Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

Soc., 23 juin 2021, n° 19-13.856, (B)

Rejet

Respect de la vie privée – Atteinte – Contrat de travail – Contrôle de l'activité du salarié – Dispositif de vidéosurveillance constante – Production en justice des enregistrements – Recevabilité – Proportionnalité au but allégué – Nécessité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 janvier 2019), M. [Y] a été engagé le 1er septembre 1997 par la société Mazel, qui exploite une pizzeria, en qualité de cuisinier. Il a été licencié pour faute grave le 17 octobre 2013, l'employeur lui reprochant notamment des faits qu'il offrait de prouver au moyen d'images obtenues par un dispositif de vidéo-surveillance.

2. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de rappels de salaire et congés payés afférents et dommages-intérêts pour licenciement abusif, alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent dénaturer les écrits soumis à leur examen ; que l'avertissement notifié le 6 juillet 2012 au salarié visait les manquements de ce dernier à ses obligations professionnelles en lien avec les règles d'hygiène et les horaires de travail et ses absences injustifiés, et indiquait : « Ne constatant, malgré nos précédents et nombreux rappels à l'ordre verbaux, aucun changement dans votre comportement, nous nous voyons dans l'obligation, par cette lettre, de vous adresser un avertissement. Parallèlement, nous vous informons de notre intention de mettre en place, dans les prochains jours, un système de vidéo-surveillance et un registre de contrôle et pointage de vos heures de travail. Nous espérons vivement que ces démarches engendreront des changements dans votre comportement au travail », ce dont il résultait que l'employeur avait clairement informé le salarié de ce que le dispositif de vidéosurveillance évoqué avait pour finalité d'éviter la reproduction des manquements commis par ce dernier en cuisine ; qu'en affirmant que la société n'avait pas complètement informé le salarié quant aux finalités du système de vidéo-surveillance, la cour d'appel a méconnu le principe interdisant aux juges de dénaturer les documents de la cause ;

2°/ que lorsque les salariés ont été informés de la mise en place d'un système de vidéosurveillance et de sa finalité, le seul défaut d'information sur la personne destinataire des images et les modalités concrètes de l'exercice du droit d'accès dont disposent le salarié ne rend pas inopposable à celui-ci les enregistrements issus de cette vidéosurveillance ; qu'en se fondant, pour dire inopposable au salarié le mode de preuve constitué par les enregistrements provenant du dispositif de vidéo-surveillance, sur la circonstance que la société n'avait pas complètement informé le salarié quant à la personne destinataire des images et des modalités concrètes de l'exercice du droit d'accès, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 du code du travail et les articles 1, 6 et 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

3°/ qu'est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché l'atteinte portée à la vie privée d'un salarié par le placement sous vidéosurveillance de la cuisine du restaurant où il travaille, afin de s'assurer de l'absence de réitération par ce dernier de manquements aux règles d'hygiène et de sécurité, dans un but de sécurité des personnes et des biens, peu important qu'il soit le seul salarié à travailler dans la cuisine ; qu'en jugeant, pour dire inopposable au salarié le mode de preuve constitué par les enregistrements provenant du dispositif de vidéo-surveillance mis en place, que M. [Y] étant le seul salarié à travailler dans la cuisine de l'établissement, l'installation d'une caméra dans ce lieu portait atteinte au droit au respect de sa vie privée, ce qui était disproportionné au but poursuivi, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1 du code du travail et les articles 1, 6 et 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

6. La cour d'appel a constaté que le salarié, qui exerçait seul son activité en cuisine, était soumis à la surveillance constante de la caméra qui y était installée. Elle en a déduit à bon droit que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance, attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l'employeur de sécurité des personnes et des biens, n'étaient pas opposables au salarié et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

7. Le moyen n'est pas donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Duvallet - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail.

2e Civ., 10 juin 2021, n° 20-11.987, (P)

Cassation partielle

Respect de la vie privée – Atteinte – Défaut – Cas – Nécessité quant à l'exercice du droit à la preuve et proportionnalité des intérêts antinomiques en présence

Respect de la vie privée – Atteinte – Défaut – Cas – Nécessité quant à l'exercice du droit à la preuve et proportionnalité des intérêts antinomiques en présence – Secret des affaires

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 3 décembre 2019), se plaignant de faits de concurrence déloyale et de dénigrement sur internet, la société Neovia a saisi le président d'un tribunal de commerce de sept requêtes identiques sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile à fin de voir ordonner des mesures d'instruction au siège social de plusieurs sociétés, dont ceux des sociétés Thébaide et [Personne physico-morale 1] situés à [Localité 1].

2. Ces requêtes ont été accueillies par deux ordonnances du 28 septembre 2018 qui ont constitué l'huissier de justice séquestre des documents appréhendés et ont prévu qu'il ne pourra être mis fin au séquestre que par une décision de justice contradictoire l'autorisant à remettre les documents saisis.

Les mesures d'instruction ont été exécutées le 8 octobre 2018.

3. Les sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] ont saisi un juge des référés d'une exception d'incompétence territoriale du juge des requêtes au profit de celui du tribunal de commerce de Reims et d'une demande en rétractation de l'ordonnance sur requête, demandes qui ont été rejetées par une ordonnance du 20 février 2019.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit mal fondée l'exception d'incompétence ratione loci, alors « que la faculté n'est ouverte au demandeur de saisir à son choix la juridiction du lieu où demeure l'un des défendeurs, qu'en présence d'une procédure unique mettant en cause plusieurs défendeurs dès son introduction ; qu'elle est en revanche exclue dans les procédures ne réunissant plusieurs défendeurs que par l'effet d'une jonction qui ne créé pas un procédure unique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a rejeté l'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Lyon présentée par les sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1], elles-mêmes domiciliées à Reims, au motif que : « la société Neovia a saisi le président du tribunal de commerce de Lyon de requêtes identiques, assimilables à une requête unique, visant sept sociétés auxquelles il est imputé des actes présumés de concurrence déloyale, accomplis de concert et parmi lesquelles les sociétés Origami and Co et Trajectoire ont leur siège social dans le ressort de ce tribunal » ; qu'en se déterminant ainsi, lorsque l'existence de requêtes distinctes à l'égard des différentes défenderesses faisait obstacle à la prorogation de compétence du tribunal situé dans le ressort du domicile de l'une d'entre elles, la cour d'appel a violé l'article 42, 2e alinéa, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles 42, 145 et 493 du code de procédure civile qu'un juge des requêtes est compétent pour ordonner des mesures d'instruction lorsqu'il est saisi de requêtes identiques concernant plusieurs personnes ou sociétés dont certaines sont domiciliées hors de son ressort, dès lors que l'une d'entre elles au moins est domiciliée dans son ressort, que les mesures sollicitées tendent à conserver ou établir la preuve de faits similaires dont pourrait dépendre la solution d'un même litige et que la juridiction à laquelle il appartient est susceptible de connaître de l'éventuelle instance au fond.

7. Ayant constaté que la société Neovia avait saisi le président du tribunal de commerce de Lyon de requêtes identiques, assimilables à une requête unique, visant huit sociétés, auxquelles il était imputé des actes présumés de concurrence déloyale, accomplis de concert, et parmi lesquelles deux sociétés avaient leur siège social dans le ressort du tribunal, la cour d'appel en a exactement déduit que le président du tribunal de commerce de Lyon était territorialement compétent.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. Les sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté les demandes de rétractation totale comme partielle des ordonnances du 28 septembre 2018 et de confirmer ces ordonnances en toutes leurs dispositions, alors « qu'il appartient au juge saisi d'une demande de rétractation d'une mesure d'instruction in futurum de rechercher si elle a été limitée aux investigations strictement nécessaires à la preuve des faits litigieux, de manière à ne pas porter une atteinte illégitime aux droits du défendeur, notamment au secret des affaires ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est abstenue de rechercher, comme elle y était invitée, si la copie de tous documents contenant notamment les mots-clés particulièrement généraux « Salarié », « Linkedin », « SVP », « Google », « Logiciel », outre les prénoms des dirigeants « [Y] » et « [J] », n'était pas disproportionnée aux faits allégués, en ce qu'elle offrait un accès illimité à l'ensemble des dossiers clients des sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] ainsi qu'à tous les mails contenant la signature électronique de la société « [Personne physico-morale 1] »; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 151-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé.

11. Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

12. Pour confirmer les ordonnances du 20 février 2019 ayant rejeté la demande de rétractation partielle des ordonnances du 28 septembre 2018, l'arrêt retient que les ordonnances ne ciblent pas des documents couverts par un secret d'ordre professionnel et qu'eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Neovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante.

13. Il retient, ensuite, par motifs adoptés, que l'ordonnance sur requête ne cible ni des documents personnels, ni des documents couverts par un secret d'ordre professionnel ou médical et s'en tient à des mots-clés pour découvrir l'identité des auteurs des messages dénigrants, l'écosystème concurrentiel quant aux liens pouvant unir les différentes sociétés cibles, ces dernières niant toute osmose, la recherche d'une utilisation frauduleuse des logiciels développés par la société Néovia, voire, par acronymie, donnée auxdits logiciels, et la preuve de débauchage de salariés de la société Néovia, y compris par l'utilisation des prénoms desdits salariés.

14. Il ajoute, enfin, que l'ordonnance présidentielle du 20 septembre 2019 cible de façon précise une recherche volontairement limitée aux fichiers, documents et correspondances, tous en rapport avec les faits litigieux et que ladite ordonnance ne se rapporte qu'à des mots-clés précisément énumérés et en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée.

15. L'arrêt en déduit que les mesures ordonnées dans l'ordonnance du 28 septembre 2018 sont circonscrites dans leur objet et donc légalement admissibles.

16. En se déterminant ainsi, sans faire ressortir précisément, comme elle y était invitée, que les mots-clefs visant exclusivement des termes génériques (Google, accord, entente, salarié, avis, Linkedin) et les prénoms, noms et appellations des personnes contre lesquelles les mesures d'instruction avaient été sollicitées, étaient suffisamment circonscrits dans le temps et dans leur objet et que l'atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et n'était pas disproportionnée au regard du but poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

17. Les sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté les demandes de rétractation totale comme partielle des ordonnances du 28 septembre 2018 et de confirmer ces ordonnances en toutes leurs dispositions, alors « que les sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] sollicitaient encore la rétractation partielle des ordonnances sur requête litigieuses en ce qu'elles avaient notamment autorisé la copie de l'ensemble des études de droits à la retraite réalisées par les sociétés Thébaide et [Personne physico-morale 1], soit le coeur de leur production commerciale, nécessairement couvert par le secret des affaires ; qu'en s'abstenant pourtant de rechercher concrètement, comme elle y était invitée, si une mesure d'instruction aussi générale n'était pas disproportionnée aux nécessités de la preuve des faits allégués, la cour d'appel a, de plus fort, privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article L.151-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

18. Si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, c'est à la condition que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie au regard de l'objectif poursuivi.

19. Pour confirmer les ordonnances du 20 février 2019 ayant rejeté la demande de rétractation des ordonnances du 28 septembre 2018, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que ces ordonnances ne ciblent pas des documents couverts par un secret d'ordre professionnel et qu'eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Neovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante.

20. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les mesures d'instruction demandées étaient nécessaires à la détermination de la preuve des faits allégués et ne portaient pas une atteinte disproportionnée au secret des affaires des sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] au regard de l'objectif poursuivi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

21. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant les sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] de leur demande de rétractation et confirmant l'ordonnance du 20 février 2019, entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif relatif au rejet de la demande de non-divulgation des pièces séquestrées, au rejet des autres demandes et à la condamnation des sociétés Thebaide et [Personne physico-morale 1] solidairement aux dépens et à payer à la société Neovia la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il reçoit l'exception d'incompétence ratione loci et la déclare mal fondée, l'arrêt rendu le 3 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Alain Bénabent -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 5 avril 2012, pourvoi n° 11-14.177, Bull. 2012, I, n° 85 (cassation) ; 1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 15-27.845, Bull. 2017, I, n° 150 (cassation). Com., 5 juin 2019, pourvoi n° 17-22.192, Bull. 2019, (cassation partielle) ; 2e Civ., 7 janvier 1999, pourvoi n° 95-21.934, Bull. 1999, II, n° 4 (rejet).

1re Civ., 2 juin 2021, n° 20-13.753, (P)

Cassation partielle

Respect de la vie privée – Droit à l'image – Etendue

Il résulte des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation, et que la seule constatation d'une atteinte ouvre droit à réparation.

Respect de la vie privée – Droit à l'image – Atteinte – Constatation – Effets – Droit à réparation

Désistement partiel

1. Donne acte à M. [J] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Les Editions Saint Germain, anciennement dénommée Lui.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2020), dans son numéro daté du 19 juillet 2015, le magazine Lui a publié une photographie de M. [J], acteur américain, prise sans autorisation sur une plage dans un moment de loisir. Il était apposé à côté de l'article la mention KCS.

3. Le 3 août 2015, M. [J] a assigné la société Lui et la société KCS Presse afin d'obtenir, sur le fondement des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur condamnation à lui payer chacune une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, et l'interdiction de commercialiser le cliché litigieux.

En cours de procédure, il a également sollicité l'indemnisation de son préjudice résultant de la captation et la commercialisation de neuf clichés supplémentaires publiés sur quatre sites Internet anglophones qui faisaient partie de la même série de photographies que celle publiée dans le magazine Lui et portaient la mention KCS Presse/Splash News.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [J] fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes formées contre la société KCS Presse, alors « que M. [J], sur le fondement des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, invoquait deux faits générateurs distincts d'une atteinte dommageable à ses droits de la personnalité imputés à la société KCS Presse : une captation et une commercialisation non autorisée de son image à partir du site « Agences On line », alors que le seul fait de caper, de fixer et de publier, par le biais d'un site Internet permettant d'accéder à des photographies et au besoin de les acheter, image privée et non autorisée d'une personne constitue une atteinte au respect de sa vie privée et de son image et entraîne la responsabilité de son auteur ; et en outre, le fait de l'avoir proposée à la vente ; qu'en retenant qu'« en l'absence de toute preuve de la commercialisation de cette photographie à la société Lui, il n'est pas démontré que la société KCS Presse a commis une faute à l'égard de [Y] [J] et les demandes formées à son encontre seront donc rejetées », la cour d'appel, qui a limité la possibilité d'une faute ou d'un fait dommageable à la seule hypothèse d'une vente entre KCS Presse et le magazine Lui, a violé les articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. Il ressort de ces textes que le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation et que la seule constatation d'une atteinte ouvre droit à réparation.

6. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la maîtrise par l'individu de son image implique dans la plupart des cas la possibilité de refuser la diffusion de son image et comprend en même temps le droit pour lui de s'opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui.

L'image étant l'une des caractéristiques attachées à la personnalité de chacun, sa protection effective présuppose, en principe, le consentement de l'individu dès sa captation et non pas seulement au moment de son éventuelle diffusion au public (CEDH, arrêt du 15 janvier 2009, Reklos et Davourlis c. Grèce, n° 1234/05, § 40 ; CEDH, arrêt du 27 mai 2014, de la Flor Cabrera c. Espagne, n° 10764/09, § 31).

7. Pour rejeter les demandes de M. [J] formées contre la société KCS Presse, après avoir constaté que celle-ci reconnaissait être détentrice des droits d'auteur sur la photographie et contestait seulement l'avoir vendue à la société Lui, l'arrêt se borne à retenir qu'en l'absence de toute preuve de cette commercialisation, il n'est pas démontré qu'elle a commis une faute à son égard.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. M. [J] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes relatives aux neuf photographies publiées par quatre sites Internet, alors « qu'en estimant être saisi par M. [J] d'une demande de « condamnation de la société KCS Presse pour la diffusion de plusieurs clichés portant la mention KCS Presse/Splash News publiés sur les sites Internet anglophones Mail On Line, New York Post, New York Daily News et Yahoo News », cependant qu'elle était saisie d'une demande de réparation des atteintes portées à ses droits de la personnalité du fait, par KCS Presse, de la captation et de la commercialisation de ces neufs clichés à partir du site Agences on line, auprès des sites anglophones précitées, la cour d'appel a méconnu le cadre du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

11. Pour rejeter les demandes de M. [J] relatives aux neuf photographies publiées sur les sites Internet, l'arrêt retient qu'il n'établit ni qu'elles ont fait l'objet d'une diffusion publique sur Internet ni qu'elles ont été commercialisées par la société KCS Presse auprès de ces quatre sites.

12. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, M. [J] faisait valoir qu'il était fondé à poursuivre la réparation du préjudice causé par la captation et la commercialisation de ces clichés attentatoires à ses droits de la personnalité quelle que soit la nature des modalités du mandat de distribution confié à la société Splash News, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il constate qu'aucune demande n'est formée par M. [J] contre la société Lui, l'arrêt rendu le 29 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Article 9 du code civil ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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