Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 30 juin 2022, n° 21-20.127, (B), FS

Rejet

Bailleur – Obligations – Délivrance – Exclusion – Cas – Effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période de confinement du 17 mars au 10 mai 2020

Perte de la chose – Article 1722 du code civil – Définition – Exclusion – Cas – Effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 1er juillet 2021), rendu en référé, M. [Z], aux droits duquel se trouvent M. et Mme [I] (les bailleurs), a donné à bail commercial à la société Odalys résidences (la locataire) deux lots d'une résidence de tourisme.

2. En raison des mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, la locataire a, du 14 mars au 2 juin 2020, cessé son activité dans la résidence.

3. Le 26 mars 2020, elle a informé les bailleurs de sa décision d'interrompre le paiement du loyer et des charges à compter du 14 mars 2020.

4. Les bailleurs ont assigné la locataire en paiement d'une provision correspondant à l'arriéré locatif.

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme au titre des loyers impayés, alors « que le juge des référés peut accorder une provision dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que tranche une contestation sérieuse le juge des référés qui apprécie si les circonstances ayant entraîné l'indisponibilité des lieux loués, qui ne pouvaient plus être utilisés conformément à leur destination contractuelle, justifient ou non la suspension du paiement des loyers ; que la société [Adresse 6] soutenait que son obligation au paiement du loyer était contestable, sur le fondement de l'exception d'inexécution, dès lors que les bailleurs avaient été dans l'impossibilité, pendant toute la période considérée, d'exécuter leur obligation de délivrance et d'assurer la jouissance paisible des lieux loués conformément à la destination prévue au bail ; qu'ils ajoutaient que l'impropriété des lieux à l'objet prévu au bail s'analysait en outre en perte partielle de la chose louée, et que les bailleurs avaient manqué à leur obligation de bonne foi en réclamant le paiement de loyers afférents à des périodes durant lesquelles les lieux loués ne pouvaient être utilisés conformément à leur destination contractuelle ; qu'en énonçant, pour dire que l'obligation au paiement des loyers n'était pas sérieusement contestable, qu'il ne pouvait être reproché aux bailleurs un manquement à leur obligation de délivrance, que les restrictions résultaient de mesures législatives et réglementaires concernant tous les bailleurs se trouvant dans la même situation, tandis qu'aucun texte ne dispensait les locataires du règlement des loyers, et que les locaux n'avaient subi aucune perte, le juge des référés, qui a apprécié la nature et l'étendue des obligations contractuelles et la gravité du manquement du preneur au regard des circonstances pouvant justifier qu'il cesse le règlement des loyers en l'état de l'indisponibilité avérée des lieux loués, a tranché des contestations sérieuses et violé l'article 835 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Par application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national.

8. En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.

9. Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis.

10. Par suite, cette interdiction a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.

11. L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

12. Ayant relevé que les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire n'étaient pas imputables au bailleur et n'emportaient pas perte de la chose, la cour d'appel, saisie en référé d'une demande en paiement d'une provision, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich et M. David - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé ; décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020 ; article 1722 du code civil ; article 835 du code de procédure civile.

3e Civ., 22 juin 2022, n° 20-20.844, n° 21-11.168, (B), FS

Cassation partielle

Indemnité d'éviction – Action en paiement – Prescription biennale – Interruption – Acte de poursuite – Assignation – Délivrance

La délivrance d'une assignation interrompt le délai de prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction prévue à l'article L. 145-9 du code de commerce.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-20.844 et 21-11.168 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 juillet 2020), l'établissement public à caractère industriel et commercial Saint-Ouen habitat public - office public de l'habitat (l'EPIC) a notifié, le 29 mai 2009, à la société Total marketing services, devenue la société Total énergie marketing services (la locataire), un congé à effet au 31 décembre 2009, avec refus de renouvellement du bail commercial consenti à compter du 1er décembre 1970 pour l'exploitation d'une station-service de distribution de produits pétroliers et vente d'accessoires automobiles.

3. La locataire a assigné l'EPIC en paiement d'une indemnité d'éviction par acte du 30 décembre 2011, remis au tribunal le 9 janvier 2012.

4. La société d'économie mixte de construction et de rénovation de la ville de Saint-Ouen (la SEMISO), qui a acquis les locaux commerciaux donnés à bail, le 31 août 2016, est intervenue à l'instance.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 21-11.168 et sur le deuxième moyen du pourvoi n° 20-20.844, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° 20-20.844, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La SEMISO et l'EPIC font grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme le montant de l'indemnité d'éviction due par l'office à la société locataire, outre les frais de licenciement des salariés sur justificatifs et les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollution et éventuellement de retrait des réservoirs, sur justificatifs, alors « que seule la saisine du tribunal par l'enrôlement de l'assignation peut interrompre le délai imparti au preneur pour agir en paiement d'une indemnité d'éviction ; qu'en l'état d'un congé en date du 31 décembre 2009, la seule délivrance d'une assignation signifiée le 30 décembre 2011 n'a pas interrompu le délai imparti au preneur pour agir en paiement de l'indemnité d'éviction, dès lors que le tribunal n'en a été saisi que par sa remise au greffe, le 9 janvier 2012, soit après l'expiration du délai ayant commencé à courir le 31 décembre 2009 ; qu'en décidant, à l'inverse, que le délai de prescription a été valablement interrompu par la seule délivrance d'une assignation dans les délais de deux ans de la délivrance du congé par le bailleur, depuis que l'article 45 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 a décidé que le délai biennal n'est plus imparti au preneur à peine de forclusion, la cour d'appel a violé l'article L. 145-9 du code de commerce, ensemble l'article 757 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article 2241 du code civil, applicable en matière de bail commercial, que la délivrance d'une assignation interrompt le délai de prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction prévue à l'article L. 145-9 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, applicable au litige.

8. Ayant relevé que le délai pour agir qui avait commencé à courir le 31 décembre 2009, date d'effet du congé, avait été interrompu par la délivrance de l'assignation au bailleur, le 30 décembre 2011, la cour d'appel, en a exactement déduit que l'action de la locataire n'était pas prescrite.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi n° 20-20.844, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. La SEMISO et l'EPIC font grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme le montant de l'indemnité d'éviction, outre les frais de licenciement des salariés de la locataire sur justificatifs et les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs, sur justificatifs, et d'écarter leurs demandes tendant à ce que la locataire soit condamnée à respecter ses obligations de dépollution, alors « que l'obligation légale de dépollution pesant sur l'exploitant d'une installation classée à la cessation de l'activité sur un site est liée aux conditions d'exercice de cette activité ; qu'il s'ensuit qu'en cas de délivrance d'un congé avec refus de renouvellement au preneur exploitant une installation classée dans un local commercial, le coût de la dépollution et de la remise en état ne constitue pas un préjudice imputable à son éviction, de sorte que le preneur ne peut en demander le remboursement au bailleur au titre des indemnités accessoires qui pourraient lui être alloués en application de l'article L. 145-14 du code de commerce ; qu'en décidant que les frais de mise en sécurité ou de dépollution, et éventuellement de retrait des réservoirs et de remise en état figurent au nombre des préjudices que l'indemnité d'éviction a pour objet de réparer, au titre des indemnités accessoires, par cela seul qu'ils « sont directement liés à l'éviction avec arrêt d'exploitation », après avoir constaté qu'il avait été mis fin à l'exploitation de la station-essence par la délivrance par le bailleur d'un congé portant refus de renouvellement, la cour d'appel a violé la disposition précitée, ensemble l'article L. 512-12-2 du code de l'environnement, l'article R. 512-66-1 du même code, l'article 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 et l'article 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 512-12-1 du code de l'environnement, 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 relatif aux réservoirs enterrés de liquides inflammables ou combustibles et de leurs équipements annexes, et 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux stations service relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 1435 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement :

11. Il résulte de ces textes que le preneur à bail dont le renouvellement est refusé, dernier exploitant d'une installation classée pour la protection de l'environnement, est tenu de prendre, en application de l'article L. 512-12-1 du code de l'environnement, toutes les dispositions utiles pour la mise en sécurité du site et, s'agissant des réservoirs de carburant et de leurs équipements annexes, de les neutraliser conformément aux dispositions de l'article 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 et de l'article 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010.

12. L'obligation particulière de dépollution du site d'une installation classée pour la protection de l'environnement doit, à l'arrêt définitif de l'exploitation, être exécutée par le dernier exploitant, qui en est seul tenu, indépendamment de tout rapport de droit privé.

13. Pour retenir que les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs, seront dus à la locataire évincée sur justificatifs, au titre des indemnités accessoires, l'arrêt énonce que les frais de mise en sécurité ou de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs sont directement liés à l'éviction avec arrêt de l'exploitation.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 20-20.844

Enoncé du moyen

15. La SEMISO et l'EPIC font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes relatives à l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation, aux intérêts au taux légal à compter de chaque échéance contractuelle et à la compensation, alors « que la juridiction du second degré est saisie des demandes figurant dans le dispositif des conclusions des parties, même si leurs prétentions ne sont étayées par aucun moyen figurant dans la partie « discussion » des conclusions ; que la société Semiso et l'Epic Saint-Ouen habitat public-Office public de l'habitat avaient présenté plusieurs demandes relatives à l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation, aux intérêts au taux légal à compter de chaque échéance contractuelle et à la compensation dans le dispositif de leurs dernières conclusions ; qu'en décidant qu'elle n'en était pas saisie, pour la raison qu'elles n'étaient étayées par aucun développement dans la partie « discussion » des dites conclusions, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 954, alinéas 1er et 2, du code de procédure civile :

16. Il résulte de ce texte que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée, et que la cour ne statue que sur les prétentions récapitulées énoncées sous forme de dispositif.

17. Pour rejeter le surplus des demandes dont celles relatives à l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation, aux intérêts au taux légal à compter de chaque échéance contractuelle et à la compensation, l'arrêt retient que la cour d'appel, en application de l'article 954 du code de procédure civile, n'est pas saisie de ces demandes figurant au dispositif des conclusions du bailleur dans la mesure où elles ne sont pas développées dans la partie discussion des écritures.

18. En statuant ainsi, tout en rejetant ces demandes, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de sa saisine, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi n° 20-20.844, pris en sa première branche

19. La portée de la cassation prononcée sur ce moyen, qui ne conteste que l'inclusion des frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs, sur justificatifs, dans le calcul du préjudice réparable de la locataire, doit être limitée à cette seule inclusion et à la disposition rejetant les demandes en condamnation de la société Total marketing services à respecter ses obligations de dépollution qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

 - ajoute au montant de l'indemnité d'éviction calculé et fixé à la somme de 1 072 170 euros, due par l'établissement public à caractère industriel et commercial Saint-Ouen habitat public - office public de l'habitat à la société Total marketing services, devenue Total énergie marketing services, les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs ;

 - rejette les demandes de l'établissement public à caractère industriel et commercial Saint-Ouen habitat public - office public de l'habitat et de la société d'économie mixte de construction et de rénovation de la ville de Saint-Ouen en condamnation de la société Total marketing services, devenue Total énergie marketing services, à respecter ses obligations de dépollution ;

 - rejette les demandes de l'établissement public à caractère industriel et commercial Saint-Ouen habitat public - office public de l'habitat et de la société d'économie mixte de construction et de rénovation de la ville de Saint-Ouen en condamnation de la société Total marketing services, devenue Total énergie marketing services, relatives à l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation, aux intérêts au taux légal à compter de chaque échéance contractuelle et à la compensation ;

l'arrêt rendu entre les parties, le 8 juillet 2020, par la cour d'appel de Paris ;

Remet sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 145-9 du code de commerce ; article L. 512-12-1 du code de l'environnement ; article 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 relatif aux réservoirs enterrés de liquides inflammables ou combustibles et de leurs équipements annexes ; article 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux stations service relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 1435 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 10 novembre 1993, pourvoi n° 91-16.659, Bull. 1993, III, n° 142 (rejet) ; 3e Civ., 1er février 2012, pourvoi n° 11-10.482, Bull. 2012, III, n° 19 (cassation). 3e Civ., 19 mai 2010, pourvoi n° 09-15.255, Bull. 2010, III, n° 101 (rejet), et les arrêts cités.

3e Civ., 30 juin 2022, n° 21-20.190, (B) (R), FS

Rejet

Perte de la chose – Article 1722 du code civil – Définition – Exclusion – Cas – Effet de la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020

Bailleur – Obligations – Délivrance – Inexécution – Défaut – Cas – Mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public

Preneur – Obligations – Paiement des loyers – Mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public – Force majeure – Exonération du locataire (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 juin 2021), par acte authentique du 13 novembre 2017, la société civile immobilière Foncière Saint-Louis (la bailleresse) a donné en location à la société Action France (la locataire) un local commercial à usage de supermarché à dominante non alimentaire.

2. Se prévalant de l'interdiction de recevoir du public, en raison des mesures gouvernementales de lutte contre l'épidémie de covid-19, la locataire a informé la bailleresse de la suspension du paiement des loyers et charges.

3. Le 2 juin 2020, la bailleresse a procédé sur les comptes de la locataire à la saisie-attribution d'une somme correspondant à l'intégralité de la facture de loyer du deuxième trimestre 2020.

4. Le 3 juillet 2020, la locataire a assigné la bailleresse devant le juge de l'exécution en mainlevée de la saisie et paiement de dommages-intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

5. La locataire fait grief à l'arrêt de valider la saisie-attribution à hauteur d'une certaine somme, alors :

« 1°/ que les mesures optionnelles et dérogatoires résultant des ordonnances n° 2020-306 du 25 mars 2020 et n° 2020-316 du 25 mars 2020 adoptées pendant la crise sanitaire et neutralisant certaines sanctions de l'inexécution des obligations pendant la période juridiquement protégée n'écartent pas l'application des règles permanentes du code civil relatives au contrat de bail qui ne sont pas incompatibles avec de telles dispositions, telles que l'article 1722 du code civil sur la perte de la chose louée ; qu'en considérant que la société Action France ne pouvait pas se prévaloir de l'article 1722 du code civil, dès lors que le législateur avait déjà pris en compte les conséquences pour bailleurs et preneurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, lorsque les ordonnances du 25 mars 2020 avaient pour seul objet de neutraliser les sanctions du retard dans le paiement des loyers et n'excluaient pas le droit pour le preneur d'invoquer la perte de la chose louée résultant de l'impossibilité temporaire d'exploiter les lieux conformément à la destination prévue au contrat, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1722 du code civil ;

2°/ que le preneur non éligible aux dispositions protectrices de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 peut invoquer l'article 1722 du code civil sur la perte de la chose louée, en l'absence de règle spécifique applicable à sa situation ; qu'en énonçant, pour considérer que le preneur ne pouvait pas invoquer les dispositions de l'article 1722 du code civil, qu'il importait peu que la société Action France ne réponde pas aux critères d'éligibilité prévus à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 précitée, permettant à certains preneurs de bénéficier de son article 4, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1722 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. En application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national.

7. En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.

8. Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis.

9. Par suite, cette interdiction a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.

10. L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

12. La locataire fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'impossibilité pour le preneur d'exploiter les lieux conformément à la destination prévue au bail, même si elle est imposée par les pouvoirs publics, constitue un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant que le preneur invoque l'exception d'inexécution ; qu'en énonçant que le bailleur n'avait pas pour obligation, en l'absence de stipulations contractuelles particulières, de garantir la commercialité des locaux, ceux objet du bail ayant été mis à la disposition du preneur, lequel admet que l'impossibilité d'exploiter qu'il allègue était le seul fait du législateur, la cour d'appel a violé les articles 1219 et 1719 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. Ayant relevé que les locaux loués avaient été mis à disposition de la locataire, qui admettait que l'impossibilité d'exploiter, qu'elle alléguait, était le seul fait du législateur, la cour d'appel en a exactement déduit que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'était pas constitutive d'une inexécution de l'obligation de délivrance.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

15. La locataire fait le même grief à l'arrêt, alors « que le preneur qui n'a pu exploiter la chose louée selon sa destination à cause de la fermeture des locaux pendant la crise sanitaire peut obtenir la suspension de son obligation de paiement des loyers pendant cette fermeture, en invoquant la force majeure ; qu'en énonçant qu'à supposer que l'état d'urgence sanitaire constitue un fait de force majeure, le bailleur a fourni un local en lui-même exploitable, étant rappelé que le preneur reconnaît qu'il n'était pas dans l'impossibilité d'exécuter son obligation de payer le loyer de sorte qu'il n'est pas fondé à invoquer à son profit la force majeure, lorsque le preneur était pourtant dans l'impossibilité d'exploiter les lieux conformément à la destination prévue au contrat, la cour d'appel a violé l'article 1218 du code civil. » Réponse de la Cour

16. Il résulte de l'article 1218 du code civil que le créancier qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure.

17. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que la locataire, débitrice des loyers, n'était pas fondée à invoquer à son profit la force majeure.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

19. La locataire fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ; que pour considérer que le bailleur n'avait pas manqué à son devoir de bonne foi, la cour d'appel a retenu qu'il avait proposé de différer le règlement du loyer d'avril 2020 pour le reporter sur le 3° trimestre, voire sur le 4° trimestre, proposition refusée par le preneur, tandis que le preneur n'avait pas adressé au préfet du département de la Savoie de demande de dérogation, ni mis en oeuvre pendant la période considérée des activités de livraison ou de retraits de commande, ce qu'il a mis en place ultérieurement ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le fait pour le bailleur de pratiquer trois semaines seulement après la fin du confinement une mesure d'exécution forcée à l'encontre de son débiteur pour obtenir le paiement des loyers échus pendant la fermeture des locaux et ce, sans tentative préalable de renégociation du contrat pour l'adapter aux circonstances, autre qu'une proposition de report d'un mois de loyer sous la forme d'un commandement de payer, ne constituait pas un manquement au devoir d'exécution du contrat de bonne foi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1104 du code civil. »

Réponse de la Cour

20. Ayant constaté que la bailleresse avait vainement proposé de différer le règlement du loyer d'avril 2020, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la locataire dans le détail de son argumentation, en a souverainement déduit que la bailleresse avait tenu compte des circonstances exceptionnelles et ainsi manifesté sa bonne foi.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich et M. David - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé ; décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020 ; articles 1218 et 1722 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-21.060, Bull., (cassation).

3e Civ., 29 juin 2022, n° 21-16.452, (B), FS

Rejet

Vente de la chose louée – Droit de préemption du preneur à bail – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Cession unique de locaux commerciaux distincts

Une cour d'appel, qui constate que la vente porte notamment sur des locaux commerciaux donnés à bail à des preneurs distincts, en déduit exactement, peu important que ces locaux soient situés dans le même immeuble et que la vente porte également sur un lot à usage d'habitation et sur des caves, qu'aucun des preneurs commerciaux ne peut se prévaloir du droit de préemption prévu à l'article L. 145-46-1 du code de commerce, celui-ci étant exclu, par l'alinéa 6 de ce texte, dans le cas d'une cession unique de locaux commerciaux distincts.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars 2021), [A] [Z], décédée, aux droits de laquelle viennent Mmes [O] épouse [D] et [P] épouse [O], ainsi que MM. [H] et [E] [O] (les consorts [O]), a donné à bail commercial à Mme [B] [I] des locaux constitués d'une boutique et d'un appartement et à la société Le Grand Gourmet, ayant pour gérante Mme [S] [I], des locaux constitués d'une boutique et de deux appartements, situés dans le même immeuble.

2. [A] [Z] a consenti à la société Livo une promesse de vente, reçue par les sociétés civiles professionnelles [C] [G] et Paul Bouloc notaires associés, devenue [G] notaires et associés, et Gérard- Guibert-Foucaul-Vaillant-Erout-De La Taille Lolainville-Piétrini notaires (les notaires), portant sur ces lots, ainsi que sur un appartement et trois caves situés dans le même bâtiment.

3. Mme [B] [I] et la société Le Grand Gourmet, toutes deux mises en redressement judiciaire, et M. [K], commissaire à l'exécution des plans de redressement, se sont prévalus du droit de préemption prévu à l'article L. 145-46-1 du code de commerce.

4. La vente des locaux en cause a été réitérée par acte authentique du 6 septembre 2016.

5. Mme [B] [I], la société Le Grand Gourmet et M. [K], ès qualités, ont assigné [A] [Z], la société Livo et les notaires en nullité de la vente et réparation.

6. Mme [S] [I] est intervenue volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Mmes [B] et [S] [I], M. [K], ès qualités, et la société Le Grand Gourmet font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal, lorsqu'il envisage de vendre celui-ci, en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement ; que cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée et vaut offre de vente au profit du locataire, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer ; que dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier ces conditions et ce prix au locataire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement, à peine de nullité de la vente ; que cette notification vaut offre de vente au profit du locataire ; qu'est prévu un certain nombre d'exception au champ d'application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, parmi lesquelles l'hypothèse de la « cession unique de locaux commerciaux distincts », soit le cas de cession de locaux commerciaux situés dans des lieux différents, géographiquement distincts, ne se trouvant pas dans le même immeuble ou le même ensemble non commercial ; qu'en l'espèce, il était acquis aux débats comme résultant des constatations de l'arrêt que les locaux commerciaux cédés se situaient tous les deux à l'angle de la [Adresse 10], dans le même immeuble constituant une seule et unique copropriété ou le même ensemble non commercial, ce qui excluait qu'ils puissent être qualifiés de locaux commerciaux distincts ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

2°/ que la cour d'appel a constaté que la cession portait à la fois sur des locaux commerciaux et sur des locaux non commerciaux ; qu'ainsi la cession ne portait pas uniquement sur des locaux commerciaux comme le prévoit l'exception au champ d'application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce qui vise la « cession unique de locaux commerciaux distincts » ; qu'en refusant de faire application du droit de préemption au profit du locataire commercial, la cour d'appel a violé l'article L. 146-46-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel, qui a constaté que la vente litigieuse portait notamment sur des locaux commerciaux donnés à bail à des preneurs distincts, en a exactement déduit, peu important que ces locaux fussent situés dans le même immeuble et que la vente ait également porté sur un lot à usage d'habitation et sur des caves, qu'aucun des preneurs commerciaux ne pouvait se prévaloir du droit de préemption prévu à l'article L. 145-46-1 du code de commerce, celui-ci étant exclu, par le sixième alinéa de ce texte, dans le cas d'une cession unique de locaux commerciaux distincts.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Boyer - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 145-46-1 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 17 mai 2018, pourvoi n° 17-16.113, Bull. 2018, III, n° 51 (rejet).

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