Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

CONFLIT DE JURIDICTIONS

1re Civ., 29 juin 2022, n° 21-11.722, (B), FS

Rejet

Compétence internationale – Privilège de juridiction – Privilège instauré par l'article 14 du code civil – Bénéfice – Conditions – Etranger domicilié en France – Défendeur domicilié hors d'un Etat membre de l'Union européenne

Il résulte de la combinaison des articles 6 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Bruxelles I bis) et de l'article 14 du code civil que, dès lors que ni le domicile du défendeur, ni le lieu d'accomplissement du travail, ni celui où se trouve l'établissement qui a embauché le salarié ne sont situés sur le territoire d'un Etat membre, le conflit de juridictions est réglé selon les dispositions du droit national qui ont été notifiées à la Commission européenne, au nombre desquelles figure l'article 14 du code civil, et que les étrangers domiciliés dans l'Etat du for peuvent s'en prévaloir au même titre que les nationaux.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 octobre 2020), M. [E] [I], de nationalité congolaise, employé en République démocratique du Congo par la société congolaise BGFI Bank RDC, a fui son pays et obtenu en France le statut de réfugié en alléguant avoir subi, de la part d'un supérieur hiérarchique, des violences et des menaces de mort.

2. Il a engagé devant les juridictions françaises une action en responsabilité délictuelle contre son ancien employeur et contre la société mère de celui-ci, la société gabonaise BGFI Holding Corporation (les sociétés BGFI).

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Les sociétés BGFI font grief à l'arrêt de déclarer les tribunaux français compétents, alors « que l'égalité de traitement entre les réfugiés ayant leur résidence habituelle dans un Etat et les ressortissants de cet Etat prévue, s'agissant de l'accès aux tribunaux, par l'article 16, alinéa 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ne s'applique pas au privilège de juridiction instauré par l'article 14 du code civil à l'égard des seuls ressortissants français ; qu'en l'espèce, en retenant que l'article 16, alinéa 2 de la Convention de Genève devait être interprété comme instaurant une égalité de traitement entre un ressortissant français et un réfugié au regard de l'article 14 du code civil, la cour d'appel a violé les articles susvisés. »

Réponse de la Cour

5. Il incombe aux juridictions des États membres d'assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l'effet direct du droit de l'Union européenne.

6. L'article 6 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Bruxelles I bis) dispose :

« 1. Si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de l'article 18, § 1, de l'article 21, § 2, et des articles 24 et 25.

2. Toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui est domiciliée sur le territoire d'un État membre, peut, comme les ressortissants de cet État membre, invoquer dans cet État membre contre ce défendeur les règles de compétence qui y sont en vigueur et notamment celles que les États membres doivent notifier à la Commission en vertu de l'article 76, § 1, point a). »

7. L'article 21 dispose :

« 1. Un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait :

a) devant les juridictions de l'État membre où il a son domicile ; ou

b) dans un autre État membre :

i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou

ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur.

2. Un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre conformément au § 1, point b). »

8. Selon l'article 14 du code civil, un Français, du seul fait de sa nationalité, a le droit d'attraire un étranger devant une juridiction française de son choix, lorsqu'aucun critère ordinaire de compétence territoriale n'est réalisé en France.

9. Il résulte de la combinaison de ces textes que, dès lors que ni le domicile du défendeur, ni le lieu d'accomplissement du travail, ni celui où se trouve l'établissement qui a embauché le salarié ne sont situés sur le territoire d'un Etat membre, le conflit de juridictions est réglé selon les dispositions du droit national qui ont été notifiées à la Commission européenne, au nombre desquelles figure l'article 14 du code civil, et que les étrangers domiciliés dans l'Etat du for peuvent s'en prévaloir au même titre que les nationaux.

10. La cour d'appel ayant constaté que le demandeur était domicilié en France et les défendeurs, hors de l'Union européenne, et que M. [E] [I] avait été embauché en République démocratique du Congo où s'était déroulée son activité professionnelle, il s'en déduit que le demandeur pouvait invoquer l'article 14 du code civil.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Articles 6 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis) ; article 14 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 juin 2022, pourvoi n° 21-10.106, Bull., (cassation sans renvoi) ; 1re Civ., 19 novembre 1985, pourvoi n° 84-16.001, Bull. 1985, I, n° 306 (cassation).

1re Civ., 29 juin 2022, n° 21-10.106, (B), FS

Cassation sans renvoi

Compétence internationale – Privilège de juridiction – Privilège instauré par l'article 14 du code civil – Bénéfice – Conditions – Etranger domicilié en France – Défendeur domicilié hors d'un Etat membre de l'Union européenne

L'article 6, § 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis, permet à l'étranger de se prévaloir de l'article 14 du code civil, sous la seule condition qu'il soit domicilié en France et que le défendeur le soit en dehors d'un Etat membre de l'Union européenne.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 novembre 2020), M. [Y] [O], de nationalité congolaise, employé en République démocratique du Congo par la société congolaise BGFI Bank RDC, a fui son pays et obtenu en France le statut de réfugié en alléguant avoir subi, de la part de ses supérieurs hiérarchiques, des pressions et des menaces de mort pour le contraindre à participer à l'octroi de crédits dans des conditions illicites.

2. Il a engagé devant les juridictions françaises une action en responsabilité délictuelle contre son ancien employeur et contre la société mère de celui-ci, la société gabonaise BGFI Holding Corporation (les sociétés BGFI).

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. M. [Y] [O] fait grief à l'arrêt de déclarer le tribunal de grande instance de Créteil incompétent pour connaître du litige l'opposant aux sociétés BGFI, de le renvoyer à mieux se pourvoir et de rejeter toute autre demande, alors « que toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui est domiciliée sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne, peut, comme les ressortissants de cet État membre, invoquer dans cet État membre, contre le défendeur non domicilié sur le territoire d'un État membre, les règles de compétence qui y sont en vigueur ; qu'un réfugié domicilié en France peut donc demander l'application de l'article 14 du code civil à son profit ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 6 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ensemble l'article 14 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Les sociétés BGFI contestent la recevabilité du moyen. Elles soutiennent, d'une part, qu'il est nouveau dès lors que l'article 6 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Bruxelles I bis) n'a pas été invoqué devant les juges du fond, d'autre part, qu'il est mélangé de fait dès lors que cette disposition, qui renvoie aux règles nationales de conflit de juridictions lorsque le défendeur n'est pas domicilié dans un Etat de l'Union, n'est applicable que si l'article 21, § 2, relatif à la compétence en matière de contrat de travail ne l'est pas, ce que la cour d'appel n'a pas recherché.

5. Cependant, l'article 21, § 2, du règlement Bruxelles I bis ne fixe les règles de compétence en matière de contrat de travail, lorsque le défendeur n'est pas domicilié dans un Etat de l'Union, que si le travail a été accompli, ou si l'établissement qui a procédé à l'embauche était situé, sur le territoire d'un Etat membre.

6. La cour d'appel ayant relevé, d'une part, que le demandeur était domicilié en France et les sociétés défenderesses, respectivement au Gabon et en République démocratique du Congo, d'autre part, que les faits sur lesquels se fondait la demande s'étaient entièrement déroulés dans ce dernier pays, d'où il se déduisait que le litige n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 21, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt, est de pur droit.

7. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 6 du règlement Bruxelles I bis et l'article 14 du code civil :

8. Le premier de ces textes dispose :

« 1. Si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de l'article 18, § 1, de l'article 21, § 2, et des articles 24 et 25.

2. Toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui est domiciliée sur le territoire d'un État membre, peut, comme les ressortissants de cet État membre, invoquer dans cet État membre contre ce défendeur les règles de compétence qui y sont en vigueur et notamment celles que les États membres doivent notifier à la Commission en vertu de l'article 76, § 1, point a) ».

9. Il résulte du second, qui est au nombre des dispositions notifiées à la Commission en application des dispositions précitées, qu'un Français, du seul fait de sa nationalité, a le droit d'attraire un étranger devant une juridiction française de son choix, lorsqu'aucun critère ordinaire de compétence territoriale n'est réalisé en France.

10. Il incombe aux juridictions des États membres d'assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l'effet direct du droit de l'Union européenne.

11. Pour refuser à M. [Y] [O] le bénéfice de l'article 14 du code civil et déclarer les juridictions françaises incompétentes, l'arrêt retient que l'égalité de traitement entre nationaux et réfugiés, prévue à l'article 16 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, vise les règles de jouissance des droits et non les règles de compétence judiciaire et ne saurait conduire à étendre la compétence du juge français au détriment de celle du juge étranger résultant du jeu normal des règles de conflit de juridictions.

12. En statuant ainsi, alors que l'article 6, § 2, du règlement Bruxelles I bis permet à l'étranger de se prévaloir de l'article 14 du code civil, sous la seule condition qu'il soit domicilié en France et que le défendeur le soit en dehors d'un Etat membre de l'Union européenne, la cour d'appel, à qui il incombait de vérifier l'application de ce dernier texte au regard des dispositions issues de ce règlement, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance du juge de la mise en état, qui constate la compétence des juridictions françaises, doit être confirmée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Créteil du 28 novembre 2019.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 6, § 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis ; article 14 du code civil.

1re Civ., 15 juin 2022, n° 18-24.850, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Compétence internationale – Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 – Matière délictuelle ou quasi-délictuelle – Lieu où le fait dommageable s'est produit – Détermination – applications diverses – Allocation de dommages-intérêts – Conditions – Propos dénigrants – Contenu attentatoire accessible sur le territoire français – Préjudice causé sur le territoire français

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 24 juillet 2018), la société tchèque Gtflix Tv, qui a pour activité la production et la diffusion de contenus pour adultes, notamment via son site internet, faisant grief à M. [X], réalisateur, producteur et distributeur de films pornographiques commercialisés sur ses sites internet hébergés en Hongrie où il exerce son activité et où il est domicilié, de tenir des propos dénigrants diffusés sur plusieurs sites et forums, l'a assigné en référé devant le président du tribunal de grande instance de Lyon pour, d'une part, le voir condamner sous astreinte à cesser tout acte de dénigrement à son encontre et à l'encontre du site « legalporno » et à publier un communiqué en français et en anglais sur chacun des forums concernés, d'autre part, être elle-même autorisée à poster un commentaire sur les forums en cause, enfin, obtenir l'indemnisation de ses préjudices économique et moral.

2. M. [X] a soulevé l'incompétence de la juridiction française.

3. Par un arrêt du 13 mai 2020 (n° 275), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en ce qu'il était dirigé contre le chef de l'arrêt qui a dit la juridiction française incompétente pour connaître de la demande tendant à la suppression des commentaires dénigrants et à la rectification des données par la publication d'un communiqué et a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dit Bruxelles I bis.

4. Par un arrêt du 21 décembre 2021 (C-251/20), la CJUE (Grande chambre) a répondu à la question préjudicielle.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Gtflix Tv fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction française incompétente au profit des juridictions tchèques, alors « que les juridictions d'un Etat membre sont compétentes pour connaître du dommage causé sur le territoire de cet Etat membre par un contenu mis en ligne sur internet dès lors que ce contenu y est accessible ; qu'en jugeant pour écarter la compétence des juridictions françaises, qu'il ne suffit pas que les propos jugés dénigrants et postés sur internet soient accessibles dans le ressort de la juridiction saisie mais qu'il faut également qu'ils puissent présenter un intérêt quelconque pour les internautes résidant dans ce ressort et soient susceptibles d'y générer un préjudice, la cour d'appel a violé l'article 7 point 2 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 :

6. Ce texte dispose :

« Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

[...]

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire. »

7. Répondant à la question préjudicielle précitée, la CJUE a dit pour droit :

« L'article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'une personne qui, estimant qu'une atteinte a été portée à ses droits par la diffusion de propos dénigrants à son égard sur Internet, agit simultanément aux fins, d'une part, de rectification et de suppression des contenus mis en ligne la concernant et, d'autre part, de réparation du préjudice qui aurait résulté de cette mise en ligne peut demander, devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel ces propos sont ou étaient accessibles, la réparation du préjudice qui lui aurait été causé dans l'État membre de la juridiction saisie, bien que ces juridictions ne soient pas compétentes pour connaître de la demande de rectification et de suppression. »

8. Pour accueillir l'exception d'incompétence internationale, l'arrêt retient qu'il ne suffit pas, pour que les juridictions françaises soient compétentes, que les propos dénigrants postés sur internet soient accessibles en France, mais qu'il faut encore qu'ils soient destinés à un public français.

9. En statuant ainsi, alors que, l'action tendant à la fois à la cessation de la mise en ligne des propos dénigrants, à la publication d'un rectificatif et à l'allocation de dommages-intérêts pour les préjudices subis en France, la dernière demande pouvait être portée devant la juridiction française dès lors qu'elle tendait à la réparation du seul préjudice causé sur le territoire de cet État membre et que le contenu attentatoire était accessible ou l'avait été sur ce territoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

12. La cour d'appel ayant constaté que les messages litigieux étaient accessibles en France, il en résulte que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître des demandes d'indemnisation des préjudices causés en France.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare les juridictions françaises incompétentes à l'égard de la demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis en France, l'arrêt rendu le 24 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Infirme l'ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Lyon du 10 avril 2017 en ce qu'il déclare les juridictions françaises incompétentes à l'égard de la demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis en France ;

Dit que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître de cette demande.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Caron-Déglise et M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 7, § 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 13 mai 2020, pourvoi n° 18-24.850, Bull., (rejet partiel et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne); CJUE, arrêt du 21 décembre 2021, Gtflix Tv, C-251/20.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.