Numéro 6 - Juin 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 3 juin 2020, n° 18-21.993, (P)

Rejet

Maladie – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude au travail – Obligation de reclassement – Obligation de l'employeur – Mise en oeuvre – Modalités – Détermination – Applications diverses – Travailleurs handicapés

Si le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement a pour conséquence de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, l'article L. 5213-6 du code du travail dispose qu'afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, que ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur, et que le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3.

Employeur – Discrimination entre salariés – Discrimination fondée sur l'état de santé ou le handicap – Cas – Mise en oeuvre des mesures prévues à l'article L. 5213-6 du code du travail – Employeur – Refus – Portée

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 juin 2018), que M. G... a été engagé le 28 avril 1998 par la société ISS propreté en qualité d'agent d'entretien au sein de l'[...] ; que le 15 juin 2010 il a été placé en arrêt de travail suite à un accident dont le caractère professionnel a été ultérieurement reconnu par la caisse primaire d'assurance maladie ; que le 24 décembre 2010, il a été reconnu travailleur handicapé ; qu'après avoir été déclaré inapte le 7 avril 2015, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'annuler le licenciement du salarié en raison de la discrimination liée à son état de santé et son handicap et, en conséquence, de le condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité de préavis et congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement nul alors, selon le moyen :

1°/ qu'interdiction est faite au juge de dénaturer les documents de la cause ; que parmi les courriels adressés entre le 23 et le 30 avril 2015 par Mme W... E..., figuraient des courriels adressés à d'autres sociétés du groupe telles que les sociétés ISS logistique et production et Channel Passengers Services, sans que la recherche de reclassement sollicitée par ISS propreté n'ait été restreinte à une activité de nettoyage ; qu'en affirmant que la société ISS propreté justifiait par ces courriels avoir adressé une demande de reclassement aux autres agences régionales de la société mais pas avoir recherché le reclassement du salarié au sein du groupe parmi les activités autorisant la permutation des personnels dans les autres domaines d'activité que le nettoyage, la cour d'appel a dénaturé lesdits courriels, en violation du principe susvisé ;

2°/ qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. G... avait, par courrier du 30 mars 2015, déclaré s'opposer à un reclassement au-delà de la commune urbaine de Lille ; que dès lors en reprochant à la société d'avoir adressé à ses agences régionales un courrier stéréotypé de pure forme, de ne pas justifier avoir adressé ce courrier à toutes ses agences régionales, et de ne pas produire toutes les réponses de celles-ci, lorsqu'en l'état de la volonté clairement manifestée de l'intéressé de n'être reclassé que dans le périmètre de la communauté urbaine de Lille, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir recherché le reclassement du salarié sur tout le territoire national, cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation de l'article L. 1226-10 du code du travail ;

3°/ que l'obligation de reclassement s'effectue conformément aux préconisations du médecin du travail et en concertation avec ce dernier ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que postérieurement à l'avis d'inaptitude, par courrier du 8 avril 2015, la société avait sollicité le médecin du travail aux fins notamment de savoir « quel type de taches M. G... pourrait éventuellement effectuer sans que cela ne soit préjudiciable à sa santé » et en particulier si celui-ci devait « impérativement être reclassé sur un poste sédentaire », la société se tenant à la disposition du médecin du travail pour toute visite à l'agence afin d'envisager toute possibilité de reclassement, et que ce dernier avait, par courrier du 13 avril 2015, refusé de lui apporter la moindre réponse en se retranchant derrière son avis d'inaptitude ; que dès lors en reprochant à la société de ne pas justifier d'études de postes ou de recherches d'aménagement du poste de travail du salarié conformes aux préconisations du médecin du travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations desquelles il résultait l'impossibilité pour l'employeur d'envisager un aménagement du poste compte tenu du refus du médecin du travail de coopérer avec elle, en violation de l'article L. 1226-10 du code du travail ;

4°/ qu'aucune disposition n'impose à l'employeur qui envisage le licenciement pour inaptitude d'un salarié handicapé de saisir le SAMETH dans le cadre de son obligation de reclassement ; qu'en jugeant en l'espèce que le défaut de saisine de cet organisme en dépit de la demande du salarié caractérisait un manquement de la société à son obligation de reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-10 du code du travail ;

5°/ que le licenciement du salarié déclaré régulièrement inapte à son poste de travail n'est pas prononcé à raison de l'état de santé du salarié ; que le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement a pour seule conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse ; que dès lors en jugeant que l'inexécution par la société ISS propreté de son obligation de reclassement avait fait du salarié une victime de discrimination liée à son état de santé et à son handicap rendant son licenciement nul, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1133-1, L. 1132-4, L. 5213-6 et L. 1226-10 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a estimé, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, hors toute dénaturation, que l'employeur n'avait pas exécuté sérieusement et loyalement son obligation de reclassement ;

Attendu, ensuite, que si le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement a pour conséquence de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, l'article L. 5213-6 du code du travail dispose qu'afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, que ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur, et que le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3 ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur, nonobstant l'importance de ses effectifs et le nombre de ses métiers, ne justifiait pas d'études de postes ni de recherche d'aménagements du poste du salarié, et qu'il n'avait pas consulté le Service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (SAMETH), bien qu'il y ait été invité à deux reprises par le salarié, a pu en déduire qu'il avait refusé de prendre les mesures appropriées pour permettre à ce dernier de conserver un emploi, ce dont il résultait que le licenciement constitutif d'une discrimination à raison d'un handicap était nul ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Ricour - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 5213-6, L. 5213-10 et L. 1133-3 du code du travail.

Soc., 24 juin 2020, n° 18-23.869, n° 18-23.870, n° 18-23.871, (P)

Cassation partielle

Maladie – Maladie ou accident non professionnel – Arrêt de travail – Rémunération – Complément d'indemnité de la sécurité sociale – Bénéfice – Remise à l'employeur du formulaire réglementaire signé par le médecin – Défaut – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 18-23.869, 18-23.870 et 18-23.871 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les jugements attaqués (Bordeaux, 23 janvier 2018), rendus en dernier ressort, M. T... et deux autres salariées, engagés en qualité d'agent d'accueil clientèle, ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes en paiement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief aux jugements de le condamner à verser aux salariés des sommes à titre de rappel de salaire et de congés payés afférents ainsi que de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et d'ordonner sous astreinte la remise d'un bulletin de salaire rectifié alors « qu'il résulte de l'article 4.3.1 de la convention collective nationale des télécommunications qu' ''après 6 mois d'ancienneté, à la date du premier jour d'arrêt médicalement constaté, et en cas d'absence justifiée par l'incapacité résultant de la maladie ou d'un accident, professionnel ou non, dûment constaté par certificat médical et contre-visite s'il y a lieu, l'intéressé bénéficie des compléments d'indemnisation à la sécurité sociale ci-après, à condition d'avoir justifié dans les 48 heures de cette incapacité et d'être pris en charge par la sécurité sociale et d'être soigné sur le territoire national ou dans l'un des pays de la Communauté économique européenne'' ; que le salarié n'a vocation à être pris en charge par la sécurité sociale en cas d'interruption de travail qu'à la condition que cette interruption, quelle qu'en soit la durée, ait été déclarée à la CPAM par le biais d'un formulaire réglementaire signé par son médecin et dont un volet est destiné à l'employeur ; qu'en l'absence de remise de ce formulaire seul susceptible de permettre la prise en charge par la sécurité sociale, l'employeur n'est pas tenu de verser un complément d'indemnisation au salarié absent ; qu'au cas présent, il est constant que les salariés, qui avaient été absents, n'ont jamais remis à l'employeur le volet du formulaire d'interruption de travail signé par son médecin, de sorte que la société Orange n'était pas tenue de leur verser un complément d'indemnisation ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant que les salariés étaient bien affiliés à la sécurité sociale, le conseil de prud'hommes a violé l'article 4.3.1 de la convention collective nationale des télécommunications, ensemble les articles L. 321-2 et R. 321-2 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

4. L'article 4.3.1 de la convention collective nationale des télécommunications du 26 avril 2000 dispose qu'après 6 mois d'ancienneté, à la date du premier jour d'arrêt médicalement constaté, et en cas d'absence justifiée par l'incapacité résultant de la maladie ou d'un accident, professionnel ou non, dûment constaté par certificat médical et contre-visite s'il y a lieu, l'intéressé bénéficie des compléments d'indemnisation à la sécurité sociale ci-après, à condition d'avoir justifié dans les 48 heures de cette incapacité et d'être pris en charge par la sécurité sociale et d'être soigné sur le territoire national ou dans l'un des pays de la Communauté économique européenne.

5. Il en résulte que le bénéfice du dispositif conventionnel de complément d'indemnisation à la sécurité sociale n'implique pas la nécessité pour l'intéressé de percevoir une prestation de la caisse, mais simplement celle d'avoir la qualité d'assuré social.

6. C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a retenu que l'absence de remise à l'employeur du formulaire prévu par l'article L. 321-2 du code de la sécurité sociale ne pouvait faire obstacle au maintien de la rémunération des salariés dans les conditions prévues par le texte conventionnel.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Orange à verser à M. T..., à Mme P... et à Mme U... la somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, les jugements rendus le 23 janvier 2018, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Bordeaux ;

Remet, sur ce point, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces jugements et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Libourne.

- Président : M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 4.3.1 de la convention collective nationale des télécommunications du 26 avril 2000 ; article L. 321-2 du code de la sécurité sociale.

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