Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Com., 2 juin 2021, n° 20-10.690, (P)

Cassation partielle

Cautionnement – Mention manuscrite prescrite par l'article L. 341-2 du code de la consommation – Pluralité d'originaux – Irrégularité de la mention sur un exemplaire – Portée – Validité du cautionnement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 5 novembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 3 avril 2019, pourvoi n° 17-22.501), par un acte du 7 novembre 2008, la société Banque CIC Ouest (la banque) a accordé à l'EURL Châteauroux Or (la société) un prêt, garanti par le cautionnement de M. [A].

L'engagement de caution a été consenti dans un acte annexé au contrat de prêt, le tout étant établi en deux exemplaires originaux, remis l'un à la banque, l'autre à la caution.

2. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a obtenu une ordonnance d'injonction de payer contre la caution, à laquelle celle-ci a formé opposition, en faisant valoir que la mention manuscrite de l'acte de cautionnement n'était pas conforme à la loi.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de mettre à néant l'ordonnance portant injonction de payer du 29 janvier 2014, prononcer la nullité du cautionnement et la débouter de toutes ses demandes contre M. [A], alors « que si la mention manuscrite visée par l'article L. 341-2 du code de la consommation doit figurer sur le cautionnement sous seing privé à peine de nullité, le texte n'exige pas qu'elle soit portée intégralement sur plusieurs originaux, la preuve de la validité du consentement de la caution étant suffisamment établie par une mention pleinement conforme aux exigences de la loi ; qu'en affirmant pourtant que le cautionnement était nul en l'état d'une mention imparfaite sur l'un des exemplaires originaux, bien que l'autre original du contrat ait comporté une mention manuscrite complète, ce qui suffisait à s'assurer du consentement éclairé de la caution, la cour d'appel a violé l'article L. 341-2 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. M. [A] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient, d'une part, que le moyen est contraire aux écritures de la banque devant la cour d'appel et, d'autre part, qu'il invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, quand la juridiction de renvoi s'y est conformée.

5. Cependant, d'une part, la banque soutenait, dans ses conclusions devant la cour d'appel de renvoi, que l'exemplaire du cautionnement produit par elle ne comportait aucune omission et que l'omission du mot « caution » sur l'acte détenu par la caution procédait d'une simple erreur matérielle, dès lors que le texte avait été correctement et intégralement reproduit dans le second exemplaire.

Le moyen n'est donc pas contraire à ses écritures d'appel.

6. D'autre part, la Cour de cassation n'ayant pas été saisie, lors du premier pourvoi, de l'existence de deux exemplaires originaux de l'acte de cautionnement, le moyen, qui repose sur des faits dont elle n'a pas connu, n'appelle pas la Cour de Cassation à revenir sur la doctrine affirmée par son précédent arrêt.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 :

8. Aux termes de ce texte, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même. »

9. Pour mettre à néant l'ordonnance portant injonction de payer et prononcer la nullité du cautionnement, l'arrêt, après avoir relevé que l'acte produit par M. [A] comportait une mention manuscrite ne respectant pas le formalisme prévu par le texte précité, en ce que le mot « caution » en a été omis, et que cette divergence avec la formule légale affecte le sens et la portée de la mention manuscrite, retient qu'il importe peu que la banque détienne un autre exemplaire de l'acte qui comporte, cette fois, l'intégralité de la mention légale, dès lors que la mention est incomplète sur un des exemplaires et que la différence qui en résulte avec la mention légale est déterminante et n'a pas permis à M. [A] de prendre la pleine mesure de la nature et de la teneur de son engagement.

10. En statuant ainsi, alors que, le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original était requis et que M. [A] ne contestait pas avoir écrit de sa main les mentions conformes aux prescriptions légales sur l'exemplaire original détenu par le créancier, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'opposition formée par la société Banque CIC Ouest contre l'ordonnance portant injonction de payer du 29 janvier 2014, l'arrêt rendu le 5 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016.

1re Civ., 16 juin 2021, n° 20-12.154, (B)

Sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Clauses abusives – Caractère abusif – Appréciation – Eléments pris en considération

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 octobre 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 26 septembre 2018, pourvoi n° 17-21.533), suivant offre acceptée le 21 février 2006, réitérée par acte authentique du 17 mai 2006, la caisse fédérale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest, aux droits de laquelle se trouve la caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest (la banque) a consenti à M. [J] (l'emprunteur) un prêt destiné à l'acquisition d'un bien immobilier d'un montant de 209 109 euros remboursable sur vingt ans.

Les conditions générales du contrat prévoyaient à l'article 16-1 que les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles, sans formalité ni mise en demeure dans le cas d'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires.

2. L'échéance exigible au 10 décembre 2012, pour un montant de 904,50 euros, n'ayant pas été réglée, ni celle du mois de janvier 2013, la banque a prononcé la déchéance du terme le 29 janvier 2013, sans mise en demeure préalable, et fait procéder à une saisie-vente au domicile de l'emprunteur le 17 septembre 2015. Soutenant que le procès-verbal de saisie comportait des irrégularités, l'emprunteur a saisi le juge de l'exécution, le 13 octobre 2015, en annulation de la procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable ; qu'il incombe aux juges du fond de relever d'office le caractère abusif des clauses qui leur sont soumises dès lorsqu'ils disposent des éléments de fait et de droit leur permettant de se prononcer ; qu'au cas d'espèce, ayant constaté que l'article 16.1 du contrat de prêt prévoyait que le prêteur pourrait prononcer la déchéance du terme sans formalité ni mise en demeure dès lors que l'emprunteur était en retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme du prêt, en s'abstenant de rechercher si cette clause, qui reconnaissait au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable, ne devait pas être présumée abusive, sauf à la banque à démontrer le contraire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau), R. 132-2, 4° ancien (devenu R. 212-2, 4° nouveau), R. 632-1 et L. 141-4 ancien du code de la consommation, ensemble l'article 1184 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) ;

2°/ que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif d'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme du prêt, sans que l'emprunteur soit mis en mesure de s'expliquer au préalable sur cette cause de déchéance ; qu'il incombe aux juges du fond de relever d'office le caractère abusif des clauses qui leur sont soumises dès lorsqu'ils disposent des éléments de fait et de droit leur permettant de se prononcer ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant de rechercher si l'article 16.1 du contrat de prêt ne revêtait pas un caractère abusif dès lors qu'il autorisait le prêteur, en cas de retard de plus de trente jours dans le paiement d'une échéance, à résilier unilatéralement le contrat sans laisser à l'emprunteur la possibilité de s'expliquer sur le manquement qui lui était imputé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau), R. 632-1 et L. 141-4 ancien du code de la consommation, ensemble l'article 1184 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) ;

3°/ que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'il incombe aux juges du fond de relever d'office le caractère abusif des clauses qui leur sont soumises dès lorsqu'ils disposent des éléments de fait et de droit leur permettant de se prononcer ; que la CJUE a dit pour droit que l'article 3 § 1 et l'article 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doivent être interprétés en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt (CJUE 26 janvier 2017, Banco Primus, aff. C-421/4) ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant, de rechercher si la clause de déchéance du terme de l'article 16.1 du contrat de prêt ne revêtait pas un caractère abusif, dès lors qu'elle permettait de résilier le contrat, conclu pour une durée de vingt ans et un montant de 209 109 euros, sur le fondement d'un simple retard de plus de trente jours dans le règlement d'une échéance, la cour d'appel, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 3 § 1 et 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble les articles L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau), R. 632-1 et L. 141-4 ancien du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

Le droit de l'Union européenne

5. Aux termes de l'article 3 paragraphe 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, une clause d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l'exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

6. L'article 4 de cette directive précise :

« 1. Sans préjudice de l'article 7, le caractère abusif d'une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend.

2. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation entre le prix et la rémunération, d'une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d'autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

7. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), par arrêt du 26 janvier 2017 (Banco Primus SA, C-421/14), a dit pour droit que les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que :

« - l'examen du caractère éventuellement abusif d'une clause d'un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur implique de déterminer si celle-ci crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Cet examen doit être effectué au regard des règles nationales qui, en l'absence d'accord des parties, trouvent à s'appliquer, des moyens dont le consommateur dispose, en vertu de la réglementation nationale, pour faire cesser l'utilisation de ce type de clauses, de la nature des biens ou des services qui font l'objet du contrat en cause ainsi que de toutes les circonstances qui entourent la conclusion de celui-ci ; [...]

 - s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt. »

Le droit national

8. Selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 applicable au litige et portant notamment transposition de cette directive, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

9. La Cour de cassation déduit de manière constante des articles 1134, 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que, si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet, et précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

Mais elle admet qu'il puisse être dérogé à l'exigence d'une mise en demeure par une disposition expresse et non équivoque du contrat (1re Civ., 3 février 2004, pourvoi n° 01-02.020, Bull. 2004, I, n° 27 ; 1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-15.655, Bull. 2015, I, n° 131 ; 1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 16-18.418, Bull. 2017, I, n° 151) dès lors que le consommateur est ainsi informé des conséquences de la méconnaissance de ses obligations.

Motifs justifiant le renvoi préjudiciel

10. L'examen des branches du moyen implique de déterminer si les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat et si la clause litigieuse, en ce qu'elle a pour effet que la déchéance du terme est encourue de plein droit dans le cas d'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires, doit être considérée comme abusive au vu notamment des critères dégagés par la CJUE dans l'arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14).

En faveur d'un déséquilibre significatif, il peut être soutenu qu'une telle clause permet au prêteur de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable et sans laisser à l'emprunteur la possibilité de s'expliquer sur le manquement qui lui est imputé.

En faveur de l'absence de caractère abusif il peut être soutenu que, pour être valable, une telle clause doit être prévue de manière expresse et non équivoque de sorte que l'emprunteur est parfaitement informé de ses obligations. Il peut être ajouté que celui-ci dispose toujours de la possibilité de saisir le juge pour contester l'application de la clause et faire sanctionner un abus dans son prononcé par le prêteur.

11. Au regard du premier critère posé par l'arrêt de la CJUE du 26 janvier 2017 précité, pour l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il pourrait être admis que le défaut de règlement d'une mensualité au terme prévu par le consommateur caractérise l'inexécution par celui-ci d'une obligation présentant un caractère essentiel, dès lors qu'il s'est engagé à s'acquitter des mensualités prévues et que cet engagement a déterminé celui du prêteur.

12. Le deuxième critère, conduisant à apprécier si un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires, comme le prévoit la clause en cause, caractérise une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, prête davantage à interrogation. Compte tenu de l'allongement de la durée des crédits et de la baisse des taux d'intérêts, les montants des impayés peuvent être relativement faibles au regard de la durée et du montant des prêts au moment du prononcé de la déchéance du terme, de sorte que le caractère suffisamment grave de l'inexécution pourrait être relativisé et il pourrait être tenu compte de l'équilibre global des relations contractuelles.

Mais un tel raisonnement, qui impliquerait que le juge détermine dans chaque cas à partir de quel montant rapporté à la durée et au montant du prêt et de quel délai, l'inexécution est suffisamment grave pour justifier une exigibilité immédiate du prêt, pourrait être regardé comme créant une inégalité entre les consommateurs.

13. La question se pose donc de savoir si un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un seul terme en principal, intérêts ou accessoires, comme le prévoit la clause en cause, peut caractériser une inexécution revêtant un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt.

14. En application du troisième critère, il importe de déterminer si la clause déroge aux règles du droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques.

Le droit commun impose l'envoi d'une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, tout en admettant qu'il y soit dérogé par les parties et en exigeant alors le respect d'un préavis raisonnable.

Le préavis étant de trente jours dans la clause en cause, on peut hésiter à considérer ce délai comme suffisant pour que l'emprunteur contacte le prêteur, s'explique sur le manquement imputé et trouve une solution pour apurer le ou les impayés. Cependant le contrat en cause prévoit, par ailleurs, la possibilité pour l'emprunteur de demander une modification d'échéances susceptible de lui permettre, le cas échéant, de prévenir un risque d'impayé.

15. Il importe néanmoins de savoir si un préavis de trente jours peut être considéré comme créant au détriment du consommateur un déséquilibre significatif.

16. Enfin, l'arrêt de la CJUE du 26 janvier 2017 ne précise pas si les quatre critères dégagés pour l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont cumulatifs ou alternatifs. Ce point est nécessaire à la solution du moyen et pour éclairer le juge national sur la méthodologie à employer pour l'appréciation du caractère abusif de la clause litigieuse.

17. Se pose aussi la question de savoir, si en cas de critères cumulatifs, le caractère abusif de la clause ne pourrait néanmoins pas être exclu au regard de l'importance relative de tel ou tel critère.

18. Les questions soulevées par le moyen, dont dépend la solution du pourvoi et qui nécessitent une interprétation uniforme des textes du droit de l'Union applicables en la cause, justifient la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne.

19. Il y a donc lieu de surseoir à statuer sur le pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée sur ces différents points.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le premier moyen du pourvoi ;

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°/ Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?

2°/ L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), doit-il être interprété en ce sens qu'un retard de plus de trente jours dans le paiement d'un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l'équilibre global des relations contractuelles ?

3°/ Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l'envoi d'une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu'il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d'un préavis raisonnable ?

4°/ Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14) pour l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?

5°/ Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l'importance relative de tel ou tel critère ?

SURSOIT à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du 7 décembre 2021.

- Président : Mme Batut (président) - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller ; SCP Krivine et Viaud -

Textes visés :

Article 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993.

1re Civ., 2 juin 2021, n° 19-22.455, (P)

Rejet

Clauses abusives – Causes partiellement abusives – Divisibilité de la clause de déchéance du terme d'un contrat de prêt – Effets – Détermination – Portée

Peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu'en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n'affecte pas sa substance.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 16 mai 2019), suivant acte notarié du 21 mars 2008, la Caisse de crédit mutuel de Santes-Wavrin (la banque) a consenti à M. et Mme [H] (les emprunteurs) un prêt immobilier.

Les conditions générales du contrat prévoyaient à l'article 14 que les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles dans un certain nombre de cas et notamment en cas de retard de plus de trente jours dans le paiement d'une échéance en principal, intérêts et accessoires du prêt et que, pour s'en prévaloir, le prêteur en avertirait l'emprunteur par lettre simple.

2. Les emprunteurs ont assigné la banque en annulation des commandements de payer aux fins de saisie-vente que celle-ci leur avait délivrés et invoqué le caractère abusif de cette clause.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux dernières branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [H] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation des commandements de payer aux fins de saisie-vente, alors « que la clause de déchéance du terme prévoyant que les sommes dues par l'emprunteur seront de plein droit immédiatement exigibles pour des motifs étrangers à l'exécution du contrat de prêt est abusive, et partant réputée non écrite ;que

le juge n'ayant pas le pouvoir de la réviser, cette clause, irréfragablement présumée ne pas avoir eu d'effet, ne peut survivre par retranchement de ses seules stipulations illicites ; que, pour débouter les emprunteurs de leur demande tendant au réputé non écrit de l'article 14 du contrat de prêt intitulé « exigibilité immédiate », en ce qu'il prévoyait 21 causes de déchéance du terme dont certaines relevaient de motifs extérieurs à l'exécution du contrat, l'arrêt, après avoir constaté que « ces dispositions contractuelles [?] pourraient être déclarées abusives puisque que créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment d'un emprunteur non professionnel », retient néanmoins que « leur caractère non écrit ne saurait remettre en question l'ensemble de la clause intitulée exigibilité immédiate, qui prévoit des causes de déchéance du terme valables, et notamment celles liées à l'inexécution du contrat de prêt lui-même », sur laquelle s'était fondée la banque, « la clause querellée pouvant survivre au retranchement de certaines de ces causes » ; qu'en statuant ainsi, quand elle ne pouvait déclarer abusive la seule partie de la clause prévoyant la déchéance du terme pour des motifs extérieurs au contrat de prêt et la laisser subsister pour le reste, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. »

Réponse de la Cour

5. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'une clause de déchéance du terme d'un contrat de prêt jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, lorsqu'une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance (CJUE, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria SA, C-70/17, et Bankia SA, C-179/17).

6. Il en résulte que peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu'en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n'affecte pas sa substance.

7. Après avoir relevé que l'article 14 du contrat de prêt comportait des causes de déchéance du terme pouvant être déclarées abusives car étrangères à l'exécution de ce contrat, la cour d'appel a constaté qu'il prévoyait d'autres causes liées à l'exécution du contrat lui-même qui étaient valables.

8. De ces constatations et énonciations faisant ressortir la divisibilité des causes de déchéance du terme prévues à l'article 14, la cour d'appel a exactement déduit que le caractère non écrit de certaines de ces causes de déchéance n'excluait pas la mise en oeuvre de celles valablement stipulées, dès lors que la suppression des éléments qui rendaient la clause litigieuse abusive n'affectait pas sa substance.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

10. M. [H] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la clause relative à la déchéance du terme en raison d'un manquement du débiteur à ses obligations pendant une période limitée est abusive lorsque cette inexécution ne présente pas un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt ; que, pour débouter M. et Mme [H] de leur demande tendant au réputé non écrit de l'article 14 du contrat de prêt, l'arrêt attaqué retient qu'étant « liée expressément à l'exécution du contrat », sa disposition prévoyant que « si l'emprunteur est en retard de plus de trente jours dans le paiement d'une échéance en principal, intérêts et accessoires du prêt, les sommes seront dues de plein droit et immédiatement exigibles » et que « le prêteur en avertira l'emprunteur par simple courrier » ne revêt « aucun caractère abusif » ; qu'en statuant par ces motifs, quand le retard de paiement d'une seule échéance du prêt ne pouvait permettre de caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. »

Réponse de la Cour

11. La cour d'appel n'a pas exclu le caractère abusif de la clause litigieuse au motif que la déchéance du terme consécutive au défaut de paiement d'une seule échéance ne créait aucun déséquilibre significatif au détriment du consommateur, mais au motif, d'une part, que cette clause pouvait survivre par voie de retranchement des dispositions prévoyant des causes de déchéance du terme extérieures au contrat, d'autre part, qu'une mise en demeure avait été délivrée aux emprunteurs.

12. Le moyen, qui manque en fait, ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vitse - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001.

1re Civ., 2 juin 2021, n° 19-22.607, (P)

Rejet

Démarchage et vente à domicile – Contrat – Mentions obligatoires – Mention du prix unitaire de chaque élément constitutif du bien offert ou du service proposé – Nécessité (non)

Aux termes de l'article L. 121-23 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, les opérations de démarchage à domicile doivent faire l'objet d'un contrat qui doit mentionner notamment, à peine de nullité, la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés et le prix global à payer et les modalités de paiement.

Ce texte n'exige pas la mention du prix unitaire de chaque élément constitutif du bien offert ou du service proposé et l'annulation du contrat n'est donc pas encourue en l'absence d'une telle mention.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 20 juin 2019), le 14 avril 2014, à la suite d'un démarchage à domicile, M. [I] et Mme [H] (les acquéreurs) ont acquis de la société SVH Energie (le vendeur), une installation photovoltaïque, comportant notamment des panneaux photovoltaïques et un onduleur, financée par un crédit souscrit auprès de la société Sygma banque, aux droits de laquelle se trouve la société BNP Paribas Personal Finance (la banque).

2. Soutenant que des irrégularités affectaient le bon de commande, les acquéreurs ont assigné le vendeur et la banque en nullité des contrats principal et de crédit affecté.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que le contrat conclu suite à un démarchage doit désigner de manière précise la nature et les caractéristiques des biens offerts et des services proposés, en ce compris le prix unitaire ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article L. 121-23 de l'ancien code de la consommation. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 121-23 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, applicable aux contrats souscrits après le 13 juin 2014, les opérations de démarchage à domicile doivent faire l'objet d'un contrat qui doit mentionner notamment, à peine de nullité, la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés et le prix global à payer et les modalités de paiement.

6. Après avoir constaté que, dans le bon de commande litigieux, les biens vendus étaient décrits de façon particulièrement précise et qu'étaient ainsi indiqués la marque et la puissance de chaque panneau, la marque de l'onduleur, la puissance totale de l'installation, le délai de l'étude de faisabilité ainsi que le délai d'installation et le prix global à payer, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, qu'aucun texte n'exigeait la mention du prix unitaire de chaque élément constitutif du bien offert ou du service proposé et que l'annulation du contrat n'était donc pas encourue en l'absence d'une telle mention.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Serrier - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Buk Lament-Robillot ; SCP Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article L. 121-23 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 14-11.437, Bull. 2016, I, n° 255 (rejet).

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