Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

AIDE SOCIALE

2e Civ., 16 juin 2022, n° 20-20.270, (B), FS

Cassation partielle

Personnes handicapées – Prestations – Prestation de compensation du handicap – Nature – Portée

Il résulte des articles L. 245-1, L. 245-3, L. 245-5, L. 245-7, L. 245-8, alinéa 1, et L. 245-12 du code de l'action sociale et des familles que la prestation de compensation du handicap affectée au dédommagement de l'aidant familial, calculée sur la base d'un pourcentage du salaire minimum de croissance, doit être considérée comme une ressource de l'aidant, incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul du préjudice économique des victimes indirectes.

Dès lors, viole ces dispositions la cour d'appel qui retient que la prestation de compensation du handicap n'avait pas vocation à contribuer à l'entretien de la famille et que la cessation de son versement, à la mère d'un enfant en situation de handicap accidentellement décédé ayant fait le choix de ne pas travailler pour s'occuper de ce dernier en qualité d'aidant familial, ne saurait constituer un préjudice économique, alors que cette prestation constituait une ressource pour cet aidant qui, comme telle, devait être incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul de son préjudice économique.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 8 mars 2018), et les productions, un incendie s'est déclaré, le 2 mai 2014, dans l'appartement occupé par M. et Mme [W] et leurs deux enfants, [G], né le 19 décembre 1992, en situation de handicap, et [Y].

2. [G] [W] est décédé le 3 mai 2014, des suites de l'incendie.

3. M. et Mme [W] avaient souscrit un contrat d'assurance « Garantie des Accidents de la Vie » auprès de la société BPCE assurances (l'assureur) prévoyant l'indemnisation, notamment, du préjudice économique des bénéficiaires du contrat, déterminé, en cas de décès, par référence au droit commun.

4. M. et Mme [W] ont assigné l'assureur devant un tribunal de grande instance afin d'être indemnisés, notamment, de leur préjudice économique.

Examen des moyens

Sur les deux moyens du pourvoi principal formé par M. [W] et le second moyen du pourvoi provoqué formé par Mme [W], ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi provoqué

Enoncé du moyen

6. Mme [W] fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à la condamnation de l'assureur à lui payer la somme de 146 545 euros au titre du préjudice économique, alors « qu'en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par les proches du défunt doit être évalué en tenant compte du revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès ; qu'il en résulte que la prestation de compensation du handicap versée à la victime avant son décès doit être prise en considération pour déterminer le montant du préjudice économique subi par les proches de celle-ci ; que cette modalité de calcul du préjudice économique s'impose à l'assureur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte, pour évaluer les revenus du foyer avant l'accident et, par voie de conséquence, le préjudice économique subi par la famille de [G] [W], décédé dans l'incendie, de la prestation de compensation du handicap versée à ce dernier, aux motifs que celle-ci était « destinée à rémunérer les frais occasionnés par le handicap, tels que le financement d'une tierce personne » et que « la circonstance que Mme [W] ait fait le choix de ne pas travailler pour s'occuper de son fils ne saurait caractériser l'existence d'un préjudice économique subi par la famille du fait de la cessation du versement de cette indemnité qui n'avait pas davantage vocation à contribuer à l'entretien de la famille », quand cette prestation devait entrer dans le calcul du revenu du foyer avant l'accident, peu important que les frais qu'elle avait vocation à couvrir eussent disparu du fait du décès du bénéficiaire, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime et l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles, ensemble l'article 1134 ancien (1103 nouveau) du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134, devenu 1103, du code civil et L. 245-1, L. 245-3, L. 245-5, L. 245-7, L. 245-8, alinéa 1, et L. 245-12 du code de l'action sociale et des familles :

7. Il résulte des six derniers de ces textes que lorsqu'elle est affectée à une charge liée à un besoin d'aides humaines, y compris pour celles apportées par les aidants familiaux, la contrepartie monétaire attachée à la prestation de compensation du handicap bénéficie exclusivement à la tierce personne qu'elle dédommage ou rétribue.

La personne physique ou morale qui assume la charge d'aider le bénéficiaire est en droit, en cas de non-paiement du montant de la prestation de compensation du handicap, d'obtenir du président du conseil départemental qu'elle lui soit versée directement.

8. Dès lors, la prestation de compensation du handicap affectée au dédommagement de l'aidant familial, calculée sur la base d'un pourcentage du salaire minimum de croissance, doit être considérée comme une ressource de l'aidant, incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul du préjudice économique des victimes indirectes.

9. Pour débouter M. et Mme [W] de leur demande de réparation d'un préjudice économique, l'arrêt relève que, selon eux, la prestation de compensation du handicap constituait un revenu pour Mme [W], qui avait abandonné son activité salariée, à la naissance de [G], pour s'occuper de lui et que la perte de revenu consécutive à son décès la laisse dans le dénuement, puisqu'elle est désormais trop âgée pour trouver un nouvel emploi.

10. L'arrêt retient ensuite que cette prestation étant destinée à rémunérer les frais occasionnés par le handicap, tel que le financement de la tierce personne, la cessation de son versement ne saurait constituer un préjudice économique puisqu'elle n'avait pas vocation à contribuer à l'entretien de la famille et que Mme [W] a fait le choix de ne pas travailler pour s'occuper de son fils.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que Mme [W] était dédommagée, au titre de la prestation de compensation du handicap, pour répondre, en qualité d'aidant familial, au besoin en aide humaine de son fils, de sorte que cette prestation constituait pour elle une ressource qui, comme telle, devait être incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul du préjudice économique subi par M. et Mme [W] en raison du décès de leur fils, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. et Mme [W] de leur demande en paiement de la somme de 146 545 euros au titre du préjudice économique, l'arrêt rendu le 8 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : Me Bertrand ; SCP Krivine et Viaud ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 245-1, L. 245-3, L. 245-5, L. 245-7, L. 245-8, alinéa 1, et L. 245-12 du code de l'action sociale et des familles.

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