Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

IMPOTS ET TAXES

Com., 23 juin 2021, n° 19-16.680, (B)

Rejet

Enregistrement – Droits de mutation – Mutation à titre gratuit – Exonération – Exonération partielle – Invalidité du redevable – Impossibilité de se livrer à une activité normalement rentable – Nécessité

Selon l'article 294 de l'annexe II du code général des impôts, le légataire qui revendique l'abattement institué, en matière de droits de mutation à titre gratuit, par l'article 779, II, du même code en faveur des personnes handicapées doit justifier que son infirmité l'empêche de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle. Il en résulte que, pour bénéficier dudit abattement, le redevable doit prouver le lien de causalité entre sa situation de handicap et le fait que son activité professionnelle a été limitée et son avancement retardé ou bloqué.

Enregistrement – Droits de mutation – Mutation à titre gratuit – Exonération – Exonération partielle – Invalidité du redevable – Lien de causalité – Preuve – Nécessité

Enregistrement – Droits de mutation – Mutation à titre gratuit – Abattement – Conditions – Handicap – Preuve – Présomption d'imputabilité de la situation professionnelle au handicap (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 mars 2019), M. [I], légataire de sa soeur, [V] [I], décédée le [Date décès 1] 2010, a, pour la détermination des droits de succession dont il était redevable, fait application de l'abattement prévu par l'article 779, II, du code général des impôts en faveur des personnes handicapées.

L'administration fiscale ayant remis en cause cet abattement, M. [I] l'a assignée en décharge du rappel de droits mis en recouvrement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [I] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes d'annulation de la décision implicite de rejet de sa réclamation contentieuse formée le 10 février 2014, d'annulation de l'avis de mise en recouvrement n° 3926 du 7 juin 2013 et de remboursement de la somme de 88 821 euros, alors :

« 1°/ que le redevable, atteint d'un handicap, dont l'activité professionnelle a été limitée et dont l'avancement a été bloqué, est présumé avoir été empêché, par son infirmité, de travailler dans des conditions normales de rentabilité, au sens de l'article 779, II, du code général des impôts ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que M. [I] était atteint depuis l'enfance d'un handicap, qu'il avait été limité dans ses choix professionnels et qu'il était demeuré, pendant vingt-six ans, au même poste, au sein de la même entreprise, la cour d'appel a retenu qu'aucun élément du dossier ne venait établir que le blocage de carrière dont le redevable se plaignait et l'impossibilité de poursuivre ses études supérieures soient en lien avec son handicap, de sorte qu'il ne pouvait prétendre bénéficier de l'abattement sollicité ; qu'en statuant de la sorte, cependant que le lien de causalité entre la situation de handicap de M. [I] et les limites et blocages professionnels qu'il démontrait avoir rencontrés, était présumé, la cour d'appel a violé l'article 779, II, du code général des impôts ;

2°/ qu'en tout état de cause, le redevable atteint d'une infirmité peut bénéficier de l'abattement prévu par les dispositions de l'article 779, II, du code général des impôts s'il établit, alors même qu'il a pu exercer une activité professionnelle, que son handicap l'a empêché d'évoluer dans des conditions normales de rentabilité ; qu'en se bornant à relever que l'énucléation de l'oeil gauche subie par M. [I] ne l'avait pas empêché d'exercer une activité professionnelle requérant des aptitudes visuelles, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée, si, au-delà de la seule infirmité à l'oeil dont l'intéressé était atteint, les autres troubles consécutifs dont il était affecté, constatés par son certificat d'invalidité, n'avaient pas limité son activité professionnelle et nui à l'évolution normale de sa carrière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »

Réponse de la Cour

3. D'une part, selon l'article 294 de l'annexe II du code général des impôts, le légataire qui revendique l'abattement institué en matière de droits de mutation à titre gratuit par l'article 779, II, du même code en faveur des personnes handicapées doit justifier que son infirmité l'empêche de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle. Il en résulte que, pour bénéficier dudit abattement, le redevable doit prouver le lien de causalité entre sa situation de handicap et le fait que son activité professionnelle a été limitée et son avancement retardé ou bloqué.

La première branche, qui postule le contraire, manque en droit.

4. D'autre part, après avoir constaté que la situation de handicap de M. [I] n'était pas discutée, l'arrêt relève que ce dernier justifie d'une carrière stable d'une durée de vingt-six années, comme dessinateur, au sein de la même entreprise, cependant qu'il n'apporte aucun élément établissant qu'il aurait été dans l'impossibilité de poursuivre des études supérieures ou aurait subi une limitation de son activité professionnelle ou un blocage de son avancement en lien avec son état de santé. Il relève encore que M. [I], qui a bénéficié d'un plan de départ en retraite à l'âge de cinquante-cinq ans, plan qui était propre à l'entreprise et dont il n'a pas communiqué les conditions financières, n'apporte pas la preuve de ce qu'un tel départ, qui, selon lui, aurait nécessairement été anticipé du fait de son infirmité, aurait eu un impact négatif sur ses revenus. Il relève enfin que, si M. [I] n'a pu, en raison de son handicap, embrasser une carrière dans la marine nationale, il ne démontre pas qu'une telle carrière lui aurait offert des perspectives économiques plus favorables durant sa vie active et sa retraite.

Par ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que M. [I] ne démontrait pas que son activité professionnelle ne s'était pas déroulée dans des conditions normales de rentabilité et qu'il ne pouvait, dès lors, bénéficier de l'abattement prévu par l'article 779, II, du code général des impôts, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche, inopérante, invoquée par la seconde branche, a légalement justifié sa décision.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Tostain - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 294 de l'annexe II du code général des impôts ; article 779, II, du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Sur la charge de la preuve incombant à celui qui demande l'application du régime de faveur, à rapprocher : Com., 24 novembre 1983, pourvoi n° 82-12.267, Bull. 1983, IV, n° 325 (cassation).

Com., 9 juin 2021, n° 18-17.773, (P)

Cassation

Enregistrement – Droits de mutation – Mutation à titre onéreux d'immeubles – Exonération – Achat en vue de la revente – Marchands de biens – Revente par lots – Volume

Il résulte de l'article Lp 279 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction issue de la loi du pays n° 2007-1 du 9 janvier 2007, qu'à défaut de revente dans le délai de quatre ans, l'acquéreur d'un bien immobilier qui s'est placé sous le régime de faveur des marchands de biens, promoteurs et lotisseurs afin de bénéficier d'un taux d'imposition aux droits d'enregistrement proportionnels réduit à 1 %, est tenu d'acquitter le complément de droits exigible, calculé au taux de droit commun, augmenté d'un droit supplémentaire de 1 %.

Viole ces dispositions, ainsi que celles des articles 552 et 553 du code civil applicable à la Nouvelle-Calédonie, la cour d'appel qui retient qu'une société qui s'est placée sous ce régime de faveur pour acquérir un terrain, qu'elle divise en lots-volume à construire, remplit son engagement de revente en cédant ces lots-volume dans le délai de quatre ans, alors qu'elle avait constaté que les volumes mentionnés dans l'état descriptif de division portaient sur des espaces correspondant à des immeubles à construire délimités en tréfonds et en hauteur, ne comportant pas de parties communes indivises, ce dont il résultait que les cessions de ces volumes ne comprenaient pas le terrain d'assiette, qui demeurait la propriété de la société, de même que, le cas échéant, les espaces non compris dans les lots de volume cédés.

Intervention

1. Il est donné acte à la Selarl Mary Laure Gastaud, désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la société René Coty par un jugement du tribunal de commerce de Nouméa du 3 février 2020, de son intervention volontaire.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 1er mars 2018), par actes du 20 novembre 2007, la société René Coty a acquis deux terrains en se plaçant sous le régime de faveur des marchands de biens, promoteurs et lotisseurs, prévu aux articles Lp. 276 à Lp. 280 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie. Pour bénéficier d'un taux d'imposition aux droits d'enregistrement proportionnels réduit à 1 %, elle s'est engagée à revendre les biens dans un délai maximal de quatre ans.

Par acte authentique du 2 mars 2010, elle a fait établir un état descriptif de division des deux lots en trois lots-volume de construction à usage d'habitation et d'emplacement de stationnement, et a ensuite cédé deux de ces lots-volume à des sociétés civiles immobilières, par actes des 9 avril et 21 mai 2010.

3. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale, considérant que la société René Coty n'avait pas respecté ses engagements de revente dans le délai imparti dès lors qu'aucune quote-part indivise de la propriété du sol n'avait été attribuée aux lots-volume créés puis cédés, lui a adressé deux propositions de rectification, portant rappels de droits calculés sur la totalité de la valeur des lots acquis.

4. Après rejet de sa réclamation contentieuse, la société René Coty a assigné le gouvernement de Nouvelle-Calédonie en annulation de la décision de rejet et décharge des rappels de droits mis à sa charge.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie fait grief à l'arrêt d'annuler les redressements notifiés à la société René Coty et de le condamner à payer à cette dernière la somme de 11 829 999 francs CFP, alors « que le lot-volume confère à son propriétaire un droit de superficie, constitutif d'un droit de propriété de nature immobilière, qui est détaché du sol et n'inclut donc pas le terrain sur ou sous lequel les constructions peuvent être édifiées ; qu'en retenant que la vente des lots litigieux avait emporté transfert du foncier, après avoir relevé qu'étaient en cause des lots de volume et que le volume immobilier était un droit de superficie détaché du sol, ce dont il résultait que les lots ne pouvaient inclure le terrain d'assiette, la cour d'appel qui s'est fondée sur des considérations inopérantes relatives à l'existence de volumes en sous-sol dans les lots, à la situation des lots dans un ensemble immobilier comprenant le terrain et les constructions à y édifier, à la compatibilité d'une cession du terrain d'assiette en dépit de l'absence de parties communes et à l'individualisation en tréfonds et dans l'espace de volumes constituant des propriétés distinctes, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les articles 552 et 553 du code civil, ensemble les articles Lp 276, Lp 278 et Lp 279 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie. »

Réponse de la Cour

Vu l'article Lp 279 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction issue de la loi du pays n° 2007-1 du 9 janvier 2007, et les articles 552 et 553 du code civil applicable à la Nouvelle-Calédonie :

6. Il résulte du premier de ces textes qu'à défaut de revente dans le délai de quatre ans, l'acquéreur d'un bien immobilier qui s'est placé sous le régime de faveur des marchands de biens, promoteurs et lotisseurs afin de bénéficier d'un taux d'imposition aux droits d'enregistrement proportionnels réduit à 1 %, est tenu d'acquitter le complément de droits exigible, calculé au taux de droit commun, augmenté d'un droit supplémentaire de 1 %.

7. Pour retenir que les rectifications ont été opérées à tort par l'administration fiscale, l'arrêt énonce qu'il résulte des dispositions de l'article 553 du code civil applicable à la Nouvelle-Calédonie que le volume immobilier est une des formes du droit de superficie, détachée du sol, et retient que la vente de chacun des lots litigieux a eu pour objet, à partir de l'assiette parcellaire du terrain, d'individualiser, en tréfonds et dans l'espace, des volumes constituant autant de propriétés distinctes emportant transfert du foncier, de sorte que la société René Coty a respecté son engagement de revendre les biens acquis sous le régime de faveur des marchands de biens, promoteurs et lotisseurs dans le délai de quatre ans.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les volumes mentionnés dans l'état descriptif de division établi le 2 mars 2010 portaient sur des espaces correspondant à des immeubles à construire, déterminés en altimétrie par référence à des plans cotés, ne comportant pas de parties communes indivises, et que les deux actes de vente litigieux portaient chacun sur un lot-volume de construction à usage d'habitation et d'emplacement de stationnement avec le droit d'y réaliser toute construction composée de deux corps de bâtiments élevés de deux étages sur rez-de-chaussée et de deux sous-sols, ce dont il résultait que les cessions des volumes à construire ne comprenaient pas le terrain d'assiette, qui demeurait la propriété de la société René Coty, de même que, le cas échéant, les espaces non compris dans les lots de volume constitués en tréfonds et en hauteur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Lion - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot ; SAS Cabinet Colin - Stoclet ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Article Lp 279 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction issue de la loi du pays n° 2007-1 du 9 janvier 2007 ; articles 552 et 553 du code civil applicable à la Nouvelle-Calédonie.

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