Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

REPRESENTATION DES SALARIES

Soc., 9 juin 2021, n° 19-23.745, (P)

Cassation

Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l'entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l'employeur – Critères – Autonomie de gestion du responsable de l'établissement – Définition – Détermination – Portée

Selon l'article L. 2313-4 du code du travail, en l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3 du même code, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est fixé compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel.

Il en résulte que caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service.

Lorsqu'ils sont saisis d'un recours dirigé contre la décision unilatérale de l'employeur, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (le direccte), par une décision motivée, et le tribunal judiciaire se fondent, pour apprécier l'existence d'établissements distincts au regard du critère d'autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l'organisation interne de l'entreprise que fournit l'employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l'appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier.

La centralisation de fonctions support ou l'existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l'autonomie de gestion des responsables d' établissement.

Il appartient dès lors au tribunal judiciaire de rechercher, au regard des éléments produits tant par l'employeur que par les organisations syndicales, si les directeurs des établissements concernés ont effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service, et si la reconnaissance à ce niveau d'établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est de nature à permettre l'exercice effectif des prérogatives de l'institution représentative du personnel.

Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l'entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l'employeur – Contestation – Autonomie de gestion du responsable de l'établissement – Preuve – Charge – Détermination – Portée

Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l'entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l'employeur – Critères – Autonomie de gestion du responsable de l'établissement – Détermination – Centralisation de fonctions support ou existence de procédures de gestion définies au niveau du siège – Portée

Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l'entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l'employeur – Contestation – Saisine de l'autorité administrative – Décision de l'autorité administrative – Recours – Tribunal judiciaire – Office du juge – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Pantin, 16 octobre 2019), en vue de la mise en place du nouveau comité social et économique (CSE) au sein de l'association Areram, l'employeur a fixé unilatéralement à sept, le 19 juillet 2019, le nombre des établissements distincts.

Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (le direccte) a, le 20 septembre 2019, annulé cette décision et a dit qu'un unique comité social et économique devait être mis en place.

2. Par requête du 30 septembre 2019, l'employeur a saisi le tribunal d'instance afin d'obtenir l'annulation de la décision administrative et la confirmation de sa décision unilatérale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [T], délégué syndical CGT, M. [P], délégué syndical CGT, et Mme [M], déléguée syndicale FO, font grief au jugement d'annuler la décision de l'administration du 20 septembre 2019 et de valider la décision unilatérale de l'employeur du 19 juillet 2019 relative à la constitution de sept comités sociaux et économiques d'établissement et d'un comité central, alors :

« 1°/ que le juge doit analyser, serait-ce sommairement, l'ensemble des pièces versées aux débats ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir qu'en matière de rupture du contrat de travail, il résultait du procès-verbal de réunion du comité d'entreprise du 6 juin 2017 que selon les indications du directeur général ''les demandes de ruptures conventionnelles sont traitées au cas par cas ; un avis des directeurs est requis et le directeur général tranche'', ce dont il résultait clairement que le pouvoir de rompre conventionnellement les contrats de travail des salariés était détenu par la seule direction générale et centrale ; qu'en jugeant néanmoins que l'autonomie des directeurs d'établissement résultait de la négociation par un directeur d'établissement d'une rupture conventionnelle et d'une demande d'homologation adressée par un autre directeur, sans analyser le procès-verbal litigieux duquel il résultait que ces directeurs ne faisaient qu'exécuter la décision d'accorder la rupture conventionnelle prise préalablement par le seul directeur général, le tribunal a violé les articles 9 et 455 du code de procédure civile ;

2°/ que caractérise au sens de l'article L. 2313-4 du code du travail un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service ; qu'en l'espèce, le tribunal a jugé que les directeurs d'établissement étaient autonomes au motif inopérant qu'un directeur a adressé une lettre de convocation à entretien préalable à licenciement ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la décision de licencier avait été prise par le seul directeur, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail ;

3°/ que caractérise au sens de l'article L. 2313-4 du code du travail un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations effectives de compétence dont dispose son responsable, une autonomie en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service ; qu'en l'espèce, le tribunal a jugé que les directeurs d'établissement étaient autonomes aux motifs qu'ils disposaient d'une délégation de compétence leur donnant ''autorité sur l'ensemble du personnel'' et leur permettant d' ''assurez la gestion du personnel dans le cadre des procédures prévues par l'association'' ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher précisément si les pouvoirs d'embauche, de sanction et de rupture du contrat étaient exercés de manière autonome et effective par les seuls directeurs d'établissement, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard les articles L. 2313- 4 et L. 2313-5 code du travail ;

4°/ que caractérise au sens de l'article L. 2313-4 du code du travail un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service ; qu'en considérant que les directeurs d'établissement étaient autonomes au regard de la gestion du personnel, sans rechercher s'ils disposaient également d'une autonomie en matière d'exécution du service, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2313-4 et L. 2313-5 du code du travail :

4. Selon le premier de ces textes, lorsqu'ils résultent d'une décision unilatérale de l'employeur, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques sont fixés compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel. Caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service.

5. Lorsqu'ils sont saisis d'un recours dirigé contre la décision unilatérale de l'employeur, le direccte, par une décision motivée, et le tribunal judiciaire se fondent, pour apprécier l'existence d' établissements distincts au regard du critère d'autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l'organisation interne de l'entreprise que fournit l'employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l'appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier.

6. La centralisation de fonctions support ou l'existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l'autonomie de gestion des responsables d' établissement.

7. Pour annuler la décision du direccte et valider la décision unilatérale de l'employeur, le jugement retient que les deux exemples de délégations de pouvoir du 1er novembre 2011 et du 9 avril 2018 donnent au directeur d'établissement une « autorité sur l'ensemble du personnel employé dans votre établissement. Vous assurez la gestion du personnel dans le cadre des procédures prévues par l'association », que la preuve de la mise en pratique de ces délégations est fournie notamment par la production de la négociation d'une rupture conventionnelle par le directeur de l'IME Edouard Seguin, la demande d'homologation d'une rupture conventionnelle par le directeur de Vie Professionnelle Cap Emploi 94 et une convocation à un entretien préalable de licenciement émise par le directeur de Vie Professionnelle 91.

8. En se déterminant ainsi sans rechercher, au regard des éléments produits tant par l'employeur que par les organisations syndicales, si les directeurs des établissements concernés avaient effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service, et si la reconnaissance à ce niveau d'établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques était de nature à permettre l'exercice effectif des prérogatives de l'institution représentative du personnel, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 16 octobre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Pantin ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Bobigny autrement composé.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 2313-4 et L. 2313-5 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la notion d'« autonomie de gestion » nécessaire à la caractérisation d'un établissement distinct, à rapprocher : Soc., 22 janvier 2020, pourvoi n° 19-12.011, Bull. 2020, (rejet), et l'arrêt cité ; Soc., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-23.153, Bull. 2021, (cassation). Sur l'office du juge en cas de contestation de la décision de l'autorité administrative quant à la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, à rapprocher : Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-11.918, Bull. 2020, (rejet), et l'arrêt cité ; Soc., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-23.153, Bull. 2021, (cassation). Sur l'office du juge en cas de contestation de la décision de l'autorité administrative quant à la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, cf : CE, 29 juin 1973, n° 77982, publié au Recueil Lebon ; CE, 1 juin 1979, n° 10777, publié au Recueil Lebon ; CE, 27 mars 1996, n° 155791, publié au Recueil Lebon.

Soc., 9 juin 2021, n° 19-23.153, (P)

Cassation

Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l'entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l'employeur – Critères – Autonomie de gestion du responsable de l'établissement – Définition – Détermination – Portée

Selon l'article L. 2313-4 du code du travail, en l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3 du même code, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est fixé compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel.

Il en résulte que caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service.

Lorsqu'ils sont saisis d'un recours dirigé contre la décision unilatérale de l'employeur, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (le direccte), par une décision motivée, et le tribunal judiciaire se fondent, pour apprécier l'existence d'établissements distincts au regard du critère d'autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l'organisation interne de l'entreprise que fournit l'employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l'appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier.

La centralisation de fonctions support ou l'existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l'autonomie de gestion des responsables d' établissement.

Il appartient en conséquence au tribunal judiciaire de rechercher, au regard des éléments produits tant par l'employeur que par les organisations syndicales, si les directeurs des établissements concernés ont effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service, et si la reconnaissance à ce niveau d'établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques est de nature à permettre l'exercice effectif des prérogatives de l'institution représentative du personnel.

Prive dès lors sa décision de base légale le tribunal qui, pour rejeter la demande d'annulation de la décision du direccte, se contente de retenir que cette décision vise les textes applicables dans leur dernier état, les décisions rendues, les écritures communiquées et la procédure suivie, qu'elle a été rendue après une étude sérieuse des éléments fournis par les parties, qu'elle est en outre motivée en droit, en ce qu'elle rappelle les critères essentiels pour les appliquer à la situation de fait et qu'en particulier l'autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service a été bien prise en compte dans l'analyse de la situation de l'entreprise.

Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l'entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l'employeur – Contestation – Autonomie de gestion du responsable de l'établissement – Preuve – Charge – Détermination – Portée

Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l'entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l'employeur – Critères – Autonomie de gestion du responsable de l'établissement – Détermination – Centralisation de fonctions support ou existence de procédures de gestion définies au niveau du siège – Portée

Comité social et économique – Mise en place – Mise en place au niveau de l'entreprise – Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts – Modalités – Accord collectif – Défaut – Décision de l'employeur – Contestation – Saisine de l'autorité administrative – Décision de l'autorité administrative – Recours – Tribunal judiciaire – Office du juge – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Versailles, 17 septembre 2019), la société GE Medical Systems (la société) a décidé unilatéralement la mise en place d'un comité social et économique (CSE) unique.

2. Sur recours des organisations syndicales, le 22 mars 2019, le directeur régional des entreprises, de l'économie, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (le direccte) a fixé à trois le nombre des établissements distincts.

3. Le 10 avril 2019, la société a saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de l'intégralité de ses demandes et d'ordonner la mise en place en son sein de trois CSE avec le périmètre suivant : établissement Distribution, établissement Ingineering et Manufacturing et établissement Fonction support et HQ, alors :

« 1°/ qu'il appartient au tribunal d'instance saisi de la contestation d'une décision de l'autorité administrative fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts d'examiner l'ensemble des contestations, qu'elles portent sur la légalité interne ou la légalité externe de cette décision ; qu'en cas de contestation du découpage retenu, le juge doit, sans se borner à examiner superficiellement la motivation de cette décision, apprécier le découpage opéré par la Direccte en fonction des éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis ; que, dans cette perspective, il lui appartient de s'expliquer, au vu des éléments de fait et de preuve, sur l'autonomie de gestion des responsables d'établissement ; qu'en se bornant à relever, pour dire qu'il n'y avait lieu ni d'annuler la décision de la Direccte, ni de modifier le nombre et le périmètre des établissements distincts, que la décision de la Direccte est parfaitement motivée, en ce qu'elle rappelle les critères essentiels pour les appliquer à la situation de fait et qu'en particulier l'autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service a été bien prise en compte dans l'analyse de la situation de l'entreprise et que la décision de la Direccte est parfaitement fondée en fait et en droit, le tribunal d'instance a méconnu son office et violé l'article L. 2313-5 du code du travail.

4°/ que caractérise un établissement distinct au sens de l'article L. 2313-4 du code du travail l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service ; que pour motiver sa décision fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts, le juge doit faire ressortir, par des constatations concrètes et précises, les pouvoirs décisionnels dont dispose le responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel ; qu'à supposer que le tribunal d'instance ait repris à son compte les motifs de la décision de la Direccte, en se bornant à relever, pour dire que les trois pôles regroupant de manière cohérente sept familles de métiers disposent chacun d'un responsable des ressources humaines qui, selon les organigrammes des ressources humaines, disposent de compétences et d'une autonomie en matière de gestion du personnel, le tribunal d'instance, qui n'a constaté aucune manifestation concrète de cette autonomie de gestion des responsables des ressources humaines en matière de gestion du personnel, a placé la Cour de cassation dans l'impossibilité d'exercer son contrôle et privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2313-4 et L. 2313-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2313-4 et L. 2313-5 du code du travail :

5. Selon le premier de ces textes, lorsqu'ils résultent d'une décision unilatérale de l'employeur, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques sont fixés compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel. Caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service.

6. Lorsqu'ils sont saisis d'un recours dirigé contre la décision unilatérale de l'employeur, le direccte, par une décision motivée, et le tribunal d'instance se fondent, pour apprécier l'existence d'établissements distincts au regard du critère d'autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l'organisation interne de l'entreprise que fournit l'employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l'appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier.

7. La centralisation de fonctions support ou l'existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l'autonomie de gestion des responsables d'établissement.

8. En application du second des textes susvisés, relèvent de la compétence du tribunal d'instance, en dernier ressort, à l'exclusion de tout autre recours, les contestations élevées contre la décision de l'autorité administrative fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts. Il appartient, en conséquence, au tribunal d'instance d'examiner l'ensemble des contestations, qu'elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision du direccte, et, s'il les dit mal fondées, de confirmer la décision, s'il les accueille partiellement ou totalement, de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l'autorité administrative, sur les questions demeurant en litige.

9. Pour débouter la société de sa demande d'annulation de la décision du direccte du 22 mars 2019, le jugement retient que cette décision vise les textes applicables dans leur dernier état, les décisions rendues, les écritures communiquées et la procédure suivie, qu'il est donc manifeste que cette décision a été rendue après une étude sérieuse des éléments fournis par les parties, qu'elle est en outre motivée en droit, en ce qu'elle rappelle les critères essentiels pour les appliquer à la situation de fait et qu'en particulier l'autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service a été bien prise en compte dans l'analyse de la situation de l'entreprise et qu'ainsi la décision du direccte étant parfaitement fondée en fait et en droit il n'y a pas lieu de l'annuler ni de modifier le nombre et le périmètre des établissements.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, au regard des éléments produits tant par l'employeur que par les organisations syndicales, si les responsables des établissements concernés avaient effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service et si la reconnaissance à ce niveau d'établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques était de nature à permettre l'exercice effectif des prérogatives de l'institution représentative du personnel, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 17 septembre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Versailles autrement composé.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 2313-4 et L. 2313-5 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la notion d'« autonomie de gestion » nécessaire à la caractérisation d'un établissement distinct, à rapprocher : Soc., 22 janvier 2020, pourvoi n° 19-12.011, Bull. 2020, (rejet), et l'arrêt cité ; Soc., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-23.745, Bull. 2021, (cassation). Sur l'office du juge en cas de contestation de la décision de l'autorité administrative quant à la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, à rapprocher : Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-11.918, Bull. 2020, (rejet), et l'arrêt cité ; Soc., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-23.745, Bull. 2021, (cassation). Sur l'office du juge en cas de contestation de la décision de l'autorité administrative quant à la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, cf : CE, 29 juin 1973, n° 77982, publié au Recueil Lebon ; CE, 1 juin 1979, n° 10777, publié au Recueil Lebon ; CE, 27 mars 1996, n° 155791, publié au Recueil Lebon.

Soc., 9 juin 2021, n° 19-24.678, (P)

Cassation

Délégué syndical – Désignation – Conditions – Candidat ayant obtenu 10 % des voix – Dérogation – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Paris, 12 novembre 2019), les sociétés Orange et Orange Caraïbe (les sociétés) forment une unité économique et sociale, au sein de laquelle s'est tenu le premier tour des élections professionnelles des délégués du personnel et des représentants du personnel aux comités d'établissement du 7 au 9 novembre 2017.

2. Le 11 juin 2019, la fédération Force ouvrière de la communication (le syndicat FO com) a désigné Mme [V] en qualité de délégué syndical de l'établissement secondaire « Centre de services partagés comptabilité France et contentieux » de l'établissement principal « Fonctions supports et finances ».

3. Le 24 juin 2019, les sociétés ont saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de cette désignation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Les sociétés font grief au jugement de les débouter de leur demande d'annulation de la désignation de la salariée en qualité de délégué syndical FO com de l'établissement secondaire « Centres de services partagés comptabilité France et contentieux » de l'établissement principal « Fonctions supports et finances », alors « que selon l'article L. 2143-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, un syndicat représentatif doit désigner ses délégués syndicaux en priorité parmi les candidats qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles dans l'établissement ; que, par exception, en cas de renonciation écrite de tous les candidats qui remplissent cette condition à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents ; que, pour garantir le libre consentement du salarié et préserver le caractère subsidiaire de la désignation de salariés n'ayant aucune légitimité électorale, la renonciation écrite d'un candidat ayant obtenu plus de 10 % des suffrages à son droit d'être désigné délégué syndical doit être antérieure à la désignation d'un autre salarié comme délégué syndical et ne pas être motivée par le souhait du syndicat de désigner un autre salarié comme délégué syndical ; qu'en l'espèce, pour contester la désignation de Mme [V] en qualité de déléguée syndicale de l'établissement secondaire « Centre de services partagés comptabilité France et contentieux », les sociétés Orange et Orange Caraïbe soutenaient que cette salariée ne remplissait pas le critère de l'audience électorale dans cet établissement, que le syndicat FO com devait désigner prioritairement l'un des 21 candidats qui remplissaient la condition d'audience électorale dans cet établissement et que les renonciations de ces candidats, produites en cours d'instance, étaient sans portée sur la désignation contestée, dès lors qu'elles avaient été établies postérieurement à cette désignation sur la base de l'information erronée que cette désignation n'était pas encore intervenue et qu'elles étaient motivées par la proposition du délégué syndical central de désigner un autre salarié comme délégué syndical ; qu'en jugeant néanmoins que ces renonciations, peu important qu'elles soient postérieures à la désignation contestée, permettaient à la fédération FO com de se prévaloir de l'exception au critère de l'audience électorale, le tribunal d'instance a violé l'article L. 2143-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2143-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :

5. Le texte susvisé fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique.

Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa de ce texte, ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33.

6. Par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le législateur a entendu éviter l'absence de délégué syndical dans les entreprises.

7. Eu égard aux travaux préparatoires à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, la mention de l'article L. 2143-3, alinéa 2, du code du travail selon laquelle « si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33 », doit être interprétée en ce sens que lorsque tous les élus ou tous les candidats qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé préalablement à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique.

8. Pour rejeter la demande d'annulation de la désignation de la salariée en qualité de délégué syndical, le jugement retient que le syndicat FO com verse aux débats les renonciations écrites de chacune des personnes ayant obtenu la condition d'audience personnelle de 10 % dans le périmètre de désignation, peu important que ces renonciations, intervenues entre le 26 juin et le 19 juillet 2019, soient postérieures à la désignation du 11 juin 2019, qu'ainsi le syndicat FO com a procédé à la désignation de la salariée en application de l'exception au critère d'audience électorale prévue par l'article L. 2143-3 du code du travail, modifié par la loi du 29 mars 2018.

9. En statuant ainsi, alors que le syndicat FO com ne pouvait se prévaloir d'une renonciation de ses élus et candidats ayant obtenu un score électoral de 10 % des suffrages à leur droit d'être désigné délégué syndical, intervenue postérieurement à la désignation de la salariée en cette qualité, le tribunal a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 12 novembre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris autrement composé.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018.

Rapprochement(s) :

Sur la désignation comme délégué syndical d'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou d'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique lorsque les élus ou tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, à rapprocher : Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-14.605, Bull. 2020, (rejet).

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