Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL

Soc., 2 juin 2021, n° 20-12.578, n° 20-12.584, n° 20-12.585, n° 20-12.586, n° 20-12.590, n° 20-12.591, n° 20-12.961, (P)

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords d'entreprise – Accord d'aménagement du temps de travail – Seuil de déclenchement des heures supplémentaires – Détermination – Cas

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-12.578, 20-12.584, 20-12.585, 20-12.586, 20-12.590, 20-12.591 et 20-12.961 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués ([Localité 2], 11 décembre 2019), M. [K] et six autres salariés de la société Air Corsica (la société), exerçant en qualité de personnel navigant commercial, ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution de leur contrat de travail.

Examen des moyens

Sur les premier moyen, deuxième moyen, troisième moyen et cinquième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes en paiement d'un rappel de salaire pour les heures de vol comprises entre la cinquante-sixième et la soixante-huitième heure de vol, alors « que la convention et l'accord collectif de travail ne peuvent déroger aux dispositions légales qui revêtent un caractère d'ordre public telles les dispositions légales sur la rémunération des heures supplémentaires de travail ; que pour les personnels navigants de l'aéronautique civile, il est admis, dans les conditions d'exploitation des entreprises de transport et de travail aérien, qu'à la durée légale du travail effectif, telle que définie au premier alinéa de l'article L. 3121-10 du code du travail, correspond un temps de travail exprimé en heures de vol par mois, trimestre ou année civile, déterminée par décret en Conseil d'Etat ; que par exception à l'article L. 3121-22 du même code, les heures supplémentaires de vol donnent lieu à une majoration de 25 % portant sur les éléments de rémunération, à l'exception des remboursements de frais ; que la cour d'appel en énonçant, pour débouter le salarié de sa demande en rappel de salaires sur heures de vol, que le fait que le temps mensuel de vol avait été abaissé dans l'entreprise à 55 heures ne permettait pas de retenir que les heures de vol entre la 56e et la 68e heure devaient être décomptées comme heures supplémentaires et que quand la durée collective de travail était fixée à une durée inférieure à la durée légale, ou à la durée considérée comme équivalente, le décompte des heures supplémentaires, sauf dispositions plus favorables, ne s'effectuait qu'à compter de la durée légale, ou de la durée considérée comme équivalente, a violé l'article L. 2251-1 du code du travail, ensemble l'article L. 6525-3 du code des transports. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 6525-3 du code des transports, pour les personnels navigants de l'aéronautique civile, il est admis, dans les conditions d'exploitation des entreprises de transport et de travail aérien, qu'à la durée légale du travail effectif, telle que définie à l'article L. 3121-10, devenu L. 3121-27, du code du travail, correspond un temps de travail exprimé en heures de vol par mois, trimestre ou année civile, déterminé par décret en Conseil d'Etat.

Les heures supplémentaires de vol donnent lieu à une majoration de 25 % portant sur les éléments de rémunération, à l'exception des remboursements de frais.

6. Selon l'article D. 422-10 du code de l'aviation civile, il est admis qu'à la durée du travail effectif prévue à l'article L. 3121-10, devenu L. 3121-27, du code du travail, correspond une durée mensuelle de soixante-quinze heures de vol répartie sur l'année ou une durée mensuelle moyenne de soixante dix-huit heures de vol répartie sur l'année selon l'option choisie par l'entreprise.

7. Selon les articles L. 3121-22 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 3121-28 du code du travail, dans sa rédaction issue de cette loi, successivement applicables à la cause, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire, qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

8. La fixation par voie conventionnelle de la durée du travail applicable dans l'entreprise à un niveau inférieur à la durée légale n'entraîne pas, en l'absence de dispositions spécifiques en ce sens, l'abaissement corrélatif du seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

9. La cour d'appel, qui a constaté que le temps mensuel de vol appliqué dans l'entreprise avait été abaissé à cinquante-cinq heures, a exactement décidé qu'en l'absence de dispositions conventionnelles plus favorables, les heures de vol entre la cinquante-sixième et la soixante-huitième heure ne pouvaient pas être décomptées comme heures supplémentaires.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

11. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à payer aux salariés une indemnité en réparation du préjudice subi par l'application d'une déduction forfaitaire spécifique illicite de 30 % et de le condamner aux dépens de l'instance d'appel, alors :

« 1°/ qu'un employeur ne commet aucun manquement à ses obligations susceptible d'engager sa responsabilité vis-à-vis d'un salarié lorsque, pour le calcul des cotisations sociales, il opère sur la rémunération du personnel une déduction au titre des frais professionnels dans les conditions et les limites fixées par un arrêté ministériel dont les dispositions ont été interprétées et la mise en oeuvre conseillée tant par une instruction fiscale que par une circulaire de la direction de la sécurité sociale ; que le manquement, à le supposer établi, ne saurait être imputé à l'employeur qui s'est conformé aux instructions qui lui étaient données par les autorités fiscales et sociales compétentes pour en connaître, après consultation - et avis positif - des représentants du personnel ; qu'en retenant la responsabilité de la Compagnie Air Corsica au motif que les salariés auraient subi un préjudice, sans avoir caractérisé un manquement de l'employeur à ses obligations, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1231-1 (ancien article 1147) du code civil ;

2°/ que si les dérogations sont d'interprétation stricte, il n'est pas pour autant imposé d'en faire une interprétation littérale ; qu'en considérant que les personnels navigants commerciaux de type hôtesses-stewards et chefs de cabine ne sont pas inclus dans la liste des personnels navigants de l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts sans analyser l'interprétation donnée de ces dispositions par une instruction fiscale et par un avis de la direction de la sécurité sociale qui englobaient l'une et l'autre les stewards et hôtesses de l'air dans les personnels navigants susceptibles de bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique, en raison des caractéristiques communes aux frais engagés par l'ensemble de ces personnels navigants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale ;

3°/ que la cour d'appel ne pouvait retenir l'existence d'un préjudice subi par les salariés, évalué à une certaine somme, sans rechercher, comme le commandaient les conclusions de la société Air Corsica, si, en bénéficiant de la déduction forfaitaire spécifique, les salariés n'avaient pas cotisé à leur régime de retraite sur la base d'une assiette qui, loin d'être diminuée comme ils le prétendaient, était au contraire plus importante puisqu'il était tenu compte de la prime de transport qui, hors déduction forfaitaire spécifique, n'entre pas dans l'assiette des cotisations au régime de retraite ; qu'ainsi la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1231-1 du code civil ;

4°/ que si les juges du fond constatent l'existence d'un préjudice et procèdent à son évaluation dans le cadre de leur pouvoir souverain, ils n'en sont pas moins tenus de motiver leur décision et d'indiquer les éléments du préjudice retenu ; qu'en fixant à une certaine somme le montant des dommages-intérêts dus à la salariée tout en admettant que, si les salariés ont subi une minoration de leurs droits sociaux du fait de l'abattement pour frais professionnels, ils ont en revanche bénéficié d'un salaire supérieur du fait de ce même abattement et sans s'expliquer sur la consistance du préjudice et les éléments ayant présidé à son évaluation, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. L'article 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002, relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 6 de l'arrêté du 25 juillet 2005, n'ouvre la possibilité de bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels qu'aux professions énumérées à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts.

13. Après avoir exactement décidé que les personnels navigants commerciaux, qui n'appartiennent pas à la liste des professions visées à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts, ne relevaient pas du champ de la déduction forfaitaire spécifique, la cour d'appel, qui a constaté que la compagnie aérienne avait mis en place une telle déduction, a ainsi caractérisé un manquement dans l'exécution du contrat de travail, peu important qu'elle ait suivi l'avis des autorités fiscales et sociales ou des représentants du personnel.

14. La cour d'appel, qui a d'abord examiné les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a constaté une incidence négative sur les droits sociaux des salariés résultant de l'application injustifiée par l'employeur de la déduction forfaitaire spécifique. Elle a ensuite estimé que la compagnie aérienne avait causé aux salariés un préjudice, dont elle a justifié l'existence par l'évaluation qu'elle en a faite.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

16. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leur demande en paiement d'un rappel d'indemnités journalières, alors « que tout jugement doit être motivé à peine de nullité, les juges du fond ne pouvant procéder par voie de simples affirmations ou de considérations générales et abstraites et devant apprécier concrètement les faits nécessaires à la solution du litige ; qu'en se bornant, pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel d'indemnité journalières maladie, à affirmer péremptoirement que la comparaison entre les dispositions légales et celles de l'article 55.02 de l'accord d'entreprise du 29 avril 2011 permettaient de retenir que les dispositions de l'accord d'entreprise sur ce point, appréciées dans leur globalité, étaient plus favorables aux salariés, sans même préciser quelles étaient les dispositions légales auxquelles elle se référait ni expliquer en quoi elle considérait que les dispositions de l'article 55.02 de l'accord d'entreprise du 29 avril 2011, appréciées dans leur globalité, étaient plus favorables aux salariés, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

17. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

18. Pour débouter les salariés de leur demande en paiement d'un rappel d'indemnités journalières pour maladie, l'arrêt retient que la comparaison entre les dispositions légales et celles de l'accord d'entreprise du 29 avril 2011 (en son article 55.02) permettent de retenir que les dispositions de l'accord d'entreprise sur ce point, appréciées dans leur globalité, sont plus favorables aux salariés.

19. En statuant ainsi, sans préciser en quoi les dispositions de l'accord d'entreprise pour l'indemnisation des arrêts maladie et d'accident de travail étaient plus favorables que celles prévues par l'article L. 1226-1 du code du travail, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident formé par la société Air Corsica ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils déboutent M. [K] et Mmes [M], [D], [O], [L], [C] et [W] de leur demande en paiement de rappel d'indemnités journalières, les arrêts rendus le 11 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 3121-22, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 3121-28, dans sa rédaction issue de cette loi, successivement applicables à la cause ; article 5 de l'annexe IV du code général des impôts ; article 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 6 de l'arrêté du 25 juillet 2005.

Rapprochement(s) :

Sur les seuils déterminant le décompte des heures supplémentaires de droit commun en cas de modulation conventionnelle de la durée du travail, à rapprocher : Soc., 10 février 1998, pourvoi n° 95-42.334, Bull. 1998, V, n° 75 (4) (cassation partielle) ; Soc., 13 novembre 2014, pourvoi n° 13-10.721, Bull. 2014, V, n° 263 (cassation partielle).

Soc., 2 juin 2021, n° 18-22.016, (P)

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Article 14 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 – Indemnité spécifique de rupture – Bénéfice – Conditions – Indemnité de clientèle – Bénéfice de l'indemnité – Renonciation à l'indemnité – Renonciation dans les 30 jours suivant l'expiration du contrat de travail

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 juin 2018), M. [P] a été engagé, le 3 octobre 2005, par la société Loire incendie sécurité en qualité de voyageur, représentant, placier (VRP) monocarte.

2. Il a été licencié, le 11 mars 2014, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 10 mars 2015, de diverses demandes en paiement au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, notamment d'une indemnité spéciale de rupture et, à titre subsidiaire, d'une indemnité de clientèle.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme au titre de l'indemnité spéciale de rupture, alors « que le représentant de commerce ne peut revendiquer le bénéfice de l'indemnité spéciale de rupture qu'à la condition de renoncer à l'indemnité de clientèle dans le délai de trente jours à compter de l'expiration du contrat de travail, même dans le cas où il n'a pas droit à cette dernière ; qu'en jugeant, pour condamner la société Loire incendie sécurité à verser à M. [P] une indemnité spéciale de rupture, qu'à défaut pour ce dernier de remplir les conditions pour bénéficier de l'indemnité de clientèle, il n'avait pas à y renoncer, la cour d'appel a violé l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, ensemble l'article L. 7313-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 7313-13, alinéa 1er, du code du travail et l'article 14 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 :

5. Aux termes du premier de ces textes, en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l'employeur, en l'absence de faute grave, le voyageur, représentant ou placier a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.

6. Selon le second, lorsque le représentant de commerce se trouve dans l'un des cas de cessation du contrat prévus à l'article L. 751-9, alinéas 1er et 2 du code du travail, devenu les articles L. 7313-13 et L. 7313-14, alors qu'il est âgé de moins de soixante-cinq ans et qu'il ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 16 du présent accord, et sauf opposition de l'employeur exprimée par écrit et au plus tard dans les quinze jours de la notification de la rupture ou de la date d'expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable, ce représentant, à la condition d'avoir renoncé au plus tard dans les trente jours suivant l'expiration du contrat de travail à l'indemnité de clientèle à laquelle il pourrait avoir droit en vertu de l'article L. 751-9 précité, bénéficiera d'une indemnité spéciale de rupture fixée comme suit dans la limite d'un maximum de dix mois (...).

7. Il résulte de ces textes, d'une part, qu'en cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur pour une autre cause que la faute grave du représentant, celui-ci bénéficie d'une indemnité spéciale de rupture, à condition d'avoir renoncé, dans les trente jours suivant l'expiration du contrat de travail, à l'indemnité de clientèle à laquelle il pourrait avoir droit, d'autre part, que le bénéfice de l'indemnité spéciale de rupture n'est pas subordonné à la reconnaissance d'un droit à l'indemnité de clientèle.

8. Dès lors, pour pouvoir bénéficier de l'indemnité spéciale de rupture, le salarié doit, peu important qu'il puisse ou non prétendre à l'indemnité de clientèle, renoncer à son bénéfice dans les trente jours suivant l'expiration du contrat de travail.

9. Pour condamner l'employeur à verser au salarié une somme à titre d'indemnité spéciale de rupture, l'arrêt, après avoir retenu que le salarié ne rapportait pas la preuve qu'il avait apporté ou créé une clientèle en nombre ou en valeur, retient que, ne remplissant pas les conditions pour bénéficier d'une indemnité de clientèle, il n'avait pas à y renoncer.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives à la condamnation de l'employeur à payer au salarié une indemnité spéciale de rupture entraîne la cassation des chefs de dispositifs ordonnant à l'employeur de remettre au salarié des documents rectificatifs et condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement de frais irrépétibles, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Loire incendie sécurité à payer à M. [P] la somme de 9 489,64 euros au titre de l'indemnité spéciale de rupture, en ce qu'il lui ordonne de remettre à M. [P] des documents rectificatifs et en ce qu'il la condamne à payer à M. [P] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 29 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Articles L. 7313-13, alinéa 1, du code du travail ; article 14 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975.

Rapprochement(s) :

Sur la manière dont un VRP, à la fin de la relation contractuelle, doit opter entre l'indemnité de clientèle et l'indemnité spéciale de rupture, à rapprocher : Soc., 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-17.395, Bull. 2020, (cassation partielle).

Soc., 9 juin 2021, n° 19-15.593, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Arrêté d'extension – Effets – Champ d'application – Détermination – Critères – Adhésion de l'employeur à une organisation patronale interprofessionnelle signataire – Portée

Dans le cadre d'un accord collectif interprofessionnel, l'arrêté d'extension suppose nécessairement, sous le contrôle du juge administratif, vérification que toutes les organisations syndicales et patronales représentatives au niveau interprofessionnel aient été invitées à la négociation.

En revanche, il appartient au juge judiciaire de statuer sur les contestations pouvant être élevées par une ou plusieurs entreprises déterminées sur le champ d'application sectoriel d'un accord interprofessionnel étendu, dès lors que ce dernier ne précise pas ce champ.

La Cour de cassation en a déduit, par une jurisprudence constante (Soc., 16 mars 2005, pourvoi n° 03-16.616, Bull. 2005, V, n° 97 (rejet); Soc., 21 novembre 2006, pourvoi n° 05-13.601, Bull. 2006, V, n° 351 (cassation)) que, dans le cadre d'un accord interprofessionnel étendu, le juge judiciaire devait vérifier si les employeurs compris dans le champ d'application professionnel et territorial auxquels il était demandé l'application de l'accord étaient signataires de l'accord ou relevaient d'une organisation patronale représentative dans le champ de l'accord et signataire de l'accord.

Il en résulte qu'il appartient à l'employeur qui conteste qu'un accord interprofessionnel étendu conclu antérieurement à la mise en oeuvre de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 (soit antérieurement à la première mesure de la représentativité patronale au niveau interprofessionnel effectuée en application des dispositions de l'article L. 2152-4 du code du travail, issues de cette loi) soit applicable à la branche professionnelle dont il relève, compte tenu de son activité, de démontrer que l'organisation patronale représentative de cette branche n'est pas adhérente d'une des organisations patronales interprofessionnelles ayant signé l'accord interprofessionnel.

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Arrêté d'extension – Effets – Champ d'application – Champ d'application sectoriel – Exclusion d' une branche d'activité – Critères – Absence d'adhésion de l'organisation patronale représentative dans la branche à l'organisation signataire de l'accord – Preuve – Charge – Portée – POUVOIRS DES JUGES – Applications diverses – Accords collectifs – Accord interprofessionnel étendu – Champ d'application – Détermination – Office du juge – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 18 février 2019), statuant sur renvoi après cassation (Soc., 6 avril 2016, pourvois n° 14-27.042, 14-26.331, 14-26.334, 14-20.861, 14-12.724, 14-20.866), Mme [G] a été engagée par la Société hôtelière du Chablais (la société) selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel modulé à compter du 17 avril 2006 en qualité de femme de chambre.

2. Par lettre du 5 décembre 2009, l'employeur a licencié la salariée pour motif économique.

3. Se prévalant du statut protecteur accordé aux candidats aux élections professionnelles, la salariée, élue au comité d'entreprise lors des élections professionnelles s'étant déroulées le 7 décembre 2009, a saisi la juridiction prud'homale le 1er octobre 2010 en nullité de son licenciement et en demande de réintégration sous astreinte.

4. Par jugement du 11 octobre 2012, le tribunal d'instance a déclaré nul le licenciement, prononcé la réintégration de la salariée et indemnisé celle-ci pour la période allant du 24 octobre 2009 au 1er juin 2011.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre d'indemnisation pour violation de son statut protecteur, alors :

« 1°/ que l'arrêté d'extension du ministre du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d'un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application professionnel et territorial dont les organisations patronales sont représentatives à la date de la signature de l'accord ; qu'en conséquence, en cas de litige sur l'applicabilité d'un accord étendu dans une entreprise, il appartient au juge de rechercher, au besoin en ordonnant les mesures d'instruction qu'il estime utile, si l'employeur est affilié à une organisation patronale signataire de cet accord ou si une des organisations patronales signataires est représentative dans le secteur d'activité dont relève l'entreprise ; qu'en retenant, en l'espèce, qu'il ''convient de considérer que l'accord [T] est applicable à la société SHC'' dès lors que ''la société SHC ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'elle ne relève pas d'une des organisations patronales représentatives du secteur d'activité signataire de cet accord et qu'elle n'est pas adhérente d'une organisation patronale signataire de ce même accord'', la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 2222-1, L. 2261-15, L. 2261-19 et L. 2261-27 du code du travail ;

2°/ que l'arrêté d'extension du ministre du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d'un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application professionnel et territorial dont les organisations patronales sont représentatives à la date de la signature de l'accord ; qu'en considérant que l'accord collectif [T] est applicable à la société SHC, sans constater que la société SHC est adhérente de l'une des organisations patronales signataires de cet accord ou qu'une organisation patronale représentative dans le secteur de l'hôtellerie dont relève la société SHC est signataire de cet accord ou adhérente de l'une des organisations patronales signataires de cet accord, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2222-1, L. 2261-15, L. 2261-19 et L. 2261-27 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 2261-15 du code du travail, les dispositions d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou cet accord par arrêté du ministre du travail.

L'extension suppose, selon l'article L. 2261-19 du code du travail, que la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel ait été négocié et conclu au sein d'une commission paritaire composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré.

7. L'extension étant formalisée par un arrêté, c'est au ministre du travail, sous le contrôle du juge administratif, qu'il appartient donc de vérifier si les conditions de négociation de l'accord permettent son extension (CE, 21 janvier 2021, n° 418617).

8. Le Conseil d'Etat a précisé que la légalité de l'arrêté d'extension était subordonnée à la condition que toutes les organisations syndicales et patronales représentatives dans le secteur aient été invitées à la négociation de l'accord, peu important que toutes ne l'aient pas signé (CE, 6 décembre 2006, n° 273773).

9. En application du principe de séparation des pouvoirs, le juge judiciaire n'a pas compétence pour vérifier la régularité des conditions de négociation et de conclusion d'un accord collectif étendu, dès lors que ce contrôle incombe, ainsi que rappelé ci-dessus, au seul juge administratif dans le cadre de son contrôle de la légalité de l'arrêté d'extension.

10. En revanche, il appartient au juge judiciaire de statuer sur les contestations pouvant être élevées par une ou plusieurs entreprises déterminées sur le champ d'application sectoriel d'un accord interprofessionnel étendu, dès lors que ce dernier ne précise pas ce champ.

11. La Cour de cassation en a déduit, par une jurisprudence constante (Soc., 16 mars 2005, pourvoi n° 03-16.616, Bull. 2005, V, n° 97 ; Soc., 21 novembre 2006, pourvoi n° 05-13.601, Bull. 2006, V, n° 351) que, dans le cadre d'un accord interprofessionnel étendu, le juge judiciaire devait vérifier si les employeurs compris dans le champ d'application professionnel et territorial auxquels il était demandé l'application de l'accord étaient signataires de l'accord ou relevaient d'une organisation patronale représentative dans le champ de l'accord et signataire de l'accord.

12. Etait en cause devant la cour d'appel l'accord régional interprofessionnel relatif aux salaires en Guadeloupe, dit accord « [G] [T] », signé le 26 février 2009 par cinq organisations professionnelles d'employeurs (UMPEG, UCEG, CRTG, OPGSS et UNAPL), soit antérieurement à la première mesure de la représentativité patronale au niveau interprofessionnel effectuée en application des dispositions de l'article L. 2152-4 du code du travail, issues de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, qui disposent désormais que sont représentatives au niveau interprofessionnel les organisations professionnelles d'employeurs dont les organisations adhérentes sont représentatives à la fois dans des branches de l'industrie, de la construction, du commerce et des services.

13. Il en résulte qu'il appartient à l'employeur qui conteste qu'un accord interprofessionnel étendu, conclu antérieurement à la mise en oeuvre des dispositions légales précitées, soit applicable à la branche professionnelle dont il relève, compte tenu de son activité, de démontrer que l'organisation patronale représentative de cette branche n'est pas adhérente d'une des organisations patronales interprofessionnelles ayant signé l'accord interprofessionnel.

14. C'est dès lors à bon droit que, pour déclarer applicable l'accord [T] à la société hôtelière du Chablais, la cour d'appel a retenu que l'employeur ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'une organisation patronale représentative du secteur d'activité dont il relève n'est pas adhérente d'une organisation patronale interprofessionnelle signataire de cet accord.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre d'indemnisation pour violation de son statut protecteur alors « qu'en cas de nullité du licenciement, le salarié qui obtient sa réintégration ne peut prétendre aux indemnités de rupture ; qu'en l'espèce, la société SHC soutenait que la salariée, qui avait été rémunérée pendant la durée du préavis dont elle avait été dispensée, jusqu'au 10 février 2010, et avait été effectivement réintégrée le 1er mai 2017, ne pouvait prétendre au paiement, du titre de la violation du statut protecteur, qu'à une indemnité courant à compter du 10 février 2010 ; qu'en retenant cependant que l'indemnité due au titre du statut protecteur correspond aux salaires courant entre le 5 décembre 2009, date du licenciement et la date de la réintégration effective de la salariée, la cour d'appel a ainsi implicitement reconnu à la salariée le droit de conserver l'indemnité compensatrice de préavis perçue à l'occasion de son licenciement et qui était devenue sans cause du fait de l'effacement des effets du licenciement ; qu'elle a en conséquence violé les articles L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

17. Il résulte de l'article L. 2411-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la cause, que lorsque le salarié protégé licencié sans autorisation administrative de licenciement demande sa réintégration pendant la période de protection, il a droit, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à sa réintégration.

18. En l'espèce, la cour d'appel, devant laquelle l'employeur n'a formé aucune demande de restitution de l'indemnité compensatrice de préavis, a relevé que la salariée avait été licenciée le 5 décembre 2009. Elle a dès lors retenu à bon droit que le point de départ de l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur devait être fixé à cette date.

19. Le grief n'est pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

20. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée la somme de 161 850,60 euros à titre d'indemnisation pour violation de son statut protecteur, alors « qu'il ressort des constatations de la cour d'appel que l'indemnité à laquelle la salariée pouvait prétendre, au titre de la violation du statut protecteur, correspond à 89 mois de salaires ; qu'en lui accordant néanmoins une indemnité fixée à 90 fois son salaire mensuel, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2411-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la cause :

21. Après avoir constaté que 89 mois séparaient la date du licenciement de la salariée de la date de sa réintégration effective, la cour d'appel a fixé l'indemnité à 90 fois le montant du salaire mensuel.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

23. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

24. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

25. La Société hôtelière du Chablais, qui succombe pour l'essentiel, est condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Société hôtelière du Chablais à payer à Mme [G] la somme de 161 850,60 euros à titre d'indemnisation pour violation de son statut protecteur, l'arrêt rendu le 18 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la Société hôtelière du Chablais à payer à Mme [G] la somme de 160 052,26 euros à titre d'indemnisation pour violation de son statut protecteur.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 2261-15 et L. 2261-19 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'office du juge judiciaire en matière d'opposabilité d'un accord collectif étendu par arrêté, à rapprocher : Soc., 6 avril 2016, pourvois n° 14-12.724 et autres, Bull. 2016, V, n° 66 (2) (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 27 novembre 2019, pourvoi n° 17-31.442, Bull. 2019, (cassation partielle).

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