Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

SURETES REELLES IMMOBILIERES

Com., 2 juin 2021, n° 20-12.908, (P)

Cassation partielle

Hypothèque – Hypothèque conventionnelle – Garantie de la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel – Régime – Prescription – Prescription trentenaire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 décembre 2019), par un acte du 15 avril 1988, la société Crédit lyonnais (la banque) a consenti à la société BEI, aux droits de laquelle est venue la société Compagnie avicole française (la société CAF), une ouverture de crédit.

Par un acte notarié du 16 février 1993, M. et Mme [M] se sont rendus « cautions en garantie de paiement des sommes dues par l'emprunteur à la banque » et ont consenti à la banque une garantie hypothécaire sur un ensemble de biens immobiliers leur appartenant, qu'ils ont renouvelée le 27 janvier 1995.

2. Après la mise en redressement judiciaire de la société débitrice, M. et Mme [M] ont, par un acte du 12 novembre 2014, assigné la banque en invoquant « l'extinction des hypothèques ».

La cour d'appel a accueilli leur demande, en conséquence de l'extinction, par prescription, de l'engagement des « cautions. »

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt d'ordonner la radiation des hypothèques prises par elle sur les immeubles appartenant à M. [M] et à son épouse, aujourd'hui décédée, alors « qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui et n'est dès lors pas un cautionnement ; que les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que l'affectation hypothécaire des biens appartenant aux époux [M], en garantie du remboursement du crédit accordé par le Crédit lyonnais à la société BEI, à laquelle s'était ultérieurement substituée la société Compagnie avicole française, ne constituait pas un cautionnement soumis, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, à la prescription quinquennale de droit commun, mais avait exclusivement la nature d'une sûreté réelle immobilière, soumise à une prescription trentenaire, y compris après l'entrée en vigueur de ladite loi ; qu'en jugeant le contraire, pour en déduire qu'à défaut de toute action de la banque à l'encontre des époux [M] avant le 19 juin 2013, c'est-à-dire dans le délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, « l'engagement de caution » de ces époux s'était éteint par l'effet de la prescription et que les hypothèques constituées sur leurs biens avaient lieu d'être radiées en conséquence, la cour d'appel a violé l'article 2011, devenu 2288, l'article 2114, devenu 2393, l'article 2180, devenu 2488, l'article 2224 et l'article 2227 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2011, devenu 2288, 2114, devenu 2393, 2180, devenu 2488, et 2227 du code civil :

4. Il résulte de ces textes que, la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, elle n'est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire, prévue par le dernier texte pour les actions réelles immobilières, et non à la prescription quinquennale de droit commun prévue par l'article 2224 du code civil pour les actions personnelles ou mobilières.

5. Pour déclarer prescrites les hypothèques litigieuses et ordonner leur radiation, l'arrêt relève que la banque n'avait entrepris aucune action à l'égard des « cautions » avant le 19 juin 2013, terme du délai pour agir contre elles en conséquence de la survenance de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

6. En statuant ainsi, alors qu'ayant relevé que [K] et [N] [M] s'étaient rendus cautions « simplement hypothécaires » de l'emprunteur, de sorte que l'affectation de leurs biens en garantie de la dette d'autrui avait la nature d'une sûreté réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. La banque fait encore grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [M], agissant tant à titre personnel qu'en qualité d'ayant droit de son épouse décédée, la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement ou de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen, en ce que la cour d'appel a retenu la prescription de « l'engagement de caution » des époux [M] et a ordonné en conséquence la radiation des inscriptions hypothécaires prises sur leurs biens, s'étendra, conformément à l'article 624 du code de procédure civile, au chef par lequel la cour d'appel a inféré de cette prétendue prescription que les inscriptions hypothécaires avaient été maintenues « de manière injustifiée » et que la banque devait être condamnée, à ce titre, à payer à M. [M] une indemnité réparatrice de 8 000 euros. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

8. La cassation de l'arrêt sur le premier moyen entraîne l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt en sa disposition condamnant la banque à payer à M. [M], agissant à titre personnel et en qualité d'ayant droit de son épouse décédée, la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. La banque fait enfin grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à voir condamner M. [M] au paiement de la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement ou de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur les deux premiers moyens, en ce que la cour d'appel a ordonné la radiation des inscriptions hypothécaires prises sur les biens des époux [M] et a condamné le Crédit lyonnais à payer à M. [M] une indemnité réparatrice de 8 000 euros, s'étendra, conformément à l'article 624 du code de procédure civile, au chef par lequel la cour d'appel a considéré que, dès lors qu'elle donnait ainsi gain de cause à M. [M], fût-ce seulement pour partie, l'action exercée par ce dernier à l'encontre du Crédit lyonnais ne pouvait être regardée comme abusive. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

10. La cassation de l'arrêt sur les premier et second moyens entraîne l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt en sa disposition rejetant la demande de la banque tendant à voir condamner M. [M] au paiement de la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne, aux frais de la société Crédit lyonnais et sur réquisition du conseil de M. [M] la radiation des hypothèques prises par la banque et publiées sur les immeubles appartenant à [K], [P], [Q], [J] [M] né le [Date naissance 1] 1933 à [Localité 1] (26) et à [W], [N], [S], [U] [T], épouse [M] née le [Date naissance 2] 1936 à [Localité 2] (13) et décédée le [Date mariage 1] 2019 à [Localité 3] (84) :

 - à la Conservation des Hypothèques de [Localité 4] sur la parcelle sise commune de [Localité 4], cadastrées section DL n° [Cadastre 1],

 - à la Conservation des Hypothèques de [Localité 5] sur les parcelles sises commune de [Localité 1], cadastrées C n° [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13] et [Cadastre 14], et B n° [Cadastre 15], [Cadastre 16] et [Cadastre 17] (lot n° [Cadastre 18]), et sur la parcelle sise commune de [Localité 6] cadastrée ZA n° [Cadastre 19],

 - à la Conservation des Hypothèques d'[Localité 7] sur les parcelles sises commune de Bédarrides cadastrées L n° [Cadastre 20] et [Cadastre 21],

 - à la Conservation des Hypothèques de [Localité 8] sur la parcelle sise commune de [Localité 2] cadastrée G n° [Cadastre 22] (lots [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 18], [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 28], [Cadastre 29]),

et en ce qu'il condamne la société Crédit lyonnais à payer à M. [M], agissant à titre personnel et ès qualité, la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts et en ce qu'il rejette la demande de la banque tendant à voir condamner M. [M] au paiement de la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 18 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; Me Le Prado -

Textes visés :

Articles 2011, devenu 2288, 2114, devenu 2393, 2180, devenu 2488, 2227 et 2224 du code civil, pour les actions personnelles ou mobilières.

Rapprochement(s) :

Sur le principe qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui, à rapprocher : 1re Civ., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-21.332, Bull. 2015, I, n° 290 (rejet).

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