Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2020

PROCEDURE CIVILE

2e Civ., 25 juin 2020, n° 18-26.685, n° 19-10.157, (P)

Rejet

Fin de non-recevoir – Fin de non-recevoir d'ordre public – Obligation pour le juge de la soulever d'office – Exclusion – Cas – Caducité de la déclaration d'appel

1. En raison de leur connexité, il y a lieu de joindre les pourvois n° C 18-26.685 et n° G 19-10.157.

Désistement partiel

2. Il y a lieu de donner acte à la société Filia Maif du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. et Mme L....

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 18 septembre 2018), Y... I... a souscrit auprès de la société Filia Maif (l'assureur) un contrat d'assurance portant sur une parcelle de terrain constituée d'une ancienne carrière inexploitée.

4. Les 12 janvier 2013 et 14 février 2014, des éboulements successifs se sont produits sur cette parcelle, dont Y... I... était copropriétaire indivis avec ses enfants, Mme M... I... et M. Z... I..., depuis novembre 2000.

5. M. et Mme L..., propriétaires d'une parcelle voisine, située en contrebas, ont obtenu en référé la désignation d'un expert.

6. Y... I... étant décédé le 6 février 2015 et ses enfants, M. Z... I... et Mme M... I... (les consorts I...) ayant renoncé à sa succession, le directeur régional des finances publiques a été désigné en qualité de curateur à succession vacante.

7. L'expert a déposé son rapport, concluant qu'il se produirait d'autres éboulements venant empiéter sur la propriété de M. et Mme L... et préconisant d'importants travaux confortatifs.

8. M. et Mme L... ont assigné en référé les consorts I... aux fins, notamment, de les voir condamner à exécuter sous astreinte les travaux préconisés par l'expert.

9. Mme M... I... a appelé en garantie l'assureur et attrait dans la cause le directeur régional des finances publiques, ès qualités.

10. L'affaire a été renvoyée pour qu'il soit jugé au fond en application de l'article 811 du code de procédure civile.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° C 18-26.685 et sur le moyen unique du pourvoi n° G 19-10.157, ci-après annexés

11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° C 18-26.685

12. Les consorts I... et le directeur régional des finances publiques, ès qualités, font grief à l'arrêt de les condamner in solidum, sous la garantie de la société Filia Maif, à payer aux époux L... la somme de 836,33 euros à titre de dommages-intérêts, de les condamner in solidum à faire réaliser des travaux de confortation tels que préconisés par l'expert et fixés par lui à la somme de 210 000 euros, de condamner la société Filia Maif à garantir le directeur régional des finances publiques ès qualités pour le coût des travaux de confortation à réaliser dans la limite du coût fixé par l'expert et à l'indemniser sur présentation des situations et factures de l'entreprise qui sera chargée de réaliser les confortements, de débouter Mme M... I... et M. Z... I... de leurs demandes de complément d'expertise, et de leurs demandes de garantie formées à l'encontre de la société Filia Maif et de condamner in solidum M. Z... I..., Mme M... I... ainsi que le directeur des finances publiques en qualité de curateur à la succession de M. Y... I... et la société Filia Maif, à payer aux époux L... la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles de première instance et celle de 4 000 euros pour les frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les dépens de l'instance de référé et les honoraires de l'expert, alors que « la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation du délai d'un recours doit être, le cas échéant, relevée d'office par le juge dès lors que celui-ci a été mis à même de constater l'irrecevabilité ; que dans les motifs des conclusions dont ils avaient saisi la cour d'appel, Mme M... I... et le curateur à la succession vacante de Y... I... soutenaient que la déclaration d'appel était caduque en application de l'article 905-2 du code de procédure civile qui prévoit qu'à peine de caducité de la déclaration d'appel devant être relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe, que l'avis de fixation avait été diffusé par le greffe le 20 février 2018 et que les conclusions de l'appelant n'avaient été notifiées que le 21 mars 2018, soit plus d'un mois après (conclusions d'appel de Mme I... et du curateur à la succession de Y... I..., p. 7, § 2-4) ; qu'en retenant néanmoins, pour refuser de statuer sur cette fin de non-recevoir d'ordre public, qu'elle n'était invoquée que dans le corps des écritures de Mme I... et du curateur à la succession vacante de Y... I..., la cour d'appel a violé les articles 125 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour :

13. Les dispositions de l'article 125, alinéa 1, du code de procédure civile selon lesquelles les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public ne sont pas applicables aux formalités prévues à peine de caducité.

14. Ayant constaté que la caducité de l'appel n'était invoquée par Mme M... I... et le curateur que dans le corps de leur écritures, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de relever d'office cette caducité, en a exactement déduit qu'en application de l'article 954, alinéa 2, du code de procédure civile, elle n'avait pas à statuer sur cette prétention.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi n° C 18-26.685, pris en sa première branche

16. Les consorts I... et le directeur régional des finances publiques, ès qualités, font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à faire réaliser des travaux de confortation tels que préconisés par l'expert et fixés par lui à la somme de 210 000 euros et de débouter M. Z... I... et Mme M... I... de leurs demandes tendant à être garantis à ce titre par la société Filia Maif, alors que « si elle ne se présume pas, l'assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que Y... I... avait fait assurer l'intégralité du terrain litigieux auprès de la société Filia Maif indépendamment de sa qualité de propriétaire indivis du terrain avec son épouse Q... K... ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter Mme M... I... et M. Z... I..., devenu propriétaires indivis du terrain au décès de leur mère Q... K..., que le régime juridique de la propriété du bien n'était pas connu de la société Filia Maif dès la souscription du contrat ni ultérieurement, de sorte que la volonté des deux parties de souscrire une assurance pour le compte des deux autres propriétaires indivis de l'immeuble ne pouvait être établie, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, a méconnu l'article L. 112-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

17. Il résulte de l'article L. 112-1 du code des assurances que, si elle ne se présume, pas l'assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties.

18. Ayant relevé que si la volonté du souscripteur pouvait être recherchée dans les liens familiaux avec les autres propriétaires indivis du bien assuré, il apparaissait cependant que le régime juridique de la propriété du bien n'était pas connu de l'assureur dès la souscription du contrat ni ultérieurement, la cour d'appel, tirant les conséquences légales de ses constatations, a pu en déduire que la volonté des deux parties de souscrire une assurance pour le compte des deux autres copropriétaires indivis de l'immeuble n'était pas établie.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Donne acte à la société Filia Maif du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. et Mme L...

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Touati - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Le Bret-Desaché ; Me Le Prado -

Textes visés :

Articles 125, alinéa 1, et 954, alinéa 2, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 octobre 2013, pourvoi n° 12-21.242, Bull. 2013, II, n° 198 (rejet).

2e Civ., 4 juin 2020, n° 18-23.248, n° 18-23.249, (P)

Rejet

Procédure de la mise en état – Conseiller de la mise en état – Ordonnance du conseiller de la mise en état – Voies de recours – Déféré – Requête – Nature – Effet

Il résulte de l'article 916 du code de procédure civile que la requête en déféré est un acte de procédure, accompli par un avocat constitué pour la procédure d'appel, qui s'inscrit dans le déroulement de cette procédure et n'ouvre pas une instance autonome. Il en découle que l'article 643 du code de procédure civile, qui prévoit l'augmentation des délais prévus, au profit des personnes domiciliées à l'étranger, des délais de comparution, d'appel, d'opposition, de tierce opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation, n'est pas applicable à cette requête.

En raison de leur connexité, les pourvois n° T 18-23.249 et n° S 18-23.248 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 19 octobre 2017 et 23 mars 2018) et les productions, à la suite de l'ouverture, le 16 avril 2012, d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Filmedis, le tribunal de commerce en charge de cette procédure a prononcé, sur le fondement de l'article L. 632-2 du code de commerce, la nullité d'un acte du 25 janvier 2012, par lequel cette société, ultérieurement placée en liquidation judiciaire, avait apporté la totalité de ses actifs à une société de droit luxembourgeois Dynamics Films Library (la société DFL).

3. La société DFL a formé, le 3 août 2016, un premier appel de ce jugement, intimant Mme S..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Filmedis, la société Labrador Films et la société Intercorp International Corporate Activities, puis un second appel, le 5 août 2016, intimant, outre ces mêmes parties, Mme I....

4. Par le premier arrêt attaqué, la cour d'appel a confirmé une ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de la première déclaration d'appel, faute de conclusions dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile.

Par le second arrêt attaqué, la cour d'appel a déclaré irrecevable, comme tardif, le déféré formé par la société DFL contre une ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de la seconde déclaration d'appel, à l'égard de Mme S..., ès qualités, et de la société Labrador Film et de la société Intercop - International Corporate Activities.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'affaire n° T 18-23.249, dirigé contre l'arrêt du 19 octobre 2017

Enoncé du moyen

5. la société DFL fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble des demandes formées dans son intérêt et, par voie de confirmation, de constater la caducité de la déclaration d'appel du 3 août 2016, alors « que la garantie du droit d'accès au juge ne saurait être limitée que si l'atteinte n'est pas disproportionnée au but poursuivi ; qu'en l'espèce, la société DFL soutenait qu'elle avait été mise dans l'impossibilité d'accomplir les diligences requises dans le cadre de l'appel en raison de la rétention d'information de son ancien avocat et de Mme S... qui avait fait preuve de déloyauté procédurale en n'informant pas le conseiller de la mise en état de l'existence de deux procédures parallèles et de la constitution d'un nouveau conseil dans l'instance connexe ; qu'elle en déduisait que la caducité constituait une atteinte disproportionnée dès lors qu'elle venait sanctionner une partie empêchée d'accomplir les actes de procédure lui incombant en raison de l'inertie de son avocat et de la mauvaise foi de son adversaire ; qu'en conséquence, en se bornant, pour retenir que la société DFL n'a pas été privée de son droit d'accès au juge, que « la caducité de la déclaration d'appel résultant de ce que ses conclusions n'ont pas été remises au greffe dans le délai imparti par la loi ne constitue pas une sanction disproportionnée au but d'assurer l'efficacité de la procédure d'appel » sans répondre aux conclusions de la société DFL soutenant que le défaut de diligences ne lui était aucunement imputable, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Le moyen de l'appelante pris d'un défaut de diligence de l'avocat de l'intimé était inopérant, comme se prévalant d'une circonstance qui, à la supposer exacte, était postérieure à l'expiration du délai qui lui était imparti pour conclure, de sorte que la cour d'appel n'avait pas à y répondre.

7. Ayant relevé que l'avocat que la société DFL avait constitué au titre de son premier appel n'avait pas cessé ses fonctions et ne s'était pas trouvé dans l'une des hypothèses interruptives d'instance énumérées à l'article 369 du code de procédure civile, faisant ainsi ressortir que l'appelante ne s'était pas heurtée à un cas de force majeure, c'est par une décision motivée qu'elle a constaté la caducité de la déclaration d'appel faute de conclusions remises au greffe par l'appelante, établie au Luxembourg, dans un délai de cinq mois suivant sa déclaration d'appel.

8. Le moyen ne peut donc pas être accueilli.

Sur le moyen du pourvoi n° S 18-23.248, dirigé contre l'arrêt du 23 mars 2018

Enoncé du moyen

9. la société DFL fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme tardif le déféré formé le 11 juillet 2017 à l'encontre de l'ordonnance du 8 juin 2017, alors :

« 1°/ que les augmentations de délais prévues en raison de la distance s'appliquent dans tous les cas où il n'y est pas expressément dérogé ; que par ailleurs, la règle issue d'une décision postérieure à l'appel formé par une partie et conduisant à rendre cet appel irrecevable ne peut s'appliquer dès lors qu'elle aboutit à priver celle-ci d'un procès équitable ; qu'en l'espèce, la requête en déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état statuant sur la recevabilité de l'appel, formée par la société DFL devait, à défaut de texte spécifique l'excluant, bénéficier du délai de distance et non être soumise au délai de quinzaine à compter du prononcé de cette ordonnance ; qu'en effet, ce n'est que le 21 mars 2018, soit postérieurement au déféré formé le 11 juillet 2017, que la Cour de cassation a tranché la question en excluant l'allongement des délais de distance en matière de déféré pour les sociétés ayant leur siège social à l'étranger ; que cette nouvelle règle, conduisant à retenir l'irrecevabilité de l'appel formé devant la cour d'appel de Paris, ne pouvait être appliquée à la présente instance en ce qu'elle privait la société DFL d'un procès équitable ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 643 et 645 du code de procédure civile ;

2°/ que le déféré est un recours qui doit, en tant que tel, bénéficier du délai de distance prévu à l'article 643 du code de procédure civile ; qu'en décidant le contraire, motif pris de ce que « la requête en déféré est un acte de procédure qui s'inscrit dans le déroulement de la procédure d'appel et n'ouvre pas une instance autonome », la cour d'appel a derechef violé les articles 643 et 645 du code procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article 916 du code de procédure civile que la requête en déféré est un acte de procédure, accompli par un avocat constitué pour la procédure d'appel, qui s'inscrit dans le déroulement de cette procédure et n'ouvre pas une instance autonome. Il s'en déduit que l'article 643 du code de procédure civile, qui prévoit l'augmentation des délais prévus, au profit des personnes domiciliées à l'étranger, des délais de comparution, d'appel, d'opposition, de tierce opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation, n'est pas applicable à cette requête.

11. Il résulte de ce qui précède que l'application à la requête en déféré de la société DFL de cette règle, fût-elle affirmée par un arrêt rendu postérieurement à cette requête (2e Civ., 11 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.992, Bull. 2018, II, n° 3), n'était pas imprévisible pour l'appelante, représentée par un avocat, professionnel avisé, de sorte que celle-ci n'a pas été privée de son droit d'accès au juge, ni du droit à un procès équitable.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans s'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents formés dans l'affaire n° T 18-23.249, qui sont éventuels, la Cour :

REJETTE les pourvois de la société Dynamics Films Library.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : Me Bertrand ; SCP Gadiou et Chevallier ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Articles 916 et 643 du code de procédure civile ; article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 11 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.992, Bull. 2018, II, n° 3 (rejet).

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