Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 16 juin 2021, n° 20-12.154, (B)

Sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union européenne – Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 – Articles 3, §§ 1 et 4, relatifs aux clauses abusives – Question pendante de nature à influer sur la solution du litige – Sursis à statuer

La Cour de justice de l'Union européenne a été saisie des questions préjudicielles suivantes :

1°) Les articles 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?

2°) L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14, doit-il être interprété en ce sens qu'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l'équilibre global des relations contractuelles ?

3°) Les articles 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l'envoi d'une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu'il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d'un préavis raisonnable ?

4°) Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14) pour l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?

5°) Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l'importance relative de tel ou tel critère ?

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 octobre 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 26 septembre 2018, pourvoi n° 17-21.533), suivant offre acceptée le 21 février 2006, réitérée par acte authentique du 17 mai 2006, la caisse fédérale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest, aux droits de laquelle se trouve la caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest (la banque) a consenti à M. [J] (l'emprunteur) un prêt destiné à l'acquisition d'un bien immobilier d'un montant de 209 109 euros remboursable sur vingt ans.

Les conditions générales du contrat prévoyaient à l'article 16-1 que les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles, sans formalité ni mise en demeure dans le cas d'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires.

2. L'échéance exigible au 10 décembre 2012, pour un montant de 904,50 euros, n'ayant pas été réglée, ni celle du mois de janvier 2013, la banque a prononcé la déchéance du terme le 29 janvier 2013, sans mise en demeure préalable, et fait procéder à une saisie-vente au domicile de l'emprunteur le 17 septembre 2015. Soutenant que le procès-verbal de saisie comportait des irrégularités, l'emprunteur a saisi le juge de l'exécution, le 13 octobre 2015, en annulation de la procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable ; qu'il incombe aux juges du fond de relever d'office le caractère abusif des clauses qui leur sont soumises dès lorsqu'ils disposent des éléments de fait et de droit leur permettant de se prononcer ; qu'au cas d'espèce, ayant constaté que l'article 16.1 du contrat de prêt prévoyait que le prêteur pourrait prononcer la déchéance du terme sans formalité ni mise en demeure dès lors que l'emprunteur était en retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme du prêt, en s'abstenant de rechercher si cette clause, qui reconnaissait au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable, ne devait pas être présumée abusive, sauf à la banque à démontrer le contraire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau), R. 132-2, 4° ancien (devenu R. 212-2, 4° nouveau), R. 632-1 et L. 141-4 ancien du code de la consommation, ensemble l'article 1184 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) ;

2°/ que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif d'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme du prêt, sans que l'emprunteur soit mis en mesure de s'expliquer au préalable sur cette cause de déchéance ; qu'il incombe aux juges du fond de relever d'office le caractère abusif des clauses qui leur sont soumises dès lorsqu'ils disposent des éléments de fait et de droit leur permettant de se prononcer ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant de rechercher si l'article 16.1 du contrat de prêt ne revêtait pas un caractère abusif dès lors qu'il autorisait le prêteur, en cas de retard de plus de trente jours dans le paiement d'une échéance, à résilier unilatéralement le contrat sans laisser à l'emprunteur la possibilité de s'expliquer sur le manquement qui lui était imputé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau), R. 632-1 et L. 141-4 ancien du code de la consommation, ensemble l'article 1184 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) ;

3°/ que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'il incombe aux juges du fond de relever d'office le caractère abusif des clauses qui leur sont soumises dès lorsqu'ils disposent des éléments de fait et de droit leur permettant de se prononcer ; que la CJUE a dit pour droit que l'article 3 § 1 et l'article 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doivent être interprétés en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt (CJUE 26 janvier 2017, Banco Primus, aff. C-421/4) ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant, de rechercher si la clause de déchéance du terme de l'article 16.1 du contrat de prêt ne revêtait pas un caractère abusif, dès lors qu'elle permettait de résilier le contrat, conclu pour une durée de vingt ans et un montant de 209 109 euros, sur le fondement d'un simple retard de plus de trente jours dans le règlement d'une échéance, la cour d'appel, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 3 § 1 et 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble les articles L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau), R. 632-1 et L. 141-4 ancien du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

Le droit de l'Union européenne

5. Aux termes de l'article 3 paragraphe 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, une clause d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l'exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

6. L'article 4 de cette directive précise :

« 1. Sans préjudice de l'article 7, le caractère abusif d'une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend.

2. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation entre le prix et la rémunération, d'une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d'autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

7. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), par arrêt du 26 janvier 2017 (Banco Primus SA, C-421/14), a dit pour droit que les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que :

« - l'examen du caractère éventuellement abusif d'une clause d'un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur implique de déterminer si celle-ci crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Cet examen doit être effectué au regard des règles nationales qui, en l'absence d'accord des parties, trouvent à s'appliquer, des moyens dont le consommateur dispose, en vertu de la réglementation nationale, pour faire cesser l'utilisation de ce type de clauses, de la nature des biens ou des services qui font l'objet du contrat en cause ainsi que de toutes les circonstances qui entourent la conclusion de celui-ci ; [...]

 - s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt. »

Le droit national

8. Selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 applicable au litige et portant notamment transposition de cette directive, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

9. La Cour de cassation déduit de manière constante des articles 1134, 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que, si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet, et précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

Mais elle admet qu'il puisse être dérogé à l'exigence d'une mise en demeure par une disposition expresse et non équivoque du contrat (1re Civ., 3 février 2004, pourvoi n° 01-02.020, Bull. 2004, I, n° 27 ; 1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-15.655, Bull. 2015, I, n° 131 ; 1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 16-18.418, Bull. 2017, I, n° 151) dès lors que le consommateur est ainsi informé des conséquences de la méconnaissance de ses obligations.

Motifs justifiant le renvoi préjudiciel

10. L'examen des branches du moyen implique de déterminer si les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat et si la clause litigieuse, en ce qu'elle a pour effet que la déchéance du terme est encourue de plein droit dans le cas d'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires, doit être considérée comme abusive au vu notamment des critères dégagés par la CJUE dans l'arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14).

En faveur d'un déséquilibre significatif, il peut être soutenu qu'une telle clause permet au prêteur de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable et sans laisser à l'emprunteur la possibilité de s'expliquer sur le manquement qui lui est imputé.

En faveur de l'absence de caractère abusif il peut être soutenu que, pour être valable, une telle clause doit être prévue de manière expresse et non équivoque de sorte que l'emprunteur est parfaitement informé de ses obligations. Il peut être ajouté que celui-ci dispose toujours de la possibilité de saisir le juge pour contester l'application de la clause et faire sanctionner un abus dans son prononcé par le prêteur.

11. Au regard du premier critère posé par l'arrêt de la CJUE du 26 janvier 2017 précité, pour l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il pourrait être admis que le défaut de règlement d'une mensualité au terme prévu par le consommateur caractérise l'inexécution par celui-ci d'une obligation présentant un caractère essentiel, dès lors qu'il s'est engagé à s'acquitter des mensualités prévues et que cet engagement a déterminé celui du prêteur.

12. Le deuxième critère, conduisant à apprécier si un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires, comme le prévoit la clause en cause, caractérise une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, prête davantage à interrogation. Compte tenu de l'allongement de la durée des crédits et de la baisse des taux d'intérêts, les montants des impayés peuvent être relativement faibles au regard de la durée et du montant des prêts au moment du prononcé de la déchéance du terme, de sorte que le caractère suffisamment grave de l'inexécution pourrait être relativisé et il pourrait être tenu compte de l'équilibre global des relations contractuelles.

Mais un tel raisonnement, qui impliquerait que le juge détermine dans chaque cas à partir de quel montant rapporté à la durée et au montant du prêt et de quel délai, l'inexécution est suffisamment grave pour justifier une exigibilité immédiate du prêt, pourrait être regardé comme créant une inégalité entre les consommateurs.

13. La question se pose donc de savoir si un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un seul terme en principal, intérêts ou accessoires, comme le prévoit la clause en cause, peut caractériser une inexécution revêtant un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt.

14. En application du troisième critère, il importe de déterminer si la clause déroge aux règles du droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques.

Le droit commun impose l'envoi d'une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, tout en admettant qu'il y soit dérogé par les parties et en exigeant alors le respect d'un préavis raisonnable.

Le préavis étant de trente jours dans la clause en cause, on peut hésiter à considérer ce délai comme suffisant pour que l'emprunteur contacte le prêteur, s'explique sur le manquement imputé et trouve une solution pour apurer le ou les impayés. Cependant le contrat en cause prévoit, par ailleurs, la possibilité pour l'emprunteur de demander une modification d'échéances susceptible de lui permettre, le cas échéant, de prévenir un risque d'impayé.

15. Il importe néanmoins de savoir si un préavis de trente jours peut être considéré comme créant au détriment du consommateur un déséquilibre significatif.

16. Enfin, l'arrêt de la CJUE du 26 janvier 2017 ne précise pas si les quatre critères dégagés pour l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont cumulatifs ou alternatifs. Ce point est nécessaire à la solution du moyen et pour éclairer le juge national sur la méthodologie à employer pour l'appréciation du caractère abusif de la clause litigieuse.

17. Se pose aussi la question de savoir, si en cas de critères cumulatifs, le caractère abusif de la clause ne pourrait néanmoins pas être exclu au regard de l'importance relative de tel ou tel critère.

18. Les questions soulevées par le moyen, dont dépend la solution du pourvoi et qui nécessitent une interprétation uniforme des textes du droit de l'Union applicables en la cause, justifient la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne.

19. Il y a donc lieu de surseoir à statuer sur le pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée sur ces différents points.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le premier moyen du pourvoi ;

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°/ Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?

2°/ L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), doit-il être interprété en ce sens qu'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l'équilibre global des relations contractuelles ?

3°/ Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l'envoi d'une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu'il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d'un préavis raisonnable ?

4°/ Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14) pour l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?

5°/ Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l'importance relative de tel ou tel critère ?

SURSOIT à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du 7 décembre 2021.

- Président : Mme Batut (président) - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller ; SCP Krivine et Viaud -

Textes visés :

Article 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993.

Com., 30 juin 2021, n° 19-23.665, (B)

Rejet

Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 – Clause attributive de juridiction – Contrat conclu par un commissionnaire avec le transporteur – Effets à l'égard de l'expéditeur (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 25 juin 2019), le 3 juin 2012, la société Compagnie française du thon océanique (la société CFTO) a confié à la société Le Roux (le commissionnaire) la mission d'organiser le transport maritime de six conteneurs remplis de thons congelés, au départ de Dakar (Sénégal) jusqu'au port [Établissement 1] (Turquie), la marchandise étant destinée à la société turque Kerevitas (l'acheteur).

La marchandise a été confiée par le commissionnaire à un transporteur maritime, la société de droit danois AP Moller, exerçant sous le nom commercial de « compagnie Maersk Line. »

2. Le 29 juin 2012, lors d'une escale au port [Établissement 2], un des six conteneurs chargés pour le compte de la société CFTO a été endommagé au cours d'une opération de transbordement par la chute d'un autre conteneur.

La société CFTO a consenti à l'acheteur un avoir correspondant au prix de la marchandise non livrée.

3. La société CFTO et son assureur dommages, la société Helvetia assurances (la société Helvetia), ont assigné « la société Maersk Line » ainsi que le commissionnaire en remboursement de la valeur de la marchandise perdue et en paiement des frais d'expertise.

La société AP Moller est intervenue volontairement à l'instance et a notamment soulevé, in limine litis, l'incompétence du tribunal de commerce de Quimper au profit de la Haute Cour de Justice de Londres.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

5. La société AP Moller fait grief à l'arrêt de rejeter son exception d'incompétence, alors :

« 1°/ que l'article 23 § 1 du règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 dispose qu'une clause attributive de juridiction peut être conclue dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ; que l'existence d'un usage est établie lorsqu'un certain comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans cette branche lors de la conclusion de contrats d'un certain type, sans qu'il soit nécessaire qu'un tel comportement soit établi dans des pays déterminés ni, en particulier, dans tous les États membres ; qu'au cas d'espèce, il était soutenu qu'il existait un usage de clause attributive de juridiction en faveur de la Haute Cour de Justice de Londres dans la branche commerciale considérée, à savoir le transport maritime, de sorte que la clause attributive de juridiction insérée aux conditions générales de la société AP Moller auxquelles renvoyait expressément le connaissement était applicable sans qu'importe la preuve de son acceptation par la société CFTO ; qu'en jugeant que la clause attributive de juridiction n'était pas opposable à la société CFTO, motif pris que le connaissement ne comportait pas sa signature ou qu'il n'était pas justifié d'un courant d'affaires entre les deux sociétés, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si cette clause n'était pas la manifestation d'un usage dans la branche commerciale considérée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 23 § 1 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000.

2°/ qu'il résulte des articles 1 et 3 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement que le contrat de transport est un contrat liant un chargeur et un transporteur ; qu'il importe peu qu'il ait été conclu par l'intermédiaire d'un commissionnaire ; qu'au cas d'espèce, il n'est pas contesté que la société CFTO avait la qualité de chargeur, de sorte qu'elle était nécessairement partie au contrat de transport ; qu'en jugeant que la société CFTO n'a pas la qualité de partie au contrat de transport, de sorte qu'elle ne serait pas liée par le connaissement, alors que le chargeur est nécessairement partie au contrat de transport, peu important qu'un commissionnaire de transport soit intervenu, la cour d'appel a violé les articles 1er et 3 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt retient que la société CFTO, ayant confié à la société Le Roux, son commissionnaire, la mission de rechercher un transporteur susceptible de convoyer la marchandise depuis le Sénégal jusqu'à la Turquie, n'a pas directement contracté avec la compagnie Maersk Line et que, dès lors, elle n'a pas la qualité de partie au contrat de transport maritime.

Il observe aussi que la société CFTO n'agit pas sur un fondement contractuel mais quasi-délictuel, invoquant expressément l'article 1382 du code civil dans le dispositif de ses conclusions.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement retenu que la société CFTO n'était pas partie au contrat de transport et, n'étant dès lors pas tenue de procéder aux recherches invoquées par la première branche, inopérantes en l'absence de contrat entre les sociétés CFTO et AP Moller, a légalement justifié sa décision.

8. Le moyen, qui en sa deuxième branche procède d'un postulat erroné, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SAS Cabinet Colin - Stoclet ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 23, §1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue des effets d'une clause attributive de juridiction figurant dans un connaissement, à rapprocher : Com., 27 septembre 2017, n° 15-25.927, Bull. 2017, IV, n° 132 (rejet).

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