Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

CESSION DE CREANCE

Com., 15 juin 2022, n° 20-17.154, (B), FRH

Cassation partielle

Cession à un fonds commun de titrisation – Créance – Recouvrement – Action en justice – Assignation délivrée au débiteur par la société de gestion – Portée

Il résulte l'article L. 214-172 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017, que la société de gestion d'un fonds commun de titrisation qui assure tout ou partie du recouvrement des créances cédées à ce fonds, doit en informer chaque débiteur, cette information pouvant résulter de l'assignation délivrée au débiteur aux fins de recouvrement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 19 mars 2020), la société Crédit immobilier de France développement, détentrice d'une créance résultant d'un acte de prêt notarié souscrit par M. et Mme [P], a, après leur avoir fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière, cédé cette créance, selon un bordereau du 28 décembre 2018, au fonds commun de titrisation Credinvest (le FCT Credinvest). Ce dernier, représenté par sa société de gestion, la société Eurotitrisation, a assigné M. et Mme [P] à une audience d'orientation devant le juge de l'exécution.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident éventuel, qui est préalable

Enoncé du moyen

2. M. et Mme [P] font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'appel interjeté par la société Eurotitrisation représentant le FCT Credinvest, alors :

« 1°/ que le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il ressort des mentions claires et précises de sa déclaration d'appel que la société Eurotitrisation avait relevé appel en son nom propre ; qu'en estimant qu'elle avait agi en qualité de représentant du FCT Credinvest, la cour d'appel a dénaturé cet acte, en violation du principe précité ;

2° / que seules les parties à la première instance peuvent relever appel du jugement ; que la société Eurotrisation, qui n'était présente en première instance que comme représentante du FCT Credinvest, a relevé appel en son nom propre ; qu'en jugeant recevable un tel appel, qui n'avait pas été interjeté par une partie à la première instance, la cour d'appel a violé l'article 546 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. L'erreur manifeste, dans l'indication de la qualité en laquelle agit l'appelant, au regard de l'objet du litige, tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties devant les juges du fond, n'est pas de nature à entraîner l'irrecevabilité de l'appel.

4. L'arrêt rappelle, d'une part, que le FCT Credinvest étant dépourvu de personnalité morale, seule la société Eurotitrisation était en capacité d'ester en justice et d'interjeter appel pour le compte de celui-ci et retient, d'autre part, que l'assignation à jour fixe du 15 octobre 2019 délivrée par l'huissier de justice comprend en annexes la déclaration d'appel précisant les chefs de jugement expressément critiqués, l'ordonnance du premier président autorisant l'assignation à jour fixe ainsi qu'une copie des conclusions d'appelants, de sorte que l'objet de la demande et l'exposé des moyens de fait et de droit ont été parfaitement portés à la connaissance des intimés.

5. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il se déduit que le litige opposait les mêmes parties agissant en la même qualité qu'en première instance, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé la déclaration d'appel, a pu juger que l'erreur manifeste dans l'indication de la qualité en laquelle agissait la société Eurotitrisation, dont cette déclaration était affectée, ne remettait pas en cause sa régularité.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société Eurotitrisation fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable et de la condamner à payer à M. et Mme [P] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que l'article L. 214-172 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017, entrée en vigueur le 3 janvier 2018, confère à la société de gestion d'un fonds de titrisation, en tant que représentant légal du fonds, qualité légale pour assurer, y compris par la voie d'une action en justice, tout ou partie du recouvrement des créances transférées au fonds et indique que chaque débiteur est informé de ce changement sans autre précision sur les modalités de cette information ; qu'en retenant en l'espèce que, s'il n'était pas contesté que la créance que le Crédit immobilier de France développement, venant aux droits du Crédit immobilier de France Rhône Alpes Auvergne, détenait sur M. et Mme [P] a été cédée, le 28 décembre 2018, au FCT Credinvest dont le représentant légal est la société Eurotitrisation, il n'était en revanche pas justifié de l'information des débiteurs préalablement à l'assignation du 1er février 2019 et en constatant en conséquence l'irrecevabilité de l'action de la société Eurotitrisation faute de qualité pour agir, la cour d'appel qui a ainsi exigé une information des débiteurs préalable à l'assignation et a jugé que l'assignation ne valait pas information des débiteurs, a violé l'article L. 214-172 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017, applicable au jour de l'assignation. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. M. et Mme [P] contestent la recevabilité du moyen en raison de sa nouveauté et de sa contrariété avec les conclusions d'appel du FCT Credinvest.

9. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.

Par ailleurs, il n'est pas incompatible de soutenir devant la cour d'appel que, conformément aux dispositions de l'article L. 214-172 du code monétaire et financier, M. et Mme [P] ont été informés de ce que la société de gestion du FCT Credinvest assure le recouvrement d'une créance dont ils sont débiteurs par l'envoi de deux courriers antérieurs à leur assignation, le 1er février 2019, et de faire valoir devant la Cour de cassation qu'ils ont été informés valablement de cette situation par ladite assignation.

10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 214-172 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017 :

11. Il résulte de ce texte que la société de gestion d'un fonds commun de titrisation qui assure tout ou partie du recouvrement des créances cédées à ce fonds, doit en informer chaque débiteur, cette information pouvant résulter de l'assignation délivrée au débiteur aux fins de recouvrement.

12. Pour déclarer irrecevable l'action de la société Eurotitrisation, l'arrêt retient que cette société ne justifie pas de ce que M. et Mme [P] ont été informés, préalablement à l'assignation du 1er février 2019, qu'elle était en charge du recouvrement de la créance cédée par la société Crédit immobilier de France développement.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé, par motifs adoptés, que l'assignation délivrée à M. et Mme [P] mentionnait que la société Eurotitrisation agissait aux fins de recouvrement de la créance qui avait été cédée par la société Crédit immobilier de France développement au FCT Credinvest, de sorte que les débiteurs avaient ainsi été informés que la société Eurotitrisation assurait le recouvrement de cette créance, peu important que cette information ne leur ait pas été communiquée préalablement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi principal, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'appel interjeté par la société Eurotitrisation représentant le fonds commun de titrisation Credinvest, l'arrêt rendu le 19 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Gillis - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 214-172 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur la qualité à agir d'un fonds commun de titrisation, à rapprocher : Com., 13 décembre 2017, pourvoi n° 16-19.681, Bull. 2017, IV, n° 163 (rejet).

1re Civ., 1 juin 2022, n° 21-12.276, (B), FRH

Rejet

Formalités de l'article 1689 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 – Signification au débiteur cédé – Action en justice contre celui-ci – Signification par conclusions – Condition

La remise au débiteur, lors d'une audience devant le juge de l'exécution, de conclusions mentionnant une cession de créance et contenant copie de l'acte de cession équivaut à une signification au débiteur auquel la cession est dès lors opposable au sens des articles 1689 et 1690 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Formalités de l'article 1690 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 – Signification au débiteur cédé – Action en justice contre celui-ci – Signification par conclusions – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 novembre 2020), un jugement du 15 juin 1992, devenu irrévocable, a condamné M. [U] [S] (le débiteur) à payer le solde débiteur d'un compte détenu à la société Citybank international plc.

2. Par acte authentique du 6 février 2003, celle-ci a cédé sa créance à la société MCS et associés (la société MCS), qui a fait pratiquer diverses mesures d'exécution forcées sur des valeurs mobilières du débiteur.

3. Le débiteur a assigné, devant le juge de l'exécution, en mainlevée de ces mesures, la société MCS, qui a sollicité reconventionnellement le paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le débiteur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, dire que les frais de l'exécution forcée engagés pour les mesures pratiquées à son encontre par la société MCS le 9 avril 2015 étaient à sa charge et de le condamner à payer à la société MCS la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que la remise au conseil du débiteur, lors d'une audience devant le juge de l'exécution, de conclusions mentionnant une cession de créance et contenant copie de l'acte de cession, ne vaut pas signification du transport et ne rend pas la cession de créance opposable au débiteur ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1689 et 1690 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige. »

Réponse de la Cour

6. Ayant constaté que la société MCS avait remis au débiteur, le 9 octobre 2014, lors d'une audience devant le juge de l'exécution, des conclusions comprenant copie de l'acte authentique de cession, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que cette remise équivalait à une signification au débiteur auquel la cession était dès lors opposable.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. M. [U] [S] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société MCS la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que la résistance aux demandes adverses, la contestation en justice de mesures d'exécution, et le fait de se défendre en justice, ne constituent pas, sauf circonstances particulières, une faute ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné M. [U] [S] à verser des dommages-intérêts à la société MCS & Associés, aux motifs que cette dernière « souligne que M. [U] [S] sait pertinemment depuis 27 ans être débiteur d'une somme conséquente » sans avoir proposé de mode d'apurement de la dette ce qui autorisait cette société à « se prévaloir d'une résistance abusive », et que « l'adoption d'une position de contestation systématique des mesures d'exécution », à laquelle s'était ajoutée « une nouvelle contestation de saisie-attribution sur ses comptes bancaires pratiquée le 6 février 2019, outre la multiplication de demandes, telles la péremption d'instance ou sa suspension poursuivies en première instance, et l'invocation de moyens dont M. [U] ne pouvait ignorer la fragilité caractérisent un usage des voies de droit de manière disproportionnée et à des fins dilatoires », soit un « comportement fautif » ; qu'en se déterminant de la sorte, cependant que la créance née 27 ans plus tôt concernait la société Citybank et non la société MCS & Associés, que M. [U] [S] avait triomphé en justice dans sa contestation des mesures d'exécution antérieures engagées par la société MCS & Associés, que le résultat de la contestation de la saisie-attribution du 6 février 2019 n'était pas connu, que la péremption d'instance avait été soulevée d'office par le premier juge et non demandée par M. [U] [S], que le premier juge avait fait droit à sa demande de suspension, et que l'invocation de moyens prétendument « fragiles » ne peut être reprochée à une partie, d'autant moins en l'espèce eu égard aux moyens soulevés, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé de faute de M. [U] [S] faisant dégénérer en abus son droit de résister aux mesures d'exécution et aux demandes adverses, ni de contester ces mesures en justice et de défendre aux prétentions adverses, a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble l'article L. 121-3 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

9. Ayant retenu que le débiteur savait depuis vingt-sept ans qu'il devait une somme conséquente sans proposer un mode d'apurement de la dette et qu'il avait adopté une position de contestation systématique des mesures d'exécution et multiplié les demandes, telles la péremption d'instance ou sa suspension, et l'invocation de moyens dont il ne pouvait ignorer la fragilité, la cour d'appel a caractérisé les circonstances particulières constitutives d'une faute ayant fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat(s) : Me Ridoux -

Textes visés :

Articles 1689 et 1690 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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