Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

BAIL (règles générales)

3e Civ., 1 juin 2022, n° 21-11.602, (B), FS

Cassation

Bailleur – Obligations – Délivrance – Délivrance d'un local conforme à la destination contractuelle – Manquement – Cas – Local affecté d'un défaut de permis de construire

Manque à son obligation de délivrance le bailleur louant un local commercial affecté d'un défaut de permis de construire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 30 janvier 2020), Mme [C] [Y], Mme [E] [D], Mme [K] [D], M. [B] [D], M. [N] [D], M. [L] [D] et Mme [T] [D] (les consorts [D]) ont donné à bail commercial à la société La Vénitienne un local édifié sans permis de construire.

2. La société La Vénitienne a assigné les consorts [D] en résolution du bail à leurs torts et en réparation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société La Vénitienne fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de résolution du bail aux torts des consorts [D] et en réparation de ses préjudices, alors « que le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; que pour juger que la société locataire ne démontre pas que les bailleurs ont manqué à leur obligation de délivrance, la cour d'appel a retenu qu'elle exploitait le local litigieux conformément à sa destination, qu'un commerce identique était exploité dans les lieux de manière constante depuis 1996, qu'elle ne produisait pas de courrier de l'administration lui enjoignant de quitter les lieux et que selon l'expert, l'absence de régularité de la situation administrative du local n'avait pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé, pour retenir une faute à l'encontre des bailleurs, que la chose louée était affectée d'un défaut de conformité dont il n'était pas démontré qu'il était régularisable, causant des troubles d'exploitation à la société locataire « consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement de son commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de sa capacité à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1719 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1719 du code civil :

4. Selon ce texte, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.

5. Pour rejeter la demande de la société La Vénitienne en résolution du bail, l'arrêt retient qu'elle exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers.

6. L'arrêt retient, encore, que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les consorts [D] ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le pourvoi principal entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des dispositions critiquées par le moyen du pourvoi incident fixant le montant des préjudices subis par la société La Vénitienne, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Gallet - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Leduc et Vigand -

Textes visés :

Article 1719 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 19 décembre 2012, pourvoi n° 11-28.170, Bull. 2012, III, n° 187 (cassation), et les arrêts cités.

3e Civ., 22 juin 2022, n° 21-10.512, (B), FS

Rejet

Bailleur – Obligations – Délivrance – Logement décent – Manquement – Défaut – Cas

Le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 n'imposant pas d'installer des garde-corps dans les immeubles anciens qui en seraient dépourvus, ne manque pas à son obligation de mise à disposition d'un logement décent le bailleur qui n'a pas équipé de garde-corps les fenêtres de l'appartement donné à bail.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme [Z] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la caisse primaire d'assurance maladie de Lille-Douai et la mission nationale de contrôle et d'audit des organismes de sécurité sociale.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2020), le 5 juillet 2014, Mme [Y] (la bailleresse), assurée auprès de la société Pacifica, a donné à bail à Mme [Z] (la locataire) un appartement situé en étage.

3. Le 3 octobre 2014, la locataire a chuté depuis une fenêtre du logement dépourvue de garde-corps et dont la partie basse se situait à moins de 90 centimètres du plancher.

4. Elle a assigné la bailleresse et son assureur en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de dommages-intérêts de l'exposante, que le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 n'oblige pas les bailleurs à créer des dispositifs de retenue des personnes dans les immeubles anciens, construits avant 1955, qui en sont dépourvus, en l'absence de dispositions légales ou réglementaires imposant leur installation, quand ne satisfait pas aux caractéristiques du logement décent le logement dont les dispositifs de garde-corps des balcons ne sont pas dans un état conforme à leur usage, la cour d'appel a violé les articles 1719 du code civil et 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et les articles 1 et 2-2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 ;

2°/ qu'il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail ; ne satisfait pas aux caractéristiques du logement décent le logement dont les dispositifs de garde-corps des balcons ne sont pas dans un état conforme à leur usage ; qu'en retenant que l'absence de garde-corps constituait une caractéristique inhérente à la date de construction du local loué dont le locataire peut se convaincre lors de la visite des lieux, alors que l'appréciation du caractère dangereux d'une fenêtre n'est pas à la portée d'un locataire profane et ne constitue pas une caractéristique inhérente au local loué, la cour d'appel a violé les articles 1721 du code civil, 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et les articles 1 et 2-2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002. »

Réponse de la cour

6. En premier lieu, la cour d'appel a retenu à bon droit que le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 imposait seulement aux bailleurs d'entretenir les garde-corps existants dans un état conforme à leur usage, mais non d'installer de tels dispositifs dans les immeubles anciens qui en étaient dépourvus, en l'absence de dispositions légales ou réglementaires l'imposant.

7. Elle en a exactement déduit que le fait pour la bailleresse de ne pas avoir équipé de garde-corps les fenêtres de l'appartement donné à bail ne caractérisait pas un manquement à son obligation de mise à disposition d'un logement décent satisfaisant aux conditions prévues par le décret privé en matière de sécurité et de santé.

8. En second lieu, la cour d'appel a pu retenir que l'absence de garde-corps dans un immeuble construit avant 1955 ne constituait ni un vice de construction, ni une défectuosité dont le bailleur devait répondre, mais une caractéristique apparente inhérente à sa date de construction, dont le locataire pouvait se convaincre lors de la visite des lieux.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Gallet - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 15 décembre 2004, pourvoi n° 02-20.614, Bull. 2004, III, n° 239 (cassation).

3e Civ., 30 juin 2022, n° 21-20.127, (B), FS

Rejet

Bailleur – Obligations – Délivrance – Manquement – Exclusion – Cas – Effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période de confinement du 17 mars au 10 mai 2020

L'effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

Ayant relevé que les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire n'étaient pas imputables au bailleur et n'emportaient pas perte de la chose louée, une cour d'appel, saisie en référé d'une demande en paiement d'une provision, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable.

Perte de la chose – Article 1722 du code civil – Définition – Exclusion – Cas – Effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 1er juillet 2021), rendu en référé, M. [Z], aux droits duquel se trouvent M. et Mme [I] (les bailleurs), a donné à bail commercial à la société Odalys résidences (la locataire) deux lots d'une résidence de tourisme.

2. En raison des mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, la locataire a, du 14 mars au 2 juin 2020, cessé son activité dans la résidence.

3. Le 26 mars 2020, elle a informé les bailleurs de sa décision d'interrompre le paiement du loyer et des charges à compter du 14 mars 2020.

4. Les bailleurs ont assigné la locataire en paiement d'une provision correspondant à l'arriéré locatif.

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme au titre des loyers impayés, alors « que le juge des référés peut accorder une provision dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que tranche une contestation sérieuse le juge des référés qui apprécie si les circonstances ayant entraîné l'indisponibilité des lieux loués, qui ne pouvaient plus être utilisés conformément à leur destination contractuelle, justifient ou non la suspension du paiement des loyers ; que la société [Adresse 6] soutenait que son obligation au paiement du loyer était contestable, sur le fondement de l'exception d'inexécution, dès lors que les bailleurs avaient été dans l'impossibilité, pendant toute la période considérée, d'exécuter leur obligation de délivrance et d'assurer la jouissance paisible des lieux loués conformément à la destination prévue au bail ; qu'ils ajoutaient que l'impropriété des lieux à l'objet prévu au bail s'analysait en outre en perte partielle de la chose louée, et que les bailleurs avaient manqué à leur obligation de bonne foi en réclamant le paiement de loyers afférents à des périodes durant lesquelles les lieux loués ne pouvaient être utilisés conformément à leur destination contractuelle ; qu'en énonçant, pour dire que l'obligation au paiement des loyers n'était pas sérieusement contestable, qu'il ne pouvait être reproché aux bailleurs un manquement à leur obligation de délivrance, que les restrictions résultaient de mesures législatives et réglementaires concernant tous les bailleurs se trouvant dans la même situation, tandis qu'aucun texte ne dispensait les locataires du règlement des loyers, et que les locaux n'avaient subi aucune perte, le juge des référés, qui a apprécié la nature et l'étendue des obligations contractuelles et la gravité du manquement du preneur au regard des circonstances pouvant justifier qu'il cesse le règlement des loyers en l'état de l'indisponibilité avérée des lieux loués, a tranché des contestations sérieuses et violé l'article 835 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Par application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national.

8. En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.

9. Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis.

10. Par suite, cette interdiction a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.

11. L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

12. Ayant relevé que les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire n'étaient pas imputables au bailleur et n'emportaient pas perte de la chose, la cour d'appel, saisie en référé d'une demande en paiement d'une provision, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich et M. David - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé ; décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020 ; article 1722 du code civil ; article 835 du code de procédure civile.

3e Civ., 30 juin 2022, n° 21-20.190, (B) (R), FS

Rejet

Perte de la chose – Article 1722 du code civil – Définition – Exclusion – Cas – Effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020

L'effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil. (1re et 2e branches).

Bailleur – Obligations – Délivrance – Inexécution – Défaut – Cas – Mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public

Cette mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'est pas constitutive d'une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance. (3e branche).

Preneur – Obligations – Paiement des loyers – Mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public – Force majeure – Exonération du locataire (non)

Pour échapper au paiement de ses loyers, un locataire n'est pas fondé à invoquer à son profit la force majeure résultant de cette mesure. (4e branche).

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 juin 2021), par acte authentique du 13 novembre 2017, la société civile immobilière Foncière Saint-Louis (la bailleresse) a donné en location à la société Action France (la locataire) un local commercial à usage de supermarché à dominante non alimentaire.

2. Se prévalant de l'interdiction de recevoir du public, en raison des mesures gouvernementales de lutte contre l'épidémie de covid-19, la locataire a informé la bailleresse de la suspension du paiement des loyers et charges.

3. Le 2 juin 2020, la bailleresse a procédé sur les comptes de la locataire à la saisie-attribution d'une somme correspondant à l'intégralité de la facture de loyer du deuxième trimestre 2020.

4. Le 3 juillet 2020, la locataire a assigné la bailleresse devant le juge de l'exécution en mainlevée de la saisie et paiement de dommages-intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

5. La locataire fait grief à l'arrêt de valider la saisie-attribution à hauteur d'une certaine somme, alors :

« 1°/ que les mesures optionnelles et dérogatoires résultant des ordonnances n° 2020-306 du 25 mars 2020 et n° 2020-316 du 25 mars 2020 adoptées pendant la crise sanitaire et neutralisant certaines sanctions de l'inexécution des obligations pendant la période juridiquement protégée n'écartent pas l'application des règles permanentes du code civil relatives au contrat de bail qui ne sont pas incompatibles avec de telles dispositions, telles que l'article 1722 du code civil sur la perte de la chose louée ; qu'en considérant que la société Action France ne pouvait pas se prévaloir de l'article 1722 du code civil, dès lors que le législateur avait déjà pris en compte les conséquences pour bailleurs et preneurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, lorsque les ordonnances du 25 mars 2020 avaient pour seul objet de neutraliser les sanctions du retard dans le paiement des loyers et n'excluaient pas le droit pour le preneur d'invoquer la perte de la chose louée résultant de l'impossibilité temporaire d'exploiter les lieux conformément à la destination prévue au contrat, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1722 du code civil ;

2°/ que le preneur non éligible aux dispositions protectrices de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 peut invoquer l'article 1722 du code civil sur la perte de la chose louée, en l'absence de règle spécifique applicable à sa situation ; qu'en énonçant, pour considérer que le preneur ne pouvait pas invoquer les dispositions de l'article 1722 du code civil, qu'il importait peu que la société Action France ne réponde pas aux critères d'éligibilité prévus à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 précitée, permettant à certains preneurs de bénéficier de son article 4, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1722 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. En application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national.

7. En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.

8. Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis.

9. Par suite, cette interdiction a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.

10. L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

12. La locataire fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'impossibilité pour le preneur d'exploiter les lieux conformément à la destination prévue au bail, même si elle est imposée par les pouvoirs publics, constitue un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant que le preneur invoque l'exception d'inexécution ; qu'en énonçant que le bailleur n'avait pas pour obligation, en l'absence de stipulations contractuelles particulières, de garantir la commercialité des locaux, ceux objet du bail ayant été mis à la disposition du preneur, lequel admet que l'impossibilité d'exploiter qu'il allègue était le seul fait du législateur, la cour d'appel a violé les articles 1219 et 1719 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. Ayant relevé que les locaux loués avaient été mis à disposition de la locataire, qui admettait que l'impossibilité d'exploiter, qu'elle alléguait, était le seul fait du législateur, la cour d'appel en a exactement déduit que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'était pas constitutive d'une inexécution de l'obligation de délivrance.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

15. La locataire fait le même grief à l'arrêt, alors « que le preneur qui n'a pu exploiter la chose louée selon sa destination à cause de la fermeture des locaux pendant la crise sanitaire peut obtenir la suspension de son obligation de paiement des loyers pendant cette fermeture, en invoquant la force majeure ; qu'en énonçant qu'à supposer que l'état d'urgence sanitaire constitue un fait de force majeure, le bailleur a fourni un local en lui-même exploitable, étant rappelé que le preneur reconnaît qu'il n'était pas dans l'impossibilité d'exécuter son obligation de payer le loyer de sorte qu'il n'est pas fondé à invoquer à son profit la force majeure, lorsque le preneur était pourtant dans l'impossibilité d'exploiter les lieux conformément à la destination prévue au contrat, la cour d'appel a violé l'article 1218 du code civil. » Réponse de la Cour

16. Il résulte de l'article 1218 du code civil que le créancier qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure.

17. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que la locataire, débitrice des loyers, n'était pas fondée à invoquer à son profit la force majeure.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

19. La locataire fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ; que pour considérer que le bailleur n'avait pas manqué à son devoir de bonne foi, la cour d'appel a retenu qu'il avait proposé de différer le règlement du loyer d'avril 2020 pour le reporter sur le 3° trimestre, voire sur le 4° trimestre, proposition refusée par le preneur, tandis que le preneur n'avait pas adressé au préfet du département de la Savoie de demande de dérogation, ni mis en oeuvre pendant la période considérée des activités de livraison ou de retraits de commande, ce qu'il a mis en place ultérieurement ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le fait pour le bailleur de pratiquer trois semaines seulement après la fin du confinement une mesure d'exécution forcée à l'encontre de son débiteur pour obtenir le paiement des loyers échus pendant la fermeture des locaux et ce, sans tentative préalable de renégociation du contrat pour l'adapter aux circonstances, autre qu'une proposition de report d'un mois de loyer sous la forme d'un commandement de payer, ne constituait pas un manquement au devoir d'exécution du contrat de bonne foi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1104 du code civil. »

Réponse de la Cour

20. Ayant constaté que la bailleresse avait vainement proposé de différer le règlement du loyer d'avril 2020, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la locataire dans le détail de son argumentation, en a souverainement déduit que la bailleresse avait tenu compte des circonstances exceptionnelles et ainsi manifesté sa bonne foi.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich et M. David - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé ; décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020 ; articles 1218 et 1722 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-21.060, Bull., (cassation).

3e Civ., 22 juin 2022, n° 21-18.612, (B), FS

Cassation

Sous-location – Interdiction – Sous-location irrégulière – Auteur – Possesseur de bonne foi (non)

L'auteur d'une sous-location interdite ne peut être un possesseur de bonne foi au sens de l 'article 549 du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mars 2021), le 15 décembre 2004, la Régie immobilière de la ville de Paris (le bailleur) a signé avec Mme [P] (le preneur) un bail portant sur un local à usage d'habitation qui interdisait la sous-location.

2. Alléguant que le preneur offrait une partie de son logement en location par l'intermédiaire d'une plate-forme dédiée, le bailleur l'a assigné en résiliation du bail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le bailleur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de résiliation du bail, alors « qu'en application des articles 1728 et 1729 du code civil, le preneur peut sous-louer en tout ou en partie son bail ou le céder s'il n'est pas privé de ce droit, en tout ou en partie, par la loi ou la convention ; qu'en matière de location de logements sociaux conventionnés, l'article R. 353-37 du code de la construction et de l'habitation pose à l'égard du preneur une interdiction formelle de sous-louer ; qu'ainsi, la mise en sous-location d'un logement social conventionné est considérée comme une circonstance aggravante du manquement du preneur qui sous-loue en violation des termes du contrat de bail ; qu'en retenant que « le manquement litigieux est dans la présente occurrence insuffisamment grave pour justifier la résiliation du bail » motifs pris que « 136 locations, entre le mois de novembre 2014 et le mois de janvier 2018, date de l'assignation, soit 38 mois, la moyenne des locations par mois durant cette période serait de 3,5 locations, ce qui n'est pas considérable », et que « la location portait sur une des trois chambres et que l'appelante continuait d'occuper son logement avec ses trois filles » et que « la bailleresse ne justifie pas avoir mis en demeure la locataire de cesser cette infraction à la clause du bail lui interdisant la sous-location », sans prendre en compte, comme il lui était demandé par la Régie immobilière de la ville de Paris pour apprécier la gravité du manquement, sa qualité de bailleur social et l'interdiction formelle de sous-louer qui pesait sur Mme [P], en application de l'article D. 353-37 du code de la construction et de l'habitation, dont il résultait que l'activité particulièrement lucrative de location d'un bien par l'intermédiaire du site Airbnb était radicalement contraire à la destination d'un tel logement ouvrant droit à des prestations sociales et destiné à des locataires dont les revenus ne dépassent pas un certain montant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1728 et 1729 du code civil, et D. 353-37 du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1728 et 1729 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, et R. 353-37 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2005-1733 du 30 décembre 2005 :

4. Il résulte du premier de ces textes que le preneur est tenu d'user de la chose louée suivant la destination qui lui a été donnée par le bail.

5. Selon le deuxième, si le preneur emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.

6. Aux termes du dernier, les logements conventionnés sont loués nus à des personnes physiques, à titre de résidence principale, et occupés au moins huit mois par an. Ils ne peuvent faire l'objet de sous-location sauf au profit de personnes ayant passé avec le locataire un contrat conforme à l'article L. 443-1 du code de l'action sociale et des familles et doivent répondre aux conditions d'occupation suffisante telles que définies par l'article L. 621-2 du même code.

7. Pour rejeter la demande en résiliation du bail, l'arrêt relève que le preneur avait ouvert un compte sur le site internet Airbnb au mois de novembre 2014 et que la page de présentation du compte comportait cent trente-six commentaires relatifs à des locations faites entre novembre 2014 et janvier 2018.

8. Il retient qu'à supposer que chaque commentaire corresponde à une location, la moyenne mensuelle des locations n'était que de trois et demi, que la location ne portait que sur une des trois chambres du logement que le preneur continuait d'occuper et que le bailleur n'avait pas mis le preneur en demeure de cesser cette activité, de sorte que le manquement dénoncé n'était pas suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail.

9. En se déterminant ainsi, sans examiner, comme il le lui était demandé, la gravité de la faute du preneur au regard des circonstances résultant du régime applicable aux logements conventionnés, de l'interdiction légale de sous-location et d'un changement de destination des locaux susceptible d'être caractérisé par l'utilisation répétée et lucrative d'une partie du logement conventionné, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

10. Le bailleur fait grief à l'arrêt de condamner le preneur à lui payer une certaine somme en restitution des fruits civils perçus par les sous-locations non autorisées, alors :

« 2°/ que, sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ; qu'en faisant application de l'article 548 du code civil et en décidant que « le loyer de Mme [P] étant de 981,82 euros, le loyer quotidien est donc de 32,72 euros, ce qui, sur 136 jours, correspond à 4 449,92 euros de sorte que la bailleresse ne saurait réclamer utilement une somme supérieure à 2 350 euros (6 800- 4 449,92) », décidant ainsi que seule la plus-value résultant des sous-locations illégales devait être remboursée à la Régie immobilière de la ville de Paris, cependant que l'intégralité des sous-loyers perçus illégalement par le locataire devait être restituée au propriétaire, la cour d'appel a violé l'article 549 du code civil ;

3°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a fractionné les fruits civils et, donc, les sous-loyers en attribuant une partie au propriétaire, représentant la plus-value de la sous-location illégale, et une partie au locataire, représentant le prix du loyer quotidien, cependant que l'article 548 du code civil impose uniquement au propriétaire de rembourser aux tiers les frais qu'ils auraient exposés pour parvenir à la perception des fruits et que les loyers, qui constituent des fruits civils qui appartiennent au propriétaire, s'analysent comme des « frais » au sens de l'article 548, la cour d'appel a violé l'article susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 548 et 549 du code civil :

11. Aux termes du premier de ces textes, les fruits produits par la chose n'appartiennent au propriétaire qu'à la charge de rembourser les frais des labours, travaux et semences faits par des tiers et dont la valeur est estimée à la date du remboursement.

12. Selon le second, le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi.

13. Après avoir évalué à une certaine somme les fruits issus de la sous-location non autorisée, l'arrêt condamne le preneur à rembourser au bailleur une somme moindre en déduisant les loyers perçus par ce dernier en exécution du bail.

14. En statuant ainsi, alors que le loyer constitue un fruit civil de la propriété et que le preneur, auteur de la sous-location interdite, ne pouvait être un possesseur de bonne foi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Grandjean - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Bénabent -

Textes visés :

Article R. 353-37 du code de la construction et de l'habitation ; article 549 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 12 septembre 2019, pourvoi n° 18-20.727, Bull., (rejet).

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