Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

SYNDICAT PROFESSIONNEL

Soc., 23 juin 2021, n° 20-10.544, (B)

Cassation

Droits syndicaux – Exercice – Conditions – Transparence financière – Exigence – Etablissement de comptes annuels – Modalités – Modalités liées à un montant de ressources – Durée – Durée de deux exercices consécutifs – Portée

Il résulte des dispositions de l'article D. 2135-3 du code du travail que lorsque la condition de ressources mentionnée au premier alinéa de ce texte n'est pas remplie pendant un seul exercice, la faculté pour les syndicats professionnels d'établir leurs comptes annuels sous la forme d'un bilan, d'un compte de résultat et d'une annexe simplifiés et de n'enregistrer leurs créances et leurs dettes qu'à la clôture de l'exercice, reste ouverte.

Représentativité – Détermination – Critères – Transparence financière – Ressources et moyens – Preuve – Modalités – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Poissy, 20 décembre 2019), le syndicat Union nationale syndicats autonomes fédération des transports (le syndicat) a désigné le 9 septembre 2019 M. [H] en qualité de représentant de section syndicale de l'Unsa Transport au sein du site de Poissy de la société.

2. Par requête du 24 septembre 2019, la société a saisi le tribunal d'instance en annulation de cette désignation.

3. La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 juin 2020 (Soc., 24 juin 2020, pourvoi n° 20-10.544), a dit n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée par le syndicat.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article D. 2135-3 du code du travail :

6. Aux termes de ce texte, les comptes annuels des syndicats professionnels de salariés ou d'employeurs et de leurs unions, et des associations de salariés ou d'employeurs mentionnés à l'article L. 2135-1 dont les ressources au sens de l'article D. 2135-9 sont inférieures ou égales à 230 000 euros à la clôture de l'exercice peuvent être établis sous la forme d'un bilan, d'un compte de résultat et d'une annexe simplifiés, selon des modalités fixées par règlement de l'Autorité des normes comptables. Ils peuvent n'enregistrer leurs créances et leurs dettes qu'à la clôture de l'exercice.

Les dispositions du présent article ne sont plus applicables lorsque la condition de ressources mentionnée à l'alinéa précédent n'est pas remplie pendant deux exercices consécutifs.

7. Il en résulte que lorsque la condition de ressources mentionnée au premier alinéa de l'article D. 2135-3 du code du travail n'est pas remplie pendant un seul exercice, la faculté d'établir les comptes annuels sous la forme d'un bilan, d'un compte de résultat et d'une annexe simplifiés et de n'enregistrer ses créances et ses dettes qu'à la clôture de l'exercice reste ouverte.

8. Pour constater que le syndicat ne satisfaisait pas à la condition de transparence financière exigée par la loi à la date du 9 septembre 2019, faute de publication du rapport du commissaire aux comptes sur le site internet de la Direction de l'information légale et administrative et, par conséquent, prononcer l'annulation de la désignation de M. [H] en qualité de représentant de section syndicale du syndicat au sein du site de [Localité 1] du 9 septembre 2019, le jugement retient que, selon le règlement de l'Autorité des normes comptables du 3 décembre 2009 « les organisations syndicales dont le montant des ressources annuelles est supérieur à 230 000 euros sont tenues de nommer un commissaire aux comptes », qu'il est mentionné dans les comptes annuels 2018 de la Fédération Unsa Transport un total de ressources de 235 501 euros, qu'en conséquence, il convient de constater qu'au moment de la désignation de M. [H] en qualité de représentant de section syndicale, ce syndicat, dont les ressources dépassaient le seuil légal au 31 décembre 2018, ne justifiait pas de la nomination d'un commissaire aux comptes et de la publication de son rapport et de ce fait ne remplissait pas le critère de transparence financière exigé par la loi.

9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la condition de ressources mentionnée au premier alinéa de l'article D. 2135-3 du code du travail n'avait pas été remplie pendant un seul exercice, en sorte que le syndicat conservait la faculté d'établir ses comptes annuels conformément aux dispositions de cet article et de n'enregistrer ses créances et ses dettes qu'à la clôture de l'exercice, le tribunal a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 20 décembre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Poissy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Versailles.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 2135-1 et D. 2135-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'exigence de transparence financière pour permettre au syndicat d'exercer des prérogatives dans l'entreprise, à rapprocher : Soc., 22 février 2017, pourvoi n° 16-60.123, Bull. 2017, V, n° 29 (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 9 juin 2021, n° 19-24.678, (P)

Cassation

Droits syndicaux – Exercice – Domaine d'application – Délégué syndical – Désignation – Désignation par un syndicat représentatif – Choix d'un adhérent du syndicat – Conditions – Candidats ayant obtenu 10 % des voix – Renonciation – Antériorité

En application de l'article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, lorsque tous les élus ou tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique.

Cette renonciation des élus et candidats de l'organisation syndicale doit être antérieure à la désignation par celle-ci de l'un de ses adhérents ou de l'un de ses anciens élus en qualité de délégué syndical.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Paris, 12 novembre 2019), les sociétés Orange et Orange Caraïbe (les sociétés) forment une unité économique et sociale, au sein de laquelle s'est tenu le premier tour des élections professionnelles des délégués du personnel et des représentants du personnel aux comités d'établissement du 7 au 9 novembre 2017.

2. Le 11 juin 2019, la fédération Force ouvrière de la communication (le syndicat FO com) a désigné Mme [V] en qualité de délégué syndical de l'établissement secondaire « Centre de services partagés comptabilité France et contentieux » de l'établissement principal « Fonctions supports et finances ».

3. Le 24 juin 2019, les sociétés ont saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de cette désignation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Les sociétés font grief au jugement de les débouter de leur demande d'annulation de la désignation de la salariée en qualité de délégué syndical FO com de l'établissement secondaire « Centres de services partagés comptabilité France et contentieux » de l'établissement principal « Fonctions supports et finances », alors « que selon l'article L. 2143-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, un syndicat représentatif doit désigner ses délégués syndicaux en priorité parmi les candidats qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles dans l'établissement ; que, par exception, en cas de renonciation écrite de tous les candidats qui remplissent cette condition à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents ; que, pour garantir le libre consentement du salarié et préserver le caractère subsidiaire de la désignation de salariés n'ayant aucune légitimité électorale, la renonciation écrite d'un candidat ayant obtenu plus de 10 % des suffrages à son droit d'être désigné délégué syndical doit être antérieure à la désignation d'un autre salarié comme délégué syndical et ne pas être motivée par le souhait du syndicat de désigner un autre salarié comme délégué syndical ; qu'en l'espèce, pour contester la désignation de Mme [V] en qualité de déléguée syndicale de l'établissement secondaire « Centre de services partagés comptabilité France et contentieux », les sociétés Orange et Orange Caraïbe soutenaient que cette salariée ne remplissait pas le critère de l'audience électorale dans cet établissement, que le syndicat FO com devait désigner prioritairement l'un des 21 candidats qui remplissaient la condition d'audience électorale dans cet établissement et que les renonciations de ces candidats, produites en cours d'instance, étaient sans portée sur la désignation contestée, dès lors qu'elles avaient été établies postérieurement à cette désignation sur la base de l'information erronée que cette désignation n'était pas encore intervenue et qu'elles étaient motivées par la proposition du délégué syndical central de désigner un autre salarié comme délégué syndical ; qu'en jugeant néanmoins que ces renonciations, peu important qu'elles soient postérieures à la désignation contestée, permettaient à la fédération FO com de se prévaloir de l'exception au critère de l'audience électorale, le tribunal d'instance a violé l'article L. 2143-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2143-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :

5. Le texte susvisé fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique.

Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa de ce texte, ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33.

6. Par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le législateur a entendu éviter l'absence de délégué syndical dans les entreprises.

7. Eu égard aux travaux préparatoires à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, la mention de l'article L. 2143-3, alinéa 2, du code du travail selon laquelle « si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33 », doit être interprétée en ce sens que lorsque tous les élus ou tous les candidats qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé préalablement à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique.

8. Pour rejeter la demande d'annulation de la désignation de la salariée en qualité de délégué syndical, le jugement retient que le syndicat FO com verse aux débats les renonciations écrites de chacune des personnes ayant obtenu la condition d'audience personnelle de 10 % dans le périmètre de désignation, peu important que ces renonciations, intervenues entre le 26 juin et le 19 juillet 2019, soient postérieures à la désignation du 11 juin 2019, qu'ainsi le syndicat FO com a procédé à la désignation de la salariée en application de l'exception au critère d'audience électorale prévue par l'article L. 2143-3 du code du travail, modifié par la loi du 29 mars 2018.

9. En statuant ainsi, alors que le syndicat FO com ne pouvait se prévaloir d'une renonciation de ses élus et candidats ayant obtenu un score électoral de 10 % des suffrages à leur droit d'être désigné délégué syndical, intervenue postérieurement à la désignation de la salariée en cette qualité, le tribunal a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 12 novembre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris autrement composé.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018.

Rapprochement(s) :

Sur la désignation comme délégué syndical d'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou d'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique lorsque les élus ou tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, à rapprocher : Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-14.605, Bull. 2020, (rejet).

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