Numéro 6 - Juin 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2021

BANQUE

Com., 30 juin 2021, n° 19-14.313, (B)

Cassation

Compte – Compte de dépôt – Droit au compte – Résiliation unilatérale – Utilisation délibérée du compte à des fins illégales – Applications diverses – Communication des coordonnées du compte

Il résulte de l'article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier que l'établissement de crédit peut résilier unilatéralement la convention de compte assorti des services bancaires de base, ouvert en application du droit au compte, lorsque le client a délibérement utilisé son compte pour des opérations que l'organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, auquel cas il est dispensé de lui accorder un préavis. Constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d'en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu'il effectue un paiement par virement sur ce compte.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 décembre 2018), la société Knappe Composite (la société Knappe), spécialisée dans la fabrication de dispositifs utilisés dans l'industrie pétrochimique, ayant pour partenaire commercial la société iranienne Teheran [R] Industry Co, a saisi la Banque de France au titre du droit à l'ouverture de compte prévu par l'article L. 312-1 du code monétaire et financier à la suite du refus de la société BNP-Paribas, agence de [Localité 1] (la banque), d'entrer en relation avec elle. Celle-ci, désignée par la Banque de France, lui a ouvert un compte de dépôt le 15 mai 2017.

2. Par lettre recommandée du 14 février 2018, la banque a notifié à la société Knappe sa décision de clôturer son compte, sans préavis, en indiquant que le motif de la rupture était un « fonctionnement atypique de votre compte (article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier) ».

3. Une ordonnance de référé, confirmée en appel, ayant dit que la clôture du compte de la société Knappe constituait un trouble manifestement illicite et ordonné le maintien du compte, la banque a assigné la société Knappe afin de voir constater la validité de la résiliation du compte.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de constater qu'elle n'a pas régulièrement notifié, ni dans la forme, ni au fond, la résiliation du compte de dépôt ouvert dans ses livres au nom de la société Knappe Composite, dans le cadre du droit au compte défini à l'article L. 312-1 du code monétaire et financier, alors « que constitue une utilisation du compte le fait, pour son titulaire, d'en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu'il effectue un paiement par virement sur ce compte ; qu'au cas présent, la société Knappe a transmis son relevé d'identité bancaire de la BNP-Paribas à sa contrepartie iranienne, laquelle l'a communiqué aux intermédiaires composant le circuit financier mis en place pour contourner les sanctions financières décidées par la Communauté internationale ; qu'en retenant qu'il n'y aurait eu là qu'une tentative d'utilisation illicite du compte, cependant qu'il s'agissait d'une tentative consommée, assimilable à tout le moins à un commencement d'utilisation illicite, de nature à faire naître un soupçon, la cour d'appel a violé les articles L. 312-1-IV et L. 561-8 du code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable en la cause, lus à la lumière des articles 19 de la directive 2014/92/UE du 23 juillet 2014 et de la directive 2015/849 du 20 mai 2015. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier :

5. Il résulte de ce texte que l'établissement de crédit peut résilier unilatéralement la convention de compte assorti des services bancaires de base, ouvert en application du droit au compte, lorsque le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l'organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, auquel cas il est dispensé de lui accorder un préavis. Constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d'en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu'il effectue un paiement par virement sur ce compte.

6. Pour écarter les conclusions de la banque qui soutenait qu'en communiquant son relevé d'identité bancaire à son cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l'intermédiaire d'une société chinoise, dont elle s'était refusée à préciser le rôle dans l'opération, en paiement de tubes à dispositif d'osmose inverse livrés dans le cadre d'un projet « Bushehr », du nom d'une ville du golfe persique également donné à la centrale nucléaire située dans les environs de celle-ci, la société Knappe avait délibérément utilisé son compte pour une opération qu'elle-même avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, et juger que la résiliation du compte par la banque pour ce motif était irrégulière, l'arrêt retient que le virement annoncé le 21 décembre 2017, qui constitue l'opération atypique invoquée par la banque, n'est parvenu à cette dernière que le 2 mars 2018, soit postérieurement à la décision de clôture du compte, de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'à la date de cette décision, la société Knappe avait déjà délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que la banque avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales.

7. En se déterminant par de tels motifs, impropres à exclure, en l'état des circonstances invoquées par la banque, l'utilisation délibérée du compte pour des opérations que celle-ci avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Fevre - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier.

Com., 30 juin 2021, n° 19-21.418, (B)

Cassation

Paiement – Instrument de paiement – Utilisation frauduleuse par un tiers – Applications diverses – Exception au monopole des prestataires de services de paiement – Portée

Si, selon l'article L. 521-3, I, du code monétaire et financier, par exception au monopole des prestataires de services de paiement, une entreprise peut fournir des services de paiement fondés sur des moyens de paiement qui ne sont acceptés, pour l'acquisition de biens ou de services, que dans les locaux de cette entreprise ou, dans le cadre d'un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement, ou pour un éventail limité de biens ou de services, cette entreprise n'appartient pas pour autant à la catégorie des prestataires de services de paiement, de sorte que, par application de l'article L. 133-1 du code monétaire et financier, les dispositions de l'article L. 133-19 de ce code ne lui sont pas applicables.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 10 avril 2019), par des contrats des 10 janvier et 6 février 1996, la société Union Tank Eckstein (la société UTA) a mis à la disposition de la société Transport Couteaux - Les Cars du Hainaut (la société Transport Couteaux) diverses cartes lui permettant de procéder à des paiements de fourniture de carburant, de péages autoroutiers et d'autres prestations de services, auprès de stations-service et d'instances partenaires, ces achats et prestations de services étant préfinancés puis facturés bimensuellement par la société UTA.

Dans la nuit du 29 au 30 septembre 2012, plusieurs autocars de la société Transports Couteaux, stationnés sur le parking de son dépôt, ont été visités et des cartes UTA ont été dérobées.

La société Transport Couteaux ayant refusé de s'acquitter du montant des opérations réalisées, postérieurement au vol, au moyen de ces cartes, la société UTA l'a assignée en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société UTA fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande [en paiement de la somme de 21 029,91 euros au titre des factures de prestations de services réalisées par l'intermédiaire des cartes de services UTA], alors « que la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil concernant les services de paiement dans le marché intérieur exclut de son champ d'application, en son article 3.k, les services fondés sur des instruments qui ne peuvent être utilisés qu' « à l'intérieur d'un réseau limité de prestataires de services ou pour un éventail limité de biens ou de services » ; que les articles 60 et 61 de cette directive relatifs aux responsabilités respectives du prestataire de services de paiement et du payeur en cas d'opérations de paiement non autorisées, transposés en France aux articles L. 133-18 et L. 133-19 du code monétaire et financier, ne s'appliquent donc pas aux services relevant de l'exception consacrée par l'article 3.k ; que cette exception a été transposée en France à l'article L. 521-3, I, du code monétaire et financier ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que la société UTA relevait de l'exception codifiée à l'article L. 521-3, I e du code monétaire et financier, la cour d'appel a considéré qu'elle était néanmoins tenue d'appliquer les dispositions de l'article L. 133-19 du code monétaire et financier ; qu'en statuant ainsi, lorsqu'elle aurait à l'inverse dû en déduire que la société UTA échappait au régime de responsabilité mis en place par la directive 2007/64/CE, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 133-19 du code monétaire et financier, ensemble L. 521-3,I, du même code, dans leurs rédactions applicables à la cause. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

3. La société Transports Couteaux conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit. Elle fait valoir que la société UTA n'a pas soutenu devant la cour d'appel que le législateur français aurait mal transposé la directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007 en n'excluant pas expressément du champ d'application de l'article L. 133-19 du code monétaire et financier les services fondés sur des instruments qui ne peuvent être utilisés qu'à l'intérieur d'un réseau limité de prestataires de services ou pour un éventail limité de biens ou de services.

4. Cependant, la société UTA ayant soutenu, devant la cour d'appel, que, si elle était autorisée à fournir des services de paiement en application de la dérogation prévue par l'article L. 521-3 du code monétaire et financier, cette dérogation ne la soumettait pas pour autant aux dispositions des articles L. 133-1 et suivants de ce code.

5. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 133-1, L. 133-19 et L. 521-3, I, du code monétaire et financier :

6. Si, selon le troisième de ces textes, par exception au monopole des prestataires de services de paiement, une entreprise peut fournir des services de paiement fondés sur des moyens de paiement qui ne sont acceptés, pour l'acquisition de biens ou de services, que dans les locaux de cette entreprise ou, dans le cadre d'un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement, ou pour un éventail limité de biens ou de services, cette entreprise n'appartient pas pour autant à la catégorie des prestataires de services de paiement, de sorte que, par application du premier de ces textes, les dispositions du deuxième ne lui sont pas applicables.

7. Pour rejeter la demande de la société UTA, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 521-3 du code monétaire et financier, qui prévoient un régime dérogatoire à l'article L. 521-2, assimilent les entreprises qui sont soumises à ces dispositions aux entreprises relevant de l'article L. 521-1, auxquelles s'appliquent les règles de responsabilité des articles L. 133-1 et suivants, de sorte que, la société UTA relevant des dispositions de l'article L. 521-3 du code monétaire et financier, dès lors qu'elle fournit des services de paiement fondés sur des moyens de paiement qui ne sont acceptés, pour l'acquisition de biens ou de services, que dans le cadre d'un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement ou pour un éventail limité de biens ou de services, cette société est tenue d'appliquer les dispositions des articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, et notamment celles de l'article L. 133-19 de ce code.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Blanc - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Lévis -

Textes visés :

Articles L. 133-1, L. 133-19 et L. 521-3, I, du code monétaire et financier.

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