Numéro 6 - Juin 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2022

AGENT COMMERCIAL

Com., 29 juin 2022, n° 20-11.952, (B), FRH

Rejet

Contrat – Fin – Indemnité au mandataire – Exclusion – Cas – Faute grave – Détermination

Ayant retenu qu'une clause d'intuitu personae du contrat d'agence commerciale soumettait à l'agrément du mandant le changement de gérant de l'agent commercial et que la prétendue gérance de fait exercée par l'intéressé n'exonérait pas l'agent commercial de son obligation contractuelle, puis relevé que celui-ci avait manqué à son obligation d'information et de transparence à l'égard du mandant en ne l'informant pas de la démission de son gérant, la cour d'appel, qui a fait ressortir que l'agent commercial avait manqué à son obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, en a exactement déduit que ce dernier avait commis une faute grave justifiant la rupture des relations commerciales et dispensant le mandant de lui verser l'indemnité réparatrice prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce ainsi que l'indemnité de préavis.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 décembre 2019), la société Compagnie de fabrication industrielle de menuiserie (la société COFIM) ayant résilié pour faute grave le contrat d'agence commerciale qui la liait à la société Signa déco, celle-ci, contestant avoir commis une telle faute, l'a assignée en paiement d'indemnités de cessation de fin de contrat et de préavis.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. La société Signa déco fait grief à l'arrêt de juger que M. [F] a commis des fautes graves dans l'exercice de son mandat d'agent commercial motivant la résiliation du contrat, que le contrat d'agence commerciale conclu entre la société Signa déco et la société COFIM est résilié à la date du 13 février 2015 aux torts exclusifs de la société Signa déco et de débouter celle-ci de l'intégralité de ses demandes, alors :

« 1°/ qu'est contraire à l'ordre public et réputée non écrite la clause par laquelle les parties décident qu'un comportement déterminé constitue une faute grave privative de l'indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale ; qu'en décidant d'appliquer la clause contractuelle prévue à l'article 11 du contrat d'agence commerciale qui qualifiait de faute grave l'absence d'information du mandant de la perte par le gérant de la « direction effective et permanente de la Société » et de soumission à l'agrément de celui-ci du changement de gérant, sans vérifier par elle-même si les faits qui lui étaient soumis pouvaient recevoir la qualification de faute grave et notamment si, comme elle y était invitée, ils avaient eu une incidence sur les rapports de droit privé existant entre le mandant et son agent dès lors qu'il n'était pas contesté que l'ancien gérant avait conservé le contrôle effectif de l'agence commerciale et qu'il était demeuré l'interlocuteur du mandant, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;

2°/ que seule la faute grave, c'est-à-dire celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, est privatrice de l'indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à qualifier de faute grave un manquement contractuel à une obligation d'information et de demande d'agrément du mandant, sans nullement en caractériser la gravité, ni au regard des circonstances de l'espèce, dans un contexte où le mandant avait manifesté par écrit et peu avant la rupture, sa volonté de rompre les relations pour un tout autre motif, ni au regard d'une quelconque incidence du prétendu manquement sur les rapports entre les parties ; que ce faisant, elle a violé les dispositions des articles L 134-12 et L 134-13 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir constaté que l'article 11 du contrat d'agence commerciale stipulait : « Tout changement conduisant à la perte par M. [F], soit de la direction effective et permanente de la société, soit du contrôle majoritaire de celle-ci, devra être soumis à l'agrément du mandant au plus tard quatre mois avant la survenance du changement.

Le non-respect de cette obligation sera assimilé à une faute grave de l'agent ouvrant droit à la résiliation légitime du mandat. », l'arrêt retient que cette clause d'intuitus personae soumet à l'agrément du mandant le changement de gérant de la société mandataire et que la prétendue gérance de fait exercée par M. [F] n'exonère pas la société Signa déco de son obligation contractuelle. Il relève, par motifs propres et adoptés, que la société Signa déco a manqué à son obligation d'information et de transparence à l'égard de la société COFIM en ne l'informant pas de la démission de son gérant.

En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la société Signa déco avait manqué à son obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, en a exactement déduit que cette dernière avait commis une faute grave justifiant la rupture des relations commerciales et dispensant la société COFIM de lui verser l'indemnité réparatrice prévue par l'article L.134-12 du code de commerce ainsi que l'indemnité de préavis.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Krivine et Viaud -

Textes visés :

Article L. 134-12 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation de la faute grave de l'agent commercial, à rapprocher : Com., 15 mai 2007, pourvoi n° 06-12.282, Bull. 2007, IV, n° 128 (rejet).

Com., 29 juin 2022, n° 20-13.228, (B), FRH

Cassation partielle

Contrat – Fin – Indemnité au mandataire – Exclusion – Cas – Faute grave – Détermination

Il résulte des articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce que la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale.

N'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé ces textes la cour d'appel qui, pour exclure la faute grave de l'agent commercial et condamner le mandant au paiement d'indemnités de cessation de contrat et de préavis, après avoir constaté, d'une part, qu'une clause du contrat d'agence commerciale stipulait que le contrat étant conclu en considération de la personne du principal animateur de la société mandataire, tout changement conduisant à la perte par ce dernier, soit de la direction effective et permanente de la société, soit du contrôle majoritaire de celle-ci, devait être soumis à l'agrément du mandant dans un délai raisonnable, avant la survenance du changement, et que le non-respect de cette obligation serait assimilé à une faute grave de l'agent, ouvrant droit à la résiliation du mandat, et, d'autre part, que le mandataire n'avait informé le mandant d'un changement de direction que près d'un mois après celui-ci, ce dont il résulte qu'il a manqué à son obligation de soumettre à l'agrément préalable de son mandant le changement entraînant la perte de contrôle majoritaire de la personne en considération de laquelle le contrat avait été conclu, a retenu qu'il n'était pas démontré qu'une atteinte à la finalité commune du mandat avait résulté du changement de direction ou de contrôle de la société mandataire et qu'il n'était ni établi ni même invoqué que la société ayant le contrôle majoritaire de cette dernière exerçait une activité concurrente du mandant, alors que le manquement à l'obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, constitue une faute grave.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2020), la société Bystronic France (la société Bystronic) ayant résilié pour faute grave le contrat d'agence commerciale conclu avec la Société d'études et de ventes de machines outils (la société SEVMO), cette dernière, aux droits de laquelle est venue la société de Représentation de machines-outils (la société REPMO), contestant avoir commis une telle faute, l'a assignée en paiement des indemnités de cessation de contrat et de préavis.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société Bystronic fait grief à l'arrêt de dire qu'aucune faute grave n'est démontrée à l'encontre de la société SEVMO, de la condamner à régler à la société REPMO certaines sommes à titre d'indemnités de cessation de contrat et de préavis, alors « que le contrat d'agence commerciale, conclu en considération de la personne de l'agent, ne peut être transmis qu'avec l'accord du mandant ; que dès lors, commet une faute grave, par manquement à son devoir d'information et de loyauté, la société mandataire qui n'informe pas son mandant que son dirigeant personne physique, en considération de qui le contrat d'agence a été conclu, a cessé ses fonctions et a été remplacé par une autre personne ; qu'en retenant, pour dire que la société SEVMO n'avait commis aucune faute grave en n'informant pas la société Bystronic que son dirigeant avait cessé ses fonctions et été remplacé par une autre personne, que la société Bystronic n'établissait aucune atteinte à la finalité commune du mandat résultant de ce changement de direction et de contrôle, la cour d'appel, qui a constaté que ce contrat avait été conclu en considération de la personne de ce dirigeant, que les parties avaient convenu que tout changement de direction serait préalablement soumis à l'agrément du mandant et érigé tout manquement à cette obligation en faute grave, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 134-1, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce :

3. Il résulte de ces textes que la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale.

4. Pour exclure la faute grave de la société SEVMO et condamner la société Bystronic au paiement d'indemnités de cessation de contrat et de préavis, après avoir constaté que l'article 11 du contrat d'agence commerciale stipulait que le contrat étant conclu en considération de la personne de M. [J], principal animateur de la société SEVMO, tout changement conduisant à la perte par ce dernier, soit de la direction effective et permanente de la société, soit du contrôle majoritaire de celle-ci, devait être soumis à l'agrément du mandant dans un délai raisonnable, avant la survenance du changement, et que le non-respect de cette obligation serait assimilé à une faute grave de l'agent, ouvrant droit à la résiliation du mandat, l'arrêt retient que cette clause vise à garantir l'effectivité du caractère intuitu personae du contrat et permettre la résiliation de ce contrat en cas de changement de direction ou de contrôle de la société mandataire mais qu'il n'est pas démontré qu'une atteinte à la finalité commune du mandat a résulté du changement de direction ou de contrôle de la société SEVMO et qu'il n'est ni établi ni même invoqué que la société REPMO, qui a le contrôle majoritaire de la société SEVMO, exerce une activité concurrente de la société Bystronic.

5. En statuant ainsi, après avoir constaté que le contrat avait été conclu en considération de la personne de M. [J] et que la société SEVMO n'avait informé la société Bystronic d'un changement de direction au profit de la société REPMO que près d'un mois après celui-ci, ce dont il résulte qu'elle a manqué à son obligation de soumettre à l'agrément préalable de son mandant le changement entraînant la perte de contrôle majoritaire de M. [J], alors que le manquement à l'obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, constitue une faute grave, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

6. La cassation prononcée sur le premier moyen du chef de la condamnation au paiement d'indemnités de cessation de contrat et de préavis entraîne, par voie de conséquence, la cassation de la disposition critiquée par le second qui, rejetant la demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement de première instance au motif que les sommes allouées par la cour d'appel étaient d'un montant supérieur à celui des sommes allouées par les premier juges, s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'aucune faute grave n'est démontrée à l'encontre de la société SEVMO, qu'il condamne la société Bystronic France à payer à la société REPMO la somme de 441 979 euros à titre d'indemnité de cessation du contrat d'agence commerciale, qu'il condamne la société Bystronic France à payer à la société REPMO la somme de 110 495 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, qu'il déboute la société Bystronic France de sa demande de restitution des sommes qu'elle a versées en vertu du jugement assorti de l'exécution provisoire et qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation de la faute grave de l'agent commercial, à rapprocher : Com., 15 mai 2007, pourvoi n° 06-12.282, Bull. 2007, IV, n° 128 (rejet).

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