Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2020

CONVENTIONS INTERNATIONALES

1re Civ., 12 juin 2020, n° 19-24.108, (P)

Cassation

Accords et conventions divers – Convention de La Haye du 25 octobre 1980 – Aspects civils de l'enlèvement international d'enfants – Article 3 – Déplacement illicite – Critères – Résidence habituelle de l'enfant – Détermination – Portée

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne relative à la résidence habituelle de l'enfant, au sens du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, que celle-ci correspond au lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie.

Il en résulte également que, lorsque l'enfant est un nourrisson, son environnement est essentiellement familial, déterminé par la ou les personnes de référence avec lesquelles il vit, qui le gardent effectivement et prennent soin de lui. En conséquence, l'intention initialement exprimée par les parents quant au retour de l'enfant dans un autre Etat membre, qui était celui de leur résidence habituelle avant la naissance de l'enfant, ne saurait être à elle seule décisive pour déterminer sa résidence habituelle, cette intention ne constituant qu'un indice de nature à compléter un faisceau d'autres éléments concordants. Cette intention initiale ne saurait être la considération prépondérante, en application d'une règle générale et abstraite selon laquelle la résidence habituelle d'un nourrisson serait nécessairement celle de ses parents. De même, le consentement ou l'absence de consentement de l'un des parents, dans l'exercice de son droit de garde, à ce que l'enfant s'établisse en un lieu ne saurait être une considération décisive pour déterminer la résidence habituelle de cet enfant.

Dès lors, prive sa décision de base légale au regard des articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, 2, 11), et 11, § 1, du règlement (CE) n° 2201/2003 précité la cour d'appel qui, s'agissant d'un nourrisson, retient que la résidence habituelle des parents et, subséquemment, celle de l'enfant, est établie en Grèce, sans rechercher, comme il le lui incombait, si, au regard du très jeune âge de celui-ci et de la circonstance qu'il était arrivé à l'âge d'un mois en France et y avait séjourné ensuite de manière ininterrompue avec sa mère, son environnement social et familial et, par suite, le centre de sa vie, ne s'y trouvait pas, nonobstant l'intention initiale des parents quant au retour de la mère, accompagnée de l'enfant, en Grèce après son séjour en France.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 29 octobre 2019), du mariage de Mme W..., de nationalité suisse, et de M. O..., de nationalité grecque, est né E... O... W..., le [...] à Palaio Faliro (Grèce).

Le 24 novembre 2018, Mme W..., accompagnée de son mari, a rejoint la France avec l'enfant afin de se reposer chez ses parents. Soutenant qu'elle refusait de rentrer en Grèce avec E... à l'issue de son séjour, comme convenu initialement, M. O... l'a assignée, le 26 juin 2019, devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Strasbourg pour voir ordonner le retour immédiat de l'enfant.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

2. Mme W... fait grief à l'arrêt de juger que le non-retour de l'enfant E... est illicite, d'ordonner son retour immédiat en Grèce et de la condamner aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais visés à l'article 26 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, alors « qu'en se fondant exclusivement sur l'analyse de la situation du nourrisson et de ses parents en Grèce pour juger que « la résidence habituelle de M. O... et Mme W..., et subséquemment celle de E... » (arrêt p. 6 alinéa 4) était établie en Grèce, sans examen de l'intégration de l'enfant et de sa mère dans leur domicile en France, quand il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt CJUE, 8 juin 2017, aff. C-111/17, PPU, OL c/PQ) que lorsqu'un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, dans un État membre différent de celui où réside habituellement le père, il convient de prendre en compte notamment, d'une part, la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour de celle-ci sur le territoire du premier État membre et, d'autre part, les origines géographiques et familiales de la mère ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par celle-ci et l'enfant dans le même État membre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble les articles 2, 11), et 11, § 1, du règlement (CE) du Conseil n° 2201/ 2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, 2, 11), et 11, § 1, du règlement (CE) n° 2201/ 2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale :

3. Au sens de ces textes, est illicite tout déplacement ou non-retour d'un enfant fait en violation d'un droit de garde exercé effectivement et attribué à une personne par le droit ou le juge de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ou son non-retour.

4. De la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 2 avril 2009, A, C-523/07, arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi, C-497/10 PPU, arrêt du 9 octobre 2014, C, C-376/14 PPU, arrêt du 8 juin 2017, OL, C-111/17 PPU, arrêt du 28 juin 2018, HR, C-512/17) résultent les éléments ci-après.

5. En premier lieu, la résidence habituelle de l'enfant, au sens du règlement n° 2201/2003, correspond au lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie et il appartient à la juridiction nationale de déterminer où se situe ce centre sur la base d'un faisceau d'éléments de fait concordants (arrêt précité du 28 juin 2018).

6. En deuxième lieu, la résidence habituelle doit être interprétée au regard des objectifs du règlement n° 2201/2003, notamment celui ressortant de son considérant 12, selon lequel les règles de compétence qu'il établit sont conçues en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant et, en particulier, du critère de proximité (arrêts précités du 2 avril 2009, points 34 et 35, du 22 décembre 2010, points 44 à 46, et du 8 juin 2017, point 40).

7. En troisième lieu, lorsque l'enfant est un nourrisson, son environnement est essentiellement familial, déterminé par la personne ou les personnes de référence avec lesquelles il vit, qui le gardent effectivement et prennent soin de lui, et il partage nécessairement l'environnement social et familial de cette personne ou de ces personnes.

En conséquence, lorsque, comme dans la présente espèce, un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, dans un État membre différent de celui où réside habituellement le père, il convient de prendre en compte notamment, d'une part, la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour de celle-ci sur le territoire du premier État membre, d'autre part, les origines géographiques et familiales de la mère ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par celle-ci et l'enfant dans le même État membre (arrêt précité du 8 juin 2017, point 45).

8. En quatrième lieu, lorsque dans les mêmes circonstances, un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, l'intention initialement exprimée par les parents quant au retour de celle-ci accompagnée de l'enfant dans un autre Etat membre, qui était celui de leur résidence habituelle avant la naissance de l'enfant, ne saurait être à elle seule décisive pour déterminer la résidence habituelle de l'enfant, au sens du règlement n° 2201/2003, cette intention ne constituant qu'un indice de nature à compléter un faisceau d'autres éléments concordants. Cette intention initiale ne saurait être la considération prépondérante, en application d'une règle générale et abstraite selon laquelle la résidence habituelle d'un nourrisson serait nécessairement celle de ses parents (même arrêt, points 47 et 50). De même, le consentement ou l'absence de consentement du père, dans l'exercice de son droit de garde, à ce que l'enfant s'établisse en un lieu ne saurait être une considération décisive pour déterminer la résidence habituelle de cet enfant, au sens du règlement n° 2201/2003 (même arrêt, point 54).

9. En l'espèce, pour fixer la résidence habituelle de l'enfant en Grèce, l'arrêt retient que, s'agissant d'un nourrisson, il est nécessaire de prendre en considération la résidence du couple et l'intention commune des parents, et qu'en cas de séjours temporaires à l'étranger, un changement de résidence ne peut être pris en considération qu'en cas d'intention ferme, formulée par les deux parents, d'abandonner leur résidence habituelle afin d'en acquérir une nouvelle, peu important le lieu où l'enfant a passé le plus de temps depuis sa naissance. Il relève que M. O... et Mme W... se sont mariés le 30 juillet 2015 en Grèce où ils résident régulièrement depuis quatre ans et où M. O... exerce principalement son activité professionnelle, Mme W... ayant mis fin à son activité professionnelle pour s'installer en Grèce avec son époux. Il constate que E... est de nationalité grecque et est né en Grèce où il a vécu pendant quatre semaines, le logement ayant été aménagé pour sa naissance, qu'il dispose d'un passeport grec, d'une mutuelle et est enregistré auprès de l'assurance maladie grecque. Il relève encore que les deux parents ont indiqué une adresse commune en Grèce lors de l'établissement de l'acte de naissance de leur fils et que la résidence de la famille est enregistrée auprès de la mairie du Pirée. Il en déduit que la résidence habituelle de M. O... et Mme W... et, subséquemment, celle de E... est établie en Grèce et que, si le déplacement de l'enfant en France ne présente aucun caractère illicite, les deux parents étant venus ensemble, d'un commun accord, avec l'enfant sur le territoire national, Mme W... ne pouvait décider de modifier unilatéralement la résidence habituelle de l'enfant sans l'accord du père et s'opposer à son retour.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si, au regard du très jeune âge de l'enfant et de la circonstance qu'il était arrivé à l'âge d'un mois en France et y avait séjourné de manière ininterrompue depuis lors avec sa mère, son environnement social et familial et, par suite, le centre de sa vie, ne s'y trouvait pas, nonobstant l'intention initiale des parents quant au retour de la mère, accompagnée de l'enfant, en Grèce après son séjour en France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen et le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants ; articles 2, 11), et 11, § 1, du règlement (CE) n° 2201/ 2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination de la résidence habituelle de l'enfant, à rapprocher : 1re Civ., 25 mars 2015, pourvoi n° 13-25.225, Bull. 2015, I, n° 70 (rejet), et l'arrêt cité.

1re Civ., 24 juin 2020, n° 19-15.198, (P)

Rejet

Accords et conventions divers – Convention de New York du 20 novembre 1989 – Droits de l'enfant – Article 3, § 1 – Intérêt supérieur de l'enfant – Attribution à un tiers d'un droit de visite et d'hébergement – Appréciation souveraine des juges du fond – Compatibilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 14 janvier 2019), Mme W... et Mme R... ont vécu ensemble de 2004 à septembre 2015.

L'enfant Y... R... est née le [...], reconnue par Mme R.... Après la séparation du couple en septembre 2015, Mme W... a assigné Mme R... devant le juge aux affaires familiales afin que soient fixées les modalités de ses relations avec l'enfant.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les deuxième à quatorzième branches du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme W... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de droit de visite et d'hébergement à l'égard de l'enfant Y..., alors :

« 1°/ que chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que cette exigence impose qu'en cas de séparation entre le parent biologique et le parent d'intention d'un enfant, le maintien du lien entre le parent d'intention et son enfant soit le principe, et la rupture de la relation, l'exception, en cas notamment de motifs graves, faisant peser un risque pour la santé ou la sécurité de l'enfant ; que l'article 371-4 du code civil, qui ne prévoit pas que le maintien du lien entre un parent d'intention et son enfant soit le principe, et la rupture de la relation, l'exception, et qui permet une rupture irrémédiable de la relation entre l'enfant et son parent de fait, sans que des motifs graves soient requis, porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale du parent d'intention et de l'enfant ; qu'en appliquant toutefois ce texte, pour dénier tout droit de visite et d'hébergement de Mme W... sur la petite fille dans la vie de laquelle la cour d'appel a relevé qu'elle s'était investie dès sa conception, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'en tout état de cause, s'il était considéré que les motifs du jugement avaient été adoptés concernant la conception de l'enfant, chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que cette exigence impose qu'en cas de séparation entre le parent biologique et le parent de fait d'un enfant, le maintien du lien entre le parent de fait et son enfant soit le principe, et la rupture de la relation, l'exception, en cas notamment de motifs graves, faisant peser un risque pour la santé ou la sécurité de l'enfant ; que l'article 371-4 du code civil, qui ne prévoit pas que le maintien du lien entre un parent d'intention et son enfant soit le principe, et la rupture de la relation, l'exception, et qui permet une rupture irrémédiable de la relation entre l'enfant et son parent de fait, sans que des motifs graves soient requis, porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale du parent d'intention et de l'enfant ; qu'en appliquant toutefois ce texte, pour dénier tout droit de visite et d'hébergement de Mme W... sur la petite fille dans la vie de laquelle la cour d'appel a relevé qu'elle s'était investie dès sa conception, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en tout état de cause, chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que la cour d'appel a relevé que Mme W... s'était investie dans le projet parental ayant donné lieu à la conception de Y..., étant présente pour l'insémination, le suivi de la grossesse de la mère biologique, au moment de l'accouchement et de la naissance, qui a été annoncée par les deux femmes dans un faire-part mentionnant leurs deux noms ; qu'il s'évince également de l'arrêt que jusqu'au moment où Mme R... a décidé unilatéralement que Mme W... ne verrait plus l'enfant, Mme W... a d'abord vécu de manière stable avec l'enfant, a pourvu à son éducation et à son entretien, étant très impliquée dans sa vie quotidienne, ayant aménagé ses horaires de travail pour s'en occuper, puis a exercé un droit de visite sur la petite fille après la séparation du couple ; qu'en déniant tout droit de visite et d'hébergement de Mme W... sur la petite fille qu'elle a élevée pendant les premières années de sa vie, aux motifs qu'elle n'avait pas su la préserver du conflit existant avec son ex-compagne et que l'enfant, en bas âge, ne l'ayant pas vue depuis quelques temps, manifestait de la crainte envers elle, éléments non susceptibles de caractériser des risques pour l'enfant, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de Mme W..., en méconnaissance de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que par ailleurs, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; que l'article 371-4 du code civil qui ne prévoit pas de droit pour l'enfant au maintien de ses relations avec le parent d'intention, ni corrélativement d'obligation incombant à ce parent de fait de maintenir ce lien, contrairement à la situation de l'enfant issu d'un mariage entre des personnes de même sexe, ayant fait l'objet d'une adoption, méconnaît les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en appliquant dès lors cette disposition, pour refuser tout droit de visite et d'hébergement à Mme W..., la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que par ailleurs, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; que l'article 371-4 du code civil qui ne prévoit pas d'obligation, pour le parent de fait, de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé, contrairement à l'enfant issu d'un mariage entre des personnes de même sexe, ayant fait l'objet d'une adoption, méconnaît les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en appliquant dès lors cette disposition, pour refuser tout droit de visite et d'hébergement à Mme W..., la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; que cet intérêt supérieur impose que lorsqu'une personne est impliquée dans la vie d'un enfant depuis sa conception et l'a élevé, le lien entre eux doit être en principe maintenu, sauf dans des cas exceptionnels dans lesquels existent des motifs graves, correspondant à des hypothèses dans lesquelles l'enfant est soumis à des risques pour sa sécurité ou sa santé ; qu'en faisant application de l'article 371-4 du code civil, et en déboutant ainsi Mme W... de sa demande de fixation d'un droit de visite et d'hébergement sur l'enfant Y..., après avoir pourtant constaté son implication essentielle dans la vie de Y... et sa participation active à sa vie quotidienne depuis sa conception jusqu'à ce que sa mère biologique s'oppose à ce qu'elle voit la petite fille, et sans relever aucun motif grave qui y ferait obstacle, la cour d'appel a violé l'article 3-1 de la Convention de New York ;

7°/ que, subsidiairement, si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non ; que la cour d'appel a relevé que Mme W... s'était impliquée activement dans la vie de l'enfant Y... depuis sa conception jusqu'à ce que sa mère biologique s'oppose à ce qu'elle voit la petite fille et n'a relevé à son encontre aucun motif grave qui s'opposerait à un droit de visite et d'hébergement ; qu'en considérant toutefois que l'intérêt de l'enfant ne justifiait pas qu'un droit de visite et d'hébergement soit mis en place, la cour d'appel a violé l'article 371-4 du code civil, ensemble l'article 3 de la Convention de New York ;

8°/ que, tout aussi subsidiairement, si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non ; qu'en énonçant, pour débouter Mme W... de sa demande de voir fixé un droit de visite et d'hébergement sur l'enfant Y..., sur l'existence d'un conflit avec son ex-compagne et la circonstance qu'elle n'avait pas su la préserver du conflit existant avec son ex-compagne, celle-ci ayant eu des comportements emportés et véhéments, en présence de l'enfant en raison de ce conflit, la cour d'appel qui a statué par un motif insuffisant à exclure que l'intérêt de l'enfant soit de maintenir un lien avec Mme W... qui l'a élevée et s'est impliquée dans sa vie dès sa conception, a violé l'article 371-4 du code civil, ensemble l'article 3 de la Convention de New York ;

9°/ que, tout aussi subsidiairement, si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non ; qu'en énonçant, pour considérer que la maintien de ses relations avec Mme W... n'était pas dans l'intérêt de l'enfant, que Mme W... n'avait pas su préserver la petite fille de ses conflits avec la mère biologique, qu'elle avait eu un comportement véhément et violent, qu'elle avait fait irruption dans les lieux de travail et le domicile de son ex compagne, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ce comportement ne s'expliquait pas précisément par l'opposition de son ex compagne à ce qu'elle maintienne un lien avec l'enfant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 371-4 du code civil, ensemble l'article 3.1 de la Convention de New York ;

10°/ que, tout aussi subsidiairement, si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non ; que la cour d'appel a relevé que Mme W... avait exercé un droit de visite et d'hébergement sur l'enfant Y... après la séparation avec sa partenaire ; qu'en énonçant, pour rejeter tout droit de visite et d'hébergement, que Mme W... en était « arrivée aux mains », le jour de la séparation d'avec son ex compagne, lors même qu'un droit de visite avait été mis en place ultérieurement, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier l'absence de tout droit de visite et d'hébergement de Mme W..., et partant, la rupture irrémédiable de relations, qu'il impliquait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article de l'article 371-4 du code civil, ensemble l'article 3.1 de la Convention de New York ;

11°/ que, tout aussi subsidiairement, si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non ; que l'intérêt de l'enfant, lorsqu'il est en bas âge, ne s'apprécie pas au regard de l'expression de sa volonté ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande d'hébergement de Mme W..., après avoir relevé que Mme R... avait fait obstacle à ce que l'enfant voit Mme W..., qui l'a élevée, que l'enfant nourrissait des craintes à l'idée de partir et de résider avec elle, et en statuant ainsi par des motifs insuffisants à exclure que l'intérêt de l'enfant soit de maintenir un lien avec Mme W... qui l'a élevée et s'est impliquée dans sa vie dès sa conception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 371-4 du code civil ;

12°/ que, tout aussi subsidiairement, les juges doivent viser et analyser les éléments de preuve sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'en énonçant, pour exclure tout lien d'affection durable entre l'enfant et Mme W..., sur la circonstance que si un attachement a pu se développer avant la séparation du couple, « il n'apparaît pas que celui-ci ait perduré à l'issue de la rupture du couple », sans viser ni analyser les éléments de preuve sur lesquels elle s'est fondée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

13°/ que, tout aussi subsidiairement, les relations conflictuelles entre un parent biologique et la personne qui a élevé l'enfant avec lui constitue une circonstance étrangère à l'appréciation de l'intérêt de l'enfant ; qu'en se fondant, pour dénier à Mme W..., tout droit de visite et d'hébergement sur l'enfant Y..., sur la circonstance que la petite fille devait être préservée du conflit entre sa mère biologique et sa mère de fait, la cour d'appel a violé l'article 371-4 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

5. Aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

6. Aux termes de l'article 14 de la même Convention, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

7. Aux termes de l'article 371-4, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.

8. Ce texte permet le maintien des liens entre l'enfant et l'ancienne compagne ou l'ancien compagnon de sa mère ou de son père lorsque des liens affectifs durables ont été noués, tout en le conditionnant à l'intérêt de l'enfant.

9. En ce qu'il tend, en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l'intérêt supérieur de l'enfant, il ne saurait, en lui-même, méconnaître les exigences conventionnelles résultant des articles 3, § 1, de la Convention de New York et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il ne saurait davantage méconnaître les exigences résultant de l'article 14 de cette même Convention dès lors qu'il n'opère, en lui-même, aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l'union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d'autres dispositions légales selon lesquelles la création d'un double lien de filiation au sein d'un couple de même sexe implique, en l'état du droit positif, l'adoption de l'enfant par le conjoint de son père ou de sa mère.

11. L'arrêt relève que Mme W..., bien que réticente à l'idée d'accueillir un enfant au sein de son foyer, s'est impliquée dans le projet de Mme R... dès la conception de l'enfant, étant présente pour l'insémination, le suivi médical de la grossesse et au moment de l'accouchement. Il constate que la naissance de l'enfant a été annoncée par les deux femmes au moyen d'un faire-part mentionnant leurs deux noms. Il ajoute que chacune d'elles s'est investie dans le quotidien de l'enfant après sa naissance et qu'un droit de visite et d'hébergement amiable une fin de semaine sur deux a été instauré au bénéfice de Mme W... à l'issue de la séparation du couple, en septembre 2015.

12. Il relève cependant que le droit de visite et d'hébergement de Mme W... a cessé d'être exercé dès le mois de janvier 2016, Mme R... refusant que sa fille continue de voir son ancienne compagne en raison du comportement violent de celle-ci. Il précise que, si le caractère conflictuel de la séparation n'est pas contesté par les parties, la violence des interventions de Mme W... à l'égard de Mme R... est attestée par les pièces produites, qui font état d'intrusions sur le lieu de travail de celle-ci et au domicile de ses parents, en présence de l'enfant, qui a été le témoin de ses comportements véhéments et emportés.

13. Il estime que ces confrontations, en présence de l'enfant, ont généré une crainte et une réticence réelle de celle-ci à l'idée de se rendre chez Mme W..., et que cette dernière n'a pas su préserver Y... du conflit avec son ancienne compagne, ce qui est de nature à perturber son équilibre psychique.

14. Il retient enfin que, si Mme W... a pu résider de manière stable avec l'enfant du temps de la vie commune du couple et a pourvu à son éducation et à son entretien sur cette même période, la preuve du développement d'une relation forte et de l'existence d'un lien d'affection durable avec Y... n'est pas rapportée.

15. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a souverainement déduit qu'il n'était pas dans l'intérêt de l'enfant d'accueillir la demande de Mme W.... Elle a ainsi, par une décision motivée, statuant en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit être primordial, légalement justifié sa décision, sans porter atteinte de façon disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme W....

16. Il n'y a pas donc lieu d'accueillir la demande aux fins d'avis consultatif de la Cour européenne des droits de l'homme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; Me Le Prado -

Textes visés :

Articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ; article 371-4, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions d'octroi d'un droit de visite et d'hébergement avec un tiers, à rapprocher : 1re Civ., 13 juillet 2017, pourvoi n° 16-24.084, Bull. 2017, I, n° 180 (rejet).

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