Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

2e Civ., 3 juin 2021, n° 20-10.687, (P)

Rejet

Article 14 – Interdiction de discrimination – Compatibilité – Attribution d'indemnités journalières à un assuré séjournant hors de France – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 novembre 2019), la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 1] (la caisse) ayant rejeté, le 30 mars 2016, la demande d'affiliation au régime général de l'assurance maladie formée, le 23 mars 2016, par Mme [P], ressortissante algérienne, l'intéressée a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Et sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [P] fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que l'article L. 160-5 du code de la sécurité sociale prévoit que toute personne peut bénéficier, si elle ne remplit pas les conditions de l'article L. 160-1 du même code, de son affiliation au régime général de la sécurité sociale, dès lors qu'elle justifie d'une résidence stable et régulière en France, l'article D. 160-2 dudit code, dans sa rédaction issue du décret n° 2015-1882 du 30 décembre 2015, précisant que la condition de résidence stable suppose de justifier d'une résidence continue de plus de trois mois sur le territoire français laquelle est réputée acquise pour les personnes résidant en France au titre de la procédure de regroupement familial ; qu'en refusant d'appliquer à Mme [P] la dispense de justification d'une résidence continue de plus de trois mois au motif qu'elle ne résidait pas en France au titre d'une procédure de regroupement familial quand, étant l'épouse de nationalité algérienne d'un ressortissant français elle était nécessairement dispensée d'une telle procédure (dispense qui s'applique à la famille d'un résident régulier de nationalité étrangère en France), la cour d'appel dont l'interprétation du texte litigieux crée une discrimination entre affiliés au regard de la nationalité de leur époux ayant pour effet, dans le cas de Mme [P], de la priver d'un droit à une prise en charge de soins urgents et vitaux liés à sa grossesse et à son accouchement en violation du droit fondamental à la protection de la vie, du droit au respect de sa vie privée et familiale et en la privant de ses biens sans justification, a violé les articles L. 160-5, D. 160-2 du code de la sécurité sociale, l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 et les articles 2, 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la cassation pourra intervenir sans renvoi, la Cour de cassation faisant droit à la demande de Mme [P]. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article D. 160-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2015-1882 du 30 décembre 2015, applicable au litige, les personnes qui demandent à bénéficier de la prise en charge des frais de santé en application des dispositions de l'article L. 160-5 peuvent produire un justificatif démontrant qu'elle résident en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois ou qu'elles relèvent de l'une des catégories qu'il énumère limitativement.

5. Selon l'article 59, XIII, C, de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, sauf demande contraire, la prise en charge des frais de santé des personnes majeures ayant la qualité d'ayant droit au 31 décembre 2015 reste effectuée, tant que ces personnes ne deviennent pas affiliées à un régime de sécurité sociale au titre d'une activité professionnelle, y compris antérieure, par rattachement à l'assuré social dont elles dépendent, et par les organismes dont elles relèvent à cette date, jusqu'au 31 décembre 2019 au plus tard.

6. Ces dispositions, qui s'appliquent sans distinction de nationalité à toute personne qui, n'exerçant pas d'activité professionnelle, peut bénéficier, en cas de maladie ou de maternité, de la prise en charge de ses frais de santé par l'assurance maladie, revêtent un caractère limité et répondent aux exigences de la gestion d'un système d'assurance maladie étendu à l'ensemble de la population active et résidente. Elles n'instituent pas, dès lors, une discrimination selon la nationalité de nature à porter atteinte au droit à la protection de la vie, au droit au respect de la vie privée et familiale et au droit au respect des biens garantis par les articles 2, 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Protocole additionnel n° 1.

7. L'arrêt relève qu'arrivée en France le 10 mars 2016, Mme [P] ne justifiait pas, au 23 mars 2016, d'une résidence en France ininterrompue de plus de trois mois, ni de la qualité d'ayant droit de son mari français au titre de l'année 2015, dès lors que sur cette période, elle résidait en Algérie. Il énonce, par ailleurs, que le regroupement familial est une procédure spécifique et que rien n'interdit au législateur de traiter de façon distincte des situations qui ne sont pas les mêmes, de sorte que la preuve de l'existence d'une discrimination fondée sur la nationalité telle que prohibée par les articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 12 de son protocole additionnel n'est pas rapportée.

L'arrêt ajoute qu'il n'est pas davantage établi que l'application, par la caisse, des dispositions des articles 59 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 et D. 160-2 du code de la sécurité sociale aurait porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée.

8. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit, sans encourir les griefs du moyen, ni statuer par des motifs susceptibles de constituer, à l'encontre de Mme [P], une discrimination du fait de la nationalité de son conjoint, que l'intéressée ne pouvait, à la date de la demande, prétendre à son affiliation au régime général de l'assurance maladie-maternité.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Le Fischer - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles L. 160-5 et D. 160-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2015-1882 du 30 décembre 2015 ; article 59, XIII, C, de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 ; articles 2, 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Protocole additionnel n° 1.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 19 juin 2008, pourvoi n° 07-14.338, Bull. 2008, II, n° 148 (rejet).

2e Civ., 3 juin 2021, n° 19-25.571, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Principe de sécurité juridique – Violation – Exclusion – Cas – Sécurité sociale – Application dans le temps de la réforme issue du décret 2018-928 du 29 octobre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 octobre 2019), M. [W], salarié de la société de travail intérimaire LMI BTP et manutention, devenue la société LMI multi-services (l'employeur), a déclaré avoir été victime d'un accident qui a été pris en charge au titre de la législation professionnelle, après enquête, par décision de la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 1] du 11 février 2013.

2. L'employeur a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de lui déclarer opposable la décision de prise en charge des conséquences financières de l'accident subi par son salarié, alors :

« 1°/ qu'en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés ; que la décision de prise en charge d'un accident est inopposable à l'employeur lorsque la caisse, qui a estimé nécessaire de procéder à une mesure d'instruction, a envoyé un questionnaire au salarié, mais qu'elle n'a pas procédé à cet envoi auprès de l'employeur ; qu'en retenant, pour dire la décision de prise en charge opposable à la société Lmi, qu'en l'absence de réserves motivées de l'employeur, la CPAM n'était pas tenue d'adresser à l'employeur un questionnaire portant sur les circonstances ou les causes de l'accident quand, peu important l'existence ou non des réserves, dès lors qu'elle avait procédé à une enquête et envoyé un questionnaire au salarié et non à l'employeur, la décision de la CPAM était inopposable à l'employeur, la cour d'appel a violé l'article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 ;

2°/ que les principes du contradictoire et d'égalité des armes, ainsi que le principe de loyauté qui s'impose aux organismes de sécurité sociale, impliquent que la caisse de sécurité sociale, qui procède à une enquête à la suite d'une déclaration d'accident du travail, doit mettre en mesure le salarié et l'employeur de répondre dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités aux questions posées ; qu'en retenant néanmoins que le contradictoire avait été respecté par la CPAM du [Localité 1] au cours de l'enquête dès lors que, si le salarié avait reçu un questionnaire précis et que ce n'était pas le cas de l'employeur, ce dernier avait été interrogé par la caisse par téléphone, la cour d'appel a violé l'article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. D'une part, les modalités d'instruction par les services d'un organisme social d'une demande de prise en charge d'un accident ou d'une maladie au titre de la législation professionnelle ne sont pas comprises dans le champ d'application des stipulations de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le moyen est dès lors, sur ce point, inopérant.

5. D'autre part, il résulte de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable au litige, qu'en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés, selon des modalités qui peuvent être distinctes entre eux.

6. Ayant constaté que la caisse avait adressé un questionnaire à la victime et procédé à un entretien téléphonique avec l'un des préposés de l'employeur, l'arrêt relève qu'il ressortait de l'enquête administrative que cet entretien avait permis de recueillir des éléments d'information complets et pertinents. Il en déduit que la caisse a loyalement respecté le principe du contradictoire en enquêtant auprès de l'employeur et de la victime selon les modalités qu'il lui appartenait de fixer.

7. Par ces constatations et appréciations, c'est à bon droit que la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, a retenu que la demande de prise en charge avait été régulièrement instruite à l'égard de l'employeur.

8. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

La société fait grief à l'arrêt de la condamner aux dépens de l'instance, alors :

« 1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, observer lui-même le principe de la contradiction ; que si, dans les procédures orales, les moyens soulevés d'office sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été débattus contradictoirement à l'audience, cette preuve peut résulter de ce que l'arrêt constate que les parties ont développé à l'audience leurs observations écrites lorsque celles-ci ne font pas état de tels moyens ; que dans ses conclusions écrites, développées oralement à l'audience la CPAM du [Localité 1] se bornait à solliciter la confirmation du jugement sans solliciter de condamnation aux dépens (arrêt p. 3, alinéas 2 et 3) et n'invoquaient pas l'abrogation des dispositions de l'article R. 144-du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale ? aux termes desquelles la procédure devant les juridictions de sécurité sociale est gratuite, qu'en retenant d'office, sans inviter les parties à présenter leurs observations, qu'au regard de l'abrogation des dispositions de l'article R. 144-10, abrogation applicable aux instances en cours en application de l'article 17, III, du décret du 29 octobre 2018, il convenait de condamner la société LMI aux dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que les principes de sécurité juridique et de prévisibilité de la règle de droit, composants du droit à un procès équitable, impliquent notamment que le justiciable soit à même de prévoir à un degré raisonnable les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé ; que si l'exercice du pouvoir réglementaire implique, pour son détenteur, la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante, c'est sous réserve du respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs, qui exclut que les nouvelles dispositions s'appliquent à des situations juridiquement constituées avant l'entrée en vigueur de ces dispositions ; que l'article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, prévoyant l'application immédiate aux instances en cours des dispositions de procédure, méconnaît ces principes en ce qu'il implique l'abrogation des dispositions de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale prévoyant la gratuité de la procédure suivie devant les juridictions de sécurité sociale et l'application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile prévoyant la condamnation de la partie perdante aux dépens, y compris aux instances engagées par des actes antérieurs à l'entrée en vigueur du décret ; qu'en faisant dès lors application immédiate des dispositions de l'article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 pour condamner la société LMI aux dépens, en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, de l'instance d'appel engagée par acte du 29 mai 2018, antérieurement à l'entrée en vigueur du décret susvisé, la cour d'appel a violé les principes susvisés ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, en application de l'article 2 du code civil et de l'article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, les dispositions de ce texte abrogeant l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale sont d'application immédiate aux instances en cours et ne contreviennent pas au principe de non-rétroactivité des actes réglementaires.

En outre, l'application immédiate de l'article 696 du code de procédure, en raison de cette même abrogation, n'a pas pour effet de restreindre, de manière disproportionnée, au regard des objectifs de bonne administration de la justice et de bon emploi des deniers public poursuivi par le décret susvisé, le droit des requérants à un procès équitable et ne porte ainsi atteinte ni au droit d'accès effectif au juge ni au principe de sécurité juridique.

10. En second lieu, tenu de statuer sur les dépens, le juge doit, en application de l'article 696 du code de procédure civile, même en l'absence de toute demande des parties et sauf décision motivée de sa part, condamner la partie perdante aux dépens. C'est ainsi sans manquer au principe de la contradiction que la cour d'appel a mis les dépens à la charge de la société.

11. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Gauthier - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009 ; article 2 du code civil ; article 17, III, du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ; article 696 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 6 juillet 2017, pourvoi n° 16-18.774, Bull. 2017, II, n° 162 (rejet), et l'arrêt cité.

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