Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2020

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 24 juin 2020, n° 19-11.714, n° 19-11.870, (P)

Cassation

Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 – Champ d'application – Compétence d'une juridiction d'un Etat membre en application du règlement – Cas

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-11.714 et 19-11.870 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 21 juin 2018), M. C..., de nationalité moldave et roumaine et Mme J..., de nationalité bulgare et russe, se sont mariés le [...] à Chisinau (République de Moldavie). Mme J... a, par requête du 13 octobre 2017, saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Chaumont d'une demande en divorce.

Par ordonnance du 18 janvier 2018, rendue par défaut, celui-ci, après avoir retenu la compétence du juge français et l'application de la loi française relativement au divorce des époux, aux obligations alimentaires et à la responsabilité parentale, et constaté la non-conciliation des époux, a prescrit les mesures nécessaires pour assurer leur existence et celle des enfants jusqu'à la date à laquelle le jugement serait passé en force de chose jugée.

3. Faisant valoir qu'il avait lui-même, le 28 juin 2017, saisi aux mêmes fins, le juge moldave, lequel, par une décision du 15 décembre 2017, frappée de recours par Mme J..., avait prononcé le divorce des époux et fixé la résidence des enfants mineurs chez le père, M. C... a décliné, devant la cour d'appel, la compétence du juge français au profit de la juridiction moldave.

Recevabilité du pourvoi n° 19-11.870 examinée d'office, après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile

Vu le principe « pourvoi sur pourvoi ne vaut » :

4. Le pourvoi formé par Mme J... le 7 février 2019, qui succède au pourvoi formé par elle le 5 février 2019, sous le n° 19-11.714, contre la même décision n'est pas recevable.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Mme J... fait grief à l'arrêt de dire la juridiction française incompétente, alors « que le règlement n° 2201/2003 (CE) du 27 novembre 2003, qui constitue le droit commun des Etats membres en matière matrimoniale, s'applique dès lors que l'un des critères de compétence posés à son article 3 est rempli, peu important que les époux soient ressortissants d'un Etat non membre de l'Union européenne ; qu'en énonçant que ce règlement communautaire n'a vocation à réglementer que les rapports entre ressortissants d'Etats membres de l'Union européenne, ce qui n'est pas le cas de la République de Moldavie, la cour d'appel en a violé les dispositions. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 3 du règlement n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis, relatif à la compétence, à la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale :

6. Il résulte de ce texte qu'une juridiction d'un Etat membre est compétente pour connaître d'une demande en divorce, dès lors que l'un des critères alternatifs de compétence qu'il énonce est localisé sur le territoire de cet Etat, peu important que les époux soient ressortissants d'Etats tiers ou que l'époux défendeur soit domicilié dans un Etat tiers. Cette règle de compétence est exclusive de toute règle de compétence de droit international privé commun.

7. Pour déclarer la juridiction française incompétente, l'arrêt retient que le règlement précité n'a vocation à réglementer que les rapports entre ressortissants d'Etats membres de l'Union européenne, ce qui n'est pas le cas de la Moldavie qui n'a pas adhéré à l'Union européenne et n'est pas soumise à la réglementation qui la régit.

8. En statuant ainsi, sans examiner, comme il lui incombait, sa compétence au regard des critères qu'il énonce, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° 19-11.870 ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article 3 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, dit Bruxelles II bis, relatif à la compétence, à la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.

Com., 24 juin 2020, n° 18-10.535, (P)

Rejet

Douanes – Droits – Remboursement de droits indûment acquittés – Primauté du droit de l'Union

Douanes – Droits – Remboursement de droits indûment acquittés – Intérêts – Point de départ

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Feeder que sur le pourvoi incident relevé par le directeur général des douanes et droits indirects, le receveur des douanes et droits indirects de Montpellier et le trésorier général des douanes et droits indirects ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 décembre 2017), que la société Feeder, spécialisée dans le commerce d'écrans informatiques, a importé des écrans à cristaux liquides pour les besoins de son activité ; qu‘à la suite de vérifications et d'un contrôle a posteriori, l'administration des douanes et droits indirects a contesté la position tarifaire sous laquelle ces écrans avaient été déclarés, en estimant que ceux-ci relevaient de la position 85.28 et lui a notifié divers procès-verbaux d'infractions pour fausses déclarations d'espèces ; que se conformant à l'interprétation de l'administration, la société Feeder a ensuite déclaré ses importations sous cette position tarifaire ; que par arrêt du 19 février 2009, la Cour de justice de l'Union européenne, saisie d'une question préjudicielle sur la position tarifaire 84.71, a dit que les moniteurs susceptibles de reproduire des signaux provenant non seulement d'une machine automatique de traitement de l'information, mais également d'autres sources ne pouvaient être exclus de cette position (CJUE, 19 février 2009, Kamino International Logistics, C 376/07) ; que par lettre du 21 octobre 2010, adressée à la recette principale des douanes de Nîmes, la société Feeder a demandé au directeur régional des douanes le remboursement des droits acquittés ; qu'après rejet de sa réclamation par celui-ci, la société Feeder l'a assigné en restitution de ces droits ; que durant l'instance, l'administration des douanes lui a remboursé les droits acquittés depuis le 21 octobre 2007 ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que la société Feeder fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite sa demande de restitution des droits acquittés avant le 21 octobre 2007 alors, selon le moyen :

1°/ que les dispositions de l'article 354 du code des douanes, interprétées à la lumière du principe d'égalité des armes, impliquent que la notification d'un procès-verbal de douane interrompt la prescription tant en faveur de l'administration que des contribuables ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 354 du code des douanes, ensemble le principe d'égalité des armes et l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2°/ que les dispositions de l'article 352 ter du code des douanes, qui visent sans distinction l'ensemble des droits et taxes « recouvrés par les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects » (DGDDI), ont vocation à s'appliquer aussi bien aux droits et taxes perçus en application de textes nationaux qu'à ceux perçus en application de textes communautaires ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 352 ter susvisé et le principe communautaire d'équivalence ;

3°/ que les dispositions de l'article 352 ter du code des douanes ont vocation à s'appliquer non seulement dans le cas où l'invalidité d'un texte a été révélée par une décision juridictionnelle, mais aussi dans celui où l'illégalité de la pratique des autorités douanières nationales résulte de l'interprétation d'un texte communautaire donnée par une décision préjudicielle de la Cour de justice ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 352 ter susvisé ensemble l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

4°/ que, si l'action en répétition de l'indu exercée par la société n'était pas enfermée dans le cadre de l'article 352 ter, elle suivait le régime du droit commun, tel que prévu par le code civil, sans obéir au régime des simples actions en réclamation douanières ; qu'en n'appliquant pas le droit commun à la situation de l'espèce, après avoir pourtant constaté que le droit spécial de la répétition de l'indu douanier ne s'appliquerait pas, la cour d'appel a violé les règles et principes relatifs à la répétition de l'indu, ensemble le principe communautaire d'effectivité et l'article 267 du TFUE ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt, par motifs propres et adoptés, énonce que l'action en restitution engagée par la société Feeder est soumise à l'article 236 du code des douanes communautaire ; qu'il retient ensuite que les procès-verbaux ne produisent d'effet que pour les seules déclarations douanières qu'ils relèvent, c'est-à-dire les seules déclarations douanières expressément visées et contrôlées, et que les procès-verbaux invoqués sont relatifs à d'autres opérations d'importation que celles concernées par la demande de restitution ; qu'il ajoute que les procès-verbaux qui sont ainsi établis ont pour objet l'exercice par l'administration de son droit de reprise et que le fait qu'il ne soient pas de nature à interrompre la prescription de l'action en restitution ne porte pas, en raison même de leur objet, atteinte au principe d'équilibre des droits des parties ; que de ces motifs, la cour d'appel a exactement déduit que la notification par l'administration des douanes des procès-verbaux qu'elle avait dressés n'interrompait pas la prescription de l'action en remboursement des droits de douane, sans pour autant dénier à la société Feeder le droit qu'elle avait d'invoquer des éléments manifestant sa volonté d'obtenir la restitution des droits de douane qu'elle estimait indus et d'interrompre ainsi le délai dans lequel elle devait agir pour demander cette restitution ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient que les droits de douane versés par la société Feeder l'ont été en raison de l'importation de matériels provenant d'un pays tiers à l'Union européenne et que l'action en restitution relève de l'application des dispositions de l'article 236 du code des douanes communautaire, alors en vigueur, et non de celles de l'article 352 ter du code des douanes, qui a seulement pour objet les taxes recouvrées par les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects en application d'une législation nationale ; qu'il ajoute que les dispositions du code des douanes communautaire s'imposent du fait de la primauté du droit de l'Union ; que de ces seuls motifs, et abstraction faite du motif, surabondant, critiqué par la troisième branche, la cour d'appel a exactement déduit que la prescription opposée à la demande de la société Feeder était conforme au droit de l'Union ;

Attendu, en dernier lieu, qu'ayant retenu que l'action en répétition de l'indu douanier exercée par la société Feeder était soumise aux dispositions de l'article 236 du code des douanes communautaire, la cour d'appel en a exactement déduit que ces dernières dispositions constituaient une loi spéciale dérogeant aux principe et délai de la répétition de l'indu prévus par le code civil et leur a ainsi fait produire leur plein effet ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que le directeur général des douanes et droits indirects, le receveur des douanes de Montpellier et le trésorier général des douanes font grief à l'arrêt de condamner l'administration des douanes à verser à la société Feeder des intérêts au taux légal pour les droits trop versés depuis le 21 octobre 2007 pour un montant de 21 632 euros à compter du jour de leur paiement alors, selon le moyen,

1°/ que l'administration des douanes ne peut être tenue de payer des intérêts sur les sommes qu'elle a indûment reçues du jour de leur paiement que si elle est de mauvaise foi ; qu'en condamnant l'administration douanière à payer à la société Feeder des intérêts au taux légal sur les droits trop versés du 21 octobre 2007 à l'année 2008 à compter de leur paiement, sans rechercher si les services douaniers, qui n'ont eu connaissance de la position tarifaire devant être appliquée aux marchandises litigieuses, au plus tôt, qu'à la date de l'arrêt Kamino rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 19 février 2009, soit postérieurement au paiement des droits en cause, étaient de mauvaise foi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1378 du code civil ;

2°/ l'administration des douanes, lorsqu'elle est de bonne foi, ne peut être tenue de payer des intérêts sur les sommes qu'elle a indûment reçues que du jour de la sommation de payer qui lui en a demandé le remboursement ; qu'en condamnant l'administration douanière à payer à la société Feeder des intérêts au taux légal sur les droits trop versés du 21 octobre 2007 à l'année 2008 à compter de leur paiement, tout en relevant que l'administration des douanes était tenue au paiement des intérêts de droit à compter du jour de la demande en remboursement des droits de douane qu'elle a perçus par erreur en méconnaissance du droit communautaire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'ancien article 1153 du code civil ;

Mais attendu que par un arrêt du 18 janvier 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « lorsque des droits à l'importation [...] sont remboursés au motif qu'ils ont été perçus en violation du droit de l'Union, ce qu'il revient à la juridiction de renvoi de vérifier, il existe une obligation des États membres, découlant du droit de l'Union, de payer aux justiciables ayant droit au remboursement des intérêts y afférents, qui courent à compter de la date de paiement par ces justiciables des droits remboursés » (CJUE, 18 janvier 2017, O..., C-365/15) ; qu'en application de ce principe, l'administration des douanes qui, en violation du droit de l'Union, a perçu de la société Feeder des droits de douane correspondant à une position qui n'était pas celle qui aurait dû être appliquée, avait l'obligation de restituer à cette société les sommes versées assorties des intérêts ayant couru depuis la date de leur paiement ; que par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée de ce chef ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu qu'en l'absence de doute raisonnable quant à la solution de l'arrêt du 17 janvier 2017 (CJUE, 17 janvier 2017,O..., C-365/15), il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Rejette les pourvois principal et incident.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Michel-Amsellem - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 236 du code des douanes communautaire ; article 352 ter du code des douanes.

Rapprochement(s) :

Sur le remboursement des droits à l'importation perçus en violation du droit de l'Union, cf. : CJUE, arrêt du 18 janvier 2017, Wortmann, C-365/15.

1re Civ., 12 juin 2020, n° 19-24.108, (P)

Cassation

Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 – Compétence judiciaire en matière de responsabilité parentale – Déplacement ou non-retour illicite d'un enfant – Critères – Résidence habituelle de l'enfant – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 29 octobre 2019), du mariage de Mme W..., de nationalité suisse, et de M. O..., de nationalité grecque, est né E... O... W..., le [...] à Palaio Faliro (Grèce).

Le 24 novembre 2018, Mme W..., accompagnée de son mari, a rejoint la France avec l'enfant afin de se reposer chez ses parents. Soutenant qu'elle refusait de rentrer en Grèce avec E... à l'issue de son séjour, comme convenu initialement, M. O... l'a assignée, le 26 juin 2019, devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Strasbourg pour voir ordonner le retour immédiat de l'enfant.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

2. Mme W... fait grief à l'arrêt de juger que le non-retour de l'enfant E... est illicite, d'ordonner son retour immédiat en Grèce et de la condamner aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais visés à l'article 26 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, alors « qu'en se fondant exclusivement sur l'analyse de la situation du nourrisson et de ses parents en Grèce pour juger que « la résidence habituelle de M. O... et Mme W..., et subséquemment celle de E... » (arrêt p. 6 alinéa 4) était établie en Grèce, sans examen de l'intégration de l'enfant et de sa mère dans leur domicile en France, quand il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt CJUE, 8 juin 2017, aff. C-111/17, PPU, OL c/PQ) que lorsqu'un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, dans un État membre différent de celui où réside habituellement le père, il convient de prendre en compte notamment, d'une part, la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour de celle-ci sur le territoire du premier État membre et, d'autre part, les origines géographiques et familiales de la mère ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par celle-ci et l'enfant dans le même État membre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble les articles 2, 11), et 11, § 1, du règlement (CE) du Conseil n° 2201/ 2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, 2, 11), et 11, § 1, du règlement (CE) n° 2201/ 2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale :

3. Au sens de ces textes, est illicite tout déplacement ou non-retour d'un enfant fait en violation d'un droit de garde exercé effectivement et attribué à une personne par le droit ou le juge de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ou son non-retour.

4. De la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 2 avril 2009, A, C-523/07, arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi, C-497/10 PPU, arrêt du 9 octobre 2014, C, C-376/14 PPU, arrêt du 8 juin 2017, OL, C-111/17 PPU, arrêt du 28 juin 2018, HR, C-512/17) résultent les éléments ci-après.

5. En premier lieu, la résidence habituelle de l'enfant, au sens du règlement n° 2201/2003, correspond au lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie et il appartient à la juridiction nationale de déterminer où se situe ce centre sur la base d'un faisceau d'éléments de fait concordants (arrêt précité du 28 juin 2018).

6. En deuxième lieu, la résidence habituelle doit être interprétée au regard des objectifs du règlement n° 2201/2003, notamment celui ressortant de son considérant 12, selon lequel les règles de compétence qu'il établit sont conçues en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant et, en particulier, du critère de proximité (arrêts précités du 2 avril 2009, points 34 et 35, du 22 décembre 2010, points 44 à 46, et du 8 juin 2017, point 40).

7. En troisième lieu, lorsque l'enfant est un nourrisson, son environnement est essentiellement familial, déterminé par la personne ou les personnes de référence avec lesquelles il vit, qui le gardent effectivement et prennent soin de lui, et il partage nécessairement l'environnement social et familial de cette personne ou de ces personnes.

En conséquence, lorsque, comme dans la présente espèce, un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, dans un État membre différent de celui où réside habituellement le père, il convient de prendre en compte notamment, d'une part, la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour de celle-ci sur le territoire du premier État membre, d'autre part, les origines géographiques et familiales de la mère ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par celle-ci et l'enfant dans le même État membre (arrêt précité du 8 juin 2017, point 45).

8. En quatrième lieu, lorsque dans les mêmes circonstances, un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, l'intention initialement exprimée par les parents quant au retour de celle-ci accompagnée de l'enfant dans un autre Etat membre, qui était celui de leur résidence habituelle avant la naissance de l'enfant, ne saurait être à elle seule décisive pour déterminer la résidence habituelle de l'enfant, au sens du règlement n° 2201/2003, cette intention ne constituant qu'un indice de nature à compléter un faisceau d'autres éléments concordants. Cette intention initiale ne saurait être la considération prépondérante, en application d'une règle générale et abstraite selon laquelle la résidence habituelle d'un nourrisson serait nécessairement celle de ses parents (même arrêt, points 47 et 50). De même, le consentement ou l'absence de consentement du père, dans l'exercice de son droit de garde, à ce que l'enfant s'établisse en un lieu ne saurait être une considération décisive pour déterminer la résidence habituelle de cet enfant, au sens du règlement n° 2201/2003 (même arrêt, point 54).

9. En l'espèce, pour fixer la résidence habituelle de l'enfant en Grèce, l'arrêt retient que, s'agissant d'un nourrisson, il est nécessaire de prendre en considération la résidence du couple et l'intention commune des parents, et qu'en cas de séjours temporaires à l'étranger, un changement de résidence ne peut être pris en considération qu'en cas d'intention ferme, formulée par les deux parents, d'abandonner leur résidence habituelle afin d'en acquérir une nouvelle, peu important le lieu où l'enfant a passé le plus de temps depuis sa naissance. Il relève que M. O... et Mme W... se sont mariés le 30 juillet 2015 en Grèce où ils résident régulièrement depuis quatre ans et où M. O... exerce principalement son activité professionnelle, Mme W... ayant mis fin à son activité professionnelle pour s'installer en Grèce avec son époux. Il constate que E... est de nationalité grecque et est né en Grèce où il a vécu pendant quatre semaines, le logement ayant été aménagé pour sa naissance, qu'il dispose d'un passeport grec, d'une mutuelle et est enregistré auprès de l'assurance maladie grecque. Il relève encore que les deux parents ont indiqué une adresse commune en Grèce lors de l'établissement de l'acte de naissance de leur fils et que la résidence de la famille est enregistrée auprès de la mairie du Pirée. Il en déduit que la résidence habituelle de M. O... et Mme W... et, subséquemment, celle de E... est établie en Grèce et que, si le déplacement de l'enfant en France ne présente aucun caractère illicite, les deux parents étant venus ensemble, d'un commun accord, avec l'enfant sur le territoire national, Mme W... ne pouvait décider de modifier unilatéralement la résidence habituelle de l'enfant sans l'accord du père et s'opposer à son retour.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si, au regard du très jeune âge de l'enfant et de la circonstance qu'il était arrivé à l'âge d'un mois en France et y avait séjourné de manière ininterrompue depuis lors avec sa mère, son environnement social et familial et, par suite, le centre de sa vie, ne s'y trouvait pas, nonobstant l'intention initiale des parents quant au retour de la mère, accompagnée de l'enfant, en Grèce après son séjour en France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen et le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants ; articles 2, 11), et 11, § 1, du règlement (CE) n° 2201/ 2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination de la résidence habituelle de l'enfant, à rapprocher : 1re Civ., 25 mars 2015, pourvoi n° 13-25.225, Bull. 2015, I, n° 70 (rejet), et l'arrêt cité.

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