Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

SECURITE SOCIALE, PRESTATIONS FAMILIALES

1re Civ., 2 juin 2021, n° 20-10.995, (P)

Rejet

Allocation d'éducation de l'enfant handicapé – Caractère indemnitaire – Défaut – Portée – Déduction de l'indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne – Exclusion

Il résulte des articles L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et son complément constituent une prestation familiale due à la personne qui assume la charge de l'enfant handicapé, et ne revêtent pas de caractère indemnitaire. La cour d'appel a décidé, à bon droit, qu'ils ne devaient pas être déduits de l'indemnisation due par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de l'assistance par une tierce personne de l'enfant handicapé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 18 novembre 2019), [L] [O] présente une tétraplégie en lien avec des complications survenues lors du déclenchement de l'accouchement de sa mère.

2. M. et Mme [O], ses parents, agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leur fille, ont assigné en indemnisation l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM), la société Alpha santé, venant aux droits du Centre hospitalier du Bassin de [Localité 2] - hôpital de [Localité 3], au sein duquel l'accouchement a été pratiqué et son assureur, la Société hospitalière d'assurances mutuelles. Ils ont mis en cause la Mutuelle générale de l'éducation nationale.

3. L'indemnisation des préjudices subis par [L] [O] et M. et Mme [O] a été mise à la charge de l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'ONIAM fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à imputer l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé perçue par M. et Mme [O] sur l'indemnité de la tierce personne jusqu'aux 18 ans de l'enfant, alors « qu'en cas d'accident médical non fautif, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), en sa composante de base et en ses compléments, doit être déduite de l'indemnisation due par l'ONIAM au titre des frais d'assistance par tierce personne ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L.1142-1 II et L. 1142-17 du code de la santé publique, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, il doit être déduit du montant des indemnités à la charge de l'ONIAM revenant à la victime ou à ses ayants droit, les prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et plus généralement les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice.

6. Il résulte des articles L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, comme son complément, est due à la personne qui assume la charge d'un enfant handicapé dont l'incapacité permanente est au moins égale à un taux déterminé, qu'elle est destinée à compenser les frais d'éducation et de soins apportés par cette personne à l'enfant jusqu'à l'âge de 20 ans, qu'elle est fixée, sans tenir compte des besoins individualisés de l'enfant, à un montant forfaitaire exprimé en pourcentage de la base de calcul mensuelle des allocations familiales et que, s'agissant d'une prestation à affectation spéciale, liée à la reconnaissance de la spécificité des charges induites par le handicap de l'enfant, elle constitue une prestation familiale et ne répare pas un préjudice de cet enfant.

7. Dès lors que cette allocation et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire, la cour d'appel a décidé, à bon droit, qu'ils ne devaient pas être déduits de l'indemnisation due par l'ONIAM à M. et Mme [O] au titre de l'assistance par une tierce personne de leur fille.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; Me Le Prado -

Textes visés :

Articles L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 10 juillet 2008, pourvoi n° 07-17.424, Bull. 2008, II, n° 186 (rejet).

2e Civ., 3 juin 2021, n° 20-12.968, (P)

Rejet

Prestations – Bénéficiaires – Convention générale sur la sécurité sociale conclue le 5 janvier 1950 entre la France et la Yougoslavie – Champ d'application – Détermination – Portée

Intervention volontaire

1. Il est donné acte au Défenseur des droits de son intervention volontaire à l'instance.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 19 décembre 2019), M. [W] (l'allocataire), de nationalité kosovare, arrivé en France en avril 2010, et titulaire d'une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale » depuis le 3 octobre 2012, a sollicité auprès de la caisse d'allocations familiales [Localité 1] (la caisse) le bénéfice des prestations familiales pour ses trois enfants nés hors du territoire national et munis d'un document de circulation.

3. La caisse lui ayant refusé l'attribution des prestations, l'allocataire a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

5. La caisse fait grief à l'arrêt de dire que l'allocataire a droit aux prestations familiales en faveur de ses enfants à compter du 3 octobre 2012, alors « que si, aux termes de l'article 34 de la Convention de Vienne du 23 août 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités, un traité en vigueur à la date de la succession d'Etats reste en vigueur à l'égard de l'Etat successeur, il n'en va pas de même si les Etats intéressés en conviennent autrement ; qu'en retenant, pour fixer au 3 octobre 2012 le point de départ des droits de l'allocataire, que « le fait que la convention bilatérale ait été signée le 6 février 2013 [est] sans incidence dès lors qu'il s'agit de la continuité de la convention datant du 19 janvier 1950 », quand l'accord sous forme d'échange de lettres signé les 4 et 6 février 2013 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Kosovo prévoit expressément que l'accord de succession « entrera en vigueur à la date de [la] réponse » donnée par le ministre des affaires étrangères de la République du Kosovo, soit le 6 février 2013, la cour d'appel a violé cet accord, ensemble l'article 34 de la Convention de Vienne des Nations Unies du 23 août 1978. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. L'allocataire soulève l'irrecevabilité du moyen, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit.

7. Cependant, le grief tiré de l'applicabilité dans le temps de l'accord sous forme d'échange de lettres des 4 et 6 février 2013, publié par le décret n° 2013-349 du 24 avril 2013, ayant été soulevé devant la cour d'appel, le moyen n'est pas nouveau et est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu la Convention générale sur la sécurité sociale conclue le 5 janvier 1950 entre la France et la Yougoslavie, publiée par le décret n° 51-457 du 19 avril 1951 rendue applicable dans les relations entre la France et la Serbie-et-Monténégro par l'accord entre le gouvernement de la République française et le conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro relatif à la succession en matière de traités bilatéraux conclus entre la France et la République fédérative de Yougoslavie, signé le 26 mars 2003, publié par le décret n° 2003-457 du 16 mai 2003, puis dans les relations entre la France et le Kosovo par l'accord sous forme d'échange de lettres des 4 et 6 février 2013 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Kosovo relatif à la succession en matière de traités bilatéraux conclus entre la France et l'Union de Serbie-et-Monténégro, publié par le décret n° 2013-349 du 24 avril 2013 :

8. Aux termes du dernier de ces textes, le gouvernement français a, par lettre du 4 février 2013, proposé au gouvernement du Kosovo que les accords qui liaient la France et l'Union de Serbie-et-Monténégro continuent de lier la France et le Kosovo, et le gouvernement du Kosovo a, par lettre du 6 février 2013, fait connaître son approbation en vue du prolongement de ces accords, afin qu'ils lient la France à compter de cette même date.

9. Nonobstant la date d'entrée en vigueur de l'accord fixé au jour de la réponse de l'Etat du Kosovo soit le 6 février 2013, les parties ont entendu poursuivre à l'égard de l'Etat du Kosovo l'application des traités bilatéraux conclus entre la France et l'Union de Serbie-et-Monténégro, de sorte que la Convention générale de sécurité sociale, en vigueur au moment de la succession des Etats, a continué de lier la France et le Kosovo indépendamment de l'accord sous forme d'échange de lettres conclu postérieurement.

10. Il en résulte que la Convention générale sur la sécurité sociale susvisée a pris effet, dans les rapports entre la France et le Kosovo, à la date à laquelle ce dernier est devenu un Etat indépendant.

11. Dès lors, c'est exactement que la cour d'appel a fait application des stipulations de la Convention générale sur la sécurité sociale susvisée pour déterminer les droits aux prestations familiales litigieux.

12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Dudit - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Convention générale sur la sécurité sociale conclue le 5 janvier 1950 entre la France et la Yougoslavie ; décret n° 51-457 du 19 avril 1951 ; décret n° 2003-457 du 16 mai 2003 ; décret n° 2013-349 du 24 avril 2013.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 11 juillet 2019, pourvoi n° 18-19.158, Bull. 2019, (cassation), et l'arrêt cité.

2e Civ., 24 juin 2021, n° 20-11.044, (B)

Cassation

Prestations – Prestations indues – Réduction – Office du juge – Appréciation de la situation du débiteur

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée (président du pôle social du tribunal de grande instance de Brest, 20 mars 2019), rendue en dernier ressort, la caisse d'allocations familiales du Finistère (la caisse) a réclamé à Mme [X] (l'allocataire) le remboursement d'un trop perçu de prestations familiales d'un certain montant.

2. La caisse ayant partiellement accueilli sa demande de remise de dette, l'allocataire a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 553-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, applicable au litige :

5. Selon ce texte, la créance de l'organisme de prestations familiales peut être réduite ou remise en cas de précarité de la situation du débiteur, sauf en cas de manoeuvre frauduleuse ou de fausses déclarations.

6. Dès lors qu'il est régulièrement saisi d'un recours contre la décision administrative ayant rejeté en tout ou en partie une demande de remise gracieuse d'une dette de prestations familiales, il appartient au juge d'apprécier si la situation du débiteur justifie une remise totale ou partielle de la dette en cause ou si une manoeuvre frauduleuse ou de fausses déclarations l'excluent.

7. Pour déclarer irrecevable la requête formée par l'allocataire, l'ordonnance relève que celle-ci vise à réformer la décision de la caisse d'allocations familiales en date du 19 février 2019 ne lui accordant qu'une remise partielle de sa dette au titre du versement de prestations familiales indues, qu'il reste due la somme de 1 874,91 euros et que la décision précise qu'elle est définitive et ne peut être contestée. Il retient qu'il ressort de l'article L. 256-4 du code de la sécurité sociale que les caisses de sécurité sociale ont seules qualité pour réduire le montant de leurs créances autres que de cotisations et majorations de retard nées de l'application de la législation de sécurité sociale en cas de précarité de la situation du débiteur, le juge judiciaire n'ayant pas qualité pour statuer sur une telle demande.

8. En statuant ainsi, sur le fondement d'un texte inapplicable au litige, le président du tribunal, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 20 mars 2019, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Brest ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette décision et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Brest.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Renault-Malignac - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : Me Bertrand -

Textes visés :

Article L. 553-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : Soc., 6 mai 1993, pourvoi n° 91-14.531, Bull. 1993, V, n° 133 (cassation) ; Avis de la Cour de cassation, 28 novembre 2019, n° 19-70.019, Bull. 2019. A rapprocher : 2e Civ., 28 mai 2020, pourvoi n° 18-26.512, Bull. 2020, (rejet).

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