Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 3 juin 2020, n° 18-21.993, (P)

Rejet

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Défaut – Applications diverses – Mise en oeuvre des mesures prévues à l'article L. 5213-6 du code du travail – Employeur – Refus – Portée

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 juin 2018), que M. G... a été engagé le 28 avril 1998 par la société ISS propreté en qualité d'agent d'entretien au sein de l'[...] ; que le 15 juin 2010 il a été placé en arrêt de travail suite à un accident dont le caractère professionnel a été ultérieurement reconnu par la caisse primaire d'assurance maladie ; que le 24 décembre 2010, il a été reconnu travailleur handicapé ; qu'après avoir été déclaré inapte le 7 avril 2015, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'annuler le licenciement du salarié en raison de la discrimination liée à son état de santé et son handicap et, en conséquence, de le condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité de préavis et congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement nul alors, selon le moyen :

1°/ qu'interdiction est faite au juge de dénaturer les documents de la cause ; que parmi les courriels adressés entre le 23 et le 30 avril 2015 par Mme W... E..., figuraient des courriels adressés à d'autres sociétés du groupe telles que les sociétés ISS logistique et production et Channel Passengers Services, sans que la recherche de reclassement sollicitée par ISS propreté n'ait été restreinte à une activité de nettoyage ; qu'en affirmant que la société ISS propreté justifiait par ces courriels avoir adressé une demande de reclassement aux autres agences régionales de la société mais pas avoir recherché le reclassement du salarié au sein du groupe parmi les activités autorisant la permutation des personnels dans les autres domaines d'activité que le nettoyage, la cour d'appel a dénaturé lesdits courriels, en violation du principe susvisé ;

2°/ qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. G... avait, par courrier du 30 mars 2015, déclaré s'opposer à un reclassement au-delà de la commune urbaine de Lille ; que dès lors en reprochant à la société d'avoir adressé à ses agences régionales un courrier stéréotypé de pure forme, de ne pas justifier avoir adressé ce courrier à toutes ses agences régionales, et de ne pas produire toutes les réponses de celles-ci, lorsqu'en l'état de la volonté clairement manifestée de l'intéressé de n'être reclassé que dans le périmètre de la communauté urbaine de Lille, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir recherché le reclassement du salarié sur tout le territoire national, cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation de l'article L. 1226-10 du code du travail ;

3°/ que l'obligation de reclassement s'effectue conformément aux préconisations du médecin du travail et en concertation avec ce dernier ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que postérieurement à l'avis d'inaptitude, par courrier du 8 avril 2015, la société avait sollicité le médecin du travail aux fins notamment de savoir « quel type de taches M. G... pourrait éventuellement effectuer sans que cela ne soit préjudiciable à sa santé » et en particulier si celui-ci devait « impérativement être reclassé sur un poste sédentaire », la société se tenant à la disposition du médecin du travail pour toute visite à l'agence afin d'envisager toute possibilité de reclassement, et que ce dernier avait, par courrier du 13 avril 2015, refusé de lui apporter la moindre réponse en se retranchant derrière son avis d'inaptitude ; que dès lors en reprochant à la société de ne pas justifier d'études de postes ou de recherches d'aménagement du poste de travail du salarié conformes aux préconisations du médecin du travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations desquelles il résultait l'impossibilité pour l'employeur d'envisager un aménagement du poste compte tenu du refus du médecin du travail de coopérer avec elle, en violation de l'article L. 1226-10 du code du travail ;

4°/ qu'aucune disposition n'impose à l'employeur qui envisage le licenciement pour inaptitude d'un salarié handicapé de saisir le SAMETH dans le cadre de son obligation de reclassement ; qu'en jugeant en l'espèce que le défaut de saisine de cet organisme en dépit de la demande du salarié caractérisait un manquement de la société à son obligation de reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-10 du code du travail ;

5°/ que le licenciement du salarié déclaré régulièrement inapte à son poste de travail n'est pas prononcé à raison de l'état de santé du salarié ; que le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement a pour seule conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse ; que dès lors en jugeant que l'inexécution par la société ISS propreté de son obligation de reclassement avait fait du salarié une victime de discrimination liée à son état de santé et à son handicap rendant son licenciement nul, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1133-1, L. 1132-4, L. 5213-6 et L. 1226-10 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a estimé, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, hors toute dénaturation, que l'employeur n'avait pas exécuté sérieusement et loyalement son obligation de reclassement ;

Attendu, ensuite, que si le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement a pour conséquence de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, l'article L. 5213-6 du code du travail dispose qu'afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, que ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur, et que le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3 ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur, nonobstant l'importance de ses effectifs et le nombre de ses métiers, ne justifiait pas d'études de postes ni de recherche d'aménagements du poste du salarié, et qu'il n'avait pas consulté le Service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (SAMETH), bien qu'il y ait été invité à deux reprises par le salarié, a pu en déduire qu'il avait refusé de prendre les mesures appropriées pour permettre à ce dernier de conserver un emploi, ce dont il résultait que le licenciement constitutif d'une discrimination à raison d'un handicap était nul ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Ricour - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 5213-6, L. 5213-10 et L. 1133-3 du code du travail.

Soc., 10 juin 2020, n° 18-26.229, n° 18-26.230, (P)

Rejet

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Contestation – Action en contestation – Compétence du juge administratif – Etendue – Limites – Compétence du juge judiciaire – Cas – Action ultérieure en violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail exercée par les salariés licenciés – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 18-26.229 et 18-26.230 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte au groupement d'intérêt économique (GIE) Pari mutuel hippodrome du désistement de ses pourvois en ce qu'ils sont dirigés contre l'association France Galop et l'association Le Trot.

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués (Paris, 8 novembre 2018), le GIE Pari mutuel hippodrome a présenté un projet de transformation de son activité de mise en oeuvre des paris sur les hippodromes parisiens, de Chantilly et de Deauville, qui s'accompagnait d'un plan de sauvegarde de l'emploi prévoyant la cessation de son activité et la suppression de deux cent-neuf postes de travail. Un accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi a été conclu le 2 juin 2015 et validé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi le 30 juin 2015. M. L... et M. R... dont le contrat de travail a été rompu dans le cadre de ce licenciement collectif, ont saisi la juridiction prud'homale notamment de demandes en paiement de dommages-intérêts fondées sur la fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail.

4. L'employeur a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois dernières branches

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief aux arrêts de rejeter l'exception d'incompétence et de dire le conseil de prud'hommes matériellement compétent pour connaître du litige, alors « que l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-4 du code du travail, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure du licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4 du même code ; que ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif ; que la question de savoir si le PSE méconnaît les exigences d'ordre public de l'article L. 1224-1 du code du travail, qui concerne la régularité de la procédure du licenciement collectif, relève donc de la compétence du juge administratif ; qu'en décidant que la question de savoir si les contrats de travail des salariés du GIE PMH auraient dû être transférés au GIE PMU en application de l'article L. 1224-1 du code du travail relevait de la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 233-24-4, L. 1233-57-5, L. 1233-57-4 et L. 1224-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des articles L. 1233-57-2, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, et L. 1235-7-1 du code du travail que, dans le cas d'un licenciement collectif pour lequel l'employeur est tenu d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi, l'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée notamment de sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3, de la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise, en particulier la vérification que le comité d'entreprise a été mis à même de formuler les avis mentionnés à l'article L. 1233-30 en toute connaissance de cause, et de la présence dans le plan de sauvegarde de l'emploi des mesures prévues aux articles L. 1233-61, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 1233-63.

Le contenu du plan et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

8. Le juge judiciaire demeure ainsi compétent pour connaître de l'action exercée par les salariés licenciés aux fins de voir constater une violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, de nature à priver d'effet les licenciements économiques prononcés à l'occasion du transfert d'une entité économique autonome, et de demander au repreneur la poursuite des contrats de travail illégalement rompus ou à l'auteur des licenciements illégaux la réparation du préjudice en résultant.

9. La cour d'appel, qui a constaté que le conseil de prud'hommes était saisi de demandes des salariés tendant à la condamnation de l'auteur des licenciements au paiement de dommages-intérêts en raison d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, en a exactement déduit que la juridiction prud'homale était compétente.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 1224-1, L. 1233-57-2, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 et L. 1235-7-1 du code du travail.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.