Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2020

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

2e Civ., 4 juin 2020, n° 18-23.248, n° 18-23.249, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Principe de sécurité juridique – Violation – Défaut – Cas – Inapplication des délais de distance au déféré

Il résulte de ce qui précède que l'application à une requête en déféré de cette règle, fût-elle affirmée par un arrêt (2e Civ., 11 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.992, Bull. 2018, II, n° 3) rendu postérieurement à cette requête, n'était pas imprévisible pour son auteur représenté par un avocat, professionnel avisé, de sorte qu'il n'a pas été privé de son droit d'accès au juge, ni du droit à un procès équitable.

En raison de leur connexité, les pourvois n° T 18-23.249 et n° S 18-23.248 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 19 octobre 2017 et 23 mars 2018) et les productions, à la suite de l'ouverture, le 16 avril 2012, d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Filmedis, le tribunal de commerce en charge de cette procédure a prononcé, sur le fondement de l'article L. 632-2 du code de commerce, la nullité d'un acte du 25 janvier 2012, par lequel cette société, ultérieurement placée en liquidation judiciaire, avait apporté la totalité de ses actifs à une société de droit luxembourgeois Dynamics Films Library (la société DFL).

3. La société DFL a formé, le 3 août 2016, un premier appel de ce jugement, intimant Mme S..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Filmedis, la société Labrador Films et la société Intercorp International Corporate Activities, puis un second appel, le 5 août 2016, intimant, outre ces mêmes parties, Mme I....

4. Par le premier arrêt attaqué, la cour d'appel a confirmé une ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de la première déclaration d'appel, faute de conclusions dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile.

Par le second arrêt attaqué, la cour d'appel a déclaré irrecevable, comme tardif, le déféré formé par la société DFL contre une ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de la seconde déclaration d'appel, à l'égard de Mme S..., ès qualités, et de la société Labrador Film et de la société Intercop - International Corporate Activities.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'affaire n° T 18-23.249, dirigé contre l'arrêt du 19 octobre 2017

Enoncé du moyen

5. la société DFL fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble des demandes formées dans son intérêt et, par voie de confirmation, de constater la caducité de la déclaration d'appel du 3 août 2016, alors « que la garantie du droit d'accès au juge ne saurait être limitée que si l'atteinte n'est pas disproportionnée au but poursuivi ; qu'en l'espèce, la société DFL soutenait qu'elle avait été mise dans l'impossibilité d'accomplir les diligences requises dans le cadre de l'appel en raison de la rétention d'information de son ancien avocat et de Mme S... qui avait fait preuve de déloyauté procédurale en n'informant pas le conseiller de la mise en état de l'existence de deux procédures parallèles et de la constitution d'un nouveau conseil dans l'instance connexe ; qu'elle en déduisait que la caducité constituait une atteinte disproportionnée dès lors qu'elle venait sanctionner une partie empêchée d'accomplir les actes de procédure lui incombant en raison de l'inertie de son avocat et de la mauvaise foi de son adversaire ; qu'en conséquence, en se bornant, pour retenir que la société DFL n'a pas été privée de son droit d'accès au juge, que « la caducité de la déclaration d'appel résultant de ce que ses conclusions n'ont pas été remises au greffe dans le délai imparti par la loi ne constitue pas une sanction disproportionnée au but d'assurer l'efficacité de la procédure d'appel » sans répondre aux conclusions de la société DFL soutenant que le défaut de diligences ne lui était aucunement imputable, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Le moyen de l'appelante pris d'un défaut de diligence de l'avocat de l'intimé était inopérant, comme se prévalant d'une circonstance qui, à la supposer exacte, était postérieure à l'expiration du délai qui lui était imparti pour conclure, de sorte que la cour d'appel n'avait pas à y répondre.

7. Ayant relevé que l'avocat que la société DFL avait constitué au titre de son premier appel n'avait pas cessé ses fonctions et ne s'était pas trouvé dans l'une des hypothèses interruptives d'instance énumérées à l'article 369 du code de procédure civile, faisant ainsi ressortir que l'appelante ne s'était pas heurtée à un cas de force majeure, c'est par une décision motivée qu'elle a constaté la caducité de la déclaration d'appel faute de conclusions remises au greffe par l'appelante, établie au Luxembourg, dans un délai de cinq mois suivant sa déclaration d'appel.

8. Le moyen ne peut donc pas être accueilli.

Sur le moyen du pourvoi n° S 18-23.248, dirigé contre l'arrêt du 23 mars 2018

Enoncé du moyen

9. la société DFL fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme tardif le déféré formé le 11 juillet 2017 à l'encontre de l'ordonnance du 8 juin 2017, alors :

« 1°/ que les augmentations de délais prévues en raison de la distance s'appliquent dans tous les cas où il n'y est pas expressément dérogé ; que par ailleurs, la règle issue d'une décision postérieure à l'appel formé par une partie et conduisant à rendre cet appel irrecevable ne peut s'appliquer dès lors qu'elle aboutit à priver celle-ci d'un procès équitable ; qu'en l'espèce, la requête en déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état statuant sur la recevabilité de l'appel, formée par la société DFL devait, à défaut de texte spécifique l'excluant, bénéficier du délai de distance et non être soumise au délai de quinzaine à compter du prononcé de cette ordonnance ; qu'en effet, ce n'est que le 21 mars 2018, soit postérieurement au déféré formé le 11 juillet 2017, que la Cour de cassation a tranché la question en excluant l'allongement des délais de distance en matière de déféré pour les sociétés ayant leur siège social à l'étranger ; que cette nouvelle règle, conduisant à retenir l'irrecevabilité de l'appel formé devant la cour d'appel de Paris, ne pouvait être appliquée à la présente instance en ce qu'elle privait la société DFL d'un procès équitable ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 643 et 645 du code de procédure civile ;

2°/ que le déféré est un recours qui doit, en tant que tel, bénéficier du délai de distance prévu à l'article 643 du code de procédure civile ; qu'en décidant le contraire, motif pris de ce que « la requête en déféré est un acte de procédure qui s'inscrit dans le déroulement de la procédure d'appel et n'ouvre pas une instance autonome », la cour d'appel a derechef violé les articles 643 et 645 du code procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article 916 du code de procédure civile que la requête en déféré est un acte de procédure, accompli par un avocat constitué pour la procédure d'appel, qui s'inscrit dans le déroulement de cette procédure et n'ouvre pas une instance autonome. Il s'en déduit que l'article 643 du code de procédure civile, qui prévoit l'augmentation des délais prévus, au profit des personnes domiciliées à l'étranger, des délais de comparution, d'appel, d'opposition, de tierce opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation, n'est pas applicable à cette requête.

11. Il résulte de ce qui précède que l'application à la requête en déféré de la société DFL de cette règle, fût-elle affirmée par un arrêt rendu postérieurement à cette requête (2e Civ., 11 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.992, Bull. 2018, II, n° 3), n'était pas imprévisible pour l'appelante, représentée par un avocat, professionnel avisé, de sorte que celle-ci n'a pas été privée de son droit d'accès au juge, ni du droit à un procès équitable.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans s'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents formés dans l'affaire n° T 18-23.249, qui sont éventuels, la Cour :

REJETTE les pourvois de la société Dynamics Films Library.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : Me Bertrand ; SCP Gadiou et Chevallier ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Articles 916 et 643 du code de procédure civile ; article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 11 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.992, Bull. 2018, II, n° 3 (rejet).

Com., 24 juin 2020, n° 19-14.098, (P)

Rejet

Article 8 – Respect de la vie privée – Atteinte – Proportionnalité – Publication des comptes annuels d'une société par actions simplifiée unipersonnelle

S'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande, n° 931/13) que les données portant sur le patrimoine d'une personne physique relèvent de sa vie privée, les comptes annuels d'une société par actions simplifiée unipersonnelle ne constituent, toutefois, qu'un des éléments nécessaires à la détermination de la valeur des actions que possède son associé unique, dont le patrimoine, distinct de celui de la société, n'est qu'indirectement et partiellement révélé. L'atteinte portée au droit à la protection des données à caractère personnel de cet associé par la publication de ces comptes est donc proportionnée au but légitime de détection et de prévention des difficultés des entreprises, poursuivi par les dispositions de l'article L. 611-2, II, du code de commerce.

Faits et procédure

1. Selon la première des deux ordonnances attaquées (Nanterre, 10 septembre 2018 et 21 janvier 2019), rendues en dernier ressort, un juge chargé de la surveillance du registre du commerce et des sociétés d'un tribunal de commerce a, sur le fondement de l'article L. 611-2, II, du code de commerce, enjoint à M. H..., président et unique associé de la société par actions simplifiée Polair, de procéder au dépôt des comptes annuels de cette société pour les exercices 2015, 2016 et 2017 dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'encontre de M. H... et de la société Polair, tenus solidairement. M. H... n'ayant pas déféré à cette injonction, le même juge l'a, par la seconde ordonnance attaquée, condamné in solidum avec la société Polair à payer au Trésor public la somme de 3 000 euros en liquidation de l'astreinte.

Examen du moyen unique

Enoncé du moyen

2. M. H... et la société Polair font grief à l'ordonnance du 10 septembre 2018 d'enjoindre à M. H..., représentant légal de la société Polair, de procéder au dépôt des comptes annuels au titre des exercices clôturés en 2017, 2016 et 2015, dans le délai d'un mois à compter de sa notification, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à l'ordonnance du 21 janvier 2019 de condamner in solidum la société Polair et M. H... à payer au Trésor public la somme de 3 000 euros en liquidation de l'astreinte alors « que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 611-2, II, du code de commerce, dont il résulte que le président du tribunal de commerce peut enjoindre sous astreinte à une société commerciale unipersonnelle propriétaire d'un seul bien de déposer ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, l'obligeant ainsi à dévoiler des informations à caractère personnel relatives à son associé unique, qui sera prononcée sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. H... et la société Polair, privera de fondement les ordonnances attaquées, qui devront ainsi être annulées. »

Réponse de la Cour

3. La Cour de cassation ayant, par un arrêt n° 884 F-D du 17 octobre 2019, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 611-2, II, du code de commerce, le moyen est sans portée.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. H... et la société Polair font le même grief aux ordonnances précitées alors « que toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ; que la divulgation de la situation patrimoniale d'une personne physique constitue une donnée à caractère personnel protégée ; que l'associé unique d'une société commerciale propriétaire d'un unique bien, soumise à l'obligation de déposer ses comptes au greffe du tribunal de commerce, voit ainsi des informations d'ordre patrimonial le concernant divulguées aux tiers sans y avoir consenti, de nature à causer une atteinte disproportionnée au droit à la protection de ses données à caractère personnel ; qu'en enjoignant à M. H..., représentant légal et associé unique de la société Polair, propriétaire d'un seul bien, de déposer les comptes annuels des exercices 2017, 2016 et 2015 au greffe du tribunal de commerce sans solliciter son accord préalable, le président du tribunal de commerce a porté une atteinte disproportionnée au droit de M. H... à la protection de ses données personnelles d'ordre patrimonial, violant ainsi l'article 9 du code civil, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 16 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données du 27 avril 2016. »

Réponse de la Cour

5. S'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oyc.Finlande, grande chambre, no. 931/13, 27 juin 2017) que les données portant sur le patrimoine d'une personne physique relèvent de sa vie privée, les comptes annuels d'une société par actions simplifiée unipersonnelle ne constituent, toutefois, qu'un des éléments nécessaires à la détermination de la valeur des actions que possède son associé unique, dont le patrimoine, distinct de celui de la société, n'est qu'indirectement et partiellement révélé.

L'atteinte portée au droit à la protection des données à caractère personnel de cet associé pour la publication de ces comptes est donc proportionnée au but légitime de détection et de prévention des difficultés des entreprises, poursuivi par les dispositions de l'article L. 611-2, II, du code de commerce.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Article L. 611-2, II, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la protection des données portant sur le patrimoine d'une personne physique, cf. : CEDH, arrêt du 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande, n° 931/13.

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