Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

CHOSE JUGEE

2e Civ., 17 juin 2021, n° 20-60.054, (B)

Rabat d'arrêt (fin instance)

Autorité de la chose jugée – Décision revêtue de l'autorité de la chose jugée – Cas – Demande de réinscription examinée à la suite d'une décision d'annulation prononcée par la Cour de cassation

Sur le rabat, d'office, de l'arrêt n° 1421 F-D du 26 novembre 2020, après avis donné à la demanderesse au recours ainsi qu'au ministère public :

1. Par arrêt du 26 novembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déclaré irrecevable le recours n° 20-60.054 formé par Mme [F] aux fins d'annulation d'une décision rendue le 13 novembre 2019 par l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel de Paris.

2. Par suite d'erreurs non imputables à la demanderesse, la fin de non-recevoir prise de la tardiveté de son recours a été retenue d'office, d'une part, sans que l'avis délivré en application du principe de la contradiction lui ait été régulièrement notifié, d'autre part, sur la foi d'une date de notification de la décision attaquée erronée.

3. Il y a donc lieu de rabattre l'arrêt concerné et de statuer à nouveau.

Sur le recours n° 20-60.054, formé par Mme [F] :

Faits et procédure

4. Mme [F] a sollicité sa réinscription sur la liste des experts judiciaires de la cour d'appel de Paris dans la rubrique « traduction » en langue albanaise (H.02.06.01).

5. Par décision du 13 novembre 2019, rendue après annulation (2e Civ., 6 juin 2019, pourvoi n° 19-60.065), contre laquelle Mme [F] a formé le présent recours, l'assemblée générale des magistrats du siège de cette cour d'appel a rejeté sa demande au motif qu'il était avéré, à la suite d'une plainte d'un de ses clients auprès du procureur général, qu'elle avait fait payer deux fois la même traduction d'un document, une première fois sous sa forme « non assermentée » puis une seconde fois, par un complément, pour y apposer le tampon et les mentions prescrites pour la traduction « assermentée » et ce, sans en avoir préalablement informé l'intéressé, auquel elle a adressé deux factures de montants différents.

La décision ajoute que de tels faits, commis à l'égard d'un étranger demandeur d'asile, attestent d'un comportement inadmissible de la part d'un collaborateur du service public de la justice alors, au surplus, que Mme [F] a « induit » le premier paiement en espèces par l'intermédiaire d'un tiers et adressé son relevé d'identité bancaire pour le second, entretenant ainsi dans l'esprit du client une confusion pernicieuse.

Examen des griefs

Exposé des griefs

6. Mme [F] fait valoir d'abord que, dans son arrêt du 6 juin 2019 ayant annulé la précédente décision de rejet de l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel, en date du 14 novembre 2018, la Cour de cassation a jugé que le fait de pratiquer des tarifs différents selon la prestation sollicitée ou de demander que le paiement de ses prestations soit exécuté auprès d'un tiers ne constituent pas en eux-mêmes des faits contraires à l'honneur et à la probité.

7. Elle ajoute que, contrairement à ce qu'énonce la décision attaquée, elle n'a pas réclamé un double paiement pour une même traduction, mais a sollicité un complément de rémunération de 41,01 euros lorsque son client lui a demandé d'authentifier la traduction simple qu'elle avait réalisée à sa demande pour le prix convenu de 125 euros ; que ce surcoût ne correspond pas simplement au fait d'« apposer le tampon et les mentions prescrites pour la traduction assermentée », mais également à la responsabilité particulière incombant en la matière au traducteur et au temps passé à recevoir le client pour s'assurer du caractère original du document traduit ; que son client était dûment informé de ce que le prix convenu de 125 euros ne pouvait concerner qu'une traduction simple ; qu'elle n'a fait aucun aveu par lequel elle aurait reconnu la réalité des faits invoqués dans la plainte de ce client ; que les factures qu'elle a établies pour les deux types de prestation - traduction simple et traduction « assermentée » - étaient des factures pro forma ; qu'elle a d'ailleurs annulé la seconde, puisqu'elle n'a pas réalisé de traduction « assermentée », son client n'ayant lui-même procédé à aucun virement à ce titre ; qu'elle n'a nullement profité de la situation de demandeur d'asile de l'intéressé, lequel, au demeurant, n'est ni isolé, ni ignorant de la langue française ; que, si elle lui a adressé un relevé d'identité bancaire, après qu'il eut réglé en liquide la première traduction auprès d'une tierce personne, dès lors qu'elle était elle-même en déplacement, c'était pour lui permettre de s'acquitter du complément de rémunération au titre de la traduction « assermentée » qu'il sollicitait, de sorte qu'elle n'a nullement cherché à entretenir une confusion pernicieuse dans son esprit.

Réponse de la Cour

Vu les articles 1355 du code civil, R. 411-5 du code de l'organisation judiciaire et 20 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 :

8. L'autorité de chose jugée qui, en vertu du premier de ces textes, s'attache à l'arrêt par lequel la Cour de cassation, statuant sur le recours formé en application des deux derniers contre une décision prise en matière d'inscription ou de réinscription d'un expert judiciaire par l'autorité chargée de l'établissement des listes, annule cette décision pour erreur manifeste d'appréciation, fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, cette autorité reprenne la même décision pour un motif identique à celui qui a ainsi été censuré.

9. Par une première décision, en date du 14 novembre 2018, l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel a rejeté la demande de Mme [F] tendant à sa réinscription sur la liste des experts judiciaires, aux motifs qu'il était avéré, à la suite de la plainte de l'un de ses clients auprès du procureur général, qu'elle avait établi une double facturation pour la traduction de documents administratifs, qu'elle avait appliqué des tarifs différents pour la traduction « assermentée » et la traduction « non assermentée » et qu'elle avait demandé que le paiement de ses travaux soit effectué auprès d'un tiers, ces faits étant, selon la décision, incompatibles avec l'exercice dans l'honneur et la conscience des fonctions d'expert judiciaire.

10. Sur le recours formé par Mme [F], la Cour de cassation, par son arrêt 2e Civ., 6 juin 2019, pourvoi n° 19-60.065, a annulé cette décision au motif qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il résultait du dossier de la procédure que les deux factures avaient été établies pour deux prestations différentes, à savoir une traduction libre et une traduction certifiée, et que le fait de pratiquer des tarifs différents selon la prestation sollicitée ou de demander que le paiement de ses prestations soit exécuté auprès d'un tiers ne constituaient pas en eux-mêmes des faits contraires à l'honneur et à la probité, l'assemblée générale avait commis une erreur manifeste d'appréciation.

11. Pour rejeter de nouveau la demande de Mme [F], la décision attaquée commence par énoncer que si le fait, pour un expert traducteur, de pratiquer des tarifs différents selon la nature de la prestation ne constitue pas, en soi, un fait contraire à l'honneur et à la probité, il en va autrement lorsque cet expert, loin de faire payer à des tarifs différents deux traductions de deux documents distincts selon que cette traduction est ou non assermentée, fait payer deux fois la même traduction du même document, une première fois sous sa forme « non assermentée » puis une seconde, par un complément, pour y apposer le tampon et les mentions prescrites pour la traduction « assermentée », au surplus sans en avoir préalablement informé le client.

12. La décision relève ensuite que telle a bien été l'attitude de Mme [F], qui a d'ailleurs admis les faits lorsqu'elle a été interrogée par le procureur général sur les termes de la plainte qui la visait, puis lorsqu'elle a été entendue par le rapporteur, et qui, dans une lettre qu'elle a adressée à la suite de cette audition, a même exprimé des regrets et la conscience de ne pas avoir agi conformément à la déontologie.

13. La décision retient enfin que de tels faits, commis à l'égard d'un étranger demandeur d'asile qui, par définition, ne maîtrise ni la langue ni les subtilités de la procédure, atteste d'un comportement inadmissible de la part d'un collaborateur de la Justice alors, au surplus, que l'intéressée a « induit » le premier payement en espèces par l'intermédiaire d'un tiers et a adressé son relevé d'identité bancaire pour le second, entretenant ainsi dans l'esprit du client une confusion pernicieuse.

14. En statuant ainsi, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, par des motifs qui sont en substance les mêmes que ceux qui ont été jugés entachés d'une erreur manifeste d'appréciation par l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2019, l'assemblée générale a méconnu l'autorité de chose jugée attachée à cet arrêt et violé les textes susvisés.

15. La décision de cette assemblée générale doit donc être annulée en ce qui concerne Mme [F].

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RABAT l'arrêt n° 1421 F-D du 26 novembre 2020 et,

STATUANT à nouveau :

ANNULE la décision de l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel de Paris en date du 13 novembre 2019, en ce qu'elle a refusé la réinscription de Mme [F].

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Talabardon - Avocat général : M. Grignon Dumoulin -

Textes visés :

Articles 1355 du code civil ; article R. 411-5 du code de l'organisation judiciaire ; article 20 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 14 juin 2007, pourvoi n° 07-10.118, Bull. 2007, II, n° 162 (rejet). A comparer avec le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif : CE, 6 janvier 1995, n° 152654, publié au Recueil Lebon ; CE, 10 novembre 1995, n° 142993, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 12 octobre 2018, n° 412104, mentionné aux tables du Recueil Lebon.

2e Civ., 10 juin 2021, n° 19-16.222, (P)

Cassation

Portée – Décision définitive – Moment – Définition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 22 février 2019), la commune de Saint-Paul a consenti, les 3 et 7 août 1990, à la société Incana Cambaie (la société) un bail à construction en vue de l'exercice d'une activité de garage.

2. Les conditions de ce bail n'ayant pas été respectées, un tribunal de grande instance a, par jugement du 19 septembre 2007, qui n'était pas assorti de l'exécution provisoire, prononcé la résiliation de celui-ci et ordonné l'expulsion de la société, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de deux mois suivant la signification de ce jugement.

3. La société a relevé appel de ce jugement et par ordonnance du 5 décembre 2008, le conseiller de la mise en état a ordonné le retrait du rôle de l'affaire.

4. Par ordonnance du 3 avril 2018, le conseiller de la mise en état a, à la demande de la société, constaté la péremption de l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de dire que l'arrêt du 19 septembre 2007, ayant ordonné une astreinte de 100 euros par jour à son encontre, signifié le 1er octobre 2007, était définitif depuis le 5 décembre 2010, de liquider l'astreinte ordonnée par le tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion, le 19 septembre 2007, à la somme de 10 000 euros au vu du comportement des parties, de la condamner à verser à la commune de Saint-Paul la somme de 10 000 euros, de rejeter sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, et de la condamner à payer la somme de 4 000 euros à la commune de Saint-Paul sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'un jugement n'est passé en force de chose jugée et, partant, n'est exécutoire qu'à partir du moment où il n'est plus susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution ; que dans l'hypothèse où un appel a été interjeté contre un jugement non assorti de l'exécution provisoire et que l'instance d'appel s'est trouvée éteinte par l'effet de la péremption, ledit jugement n'acquiert force de chose jugée qu'au moment où la décision constatant la péremption d'instance acquiert elle-même l'autorité de la chose jugée ; qu'en l'espèce, la péremption de l'instance relative à l'appel interjeté contre le jugement du 19 septembre 2007 rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion prononçant une astreinte à l'encontre de la SCI Incana Cambaie, n'a été constatée que par ordonnance du 3 avril 2018 rendue par le conseiller de la mise en état près la cour d'appel de Saint-Denis, de sorte qu'il n'a pu acquérir force de chose de jugée qu'à compter de la date à laquelle cette ordonnance a elle-même acquis autorité de chose jugée ; qu'en jugeant toutefois que l'action en liquidation de l'astreinte prononcée par le jugement du 19 septembre 2007 introduite le 16 décembre 2016 était recevable, dès lors que, en raison de la péremption de l'instance d'appel, ce jugement était définitif depuis le 5 décembre 2010, soit à l'issue du délai de deux ans à compter duquel la péremption de l'instance était susceptible d'être demandée, la cour d'appel a violé les articles 386, 387, 390, 500 et 501 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 386, 387,390, 500 et 501 du code de procédure civile :

6. Selon les trois premiers de ces textes, la péremption de l'instance en cause d'appel, qui peut être demandée par l'une quelconque des parties lorsque aucune d'elles n'accomplit de diligences pendant deux ans, confère au jugement la force de la chose jugée.

Selon les deux derniers, un jugement est exécutoire, à partir du moment où il passe en force de chose jugée, c'est à dire qu'il n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution.

7. Pour dire que l'arrêt du 19 septembre 2007 ayant ordonné une astreinte de 100 euros par jour à l'encontre de la société, signifié le 1er octobre 2007, était définitif depuis le 5 décembre 2010, l'arrêt retient que le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l'instance dans sa dernière ordonnance rendue le 3 avril 2018, motif pris qu'aucune partie n'avait accompli des actes de procédure depuis le 5 décembre 2008, date de l'ordonnance de retrait du rôle, et qu'il était constant que le jugement du 19 septembre 2007, signifié le 1er octobre 2007, était définitif depuis le 5 décembre 2010.

8. En statuant ainsi, alors que le jugement n'avait acquis force de chose jugée qu'au moment où l'ordonnance du 3 avril 2018, constatant la péremption de l'instance en appel, avait elle-même acquis l'autorité de chose jugée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles 386, 387, 390, 500 et 501 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 4 mai 2016, pourvoi n° 15-14.892, Bull. 2016, III, n° 60 (rejet).

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