation – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2020), M. [E] a été engagé le 19 août 2003 par la société Compagnie financière Jacques Coeur, en qualité de cadre commercial.

2. La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010.

3. Licencié pour faute lourde le 16 février 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes portant sur l'exécution et la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement pour faute lourde du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de le condamner en conséquence à lui verser diverses sommes à raison de la rupture du contrat de travail, alors « que la faculté donnée par la convention collective nationale des activités de marchés financiers à un salarié licencié pour faute grave ou lourde de saisir, dans les quinze jours de la notification du licenciement, la commission paritaire, ne peut constituer une condition de validité du licenciement, dès lors que la saisine de la commission n'est prévue que postérieurement à la notification du licenciement et que l'avis de la commission éventuellement saisie n'est que consultatif ; qu'en jugeant qu'à défaut pour l'employeur d'avoir informé le salarié de la possibilité de saisir cette commission, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 du code du travail, ensemble les articles 30,31 et 60 de la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 30,31 et 60 de la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010 :

5. La consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle ou d'un règlement intérieur, de donner son avis sur un licenciement envisagé par un employeur constitue une garantie de fond, en sorte que le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté ne peut avoir de cause réelle et sérieuse.

6. L'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d'une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié de droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé en l'espèce une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur.

7. Aux termes de l'article 60 de la convention collective susvisée, relatif au licenciement, le salarié licencié pour faute grave ou lourde a la faculté de saisir, par lettre recommandée avec avis de réception, la commission paritaire prévue aux articles 30 et 31, dans les 15 jours qui suivent la notification du licenciement, ce recours n'étant pas suspensif.

8. Selon l'article 30 de cette même convention, la commission paritaire est compétente pour notamment formuler des avis en cas de licenciement individuel d'un salarié pour faute grave ou lourde, en se prononçant sur la qualification des fautes professionnelles invoquées.

9. Il en résulte, d'une part, que la faculté de saisir la commission paritaire ayant uniquement mission de formuler un avis non suspensif sur le caractère « grave » ou « lourd » de la faute invoquée et non de se prononcer sur le principe du licenciement, dans les quinze jours qui suivent la notification de son licenciement, ne constitue pas une garantie de fond et, d'autre part, que les stipulations de la convention collective n'imposent pas à l'employeur d'informer le salarié de sa faculté de saisir la commission paritaire.

10. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle, de donner son avis sur un licenciement pour faute décidé par l'employeur constitue pour le salarié une garantie de fond. Il ajoute que le licenciement prononcé pour un motif disciplinaire, sans que le salarié ait été avisé qu'il pouvait saisir cet organisme, ne peut avoir de cause réelle et sérieuse. Il conclut que le licenciement disciplinaire de l'intéressé survenu sans information par l'employeur de son droit à saisir la commission paritaire visée par l'article 30 précité est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

11. En statuant ainsi, alors qu'il ne résultait de ses constatations ni la violation d'une garantie de fond, ni une irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident du salarié, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande formée au titre de la rémunération variable, alors « qu'il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation ; qu'en déboutant le salarié de sa demande au titre de la rémunération variable due sur l'exercice 2015, motif pris de ce qu'il ne produisait aucun élément sur ses résultats individuels, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code :

13. Aux termes de ce texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

14. Pour rejeter la demande formée par le salarié au titre de sa rémunération variable portant sur l'année 2015 et une partie de l'année 2016, l'arrêt relève que le contrat de travail régularisé entre les parties prévoit, outre le versement d'une rémunération brute annuelle de 60 000 euros, une prime de résultat annuelle en fonction d'objectifs individuels et collectifs fixés chaque année, le contrat prévoyant que cette prime peut représenter 60 000 euros si tous les objectifs sont atteints. Il ajoute qu'il ressort du document « entretien de fin d'année » signé par l'employeur et le salarié le 16 février 2015 que des objectifs pour l'année 2015 ont été fixés comme suit : « pour le salarié : générer plus de 350 K Eur de PNL pour CFJC se décomposant en 10 millions en AM sur l'Italie, 10 millions en AM sur la France dont 1 million sur MAM, 10 millions sur idinvest Digital et 20 millions sur sur idinvest fonds de dettes, pour l'employeur : 40 M € de levées au total dont 20 millions sur l'Italie (tout support confondu). »

15. Il retient que pour ces deux périodes, l'intéressé ne produit aucun élément sur ses résultats individuels qu'il se contente de qualifier d'excellents, notamment en rapport avec son activité déployée en Italie.

16. En statuant ainsi, alors qu'il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

17. La cassation des chefs de dispositif disant le licenciement pour faute lourde dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur à verser au salarié diverses sommes à raison de la rupture du contrat de travail n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt le condamnant aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande formée par M. [E] au titre de la rémunération variable et en ce qu'il dit son licenciement pour faute lourde dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne en conséquence la société Compagnie financière Jacques Coeur à lui verser les sommes de 13 417,18 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 20 176,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 2 017,62 euros de congés payés afférents, 10 088,11 euros à titre de rappels de salaire sur mise à pied conservatoire outre 1 008,81 euros de congés payés afférents, 4 126,95 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés et 60 600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 27 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Articles 30, 31 et 60 de la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010.

Rapprochement(s) :

Sur la notion de garantie de fond, à rapprocher : Soc., 8 septembre 2021, pourvoi n° 19-15.039, Bull., (cassation).

Soc., 1 juin 2022, n° 20-19.957, (B), FS

Cassation

Licenciement économique – Cause – Cause réelle et sérieuse – Motif économique – Appréciation – Existence de difficultés économiques – Caractérisation – Baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires – Durée – Détermination – Portée

La durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires, telle que définie à l'article L. 1233-3, 1°, a à d, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, de nature à caractériser des difficultés économiques, s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période.

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui, pour dire bien fondé un licenciement pour motif économique, se fonde sur la baisse significative du chiffre d'affaires, alors qu'il résultait de ses constatations que, pour une entreprise de plus de trois cents salariés, la durée de cette baisse, en comparaison avec la même période de l'année précédente, n'égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 juin 2020) et les productions, Mme [V] a été engagée le 6 décembre 1982 en qualité d'ouvrière en confection par la société Albert, aux droits de laquelle vient la société Children Worldwide Fashion (la société CWF), entreprise qui emploie plus de trois cents salariés. Elle occupait en dernier lieu le poste d'assistante au développement produit.

2. Le 16 juin 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique.

Le contrat de travail a été rompu, le 14 juillet 2017, à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait après son adhésion, le 2 juillet 2017, au contrat de sécurisation professionnelle, le motif économique de la rupture lui ayant été notifié par lettre du 5 juillet 2017.

3. Contestant le bien-fondé de cette rupture, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident de la salariée, pris en sa première branche, qui est préalable

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de juger que le licenciement est fondé sur un motif économique réel et sérieux et de la débouter de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts, alors « que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées notamment par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires ; qu'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ; que pour dire les difficultés économiques avérées, la cour d'appel a retenu qu'il était justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations qu'à la date du licenciement, notifié le 2 juillet 2017, la durée de la baisse du chiffre d'affaires de cette entreprise de plus de trois cents salariés n'égalait pas quatre trimestres consécutifs, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il développe une thèse contraire à celle exposée devant les juges du fond puisque, d'une part, la salariée prétendait se fonder sur une comparaison entre le chiffre d'affaires de l'exercice 2017 en entier et celui de l'exercice 2016 et, d'autre part, elle n'a jamais soutenu que devaient être consécutivement en baisse les quatre trimestres précédant immédiatement le licenciement.

6. Cependant le moyen tiré de la prise en considération des quatre trimestres consécutifs précédant le licenciement se trouvait inclus dans le débat, dès lors que la salariée mentionnait dans ses écritures les dispositions de pur droit de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, et que ce moyen se réfère à des considérations de fait résultant des énonciations des juges du fond.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

8. Aux termes de ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.

9. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci (Soc., 21 novembre 1990, pourvoi n° 87-44.940, Bull. 1990, V, n° 574 ; Soc., 26 février 1992, pourvoi n° 90-41.247, Bull. 1992, V, n° 130).

10. Il en résulte que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires, telle que définie par l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période.

11. Pour dire le licenciement fondé sur un motif économique réel et sérieux, l'arrêt retient qu'il convient d'apprécier les difficultés économiques justifiant les mesures de réorganisations en fonction du nombre de salariés et à la date du déclenchement de la procédure, et rappelant que la procédure de licenciement économique collectif a été engagée au second trimestre 2017, l'appréciation des difficultés économiques doit se faire au regard de l'évolution d'un des indicateurs énumérés par l'article L. 1233-3 du code du travail connus à ce moment là.

12. Il ajoute que, reprenant les données comptables relatives au chiffre d'affaires de la société, il convient de se référer à l'exercice clos 2016, seul le premier trimestre 2017 étant alors connu. Il retient encore qu'il résulte de l'attestation du commissaire aux comptes de la société CWF que le chiffre d'affaires 2016 était, à la clôture de l'exercice, en recul de 22 835 millions d'euros par rapport à 2015 en raison notamment de l'arrêt de la commercialisation de la marque Burberry lié à la perte de la licence d'exploitation, et que le premier trimestre 2017 n'affichait qu'une légère hausse de 0,50 % par rapport au premier trimestre 2016 mais restait très en deçà du chiffre d'affaires du premier trimestre 2015.

13. Il conclut qu'il est ainsi justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016, n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs.

14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la même période de l'année précédente, n'égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de trois cents salariés, la cour d'appel, qui ce faisant n'a pas caractérisé les difficultés économiques, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation prononcée sur le moyen du pourvoi incident relatif au motif économique du licenciement entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le moyen du pourvoi principal portant sur la condamnation de l'employeur à payer à la salariée des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi au titre des critères d'ordre, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi principal et sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la date d'appréciation des difficultés économiques, à rapprocher : Soc., 26 février 1992, pourvoi n° 90-41.247, Bull. 1992, V, n° 130 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 1 juin 2022, n° 20-17.360, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement économique – Formalités légales – Lettre de licenciement – Notification – Délai – Respect par l'employeur – Contrat de sécurisation professionnelle – Mention des motifs de la rupture – Enonciation par écrit – Portée

Selon l'article 5 de la convention Unédic relative au contrat de sécurisation professionnelle du 19 juillet 2011, agréée par arrêté du 6 octobre 2011, lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d'information sur le contrat de sécurisation professionnelle remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser, en application de ce texte, au salarié lorsque le délai dont ce dernier dispose pour faire connaître sa réponse à la proposition de contrat de sécurisation professionnelle expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail. Lorsque le salarié adhère au contrat de sécurisation professionnelle, la rupture du contrat de travail intervient à l'expiration du délai dont il dispose pour prendre parti.

Il en résulte qu'un salarié qui a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, ne peut se prévaloir du non respect par l'employeur du délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par l'article L.1233-39 du code du travail, dès lors que la lettre qui lui a été adressée en application du texte conventionnel précité, n'avait d'autre but que de lui notifier le motif économique du licenciement envisagé et de lui préciser qu'en cas de refus du contrat de sécurisation professionnelle, elle constituerait la notification de son licenciement, et n'a pas eu pour effet de rompre le contrat de travail.

Licenciement économique – Mesures d'accompagnement – Contrat de sécurisation professionnelle – Mention des motifs de la rupture – Enonciation dans un écrit – Effets – Rupture du contrat de travail (non)

Licenciement économique – Mesures d'accompagnement – Contrat de sécurisation professionnelle – Mention des motifs de la rupture – Enonciation dans un écrit – Moment – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 février 2020) et les productions, M. [U] a été engagé, le 19 janvier 2011, par la société Falconstor Software en qualité d'ingénieur avant-vente.

2. En septembre et octobre 2013, l'employeur a soumis aux délégués du personnel un projet de licenciement collectif envisageant la réorganisation de l'entreprise et la suppression de douze postes.

3. Le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique, le 17 octobre 2013, au cours duquel il lui a été proposé un contrat de sécurisation professionnelle.

Par lettre du 4 novembre 2013, la société lui a notifié les motifs économiques de la rupture envisagée en lui précisant qu'en cas de refus du contrat de sécurisation professionnelle, cette lettre constituerait la notification de son licenciement.

4. Le contrat de travail a été rompu, le 7 novembre 2013, à l'issue du délai de réflexion dont il disposait pour faire connaître sa réponse, après qu'il a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.

5. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale, pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement pour motif économique est justifié et que son employeur a respecté ses obligations procédurales et de recherche de reclassement et, en conséquence, de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « que dans les entreprises de moins de cinquante salariés, la lettre de notification de licenciement ne peut être adressée avant l'expiration d'un délai de trente jours courant à compter de la notification du projet de licenciement à l'autorité administrative ; que lorsque ce délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié, il est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ; qu'en considérant que l'employeur justifiait avoir notifié le licenciement le 4 novembre 2013, soit plus de trente jours après l'envoi du projet de licenciement à la Direccte, le 4 octobre 2013, cependant que le délai de trente jours expirant le dimanche 3 novembre 2013, il était prorogé au lundi 4 novembre 2013, de sorte que l'employeur ne pouvait notifier le licenciement avant le mardi 5 novembre suivant, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-39 et R. 1231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article 5 de la convention Unédic relative au contrat de sécurisation professionnelle du 19 juillet 2011, agréée par arrêté du 6 octobre 2011, lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d'information sur le contrat de sécurisation professionnelle remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser, en application de ce texte, au salarié lorsque le délai dont ce dernier dispose pour faire connaître sa réponse à la proposition de contrat de sécurisation professionnelle expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail. Lorsque le salarié adhère au contrat de sécurisation professionnelle, la rupture du contrat de travail intervient à l'expiration du délai dont il dispose pour prendre parti.

9. La cour d'appel ayant constaté que le contrat de travail avait été rompu le 7 novembre 2013 par l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé, il en résulte que la lettre du 4 novembre 2013, adressée en application du texte conventionnel précité, dès lors que le délai de réflexion expirait après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par l'article L. 1233-39 du code du travail, n'avait d'autre but que de notifier à l'intéressé le motif économique du licenciement envisagé et de lui préciser qu'en cas de refus du contrat de sécurisation professionnelle, elle constituerait la notification de son licenciement, et n'a pas eu pour effet de rompre le contrat de travail.

10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié en ce qu'il déboute le salarié de sa demande indemnitaire pour violation de la procédure de licenciement.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en paiement de rappels d'heures supplémentaires et d'indemnité pour travail dissimulé, alors : « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de répondre en produisant ses propres éléments ; qu'en considérant que les éléments versés aux débats par le salarié ne permettaient pas d'étayer suffisamment sa demande d'heures supplémentaires, après avoir pourtant constaté, d'une part, que ce dernier produisait un décompte mentionnant la durée quotidienne des journées de travail et les temps de transport pour rejoindre les différents lieux de mission et pour retourner à son domicile ainsi que les justificatifs de transports et, d'autre part, qu'il récapitulait sous forme de tableaux, dans ses conclusions, sa durée hebdomadaire de travail, ce dont il résultait qu'il avait présenté des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

12. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

13. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

14. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

15. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient que le salarié communique un décompte des heures supplémentaires qu'il prétend avoir accomplies, depuis son embauche en janvier 2011 et jusqu'au mois de juin 2013, mais que ce décompte ne déduit pas les temps de trajet habituels pour se rendre à son travail, ne fournit aucun élément sur ses heures d'arrivée et de départ sur les lieux de mission indiqués ou encore sur ses temps de pause.

16. L'arrêt retient encore que le calcul est réalisé à partir de l'estimation d'un temps de travail quotidien pour une journée type multipliée par le nombre de jours concernés par le déplacement considéré, que les chiffres figurant sur les décomptes ne correspondent pas toujours aux tableaux figurant dans ses conclusions et que ces décomptes reprennent systématiquement, pour chaque jour de mission, le même temps de transport, sans justifier de la réalité des déplacements, en dehors de ceux effectués en début et en fin de mission pour lesquels les titres de transport sont produits.

17. L'arrêt retient enfin que de tels relevés, établis unilatéralement par le salarié, sans aucun élément objectif permettant d'en contrôler la réalité, ne sont pas suffisamment précis pour que l'employeur puisse y répondre et ne permettent pas la reconstitution des horaires effectivement réalisés pour le compte de l'entreprise de sorte que la demande n'est pas autrement étayée que par les propres allégations du salarié.

18. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [U] de sa demande en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents et au titre d'une indemnité pour travail dissimulé, rejette la demande de remise sous astreinte de bulletins de salaire rectifiés et d'une attestation Pôle emploi modifiée, et en ce qu'il le condamne aux dépens et à payer à la société Falconstor Software la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : Me Haas -

Textes visés :

Articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation de l'employeur d'énoncer dans un écrit le motif économique de la rupture en cas d'adhésion du salarié à un contrat de sécurisation professionnelle, à rapprocher : Soc., 22 septembre 2015, pourvoi n° 14-16.218, Bull. 2015, V, n° 171 (1) (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 1 juin 2022, n° 20-16.404, (B), FS

Rejet

Licenciement économique – Mesures d'accompagnement – Congé de reclassement – Participation aux résultats de l'entreprise – Accord de participation – Répartition de l'intéressement – Montant – Calcul – Assiette – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 avril 2020), Mme [I] a été engagée le 24 juin 1980 en qualité de technicienne filière électronique par la société Alcatel Lucent International qui relève de la convention collective de la métallurgie de la région parisienne.

Le 29 mars 2013, une convention de rupture d'un commun accord pour motif économique a été signée entre les parties à effet au 1er avril 2013.

La salariée a été en congé de reclassement jusqu'au 31 décembre 2016.

2. Le 28 juillet 2016, la salariée a saisi la juridiction prud'homale en sollicitant notamment un solde d'indemnité conventionnelle de licenciement et une certaine somme au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail en faisant valoir que la société n'avait pas fait une application régulière de l'accord d'intéressement du 28 juin 2013 s'agissant de l'intéressement versé au titre de l'année 2015.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande au titre du solde de l'indemnité de licenciement, alors :

« 1°/ que l'accord d'entreprise du 31 janvier 1991 dispose que pour leur indemnité de licenciement, les personnes d'échelon V2 et V3 âgés de plus de 55 ans bénéficieront des mêmes règles que celles prévues à l'article 29 de la convention collective des ingénieurs et cadres, tout en ajoutant, dans un paragraphe distinct et autonome, que l'indemnité de licenciement des personnes d'échelon V2 et V3 âgées de plus de 55 ans sera majorée de 30 % ; qu'il en résulte que l'accord d'entreprise excluait l'application du plafond de 18 mois prévu dans la convention de branche ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa version applicable aux faits, ensemble l'article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie et le titre III de l'accord d'entreprise relatif à certaines mesures destinées à faciliter le développement de carrières des techniciens en date du 31 janvier 1991.

2°/ qu'il résulte de l'article L. 2251-1 du code du travail et du principe fondamental, en droit du travail, qu'en cas de conflit de normes, c'est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir application ; que l'accord d'entreprise du 31 janvier 1991 dispose que l'indemnité de licenciement allouée aux personnes d'échelon V2 et V3 âgées de plus de 55 ans sera majorée de 30 % ; que l'article 29 de la convention collective nationale dispose que les ingénieurs et cadres âgés d'au moins 55 ans et de moins de 60 ans et ayant 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise bénéficient d'une indemnité majorée de 30 % avec un plancher minimal de 6 mois et un plafond de 18 mois ; qu'en s'abstenant de déterminer si l'accord d'entreprise n'était pas plus favorable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de faveur et des articles L. 2251-1 et L. 1234-9 du code du travail dans sa version applicable aux faits, ensemble de l'article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie et du titre III de l'accord d'entreprise relatif à certaines mesures destinées à faciliter le développement de carrières des techniciens en date du 31 janvier 1991.

3°/ que l'accord d'entreprise du 31 janvier 1991 dispose que pour leur indemnité de licenciement, les personnes d'échelon V2 et V3 âgés de plus de 55 ans bénéficieront des mêmes règles que celles prévues à l'article 29 de la convention collective des ingénieurs et cadres, tout en ajoutant dans un paragraphe distinct et autonome que l'indemnité de licenciement des personnes d'échelon V2 et V3 âgées de plus de 55 ans sera majorée de 30 % ; que l'exposante avait fait valoir que lors de la réunion des délégués du personnel du mois de mai 2016, la direction avait confirmé l'application sans condition ni plafonnement de la disposition litigieuse ; qu'en se dispensant d'examiner ce point, comme elle y était pourtant invitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa version applicable aux faits, ensemble l'article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie et le titre III de l'accord d'entreprise relatif à certaines mesures destinées à faciliter le développement de carrières des techniciens en date du 31 janvier 1991. »

Réponse de la Cour

4. Ayant relevé que l'accord du 31 janvier 1991 prévoyait que les techniciens d'échelon V2 et V3 « bénéficieront des mêmes règles que celles prévues à l'article 29 », sans exclure aucune de ces règles ou poser aucune restriction et que cet accord renvoyait à l'article 29 de la convention collective de branche pour la détermination des modalités de calcul de l'indemnité de licenciement et pour les dispositions ne faisant pas l'objet de dispositions spéciales, la cour d'appel a exactement retenu, en l'absence de concours entre les accords collectifs également applicables, que le plafond de dix-huit mois de traitement prévu par la convention collective de branche s'appliquait à l'indemnité déterminée par l'accord d'entreprise.

5. Il s'ensuit que le moyen, inopérant en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter le montant des dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail à la somme de 200 euros, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 3342-1 du code du travail que, sous réserve d'une condition d'ancienneté qui ne peut excéder trois mois, tous les salariés d'une entreprise compris dans le champ des accords d'intéressement bénéficient de leurs dispositions, de sorte que les titulaires d'un congé de reclassement, qui demeurent salariés de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé en application de l'article L. 1233-72 du code du travail, bénéficient de l'intéressement, que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la répartition de celui-ci ; qu'en jugeant que la salariée ne répondait pas aux conditions d'éligibilité à l'accord d'intéressement, sans vérifier son appartenance aux effectifs de l'entreprise durant le congé de reclassement, alors qu'il s'agissait de la seule condition d'éligibilité à l'accord d'intéressement, la cour d'appel a violé par refus d'application les articles L. 1233-72 et L. 3342-1 du code du travail, ensemble les articles 3 et 4 de l'accord d'intéressement en date du 28 juin 2013.

2°/ qu'il résulte de l'article L. 3342-1 du code du travail que, sous réserve d'une condition d'ancienneté qui ne peut excéder trois mois, tous les salariés d'une entreprise compris dans le champ des accords d'intéressement bénéficient de leurs dispositions, de sorte que les titulaires d'un congé de reclassement, qui demeurent salariés de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé en application de l'article L. 1233-72 du code du travail, bénéficient de l'intéressement, que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la répartition de celui-ci ; qu'en jugeant que la salariée ne répondait pas aux conditions d'éligibilité à l'accord d'intéressement, au motif que les sommes versées au titre de l'intéressement ne devaient pas être prises en compte dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congé de reclassement, alors que ladite assiette est sans incidence sur les conditions d'éligibilité à l'accord d'intéressement, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation des articles L. 1233-72 et L. 3342-1 du code du travail, ensemble les articles 3 et 4 de l'accord d'intéressement en date du 28 juin 2013.

3°/ qu'il résulte de l'article L. 3342-1 du code du travail que, sous réserve d'une condition d'ancienneté qui ne peut excéder trois mois, tous les salariés d'une entreprise compris dans le champ des accords d'intéressement bénéficient de leurs dispositions, de sorte que les titulaires d'un congé de reclassement, qui demeurent salariés de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé en application de l'article L. 1233-72 du code du travail, bénéficient de l'intéressement, que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la répartition de celui-ci ; qu'en jugeant que la salariée ne répondait pas aux conditions d'éligibilité à l'accord d'intéressement, au motif que le congé de reclassement ne fait pas partie des périodes assimilées par l'article L. 3141-5 du code du travail à du temps de travail effectif et qu'il n'était pas justifié d'une disposition conventionnelle assimilant le congé de reclassement à du temps de travail effectif, la cour d'appel a statué par des motifs tout aussi erronés qu'inopérants, en violation des articles L. 1233-72 et L. 3342-1 du code du travail, ensemble les articles 3 et 4 de l'accord d'intéressement en date du 28 juin 2013. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article L. 3342-1 du code du travail que, sous réserve d'une condition d'ancienneté qui ne peut excéder trois mois, tous les salariés d'une entreprise compris dans le champ des accords de participation ou d'intéressement bénéficient de leurs dispositions, de sorte que les titulaires d'un congé de reclassement, qui demeurent salariés de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé en application de l'article L. 1233-72 du code du travail, bénéficient de la participation ou de l'intéressement, que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation.

8. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 3314-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, la répartition de l'intéressement entre les bénéficiaires peut être uniforme, proportionnelle à la durée de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice ou proportionnelle aux salaires.

L'accord peut également retenir conjointement ces différents critères. Ces critères peuvent varier selon les établissements et les unités de travail. A cet effet, l'accord peut renvoyer à des accords d'établissement.

Sont assimilées à des périodes de présence :

1° Les périodes de congé de maternité prévu à l'article L. 1225-17 et de congé d'adoption prévu à l'article L. 1225-37 ;

2° Les périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle en application de l'article L. 1226-7.

9. Aux termes de l'article 4 de l'accord d'intéressement du 28 juin 2013, le salaire servant de base à la répartition est égal au total des sommes perçues par chaque bénéficiaire au cours de l'exercice considéré et répondant aux règles fixées à l'article 231 du code général des impôts relatif à la taxe sur les salaires.

10. En application des articles L. 1233-72 et L. 5123-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause, l'allocation de reclassement qui excède la durée du préavis n'est pas soumise aux cotisations de sécurité sociale, ni à la taxe sur les salaires.

11. Il en résulte que l'allocation de reclassement qui excède la durée du préavis n'entre pas dans l'assiette de la répartition de l'intéressement prévue par l'accord d'intéressement du 28 juin 2013.

12. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 3314-3 du code du travail, lorsque la répartition de l'intéressement est proportionnelle aux salaires, les salaires à prendre en compte au titre des périodes de congés, de maternité et d'adoption ainsi que des périodes de suspension consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle sont ceux qu'aurait perçus le bénéficiaire s'il avait été présent.

13. Il en résulte que la période du congé de reclassement n'est pas légalement assimilée à une période de temps de travail effectif.

14. L'arrêt constate que l'accord d'intéressement du 28 juin 2013 prévoit une répartition de l'intéressement, à hauteur de 50 % en fonction de la durée de présence du salarié dans l'entreprise et à hauteur de 50 % en fonction de la rémunération brute annuelle perçue au cours de l'exercice de référence et que l'accord précise que les absences résultant des congés payés, des jours de récupération du temps de travail ou de repos supplémentaires, des congés d'ancienneté, des congés conventionnels, des congés de formation prévus au plan de formation, des congés de formation économique, sociale et syndicale, des heures de délégation, de la maternité, de l'accident du travail et du trajet et d'une façon générale des périodes légalement ou conventionnellement assimilées au travail effectif n'ont aucune incidence sur le droit à répartition.

15. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a jugé qu'il n'était pas justifié d'une disposition conventionnelle assimilant le congé de reclassement à du temps de travail effectif et que la simple prise en compte par l'employeur de la prime d'ancienneté pour calculer la répartition de l'intéressement à l'expiration de la période de préavis n'était pas contraire aux règles légales et conventionnelles applicables.

16. Par ce motif de pur droit, les parties en ayant été avisées en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve justifié.

17. Le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Huglo - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 1233-72, L. 3342-1, R. 3314-3, L. 3314-5, alinéa 1, et L. 5123-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ; accord d'intéressement du 28 juin 2013 au sein de la société Alcatel-Lucent International.

Rapprochement(s) :

Sur le droit pour les salariés titulaires d'un congé de reclassement de bénéficier de la répartition des résultats de l'entreprise, à rapprocher : Soc., 7 novembre 2018, pourvoi n° 17-18.936, Bull., (rejet), et les arrêts cités.

Soc., 29 juin 2022, n° 20-22.220, (B), FS

Rejet

Licenciement – Formalités légales – Lettre de licenciement – Contenu – Mention des motifs de licenciement – Droit du salarié de demander des précisions sur les motifs du licenciement – Information du salarié – Obligation de l'employeur – Exclusion – Portée

Il résulte de l'article L. 1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et de l'article R. 1232-13 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017, qu'aucune disposition n'impose à l'employeur d'informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 29 septembre 2020) Mme [P] a été engagée par la société BNP Paribas à compter du 9 mai 1983 en qualité d'assistante. Elle occupait au dernier état de la relation de travail les fonctions de directrice commerciale.

2. Le 22 juin 2017 la salariée a été convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé le 6 juillet 2017.

3. L'entretien préalable a été successivement reporté au 22 août, au 3 octobre 2017 et au 5 janvier 2018.

4. Elle a été licenciée pour faute grave le 2 février 2018.

5. La salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 15 mars 2018, en nullité de son licenciement et en contestation de son bien-fondé.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa troisième branche et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen pris, en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

7. La salariée fait grief à l'arrêt de dire régulier et bien-fondé son licenciement pour faute grave, de la débouter de l'ensemble de ses demandes, y compris de ses demandes additionnelles, alors :

« 1° / qu'il incombe à l'employeur de préciser dans la lettre de licenciement que le salarié peut, en vertu des dispositions de l'article R. 1232-13 du code du travail, lui demander d'apporter des précisions sur les motifs de la rupture ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'employeur n'avait pas informé la salariée de cette possibilité ; qu'en énonçant, pour dire la lettre de licenciement suffisamment motivée et le licenciement bien-fondé, que la salariée s'était abstenue d'user des dispositions de l'article R. 1232-13 du code du travail pour demander à son employeur de lui préciser les motifs de la rupture, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article R. 1232-13 du code du travail, ensemble l'article 1147 devenu L. 1231-1 du code civil ;

2°/ que la lettre de licenciement n'est suffisamment motivée que si elle fait état de motifs matériellement vérifiables ; qu'en affirmant que la lettre de licenciement « s'avère précisément motivée » quand elle ne comportait ni le nom des salariés imputant à la salariée des faits de harcèlement moral, ni la date de ces faits, ni la durée de ces prétendus agissements, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail.»

Réponse de la Cour

8. D'abord, aux termes de l'article L. 1235-2 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 du même code peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l'employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d'État.

9. Selon l'article R. 1232-13 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017, le salarié peut, dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, demander à l'employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement.

L'employeur dispose d'un délai de quinze jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s'il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et selon les mêmes formes, l'employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement.

10. Il en résulte qu'aucune disposition n'impose à l'employeur d'informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés.

11. Ensuite, ayant constaté que la lettre de licenciement énonçait un grief tiré d'un comportement et de propos déplacés de la salariée à l'égard de quatre collaborateurs de nature à mettre en péril leur santé psychique et à dégrader leurs conditions de travail, la cour d'appel, qui a retenu que ce motif de licenciement était précis et matériellement vérifiable, en a exactement déduit que cette lettre répondait à l'exigence légale de motivation.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors : « qu'en relevant, pour retenir des faits de harcèlement moral imputables à la salariée, que l'enquête interne diligentée par la BNP respectait les exigences d'impartialité et que la salariée n'avait pas sollicité d'auditions supplémentaires, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la banque ne l'avait pas informée de l'existence d'une enquête alors qu'elle avait déjà été menée et clôturée, en sorte que les droits de la défense de la salariée accusée de harcèlement, dont le principe du contradictoire, avaient été gravement méconnus, cette dernière n'ayant été ni entendue ni confrontée aux plaignants et témoins, et partant, que la procédure d'enquête ne pouvait légitimement lui être opposée, en sorte que le licenciement fondé sur ses conclusions était dénué de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1235-3 du code du travail. »

Réponse de la cour

14. Le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n'impose pas que, dans le cadre d'une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d'autres salariés, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies ou qu'il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ni qu'il soit entendu, dès lors que la décision que l'employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement.

15. Le moyen, qui soutient le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Grandemange - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Gadiou et Chevallier ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article L. 1235-2, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et R. 1232-13, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence d'obligation pour l'employeur d'informer le salarié de son droit de demander des précisions sur les motifs du licenciement, cf : CE, 6 mai 2019, n° 417299.

Soc., 15 juin 2022, n° 20-21.090, (B), FRH

Rejet

Licenciement – Licenciement disciplinaire – Faute du salarié – Faute grave – Caractérisation – Cas – Salarié professionnel de santé – Manquements du salarié – Manquement aux obligations ayant des conséquences sur la santé des patients – Violation par l'employeur du secret médical – Exclusion – Conditions – Portée

Le secret professionnel est institué dans l'intérêt des patients. Il s'agit d'un droit propre au patient instauré dans le but de protéger sa vie privée et le secret des informations le concernant. Un salarié professionnel de santé, participant à la transmission de données couvertes par le secret, ne peut donc se prévaloir, à l'égard de son employeur, d'une violation du secret médical pour contester le licenciement fondé sur des manquements à ses obligations ayant des conséquences sur la santé des patients.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 juin 2020), Mme [W] a été engagée le 12 octobre 2011 en qualité d'infirmière par l'association Gardanaise pour la gestion d'équipements sociaux en faveur de personnes âgées. Dans le dernier état de la relation de travail, elle occupait l'emploi d'infirmière coordinatrice.

2. Licenciée pour faute grave, elle a contesté cette mesure devant la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement était fondé sur une faute grave et de la débouter de l'ensemble de ses demande, alors « que le licenciement fondé sur une violation par l'employeur du principe fondamental du secret médical est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en justifiant son licenciement prononcé pour faute grave lorsqu'il reposait sur la violation par l'employeur du secret médical qui l'avait conduit à se référer aux dossiers médicaux de plusieurs résidents dont la précision de la première lettre du nom ne garantissait pas un parfait anonymat, la cour d'appel a violé les articles L. 1243-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail, ensemble les articles 226-13 du code pénal et L. 1110-4 du code de santé publique. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique que le secret professionnel est institué dans l'intérêt des patients. Il s'agit d'un droit propre au patient instauré dans le but de protéger sa vie privée et le secret des informations le concernant.

6. Un salarié professionnel de santé, participant à la transmission de données couvertes par le secret, ne peut donc se prévaloir, à l'égard de son employeur, d'une violation du secret médical pour contester le licenciement fondé sur des manquements à ses obligations ayant des conséquences sur la santé des patients.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Seguy - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique.

Rapprochement(s) :

Sur le principe que le secret médical est instauré dans le seul intérêt du patient, à rapprocher : Crim., 13 octobre 2020, pourvoi n° 19-87.341, Bull., (rejet).

Soc., 29 juin 2022, n° 21-11.437, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Licenciement disciplinaire – Faute du salarié – Preuve – Moyen de preuve – Applications diverses – Preuve de la commission par un salarié de faits de harcèlement sexuel ou moral – Production du rapport d'une enquête interne – Validité – Conditions – Détermination – Office du juge – Portée

D'une part, la règle probatoire, prévue par l'article L. 1154-1 du code du travail, n'est pas applicable lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement sexuel ou moral.

D'autre part, il résulte des articles L. 1152-4, L. 1152-5, L. 1153-5, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, du code du travail et les articles L. 1153-6 et L. 1234-1 du même code et du principe de la liberté de la preuve en matière prud'homale qu'en cas de licenciement d'un salarié en raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral, le rapport de l'enquête interne, à laquelle recourt l'employeur, informé de possibles faits de harcèlement sexuel ou moral dénoncés par des salariés et tenu envers eux d'une obligation de sécurité lui imposant de prendre toutes dispositions nécessaires en vue d'y mettre fin et de sanctionner leur auteur, peut être produit par l'employeur pour justifier la faute imputée au salarié licencié. Il appartient aux juges du fond, dès lors qu'il n'a pas été mené par l'employeur d'investigations illicites, d'en apprécier la valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 11 décembre 2020), M. [D], engagé le 23 juillet 1990 en qualité de conseiller clientèle par le Crédit mutuel Arkéa (la société), occupant en dernier lieu le poste de directeur de caisse, a été mis à pied à titre conservatoire le 21 janvier 2015. Convoqué à un entretien préalable au licenciement s'étant tenu le 12 février 2015, il a sollicité la réunion du conseil de discipline qui a eu lieu le 10 mars 2015. Il a été licencié le 11 mars 2015 pour faute grave à raison de faits de harcèlement sexuel ainsi que de faits de harcèlement moral tenant à un management agressif.

2. Le salarié a saisi le 26 octobre 2015 la juridiction prud'homale aux fins de contester son licenciement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse, de la condamner à lui payer des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'ordonner le remboursement par la société à tout organisme financier intéressé des indemnités chômage versées au salarié dans la limite de six mois, alors :

« 1°/ qu'en matière prud'homale, la preuve est libre ; que l'enquête interne réalisée par l'employeur pour établir l'existence des faits de harcèlement sexuel et moral reprochés à un salarié n'est soumise à aucun formalisme et ne peut être écartée des débats comme déloyale au prétexte de prétendus dysfonctionnements dans son déroulement ; qu'en l'espèce, il était constant entre les parties qu'à la suite de la dénonciation par deux salariées du Crédit de faits de harcèlement moral et sexuel de la part de leur supérieur hiérarchique, la société exposante a mené une enquête interne et interrogé les salariés en relation directe avec ces faits, en l'occurrence, M. [D] et Mmes [W] et [K] et que, dans le cadre de cette enquête, le salarié licencié a admis la matérialité des faits fautifs ; que pour juger que le comportement fautif de M. [D] n'était pas caractérisé et écarter l'existence d'une faute grave de sa part, la cour d'appel a néanmoins estimé que l'enquête interne menée par l'exposante aurait été déloyale dès lors qu'elle s'était déroulée sans audition de l'ensemble des salariés témoins ou intéressés par les faits litigieux, que les salariées ayant dénoncé les faits ont été entendues ensemble, que le compte-rendu n'était pas signé et que la durée de « l'interrogatoire » de M. [D] n'était pas précisée, pas plus que les temps de repos ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter cet élément de preuve pour déloyauté, la cour d'appel, qui a subordonné l'enquête interne à un formalisme que la loi n'exige pas, a violé les articles L. 1152-1, L. 1152-4, L. 1152-5, L. 1153-1, L. 1153-5, L. 1153-6, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail ;

3°/ qu'en matière prud'homale, la preuve est libre ; que les faits de harcèlement moral et sexuel peuvent en conséquence être démontrés par l'employeur par tous moyens ; que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les moyens dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties ; qu'en l'espèce, afin d'établir la matérialité des faits de harcèlement reprochés à M. [D], la société Crédit faisait valoir qu'à la suite de la révélation des faits litigieux, et parallèlement à l'enquête interne menée auprès des salariées ayant dénoncé les faits, des entretiens avaient été réalisés avec les autres collaborateurs de M. [D] ; qu'étaient ainsi versés aux débats les comptes rendus de ces entretiens, au cours desquels de nombreux salariés de l'entreprise avaient fait état des propos déplacés et des méthodes de management agressives de M. [D] ; que pour juger que le comportement fautif de M. [D] n'était pas caractérisé, la cour d'appel s'est bornée à considérer que l'enquête interne menée par l'exposante était déloyale en l'absence d'audition de l'ensemble des salariés témoins ou intéressés par les faits dénoncés et d'information ou de saisine du CHSCT ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les autres pièces versées aux débats par la société Crédit, dont il ressortait que d'autres salariés de l'entreprise avaient été entendus et témoignaient des faits de harcèlement moral et sexuel reprochés à M. [I]'h dans la lettre de licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1, L. 1152-4, L. 1152-5, L. 1153-1, L. 1153-5, L. 1153-6, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-4, L.1152-5, L. 1153-5, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, du code du travail et les articles L. 1153-6 et L. 1234-1 du même code :

4. D'une part, la règle probatoire, prévue par l'article L. 1154-1 du code du travail, n'est pas applicable lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement sexuel ou moral.

5. En matière prud'homale, la preuve est libre.

6. D'autre part, selon l'article L. 1153-5 du code du travail, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre fin et de les sanctionner.

Selon l'article L. 1152-4 du même code, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement moral.

7. Il résulte des textes susvisés et du principe de liberté de preuve en matière prud'homale qu'en cas de licenciement d'un salarié à raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral, le rapport de l'enquête interne, à laquelle recourt l'employeur, informé de possibles faits de harcèlement sexuel ou moral dénoncés par des salariés et tenu envers eux d'une obligation de sécurité lui imposant de prendre toutes dispositions nécessaires en vue d'y mettre fin et de sanctionner leur auteur, peut être produit par l'employeur pour justifier la faute imputée au salarié licencié. Il appartient aux juges du fond, dès lors qu'il n'a pas été mené par l'employeur d'investigations illicites, d'en apprécier la valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties.

8. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt constate que, selon le rapport de l'inspection générale en date du 26 janvier 2015, une salariée a décrit « des propos récurrents à connotation sexuelle » tels que des propos « graveleux et déplacés sur son physique, ses tenues vestimentaires ou celles de collègues, sur les seins de sa femme », qu'une autre salariée dénonce une pression quotidienne et des reproches permanents, M [D] lui ayant notamment « avoué être contre sa titularisation » lors de son entretien annuel d'appréciation en 2013 et qu'elle évoque également une réflexion du salarié sur son décolleté.

L'arrêt retient toutefois que la durée de l'interrogatoire de M. [D] n'est pas précisée, pas plus que le temps de repos, que seules les deux salariées qui se sont plaintes de son comportement ont été entendues, que cette audition a été commune, que l'ensemble de ces éléments et notamment le caractère déloyal de l'enquête à charge réalisée par l'inspection générale, sans audition de l'ensemble des salariés témoins ou intéressés par les faits dénoncés par les deux salariées, sans information ou saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ne permet pas d'établir la matérialité des faits dénoncés et de présumer d'un harcèlement sexuel ou d'un harcèlement moral.

9. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter des débats le rapport d'enquête interne dont elle constatait qu'il faisait état de faits de nature à caractériser un harcèlement sexuel ou un harcèlement moral de la part du salarié licencié, sans examiner les autres éléments de preuve produits par l'employeur qui se prévalait dans ses conclusions des comptes-rendus des entretiens avec les salariés entendus dans le cadre de l'enquête interne ainsi que d'attestations de salariés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [D] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral, l'arrêt rendu le 11 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1234-1, L. 1152-4, L. 1152-5, L. 1153-6 et L. 1153-5, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, du code du travail ; principe de la liberté de la preuve en matière prud'homale.

Rapprochement(s) :

Sur l'enquête interne effectuée par l'employeur à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral ou sexuel, à rapprocher : Soc., 17 mars 2021, pourvoi n° 18-25.597, Bull., (cassation). Sur l'exclusion de l'application des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement moral ou sexuel, dans le même sens que : Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-17.393, Bull. 2012, V, n° 56 (rejet). Sur le principe qu'en matière prud'homale la preuve est libre, dans le même sens que : Soc., 27 mars 2001, pourvoi n° 98-44.666, Bull. 2001, V, n° 108 (1) (rejet) ; Soc., 23 octobre 2013, pourvoi n° 12-22.342, Bull. 2013, V, n° 245 (cassation).

Soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060, (B), FS

Rejet

Licenciement – Nullité – Cas – Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale – Applications diverses – Atteinte à la liberté d'expression du salarié – Portée

Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

Licenciement – Nullité – Cas – Pluralité de motifs de licenciement – Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale dans l'un des motifs du licenciement – Application diverses – Portée

Licenciement – Formalités légales – Lettre de licenciement – Contenu – Mention des motifs du licenciement – Pluralité de motifs – Motif illicite – Effets – Nullité du licenciement – Cas – Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale – Atteinte à la liberté d'expression du salarié – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 7 mai 2020), M. [C] a été engagé à compter du 5 août 1991 par la Société sucrière agricole de Maizy, devenue Union Sda puis Tereos Syral, en qualité d'ingénieur adjoint au directeur technique.

En 2015, son contrat de travail a été transféré à la société Tereos participations, filiale française du groupe Tereos.

Le 16 août 2016, il a pris les fonctions de directeur général de la société Tereos romania, filiale roumaine du groupe.

2. Il a été licencié pour faute grave le 20 janvier 2017.

3. Contestant cette mesure, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement de son salarié était nul et de le condamner à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis et d'indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2017, en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, alors :

« 1°/ que le juge doit examiner les griefs tels qu'ils sont énoncés dans la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, l'employeur reprochait notamment au salarié de s'être limité à multiplier les accusations graves sur de possibles faits de corruption et des manquements aux règles de sécurité, en mettant en cause son supérieur hiérarchique, M. [R] mais aussi le groupe dans son ensemble, lorsqu'il lui appartenait, en sa qualité de directeur de la filiale, d'établir un rapport circonstancié sur les dysfonctionnements constatés, de prendre les mesures pour y remédier et de proposer des actions et mesures concrètes pour rétablir un fonctionnement conforme aux règles du groupe ; qu'à ce titre, l'employeur rappelait, preuve à l'appui, qu'après l'accident survenu le 28 novembre 2016 sur le site de Ludus, le salarié avait cherché à se défausser de toute responsabilité en suggérant de confier à son adjoint, M. [J], dont il contestait pourtant les compétences et dont il envisageait le licenciement, une délégation de pouvoir en matière de sécurité, non sans lui avoir au préalable attribué la responsabilité des opérations de production ; que l'employeur indiquait, sans être contesté, qu'à l'inverse du salarié, son successeur avait mis en oeuvre les mesures qui s'imposaient (licenciement de l'ingénieur sécurité qui était en place lorsque le salarié dirigeait la filiale, élaboration de procédures conformes aux standards du groupe, travaux de mise en conformité, formation du personnel etc.) ce qui avait permis à la filiale de ne déplorer aucun accident du travail avec arrêt de travail en 2018 ; qu'en écartant tout manquement du salarié, aux prétextes que les faits dénoncés par lui, en des termes qui n'étaient ni injurieux, ni excessifs, ni diffamatoires, reposaient sur des éléments précis, objectifs et corroborés, que préalablement à l'accident survenu le 28 novembre, l'intéressé avait confié à M. [J] la mission de définir des plans d'action en matière de sécurité et pris ensuite des mesures en urgence pour parer à la survenance d'autres accidents, le salarié ayant enfin continué, malgré son souhait de ne plus occuper son poste en Roumanie, à exercer de manière effective la direction de cette entité jusqu'à sa mise à pied conservatoire, sans à aucun moment rechercher si, comme il en avait reçu l'instruction et comme le lui imposaient ses fonctions de directeur de l'entreprise litigieuse, le salarié avait pris toutes les mesures nécessaires pour identifier et résoudre les dysfonctionnements observés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2° / que si l'exercice de la liberté d'expression dans l'entreprise et en dehors de celle-ci ne peut justifier un licenciement, c'est à la condition qu'il ne dégénère pas en abus, celui-ci étant notamment constitué lorsque le salarié a usé de termes diffamatoires, injurieux ou excessifs ; qu'en l'espèce, évoquant la situation de la filiale roumaine du groupe Tereos qu'il dirigeait, le salarié déplorait, dans son courrier du 23 décembre 2016, « 4 ans de non gestion où le groupe a renié des valeurs aussi essentielles que sécurité et éthique »,« la sécurité : le management en place avant mon arrivée est incompétent, gravement incompétent », » personne n'est à la hauteur », » les limites de la « gestion à distance de M. [R] (présent 3 jours par an selon la rumeur) sont criantes », « concernant l'éthique, la situation est tout aussi dramatique », « j'ai une seule question : la direction de Tereos qui ne mettait presque jamais les pieds en Roumanie a-t-elle sciemment laissé perdurer cette situation ou a-t-elle, par manque d'implication, laissé toute latitude à un management local incompétent et corrompu... » ; qu'en déniant tout caractère excessif aux termes de ce courrier, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1221-1, L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ;

3° / que la preuve est libre en matière prud'homale ; que pour écarter les témoignages tendant à établir le chantage auquel s'était prêté le salarié, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'ils émanaient de hauts dirigeants de la société et du groupe ce qui les privaient " manifestement d'impartialité » ; qu'en statuant ainsi, lorsque la qualité des témoins était, en elle-même, insuffisante à ôter toute valeur probante à leurs déclarations strictement concordantes, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

4° / que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; que dans son attestation, M. [R] relatait que lors d'un appel téléphonique du 28 décembre 2016 à 19 heures, M. [C] lui avait indiqué « qu'il ne voulait plus travailler en Roumanie, ni dans le groupe Tereos, qu'il voulait rentrer en France tout en précisant qu'il ne démissionnerait pas et qu'il souhaitait bénéficier d'un licenciement », que celui-ci avait ensuite exposé, dans une logique de « chantage », qu'en l'absence de « réponse positive...sur sa demande d'ici le 3 janvier 2017 », « il se sentirait libre de communiquer à qui il veut en interne et en externe et à sa manière sur la situation de la société en Roumanie », « menaces » qu'il avait réitérées « lors d'un entretien téléphonique [du] 3 janvier 2017 », en présence du directeur de Tereos Sucre France, M. [U], et du directeur excellence industrielle, sucre et alcool, M. [L], le témoin concluant « il s'agissait clairement à nouveau de chantage » ; que cette situation était confirmée par les intervenants précités qui déclaraient également qu'« il s'agissait clairement d'un chantage envers M. [R] et le groupe Tereos, pour obtenir son licenciement » ; qu'en affirmant qu'aux termes de leurs attestations, les dirigeants concernés se limitaient à une interprétation personnelle et donc subjective des propos de M. [C] sans établir avec certitude le « chantage » auquel celui-ci se serait prêté, la cour d'appel a dénaturé ces attestations qui faisaient objectivement ressortir l'existence de manoeuvres du salarié afin de contraindre son employeur d'accepter un départ dans des conditions avantageuses ; que, ce faisant, elle a violé le principe susvisé ;

5° / qu'à tout le moins aux termes de l'article 12 de l'avenant du 29 juin 2016, le salarié s'était engagé à « conserver un secret professionnel absolu sur les méthodes, procédés, techniques et tarifs du groupe Tereos vis-à-vis de toute personne étrangère à ces derniers » et à « ne divulguer ou n'utiliser à [son] profit aucune information confidentielle portée à [sa] connaissance de par [ses] fonctions », « le non-respect de ces engagements [étant] considéré comme une faute grave » ; qu'en retenant que les témoignages ne permettaient pas d'établir avec certitude le chantage auquel se serait livré le salarié, sans rechercher si, indépendamment même du mobile poursuivi, le salarié n'était pas, en tout état de cause, fautif de s'être estimé libre de communiquer aux « institutions roumaines fournisseurs, [aux] planteurs de betteraves roumaines », aux « fournisseurs de matières premières à la sucrerie de Ludus » et " [aux] équipes locales « des informations cruciales sur la situation de la filiale roumaine qu'il était chargé de diriger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 1134 du code civil, devenus les articles 1103 et 1104 dudit code. »

Réponse de la Cour

5. Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression.

6. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

7. La cour d'appel a d'abord constaté que la lettre de licenciement articulait trois griefs envers le salarié en lui reprochant, dans un premier temps, les propos qu'il avait tenus dans un courrier adressé au président du directoire du groupe dans lequel il mettait en cause le directeur d'une filiale ainsi que les choix stratégiques du groupe.

8. Elle a ensuite relevé que cette lettre du 23 décembre 2016 adressée par le salarié au président du directoire du groupe, pour dénoncer la gestion désastreuse de la filiale roumaine tant sur le terrain économique et financier qu'en termes d'infractions graves et renouvelées à la législation sur le droit du travail, faisait suite à l'absence de réaction de sa hiérarchie qu'il avait alertée le 2 décembre 2016 sur ces problèmes majeurs de sécurité et de corruption imputables à la gestion antérieure.

9. Elle a enfin retenu que les termes employés n'étaient ni injurieux, ni excessifs, ni diffamatoires à l'endroit de l'employeur et du supérieur hiérarchique.

10. Elle en a exactement déduit, sans avoir à examiner les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement, dès lors qu'il était notamment reproché au salarié cet exercice non abusif de sa liberté d'expression, que le licenciement était nul.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la violation de son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel, ainsi que de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, alors « que l'employeur ne peut se voir reprocher la rétention d'une information qui lui était inconnue ; qu'en l'espèce, la société Tereos participations soutenait avoir ignoré les dysfonctionnements affectant la filiale roumaine du groupe Tereos avant les alertes du salarié et les investigations ultérieurement menées ; qu'en reprochant à l'employeur d'avoir fourni au salarié des éléments ne donnant pas une image fidèle de cette filiale, ce qui avait privé l'intéressé de la possibilité d'accepter son affectation en connaissance de cause, sans constater que, dès cette date, l'employeur disposait lui-même d'une information complète sur la situation de cette entité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, devenus les articles 1103 et 1104 dudit code. »

Réponse de la Cour

13. Ayant constaté que l'employeur n'avait pas permis au salarié d'accepter l'affectation qui lui était proposée en connaissance de cause, les documents qui lui avaient été communiqués préalablement à la formalisation de son affectation ne donnant pas une image fidèle de la filiale particulièrement en matière de sécurité, la cour d'appel a pu en déduire qu'il avait ainsi manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Seguy - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail ; article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la nullité du licenciement en cas d'atteinte à une liberté fondamentale, et notamment à la liberté d'expression du salarié, à rapprocher : Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur la sanction d'un licenciement fondé sur une pluralité de motifs dont un motif prohibé, à rapprocher : Soc., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-40.139, Bull. 2009, V, n° 172 (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-21.272, Bull. 2015, V, n° 241 (2) (rejet) ; Soc., 3 février 2016, pourvoi n° 14-18.600, Bull. 2016, V, n° 18 (rejet).

Soc., 22 juin 2022, n° 20-21.411, (B), FS

Cassation partielle

Résiliation judiciaire – Prise d'effet – Date – Date du jugement ou de l'arrêt prononçant la résiliation – Conditions – Détermination – Applications diverses – Contrat à durée déterminée – Portée

Il résulte des articles 1224 et 1227 du code civil qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié est toujours au service de l'employeur.

Viole ces dispositions la cour d'appel qui prononce la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée aux torts exclusifs de l'employeur pour faute grave à la date à laquelle avait été commise par celui-ci l'atteinte physique portée au salarié constitutive de cette faute, alors qu'à cette date le contrat n'avait pas été rompu et que le salarié, mis, en raison de l'atteinte subie, en arrêt de travail jusqu'au terme du contrat de travail, était demeuré au service de son employeur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 10 septembre 2020), M. [N] a été engagé pour cinq mois en qualité d'employé par la société 1 Clic Réception (la société) suivant contrat à durée déterminée saisonnier du 23 avril 2018.

2. Suite à une altercation survenue le 21 mai 2018 l'ayant opposé au dirigeant de la société, le salarié a été placé en arrêt de travail jusqu'au terme de son contrat.

3. Le 8 juin 2018, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur et le paiement de diverses indemnités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée à ses torts exclusifs et ce à la date du 21 mai 2018, alors « qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu à cette date et que le salarié est toujours au service de l'employeur ; qu'en l'espèce, il est constant que le salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail ; que la cour d'appel qui a décidé que la date de la rupture anticipée du contrat de travail était celle du 21 mai 2018, date des faits invoqués à l'appui de la demande de résiliation judiciaire du contrat, sans constater que le contrat avait été rompu par le salarié ou l'employeur et que le salarié n'était plus à la disposition de l'employeur, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles L. 1243-1, L. 1243-3 et L. 1243-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1224 et 1227 du code civil :

5. Il résulte de ces textes, qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié est toujours au service de l'employeur.

6. Pour prononcer à la date du 21 mai 2018 la rupture anticipée du contrat à durée déterminée aux torts exclusifs de l'employeur, l'arrêt, par motifs adoptés, constate que le salarié démontre qu'il a subi une atteinte physique de la part de son employeur et qu'un certificat médical, un compte-rendu de passage aux urgences et un arrêt de travail, tous datés du 21 mai 2018 viennent le confirmer. Il retient que commet un manquement grave à ses obligations l'employeur qui porte une atteinte physique ou morale à son salarié et que cette faute grave rend impossible le maintien de la relation contractuelle.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt sur le second moyen en application de l'article 625 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

9. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif confirmant la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour rupture anticipée du contrat de travail, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée liant M. [N] à la société 1 Clic Réception aux torts exclusifs de l'employeur et ce à la date du 21 mai 2018, et condamne la société 1 Clic Réception à verser à M. [N] la somme de 6 673,48 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles 1224 et 1227 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la date d'effet de la résiliation judiciaire en l'absence de rupture du contrat de travail antérieurement au jugement, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-10.346, Bull. 2017, V, n° 154 (2) (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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