Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

EFFET DE COMMERCE

Com., 16 juin 2021, n° 19-20.175, (B)

Cassation

Lettre de change – Perte – Action en paiement – Titre supplétif – Ordonnance sur requête – Conditions – Absence de rétractation

Il résulte de l'article L. 511-34 du code de commerce que, si celui qui a perdu la lettre de change, qu'elle soit acceptée ou non, ne peut représenter toute suivante, il peut demander le paiement de la lettre de change perdue et l'obtenir par l'ordonnance du juge en justifiant de sa propriété par ses livres et en donnant caution.

La décision rendue sur le fondement de ce texte se substitue à la lettre de change perdue et permet à son porteur de la présenter au paiement, le tiré pouvant refuser de payer dans les mêmes conditions que s'il s'agissait de la lettre de change. Cette décision peut être une ordonnance sur requête laquelle constitue le titre supplétif, tant qu'elle n'est pas rétractée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 13 mai 2019), la société Yachting France production a cédé à la société Banque Pouyanne (la banque), auprès de laquelle elle détenait un compte courant professionnel, divers effets de commerce, dont une lettre de change relevé magnétique tirée sur la société BLS location pour un montant de 100 619,48 euros, à échéance du 30 juin 2013.

2. Faisant valoir que l'exemplaire papier de la lettre de change avait été perdu, la banque a saisi, sur le fondement de l'article L. 511-34 du code de commerce, le président d'un tribunal de commerce, lequel, par une ordonnance du 25 février 2015, a ordonné la délivrance d'un nouvel effet, décision qu'il a rétractée par une ordonnance du 19 juin 2015. Cette dernière ordonnance a été infirmée par un arrêt du 25 février 2016 disant n'y avoir lieu à rétractation.

3. Le 19 mai 2017, la banque a assigné la société BLS location en paiement de la lettre de change.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. La société Banque Pouyanne fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :

« 1°/ qu'en cas de perte d'une lettre de change, le bénéficiaire de cette lettre peut, dans les conditions prévues à l'article L. 511-34 du code de commerce, solliciter du président du tribunal de commerce la délivrance d'une ordonnance supplétive se substituant en tant qu'instrumentum à l'exemplaire égaré et valant titre ; que cette ordonnance, une fois rejeté le recours en rétractation exercé par le débiteur tiré, constitue un titre opposable à ce dernier constatant l'existence d'une lettre de change et permettant au porteur d'agir contre le débiteur tiré ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que du fait de la perte de la lettre de change que la société Yachting France production avait escomptée à son bénéfice, la société Banque Pouyanne avait obtenu du président du tribunal de commerce de Limoges la délivrance d'une ordonnance supplétive, qui était devenue définitive après le rejet du recours en rétractation exercé à son encontre par la société BLS Location, débiteur tiré ; qu'en jugeant que la société Banque Pouyanne ne justifiait pas de l'existence même d'une lettre de change lui permettant d'agir à l'encontre de la société BLS Location et qu'elle ne pouvait à cet effet se prévaloir de l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges au motif inopérant que cette décision était dépourvue de l'autorité de la chose jugée au principal, quand l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce, qui était devenue définitive suite à l'expiration des voies de recours ouvertes à son encontre, constituait un titre opposable au débiteur tiré, la cour d'appel a violé l'article L. 511-34 du code de commerce ;

2°/ que la voie de recours ouverte aux tiers intéressés à l'encontre des décisions rendues sur requête par le président du tribunal de commerce est le recours-rétractation de l'article 496 du code de procédure civile, lequel doit être porté devant le juge ayant rendu l'ordonnance contestée, saisi comme en matière des référés ; que l'ordonnance rendue à l'issue d'un tel recours, de même que l'arrêt rendu sur appel de cette décision, ont autorité de la chose jugé relativement aux contestations qu'ils tranchent, conformément à l'article 492-1 du code de procédure civile ; qu'il résultait en l'espèce de l'ordonnance du 19 juin 2015, rendue sur le recours exercé par la société BLS location à l'encontre de l'ordonnance délivrée le 25 février 2015 par le président du tribunal de commerce de Limoges, que le président du tribunal de commerce, statuant comme en matière de référé, avait précisément été saisi d'un recours tendant à la « rétractation » de ladite ordonnance ; que cette « rétractation » avait en outre été ordonnée au visa des articles 493 et suivants du code de commerce, avant que cette décision ne soit infirmée par la cour d'appel de Limoges par un arrêt du 25 février 2016 ayant définitivement rejeté la demande de rétractation formée par la société BLS location ; qu'en jugeant que dans ces décisions, le président du tribunal de commerce, et par suite la cour d'appel de Limoges n'avaient pas statué comme en matière de référé et que ces décisions étaient par conséquent dépourvues de toute autorité de chose jugée quant à l'existence même d'une lettre de change émise au bénéfice de la société Banque Pouyanne, la cour d'appel a dénaturé l'ordonnance du 19 juin 2015 rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges ainsi que l'arrêt du 25 février 2016 rendu par la cour d'appel de Limoges, méconnaissant ainsi le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 511-34 du code de commerce :

5. L'ordonnance du juge accueillant, en cas de perte d'une lettre de change, la demande formée sur le fondement de ce texte a pour objet de se substituer au titre égaré et de permettre à celui qui l'a obtenue de la présenter au paiement, le tiré pouvant refuser de payer dans les mêmes conditions que s'il s'agissait de la lettre de change. Cette ordonnance peut être une ordonnance sur requête, laquelle, tant qu'elle n'est pas rétractée, constitue le titre supplétif remplaçant l'effet perdu.

6. Pour confirmer le jugement qui constatait que les conditions de l'article L. 511-34 du code de commerce n'étaient pas satisfaites et rejeter la demande de la banque, l'arrêt retient que l'arrêt rendu le 25 février 2016 disant n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 25 février 2015 a été rendu en référé et qu'il n'est pas assorti de l'autorité de chose jugée relativement à l'existence de la lettre de change, qu'il appartient donc à la banque d'établir.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « que si dans le courrier du 13 janvier 2014 qu'elle avait adressé au liquidateur de la société Yachting France production, la société BLS location avait reproché à la société Yachting France production une absence de livraison de certains bateaux, celle-ci n'avait aucunement contesté la livraison des bateaux à l'origine des créances cédées à la société Banque Pouyanne ; qu'à l'égard de ces navires, la société BLS location se bornait à faire état de menues « non-conformités » qu'elle aurait prétendument constatées sur certains navires ; qu'en jugeant que la société Banque Pouyanne avait contesté l'existence même de la livraison intervenue par un courrier du 13 janvier 2014, la cour d'appel a dénaturé ce courrier et méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

9. Pour rejeter la demande de la banque, l'arrêt relève encore qu'elle se prévaut d'une facture datée du 5 juin 2013 concernant la livraison de dix bateaux, que la société BLS location a contestée par lettre adressée le 13 janvier 2014 au mandataire liquidateur du tireur et qu'aucune des pièces versées aux débats n'établit, de sorte que la créance alléguée n'est pas démontrée.

10. En statuant ainsi, alors que, dans sa lettre du 13 janvier 2014, la société BLS location se bornait, relativement à la facture du 5 juin 2013, à se plaindre de défauts de conformité de sept bateaux sans contester la livraison, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Boutié - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article L. 511-34 du code de commerce.

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