Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

LOIS ET REGLEMENTS

3e Civ., 10 juin 2021, n° 19-25.037, (P)

Rejet

Application – Commune – Créance sur une commune – Déchéance quadriennale – Loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 – Urbanisme – Indemnité – Créance résultant de la perte de la plus-value née de la revente de parcelles après l'exercice du droit de délaissement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 19 novembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 18 avril 2019, pourvoi n° 18-11.414), M. [I] et M. [G], propriétaires d'une parcelle de terre située dans un emplacement réservé par le plan d'occupation des sols, ont mis en demeure la commune [Localité 1] (la commune) de l'acquérir en application de la procédure de délaissement alors prévue par l'article L. 123-9 du code de l'urbanisme.

2. Aucun accord n'étant intervenu sur le prix de cession, un jugement du 20 septembre 1982 a ordonné le transfert de propriété au profit de la commune et un arrêt du 8 novembre 1983 a fixé le prix d'acquisition.

3. Le 22 décembre 2008, le terrain a été revendu et, le 18 octobre 2011, a fait l'objet d'un permis de construire.

4. Le 29 octobre 2013, Mme [U], venant aux droits de MM. [I] et [G], a assigné la commune en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen, qui est irrecevable, et sur le quatrième, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Énoncé du moyen

6. La commune fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de dommages-intérêts fondée sur l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la condamner à payer à Mme [U] la somme de 4 907 014,58 euros, alors « que, sauf exception prévue par la loi, les créances sur les collectivités publiques se prescrivent par quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, quelle qu'en soit la cause ; qu'en décidant que la créance dont Mme [U] pouvait se prévaloir contre la commune [Localité 1] était une créance civile à laquelle s'appliquait la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 7, alinéa 1, de la loi du 31 décembre 1968, la prescription quadriennale doit être invoquée avant que la juridiction saisie du litige en première instance se soit prononcée sur le fond.

8. Mme [U] a assigné la commune en indemnisation de son préjudice par acte du 29 octobre 2013.

9. Sa demande indemnitaire, résultant de la privation de la plus-value née de la revente de ses parcelles, portait sur une créance soumise à la prescription quadriennale de l'article 1, alinéa 1, de la loi précitée.

10. Toutefois, la commune ne s'est prévalue de la prescription quadriennale que devant la cour d'appel de renvoi.

11. Il en résulte que l'action de Mme [U] était recevable.

12. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux justement critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Sur le deuxième moyen

Énoncé du moyen

13. La commune fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à Mme [U] la somme de 4 907 014,58 euros, alors :

« 1°/ que l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction en vigueur entre 1973 et 1983, prévoyait que les plans d'occupation des sols fixent les emplacements réservés aux voies et ouvrages publics, aux installations d'intérêt général ainsi qu'aux espaces verts ; qu'il n'était pas contesté qu'après que les consorts [I] et [G] l'avaient cédé à la commune, le terrain litigieux, qui faisait l'objet d'un emplacement réservé à un espace vert, était restés pendant vingt ans à l'état d'espace vert, utilisé par le public, avant d'être aménagé en jardin d'enfants pendant huit ans ; qu'en retenant que la commune n'avait pas affecté l'immeuble à la destination prévue par l'emplacement réservé au motif que cette dernière ne s'expliquait pas sur « l'aménagement » de l'espace vert, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, par fausse application ;

2°/ que seule caractérise une ingérence disproportionnée dans le droit de propriété l'obligation faite à un propriétaire de céder un bien à une personne publique sans que celui-ci soit affecté au but d'intérêt général qui avait justifié la cession ; que la cour d'appel a elle-même constaté que le terrain litigieux avait été aménagé à usage de jardin d'enfants de 2002 à 2008 ; qu'en retenant que les consorts [I] et [G], régulièrement indemnisés en 1983 par le juge de l'expropriation, avaient subi une ingérence injustifiée dans leur droit de propriété, la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs impropres à établir que la commune ne poursuivait pas, en 1983, un but d'intérêt général et n'y avait pas satisfait par la suite, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

14. Dans son arrêt du 18 avril 2019, la Cour de cassation a jugé qu'un auteur de Mme [U] ayant, sur le fondement du droit de délaissement et moyennant un prix de 800 000 francs (121 959,21 euros), cédé à la commune son bien, qui faisait alors l'objet d'une réserve destinée à l'implantation d'espaces verts, et que la commune, sans maintenir l'affectation du bien à la mission d'intérêt général ayant justifié sa mise en réserve, avait modifié les règles d'urbanisme avant de revendre le terrain, qu'elle avait rendu constructible, à une personne privée, moyennant un prix de 5 320 000 euros, il en résultait que, en dépit du très long délai séparant les deux actes, la privation de toute indemnisation portait une atteinte excessive au droit au respect des biens de Mme [U] au regard du but légitime poursuivi, de sorte qu'en rejetant la demande de dommages-intérêts formée par celle-ci, la cour d'appel avait violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

15. Dès lors que la Cour de cassation a opéré elle-même un contrôle de proportionnalité, le moyen, qui tend à remettre en cause le contrôle de proportionnalité surabondamment exercé par la cour d'appel de renvoi, est inopérant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Renard - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1, alinéa 1, de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ; article L. 123-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige ; article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 13 mai 1987, pourvoi n° 85-70.336, Bull. 1987, III, n° 101 (cassation).

3e Civ., 17 juin 2021, n° 20-12.844, (B)

Rejet

Application dans le temps – Bail commercial – Dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 novembre 2019), le 12 juillet 2000, la SCI Société pour l'Equipement Commercial du Val d'Europe (la SCI), propriétaire d'un local situé dans un centre commercial donné à bail à la société Val d'Europe Food, lui a signifié un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014.

2. La société Val d'Europe Food a accepté le principe du renouvellement du bail, mais a contesté le montant du loyer proposé.

3. La bailleresse a assigné la locataire en fixation judiciaire du loyer minimum garanti.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Val d'Europe Food fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir qu'elle a soulevée tenant au non respect de l'obligation faite par l'article 35 du contrat de bail de rechercher une solution amiable préalable, alors « que pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par la société Val d'Europe food, l'arrêt retient que l'article 35 des conditions générales du bail ne fait pas obligation aux parties de rechercher une solution amiable à leur différend avant de saisir le juge, cette stipulation se bornant à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l'absence d'accord amiable entre les parties ; qu'il ressortait pourtant de cette clause, claire et précise, que les parties avaient convenu, d'une part, que le montant du loyer de base du bail renouvelé devait être fixé d'un commun accord entre elles et, d'autre part, que ce ne serait qu'à défaut d'accord amiable que la fixation du loyer de base en fonction de la valeur locative pourrait échoir au juge compétent ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a retenu, sans dénaturation, que l'article 35 du bail commercial, selon lequel « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d'un commun accord entre elles » et « à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative », se borne à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l'absence d'accord amiable entre les parties, sans instaurer une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

8. La société Val d'Europe Food fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, alors « que les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de l'article 6 du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 relatif au bail commercial, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication du dudit décret, intervenu le 5 novembre 2014 ; que pour débouter la société Val d'Europe food de sa demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, l'arrêt retient que les dispositions dont se prévaut la société Val d'Europe food ne s'appliquent pas à la date de signature du bail renouvelé ou à la date de fixation définitive du loyer, mais à la date de la prise d'effet du contrat renouvelé, en ce compris la date de prise d'effet du loyer du bail renouvelé, de sorte qu'elles n'ont pas vocation à s'appliquer en l'espèce, le bail étant renouvelé à compter du 1er avril 2014 et le loyer prenant effet à cette date ; qu'en statuant ainsi, quand le contrat de bail ne pouvait être tenu pour renouvelé avant que son loyer ait été déterminé, la cour d'appel a violé l'article 8 du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 relatif au bail commercial. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article 8, alinéa 2, du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014, les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de l'article 6 du décret précité, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication du décret, soit le 5 novembre 2014.

10. Un contrat est renouvelé à la date d'effet du bail renouvelé.

11. Ayant constaté que le contrat de bail avait été renouvelé à compter du 1er avril 2014, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à l'article L. 145-40-2 du code de commerce devait être rejetée

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 8 du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 ; articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de l'article 6 du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014.

2e Civ., 3 juin 2021, n° 19-25.571, (P)

Rejet

Application dans le temps – Loi de forme ou de procédure – Application immédiate – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 octobre 2019), M. [W], salarié de la société de travail intérimaire LMI BTP et manutention, devenue la société LMI multi-services (l'employeur), a déclaré avoir été victime d'un accident qui a été pris en charge au titre de la législation professionnelle, après enquête, par décision de la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 1] du 11 février 2013.

2. L'employeur a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de lui déclarer opposable la décision de prise en charge des conséquences financières de l'accident subi par son salarié, alors :

« 1°/ qu'en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés ; que la décision de prise en charge d'un accident est inopposable à l'employeur lorsque la caisse, qui a estimé nécessaire de procéder à une mesure d'instruction, a envoyé un questionnaire au salarié, mais qu'elle n'a pas procédé à cet envoi auprès de l'employeur ; qu'en retenant, pour dire la décision de prise en charge opposable à la société Lmi, qu'en l'absence de réserves motivées de l'employeur, la CPAM n'était pas tenue d'adresser à l'employeur un questionnaire portant sur les circonstances ou les causes de l'accident quand, peu important l'existence ou non des réserves, dès lors qu'elle avait procédé à une enquête et envoyé un questionnaire au salarié et non à l'employeur, la décision de la CPAM était inopposable à l'employeur, la cour d'appel a violé l'article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 ;

2°/ que les principes du contradictoire et d'égalité des armes, ainsi que le principe de loyauté qui s'impose aux organismes de sécurité sociale, impliquent que la caisse de sécurité sociale, qui procède à une enquête à la suite d'une déclaration d'accident du travail, doit mettre en mesure le salarié et l'employeur de répondre dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités aux questions posées ; qu'en retenant néanmoins que le contradictoire avait été respecté par la CPAM du [Localité 1] au cours de l'enquête dès lors que, si le salarié avait reçu un questionnaire précis et que ce n'était pas le cas de l'employeur, ce dernier avait été interrogé par la caisse par téléphone, la cour d'appel a violé l'article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. D'une part, les modalités d'instruction par les services d'un organisme social d'une demande de prise en charge d'un accident ou d'une maladie au titre de la législation professionnelle ne sont pas comprises dans le champ d'application des stipulations de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le moyen est dès lors, sur ce point, inopérant.

5. D'autre part, il résulte de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable au litige, qu'en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés, selon des modalités qui peuvent être distinctes entre eux.

6. Ayant constaté que la caisse avait adressé un questionnaire à la victime et procédé à un entretien téléphonique avec l'un des préposés de l'employeur, l'arrêt relève qu'il ressortait de l'enquête administrative que cet entretien avait permis de recueillir des éléments d'information complets et pertinents. Il en déduit que la caisse a loyalement respecté le principe du contradictoire en enquêtant auprès de l'employeur et de la victime selon les modalités qu'il lui appartenait de fixer.

7. Par ces constatations et appréciations, c'est à bon droit que la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, a retenu que la demande de prise en charge avait été régulièrement instruite à l'égard de l'employeur.

8. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

La société fait grief à l'arrêt de la condamner aux dépens de l'instance, alors :

« 1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, observer lui-même le principe de la contradiction ; que si, dans les procédures orales, les moyens soulevés d'office sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été débattus contradictoirement à l'audience, cette preuve peut résulter de ce que l'arrêt constate que les parties ont développé à l'audience leurs observations écrites lorsque celles-ci ne font pas état de tels moyens ; que dans ses conclusions écrites, développées oralement à l'audience la CPAM du [Localité 1] se bornait à solliciter la confirmation du jugement sans solliciter de condamnation aux dépens (arrêt p. 3, alinéas 2 et 3) et n'invoquaient pas l'abrogation des dispositions de l'article R. 144-du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale ? aux termes desquelles la procédure devant les juridictions de sécurité sociale est gratuite, qu'en retenant d'office, sans inviter les parties à présenter leurs observations, qu'au regard de l'abrogation des dispositions de l'article R. 144-10, abrogation applicable aux instances en cours en application de l'article 17, III, du décret du 29 octobre 2018, il convenait de condamner la société LMI aux dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que les principes de sécurité juridique et de prévisibilité de la règle de droit, composants du droit à un procès équitable, impliquent notamment que le justiciable soit à même de prévoir à un degré raisonnable les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé ; que si l'exercice du pouvoir réglementaire implique, pour son détenteur, la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante, c'est sous réserve du respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs, qui exclut que les nouvelles dispositions s'appliquent à des situations juridiquement constituées avant l'entrée en vigueur de ces dispositions ; que l'article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, prévoyant l'application immédiate aux instances en cours des dispositions de procédure, méconnaît ces principes en ce qu'il implique l'abrogation des dispositions de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale prévoyant la gratuité de la procédure suivie devant les juridictions de sécurité sociale et l'application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile prévoyant la condamnation de la partie perdante aux dépens, y compris aux instances engagées par des actes antérieurs à l'entrée en vigueur du décret ; qu'en faisant dès lors application immédiate des dispositions de l'article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 pour condamner la société LMI aux dépens, en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, de l'instance d'appel engagée par acte du 29 mai 2018, antérieurement à l'entrée en vigueur du décret susvisé, la cour d'appel a violé les principes susvisés ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, en application de l'article 2 du code civil et de l'article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, les dispositions de ce texte abrogeant l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale sont d'application immédiate aux instances en cours et ne contreviennent pas au principe de non-rétroactivité des actes réglementaires.

En outre, l'application immédiate de l'article 696 du code de procédure, en raison de cette même abrogation, n'a pas pour effet de restreindre, de manière disproportionnée, au regard des objectifs de bonne administration de la justice et de bon emploi des deniers public poursuivi par le décret susvisé, le droit des requérants à un procès équitable et ne porte ainsi atteinte ni au droit d'accès effectif au juge ni au principe de sécurité juridique.

10. En second lieu, tenu de statuer sur les dépens, le juge doit, en application de l'article 696 du code de procédure civile, même en l'absence de toute demande des parties et sauf décision motivée de sa part, condamner la partie perdante aux dépens. C'est ainsi sans manquer au principe de la contradiction que la cour d'appel a mis les dépens à la charge de la société.

11. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Gauthier - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009 ; article 2 du code civil ; article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ; article 696 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 6 juillet 2017, pourvoi n° 16-18.774, Bull. 2017, II, n° 162 (rejet), et l'arrêt cité.

3e Civ., 30 juin 2021, n° 19-23.038, (B)

Cassation partielle

Application immédiate – Application aux contrats en cours – Cas – Clause d'indexation excluant la réciprocité de la variation – Clause réputée non écrite – Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 9 juillet 2019), la société Reims Talleyrand a donné à bail à la société HSBC France des locaux à usage commercial à compter du 1er mai 2009.

2. Le contrat comporte une clause d'indexation annuelle stipulant que l'indexation ne s'appliquera qu'en cas de variation de l'indice à la hausse.

3. Le 23 septembre 2016, la société HSBC France a assigné la société Reims Talleyrand aux fins de voir déclarer la clause d'indexation réputée non écrite et de la voir condamner à lui restituer la somme de 96 379,31 euros sur le fondement de la répétition de l'indu pour la période s'étendant du premier trimestre 2011 au deuxième trimestre 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Reims Talleyrand fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action engagée par la société HSBC France tendant à voir déclarer la clause d'indexation réputée non écrite, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'il en va ainsi de l'action tendant à voir réputée une clause non écrite, qui se prescrit par cinq ans à compter du jour de la conclusion du contrat ; qu'en jugeant imprescriptible une telle action, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. L'article L. 145-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, qui a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de cette loi (3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, publié).

6. L'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail commercial n'est pas soumise à prescription (même arrêt).

7. Aux termes de l'article L. 145-39 du code de commerce, dans sa rédaction applicable, par dérogation à l'article L. 145-38, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.

8. D'une part, le propre d'une clause d'échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse, de sorte que la clause figurant au bail et écartant toute réciprocité de variation, si elle ne crée pas la distorsion prohibée par l'article L. 112-1 du code monétaire et financier, fausse le jeu normal de l'indexation (3e Civ., 14 janvier 2016, pourvoi n° 14-24.681, Bull. 2016, III, n° 7).

9. D'autre part, la neutralisation des années de baisse de l'indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d'atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, tel qu'il résulterait de l'évolution réelle de l'indice.

10. La cour d'appel a relevé que la clause d'indexation excluait, dans son deuxième alinéa, toute réciprocité de la variation en prévoyant que l'indexation ne s'effectuerait que dans l'hypothèse d'une variation à la hausse de l'indice.

11. Il s'ensuit que cette stipulation, qui a pour effet de faire échec au mécanisme de révision légale prévu par l'article L. 145-39 du code de commerce, doit être réputée non écrite, de sorte que l'action intentée par la société HSBC France n'est enfermée dans aucun délai de prescription.

12. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux justement critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

13. La société Reims Talleyrand fait grief à l'arrêt de déclarer non écrite dans son ensemble la clause d'indexation intitulée « Article 6 : Indexation » contenue dans le bail et, en conséquence, de la condamner à restituer à la preneuse une somme au titre des loyers indûment versés du 23 septembre 2011 jusqu'au deuxième trimestre 2016, alors « que l'obligation est indivisible si elle a pour objet un fait ou une chose qui, dans l'exécution, n'est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle ; que la clause litigieuse, qui prévoit l'indexation du loyer et du dépôt de garantie chaque année à la date anniversaire de la prise d'effet du bail, suivant la variation de l'indice Insee du 3ème trimestre de chaque année, l'indice de base étant celui du 3ème trimestre 2008 et l'augmentation étant limitée à 3 % par an les trois premières années, peut être exécutée que la variation soit à la hausse ou à la baisse, et donc divisément de la stipulation selon laquelle l'indexation ne s'effectuera que dans l'hypothèse d'une variation à la hausse de l'indice ; qu'en affirmant cependant que la clause d'indexation est indivisible, sans caractériser cette indivisibilité par aucun motif, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1217 ancien du code civil, ensemble l'article L. 112-1 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1217 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

14. Aux termes de ce texte, l'obligation est divisible ou indivisible selon qu'elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l'exécution, est ou n'est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle.

15. Pour réputer non écrite la clause en son entier, l'arrêt retient que seule la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 6 du contrat de bail contrevient aux dispositions légales, que cependant l'alinéa 3 de la clause relative à la limitation de l'augmentation ne s'explique qu'au vu de l'absence de réciprocité de la variation, que, pour autant, il n'y a pas lieu de réputer non écrit également cet alinéa car la limitation qu'il prévoit n'est nullement prohibée et qu'il en résulte que la clause d'indexation est indivisible.

16. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'indivisibilité, alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare non écrite dans son ensemble la clause d'indexation et condamne en conséquence la société Reims Talleyrand à payer à la société HSBC France la somme de 94 873,48 euros au titre des loyers indûment versés pour la période du 23 septembre 2011 au second trimestre 2016 outre intérêts au taux légal, l'arrêt rendu le 9 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. David - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles L. 145-15, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 et L. 145-39 du code de commerce ; article 1217 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 14 janvier 2016, pourvoi n° 14-24.681, Bull. 2016, III, n° 7 (rejet) ; 3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, Bull. 2020, (rejet). 3e Civ., 29 novembre 2018, pourvoi n° 17-23.058, Bull. 2018, (cassation partielle).

3e Civ., 3 juin 2021, n° 20-12.353, (P)

Rejet

Loi – Loi interprétative – Exclusion – Cas

Non-rétroactivité – Habitation à loyer modéré – Bail – Prix – Supplément de loyer – Domaine d'application – Bail en cours à la signature de la convention entre l'Etat et les sociétés d'HLM – Option du preneur – Bénéfice

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 novembre 2019), le 26 décembre 2013, la société Vilogia a acquis un immeuble au sein duquel M. et Mme [R] étaient locataires en vertu d'un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989.

2. Le 6 juin 2014, elle a conclu une convention avec l'Etat en application de l'article L. 351-2 du code de la construction et de l'habitation.

3. M. et Mme [R] ayant refusé de s'acquitter d'un supplément de loyer de solidarité notifié courant 2015, la société Vilogia les a assignés en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. M. et Mme [R] font grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors :

« 1°/ que la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que l'article L. 441-3 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018, s'applique à la demande en paiement d'un supplément de loyer de solidarité, qui ne peut être réclamé, suivant le dernier alinéa de cet article, aux locataires (titulaires d'un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989, repris par un organisme d'habitation à loyer modéré) n'ayant pas conclu un nouveau bail (soumis au régime du bail conventionné) en application de l'article L. 353-7 du même code ; qu'en énonçant cependant que la loi du 23 novembre 2018 ne saurait s'appliquer aux époux [R] avant son entrée en vigueur, pour décider que la société bailleresse pouvait leur réclamer un supplément de loyer de solidarité jusqu'au 25 novembre 2018, tout en relevant que la conclusion d'un nouveau bail ne leur avait pas été proposée, la cour d'appel, qui a refusé de soumettre les effets légaux de leur bail d'habitation originaire à la loi nouvelle, a violé l'article L. 441-3 in fine du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018, ensemble l'article 2 du code civil ;

2°/ que l'article L. 441-3 in fine du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018, prévoyant qu'il n'est pas applicable aux locataires ayant refusé de conclure un nouveau bail en application de l'article L. 353-7 du même code, présente un caractère interprétatif, en ce qu'il restaure l'option du titulaire d'un bail d'habitation repris par un organisme d'habitation à loyer modéré, entre le maintien de la soumission de son bail au régime de la loi du 6 juillet 1989, exclusif du paiement d'un supplément de loyer de solidarité, et la soumission du bail au régime du bail conventionné, impliquant un tel paiement (concomitamment aux avantages de ce régime), option que la jurisprudence de la Cour de cassation avait paralysée ; qu'en refusant de faire application de la disposition nouvelle, au prétexte de la non-rétroactivité de la loi nouvelle, la cour d'appel, qui a méconnu son caractère interprétatif, a violé l'article L. 441-3 in fine du code de la construction et de l'habitation, ensemble l'article 2 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. D'une part, la loi nouvelle, ne disposant que pour l'avenir, ne peut modifier les effets légaux d'une situation juridique définitivement réalisée lors de son entrée en vigueur.

7. D'autre part, les nouvelles dispositions de l'article L. 441-3 du code de la construction et de l'habitation, issues de la loi du 23 novembre 2018, combinées avec celles de l'article L. 353-16 du même code, ont pour objet d'instaurer, au profit des locataires titulaires d'un bail en cours de validité lors de la signature d'une convention avec l'Etat par un organisme d'habitations à loyer modéré, une option leur permettant soit de conserver leur ancien bail soit de conclure un nouveau bail conforme aux stipulations de la convention.

8. Il résulte des termes de la loi du 23 novembre 2018 et des travaux parlementaires que cette disposition est dépourvue de caractère interprétatif justifiant une application rétroactive.

9. La cour d'appel a exactement retenu que les dispositions des articles L. 353-16 et L. 441-3 du code de la construction et de l'habitation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 novembre 2018, lesquelles dérogeaient à celles de l'article L. 353-7 du même code, s'appliquaient au logement occupé par M. et Mme [R] dès la signature de la convention du 6 juin 2014, de sorte que la société Vilogia n'était pas tenue de leur proposer un nouveau bail.

10. Elle a déduit, à bon droit, de ces motifs, dont il résultait que les effets légaux de cette convention étaient définitivement acquis lors de l'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, que la société Vilogia avait pu valablement notifier dès 2015 un supplément de loyer de solidarité à M. et Mme [R].

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Schmitt - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Articles L. 441-3 et L 353-16 du code de la construction et de l'habitation.

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