Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 14 juin 2021, n° 21-04.209, (P)

Compétence administrative – Recours contre les décisions d'admission à l'aide sociale – Existence d'obligés alimentaire – Absence d'influence

Il résulte des dispositions des articles L. 132-6, L. 132-7 et L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles que les recours des obligés alimentaires contestant les décisions prises par l'Etat ou le département pour obtenir le remboursement des sommes avancées par la collectivité relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire.

Les recours contre les décisions relatives à l'admission à l'aide sociale en revanche relèvent de la juridiction administrative même en présence d'obligés alimentaires.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Aide sociale – Participation et récupération – Participation des obligés alimentaires – Recouvrement des sommes avancées par la collectivité – Recours des obligés

Vu, enregistrée à son secrétariat le 29 décembre 2020, l'expédition du jugement du 5 novembre 2020 par lequel le tribunal judiciaire de Toulouse, saisi par M. [G] [K] d'un litige par lequel il conteste la contribution aux frais d'hébergement de son épouse admise dans une unité de soins de longue durée mise à sa charge par le conseil départemental de la Haute-Garonne, a renvoyé au Tribunal des conflits, par application de l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'ordonnance du 29 novembre 2019 par laquelle le tribunal administratif de Toulouse s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige ;

Vu, enregistré à son secrétariat le 4 février 2021, le mémoire présenté par le conseil départemental de la Haute-Garonne, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du présent litige, par le motif que la compétence judiciaire, prévue par les dispositions de l'article L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles, ne s'étend pas à la contestation des décisions relatives à l'admission à l'aide sociale et est limitée aux litiges résultant de l'application de l'article L. 132-6 du même code, lequel vise « les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil » et ne saurait être étendu à des personnes qui n'ont pas la qualité d'obligé alimentaire au sens de ces articles du code civil ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M. [K], qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Considérant ce qui suit :

1. M. [G] [K] a déposé le 1er février 2017 une demande de prise en charge par l'aide sociale des frais d'hébergement de son épouse, Mme [H] [K], hébergée dans une unité de soins de longue durée depuis le 2 février 2013.

Par un arrêté du 13 juillet 2017, le président du conseil départemental de la Haute-Garonne a accordé la prise en charge des frais d'hébergement de Mme [K] pour la période du 1er février 2017 au 31 janvier 2022, avec une participation du conjoint évaluée à 463,79 euros par mois. M. [K] a contesté cette décision, en tant qu'elle fixe le montant de cette participation, devant le tribunal administratif de Toulouse, qui s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige par une ordonnance du 29 novembre 2019. Il s'est ensuite adressé au tribunal judiciaire de Toulouse qui, s'estimant lui aussi incompétent, a sursis à statuer et renvoyé au Tribunal le soin de décider sur la question de compétence en application de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles.

2. Aux termes de l'article L.132-6 du code de l'action sociale et des familles : « Les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles' 205 et suivants du code civil sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invitées à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. (...) 1 La proportion de l'aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire(...) ».

L'article L. 132-7 du même code prévoit que : « En cas de carence de l'intéressé, le représentant de l'Etat ou le président du conseil départemental peut demander en son lieu et place à l'autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l'Etat ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part de l'aide sociale ». Enfin, aux termes de l'article L. 134-3 du même code : « Le juge judiciaire connaît des litiges : 1° Résultant de 1'application de l'article L. 132-6 (..) ».

3. Il résulte des dispositions citées au point 2 que relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire les recours des obligés alimentaires contestant les décisions prises par l'Etat ou le département pour obtenir le remboursement des sommes avancées par la collectivité.

En revanche, les recours contre les décisions relatives à l'admission à l'aide sociale relèvent de la juridiction administrative même en présence d'obligés alimentaires. Il s'ensuit qu'il incombe à la juridiction administrative de statuer sur la demande de M. [K] contestant la décision relative à l'admission à l'aide sociale des frais d'hébergement de son épouse en tant qu'elle a fixé le montant de sa participation à ces frais.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant M. [K] et le conseil départemental de la Haute-Garonne.

Article 2 :

L'ordonnance du tribunal administratif de Toulouse du 29 novembre 2019 est déclarée nulle et non avenue.

La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

Article 3 :

La procédure suivie devant le tribunal judiciaire de Toulouse est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement rendu par ce tribunal le 5 novembre 2020.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Maugüé - Avocat général : Mme Berriat (rapporteure publique) - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 132-6, L. 132-7 et L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles.

Tribunal des conflits, 14 juin 2021, n° 21-04.212, (P)

Créances non fiscales des collectivités territoriales – Contentieux du recouvrement – Compétence – Juge de l'exécution

Il ressort de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finance rectificative pour 2017 et de l'article L. 281 du code des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2017, que l'ensemble du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales est de la compétence du juge de l'exécution, tandis que le contentieux du bien-fondé de ces créances est de celle du juge compétent pour en connaître sur le fond.

Une demande d'annulation d'un acte de poursuite constitué par une mise en demeure valant commandement de payer un indu de revenu de solidarité actives ressort du contentieux du recouvrement et donc de la compétence du juge de l'exécution.

Revenu de solidarité active – Indu – Mise en demeure valant commandement de payer – Demande d'annulation de l'acte de poursuite – Compétence – Juge de l'exécution

Créances non fiscales des collectivités territoriales – Contentieux du bien-fondé – Compétence – Juge compétent au fond

Vu, enregistrée à son secrétariat le 26 février 2021, l'expédition de la décision n° 431711 par laquelle le Conseil d'État, saisi du pourvoi du département du Calvados tendant à l'annulation du jugement du 17 avril 2019 du tribunal administratif de Caen annulant la mise en demeure émise le 16 août 2018 par le payeur départemental du Calvados pour le paiement par M. [I] [N] de la somme de 9 908,38 euros correspondant à un indu de revenu de solidarité active pour la période du 1er décembre 2014 au 31 mai 2016 et déchargeant M. [N] de l'obligation de payer cette somme, a renvoyé au Tribunal des conflits, par application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu, enregistré le 24 mars 2021, le mémoire présenté par la SCP Capron pour M. [N] tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente par les motifs que les dispositions législatives applicables ne permettent pas de déterminer l'ordre de juridiction compétent pour connaître des contestations relatives à l'obligation de payer résultant d'un acte de poursuite émis pour le recouvrement d'une créance non fiscale d'une collectivité territoriale et qu'à défaut de dispositions législatives ou réglementaires spéciales, les juridictions de l'ordre administratif sont seules compétentes ;

Vu, enregistré le 30 avril 2021, le mémoire présenté par la SCP Zribi, Texier pour le département du Calvados tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente par les motifs que l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales exclut de la compétence du juge de l'exécution les contestations portant sur les actes de poursuite émis pour le recouvrement de créances administratives, lorsqu'est en cause l'obligation au paiement, et qu'il résulte de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales que les contestations portant sur le bien-fondé de telles créances, telle celle soulevée par M. [N], ne peuvent relever que de la juridiction administrative ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'intérieur, au garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre de l'économie et des finances, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 28 février 2018, la caisse d'allocations familiales du Calvados a notifié à M. [I] [N] une dette d'un montant total de 9 908,38 euros, correspondant à un indu de revenu de solidarité active pour la période du 1er décembre 2014 au 31 mai 2016.

Le payeur départemental a poursuivi le recouvrement de cette créance en adressant à M. [N] une mise en demeure de payer valant commandement de payer la somme en cause. Celui-ci a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande d'annulation de cette mise en demeure et de décharge de l'obligation de payer, en contestant le bien-fondé de l'indu.

Par jugement du 17 avril 2019, le tribunal administratif, accueillant cette contestation, a annulé la mise en demeure et déchargé M. [N] de l'obligation de payer. Saisi du pourvoi formé par le département du Calvados, le Conseil d'État a, par décision du 24 février 2021, renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

2. Aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finance rectificative pour 2017, « [...] / 1° En l'absence de contestation, le titre de recettes individuel ou collectif émis par la collectivité territoriale ou l'établissement public local permet l'exécution forcée d'office contre le débiteur. / [...] / L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois à compter de la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite. / 2° La contestation qui porte sur la régularité d'un acte de poursuite est présentée selon les modalités prévues à l'article L. 281 du livre des procédures fiscales. [...] ».

3. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2017, « Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / [...] / Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : / 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ; / 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés : / [...] / c) Pour les créances non fiscales des collectivités territoriales, des établissements publics locaux et des établissements publics de santé, devant le juge de l'exécution. »

4. Il ressort de ces dispositions que l'ensemble du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales est de la compétence du juge de l'exécution, tandis que le contentieux du bien-fondé de ces créances est de celle du juge compétent pour en connaître sur le fond.

5. M. [N] a saisi, à titre principal, la juridiction administrative d'une demande d'annulation de l'acte de poursuite que constituait la mise en demeure valant commandement de payer un indu de revenu de solidarité active, ainsi que, par voie de conséquence, de décharge de l'obligation de payer la somme réclamée.

6. Une telle demande ressortissant au contentieux du recouvrement, c'est le juge de l'exécution qui est compétent pour en connaître, sans que puisse être remis en cause devant lui le bien-fondé de la créance.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître de la demande de M. [I] [N].

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Mollard - Avocat général : M. Polge (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finance rectificative pour 2017 ; article L. 281 du code des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2017.

Tribunal des conflits, 14 juin 2021, n° 21-04.208, (P)

Services et établissements à caractère industriel et commercial – Electricité de France – Servitude de passage d'une ligne électrique – Dommage occasionné par l'absence de déplacement de la ligne – Indemnisation du propriétaire du terrain traversé – Compétence judiciaire

En application des dispositions des articles L. 323-4, L. 323-6 et L. 323-7 du code de l'énergie, si les conséquences des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages relèvent de la compétence des juridictions administratives, en revanche, les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie, tels que la dépréciation de l'immeuble, les troubles de jouissance et d'exploitation, la gêne occasionnée par le passage des préposés à la surveillance et à l'entretien.

Les conclusions tendant à la réparation des préjudices d'acquéreurs d'un terrain non bâti, liés à l'impossibilité d'exercer leur droit de bâtir en raison de l'absence de déplacement de la ligne électrique passant sur leur terrain relèvent de la compétence du juge de l'expropriation.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 18 décembre 2020, l'expédition du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers, saisi de la demande formée par M. [L] [C] et Mme [M] [W] tendant à la condamnation de la société Enedis à leur verser une somme de 164 429 euros en réparation des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2017 et de leur capitalisation, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'ordonnance du 19 septembre 2017 par laquelle le juge de la mise en état a dit le tribunal de grande instance d'Angoulême incompétent pour connaître de ce litige ;

Vu, enregistré le 12 février 2021, le mémoire de M. [C] et de Mme [W], tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par les motifs que les préjudices dont ils demandent réparation résultent de l'inobservation, par Enedis, de ses engagements contractuels et que le contrat conclu avec cette société a le caractère d'un contrat de droit privé ;

Vu, enregistré le 17 février 2021, le mémoire d'Enedis tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par les motifs que M. [C] et Mme [W] recherchent l'indemnisation de leurs préjudices, sur le fondement de la responsabilité sans faute ou, à défaut, sur celui de la responsabilité contractuelle, du fait de l'existence même de l'ouvrage public, sans se prévaloir d'un dommage exceptionnel ou d'origine accidentelle qui leur aurait été occasionné par la présence de la ligne électrique ou par des travaux qui auraient été effectués ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée au ministère de la transition écologique, qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l'énergie ;

Considérant ce qui suit :

1. Par acte notarié du 26 octobre 2015, M. [C] et Mme [W] ont acquis un terrain non bâti de 918 m² situé à [Localité 1] (Charente) en vue d'y faire édifier une maison. Ce terrain étant grevé d'une servitude d'utilité publique relative au passage d'une ligne électrique aérienne à haute tension, M. [C] et Mme [W] avaient reçu, le 16 juin 2015, une proposition écrite d'ERDF, devenue la société Enedis, pour un déplacement de la ligne électrique, à ses frais, compatible avec leur projet de construction, pour lequel ils avaient obtenu un permis de construire le 15 octobre 2015. Alors que les travaux devaient débuter, Enedis les a informés que le déplacement ne pourrait avoir lieu selon le plan envisagé, dès lors qu'il supposait de déplacer un pylône implanté sur la parcelle voisine et que le propriétaire de celle-ci s'y refusait. Faute d'accord avec Enedis sur une autre solution technique, M. [C] et Mme [W] ont renoncé à leur projet et mis en vente leur parcelle.

2. Par assignation du 28 décembre 2016, ils ont saisi le tribunal de grande instance d'Angoulême pour obtenir la condamnation d'Enedis à les indemniser.

Par une ordonnance du 19 septembre 2017, devenue définitive, le juge de la mise en état a déclaré ce tribunal incompétent.

3. Par un jugement du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers, estimant que le litige relevait de la compétence de la juridiction judiciaire, a sursis à statuer et saisi le Tribunal des conflits sur le fondement de l'article 32 du décret du 27 février 2015.

4. Aux termes de l'article L. 323-4 du code de l'énergie : » La déclaration d'utilité publique investit le concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics.

Le concessionnaire demeure, dans le même temps, soumis à toutes les obligations qui dérivent, pour l'administration, de ces lois et règlements.

La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit : 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité, soit à l'extérieur des murs ou façades donnant sur la voie publique, soit sur les toits et terrasses des bâtiments, à la condition qu'on y puisse accéder par l'extérieur, étant spécifié que ce droit ne pourra être exercé que sous les conditions prescrites, tant au point de vue de la sécurité qu'au point de vue de la commodité des habitants, par les décrets en Conseil d'Etat prévus à l'article L. 323-11. Ces décrets doivent limiter l'exercice de ce droit au cas de courants électriques tels que la présence de ces conducteurs d'électricité à proximité des bâtiments ne soient pas de nature à présenter, nonobstant les précautions prises conformément aux décrets des dangers graves pour les personnes ou les bâtiments ; 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées, sous les mêmes conditions et réserves que celles spécifiques au 1° ci-dessus ; 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; 4° De couper les arbres et branches d'arbres qui, se trouvant à proximité des conducteurs aériens d'électricité, gênent leur pose ou pourraient, par leur mouvement ou leur chute, occasionner des courts-circuits ou des avaries aux ouvrages ".

5. Aux termes de l'article L. 323-6 du même code : » La servitude établie n'entraîne aucune dépossession.

La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever.

La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ".

6. L'article L. 323-7 de ce code dispose que : » Lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L. 23-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit.

L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire ".

7. En application de ces dispositions, si les conséquences des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages relèvent de la compétence des juridictions administratives, en revanche, les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie, tels que la dépréciation de l'immeuble, les troubles de jouissance et d'exploitation, la gêne occasionnée par le passage des préposés à la surveillance et à l'entretien.

8. Les préjudices dont M. [C] et Mme [W] demandent réparation sont liés à l'impossibilité d'exercer leur droit de bâtir en raison de l'absence de déplacement de la ligne électrique, quand bien même ils résulteraient de l'inexécution par Enedis de la convention qui aurait été conclue par suite de leur acceptation de la proposition relative aux modalités de déplacement de la ligne reçue le 16 juin 2015.

9. Il suit de là que les conclusions tendant à la réparation de ces préjudices relèvent de la compétence du juge de l'expropriation.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est déclarée compétente pour connaître du litige.

Article 2 :

L'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Angoulême est déclarée nulle et non avenue.

La cause et les parties sont renvoyées devant la juridiction judiciaire compétente.

Article 3 :

La procédure suivie devant le tribunal administratif de Poitiers est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement du 10 décembre 2020 rendu par ce tribunal.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Polge (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP de Nervo ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Loi des 16 et 24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 323-4, L. 323-6 et L. 323-7 du code de l'énergie.

Rapprochement(s) :

Tribunal des conflits, 29 septembre 1997, Bull. 1997, T. conflits, n° 14.

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