Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

CHOSE JUGEE

1re Civ., 9 juin 2022, n° 20-22.793, (B), FS

Rejet

Force de chose jugée – Acquisition – Moment – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 novembre 2020), un jugement du 6 septembre 2019 a prononcé le divorce de Mme [G] et de M. [N].

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses deuxième à sixième branches, les troisième, quatrième et cinquième moyens, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [G] fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'y a pas lieu à prestation compensatoire à son profit, alors « que, pour apprécier la demande de prestation compensatoire, le juge doit se placer à la date à laquelle la décision prononçant le divorce prend force de chose jugée ; que, lorsque l'appel est expressément limité aux conséquences du divorce et en l'absence d'appel incident portant sur le prononcé du divorce, celui-ci devient irrévocable à la date de dépôt des dernières conclusions de l'intimé ; qu'en retenant que le divorce était devenu définitif à la date des premières conclusions de l'intimé, la cour d'appel a violé les articles 260 et 270 du code civil et 550 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles 260 et 270 du code civil que, pour apprécier la demande de prestation compensatoire, le juge se place à la date à laquelle la décision prononçant le divorce acquiert force de chose jugée.

5. Selon l'article 909 du même code, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident.

6. Il s'en déduit que, lorsque ni l'appel principal ni, le cas échéant, l'appel incident ne portent sur le prononcé du divorce, celui-ci acquiert force de chose jugée à la date du dépôt des conclusions de l'intimé mentionnées à l'article 909 du code de procédure civile.

7. Ayant constaté que Mme [G] n'avait pas relevé appel du prononcé du divorce et que les conclusions déposées par M. [N], intimé, dans le délai de l'article 909 du code de procédure civile n'avaient pas étendu sa saisine, la cour d'appel en a déduit à bon droit que le chef du jugement prononçant le divorce avait acquis force de chose jugée à la date de ces conclusions et que c'est à cette date que devait être appréciée la demande de prestation compensatoire.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Duval - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle -

Textes visés :

Articles 260 et 270 du code civil ; articles 808 et 809 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 15 décembre 2010, pourvoi n° 09-15.235, I, n° 263 (cassation partielle) ; 1re Civ., 23 mai 2012, pourvoi n° 11-12.813, I, n° 111 (cassation partielle).

2e Civ., 30 juin 2022, n° 21-12.792, (B), FRH

Rejet

Identité de cause – Obligation de concentration des moyens – Domaine d'application – Exclusion – Demande de rectification d'erreur matérielle et d'interprétation – Causes et régimes différents

Il résulte des articles 461 et 462 du code de procédure civile que les demandes en interprétation d'un jugement et celles tendant à la réparation d'une erreur ou omission matérielle qui l'affecte, ayant des causes différentes et obéissant à des régimes juridiques qui leur sont propres, aucune fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à la demande en rectification d'erreur matérielle formée par une partie précédemment déboutée d'une demande en interprétation de la même décision.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 18 décembre 2020), par acte authentique du 11 janvier 2008, la société Caidar a acquis de la société Holdar l'ensemble des actions qu'elle détenait de la société Confo Réunion alors qu'un jugement d'un tribunal mixte de commerce du 20 avril 2005 avait prononcé le plan de redressement et d'apurement du passif de cette société.

2. Par requête du 23 juin 2011, le mandataire liquidateur de la société Confo Réunion a saisi ce tribunal en interprétation du jugement du 20 avril 2005 et, par un arrêt du 16 octobre 2013, devenu irrévocable, une cour d'appel a rejeté la requête au motif qu'elle ne relevait pas de l'interprétation mais de l'erreur matérielle.

3. Par requête du 31 mars 2014, la société Caidar et la société Hirou, mandataire liquidateur de la société Confo Réunion, ayant sollicité la rectification de l'erreur matérielle affectant le dispositif du même jugement, un arrêt du 28 septembre 2016 d'une cour d'appel a été cassé en toutes ses dispositions, par la Cour de cassation (2e Civ., 7 juin 2018, pourvoi n° 16-28.539) qui a renvoyé l'affaire devant la même cour d'appel, autrement composée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. La société Holdar fait grief à l'arrêt d'ordonner la rectification du dispositif du jugement du tribunal mixte de commerce du 20 avril 2005 et de dire que la formule « Incorporation du compte courant associé et cession d'antériorité au profit des autres créanciers pour le surplus de la créance » doit remplacer la formule « Incorporation en compte courant associé et cession d'antériorité au profit des autres créanciers pour le surplus de la créance », alors :

« 1°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; qu'en considérant que « la requête en rectification d'erreur matérielle ne se heurt[ait] pas au principe de l'autorité de la chose jugée sur la requête en interprétation de jugement déposée le 31 mars 2014 » cependant que, comme le soutenait la société Holdar, dans le cadre des deux actions en justice engagées en 2011 et 2014, la société Caidar et le liquidateur de la société Conforeunion ont formulé une demande ayant le même objet, sur deux fondements juridiques différents dès lors que, dans la requête en interprétation du 23 juin 2011, comme dans la requête en rectification d'erreur matérielle du 31 mars 2014, ils ont en substance demandé que le dispositif du jugement du 20 avril 2005 soit corrigé comme suit : « Incorporation du compte courant associé à hauteur de 8.000.000 d'euros et cession d'antériorité au profit des autres créanciers pour le surplus de la créance », de sorte que la demande en rectification d'erreur matérielle se heurtait à l'autorité de ce qui avait déjà été jugé par arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis du 16 octobre 2013 dans le cadre de la requête en interprétation, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;

2°/ que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en rejetant le moyen de la société Holdar, motifs pris que « l'arrêt de renvoi de la Cour de cassation retient que le principe de concentration des moyens, qui a trait à la fin de non-recevoir liée à l'autorité de la chose jugée, n'est pas applicable aux demandes en interprétation et en rectification d'erreur matérielle d'une décision de justice obéissant à des régimes procéduraux distincts et ayant des objets différents » (p. 6, § 3,4 arrêt), cependant que dans son arrêt du 7 juin 2018 (n° 16-28.539), la Cour de cassation ne s'est pas référée au principe de concentration des moyens et a considéré, au terme d'un moyen relevé d'office, que « la requête en rectification d'erreur matérielle (...) n'est pas soumise à un délai de prescription », la cour d'appel a dénaturé l'arrêt du 7 juin 2018, en violation du principe selon lequel le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 461 et 462 du code de procédure civile que les demandes en interprétation d'un jugement et celles tendant à la réparation d'une erreur ou omission matérielle qui l'affecte, ayant des causes différentes et obéissant à des régimes juridiques qui leur sont propres, aucune fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à la demande en rectification d'erreur matérielle formée par une partie précédemment déboutée d'une demande en interprétation de la même décision.

6. L'arrêt a retenu à bon droit que la requête en rectification d'erreur matérielle ne se heurte pas au principe de l'autorité de la chose jugée sur la requête en interprétation du jugement déposée le 31 mars 2014.

Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches

7. La société Holdar fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 3°/ que si les erreurs ou omissions matérielles affectant une décision peuvent être réparées par la juridiction qui l'a rendue, celle-ci ne peut modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cette décision ; qu'en outre, l'interprétation erronée d'un document ne relève pas de la procédure de rectification des erreurs matérielles ; qu'en appréciant le contenu du rapport complémentaire des organes de la procédure collective, relevant à cet égard que la solution qui a résulté de ce rapport, « sans constituer un abandon des comptes courants d'associés, ne révèle nullement l'intention des associés de renforcer les fonds propres de la société Confo Réunion à hauteur de 8.000.000 » ainsi que les termes du procès-verbal des délibérations du conseil de surveillance du 18 février 2005 de la société Holdar et des rapports des commissaires aux comptes de la société Conforeunion pour les exercices 2007 et 2008, la cour d'appel, sous couvert de rectification d'erreur matérielle, s'est livrée à une nouvelle appréciation du contenu des documents produits et de la volonté des parties, et a modifié profondément les droits et obligations des parties, en particulier ceux de la société Holdar, en violation de l'article 462 du code de procédure civile ;

4°/ au surplus, qu'en réformant ainsi le jugement du 22 avril 2005, sous couvert de rectification d'erreur matérielle, la cour d'appel a méconnu l'étendue du pouvoir conféré au juge de la rectification d'erreur matérielle et commis un excès de pouvoir, en violation de l'article 462 du code de procédure civile ;

5°/ en tout état de cause, qu'en statuant comme elle l'a fait, sans prendre en compte, comme il lui était demandé par la société Holdar (concl. p. 14, 17 et 24), la circonstance que la nouvelle formule proposée par la société Caidar, selon laquelle le tribunal de commerce avait visé l'« incorporation du compte courant associé et cession d'antériorité au profit des autres créanciers pour le surplus de la créance », constituait une demande impossible dès lors que le tribunal de commerce ne pouvait imposer au débiteur en liquidation des modifications du capital social non visées par le plan et non soumises au vote de l'assemblée des actionnaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 462 du code de procédure civile. »

8. C'est sans méconnaître les dispositions de l'article 462 du code de procédure civile et sans avoir à mieux s'en expliquer, que la cour d'appel, en se fondant sur ce que le dossier de la procédure collective révélait, a retenu que, par une erreur manifeste de plume, le dispositif du jugement avait mentionné l'incorporation en compte courant associé au lieu de l'incorporation du compte courant.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Articles 461 et 462 du code de procédure civile.

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