Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 5 juin 2019, n° 18-14.675, (P)

Sursis à statuer

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Question pendante de nature à influer sur la solution du litige – Sursis à statuer

Donne acte à M. E... de ce qu'il se désiste de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Google France ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 décembre 2017), rendu en référé, que, par jugement du tribunal correctionnel de Metz du 17 novembre 2011, M. E..., qui exerce la profession d'expert-comptable et commissaire aux comptes, a été déclaré coupable d'escroquerie et de tentative d'escroquerie et condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende, ainsi qu'à payer une certaine somme à l'administration fiscale ; que, par arrêt du 9 octobre 2013, devenu définitif, la cour d'appel de Metz a confirmé ce jugement, sauf en ce qu'elle a porté la peine d'emprisonnement à dix mois avec sursis ; que, les 18 novembre 2011 et 15 novembre 2013, deux comptes-rendus d'audience relatant cette condamnation pénale ont été publiés sur le site Internet du journal « Le Républicain lorrain » ; que, soutenant que ces articles, bien qu'archivés sur le site du journal, étaient toujours accessibles par le biais d'une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom sur le moteur de recherche Google, et reprochant à la société Google Inc., aux droits de laquelle vient la société Google LLC, exploitant de ce moteur de recherche, d'avoir refusé de procéder à la suppression des liens litigieux, M. E... l'a assignée aux fins de déréférencement ;

Attendu que M. E... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :

1°/ que, selon les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable au litige, toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement ; elle peut exiger du responsable d'un traitement que soient notamment verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite ; que, selon l'article 9 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce, les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en oeuvre que par certaines personnes limitativement énumérées parmi lesquelles ne figurent pas les exploitants de moteurs de recherche ; enfin, que, selon l'article 67 de la même loi, dans sa rédaction applicable, l'article 9 susvisé ne s'applique pas aux traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre aux fins d'exercice, à titre professionnel, de l'activité de journaliste, dans le respect des règles déontologiques de cette profession ; que ces dispositions réalisent la transposition, en droit interne, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, à la lumière de laquelle elles doivent être interprétées ; que, selon l'article 9 de ladite directive, les exemptions et dérogations pour les traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ne peuvent être prévues que dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour concilier le droit à la vie privée avec les règles régissant la liberté d'expression ; qu'il s'ensuit qu'à supposer même qu'un moteur de recherche puisse bénéficier par transitivité de la même dérogation, celle-ci ne saurait excéder les limites de la dérogation bénéficiant au traitement source, justifiée par la protection de la liberté d'expression ; que dès lors, l'exploitant d'un moteur de recherche ne saurait se prévaloir de la licéité d'un traitement de telles données opéré sur une durée plus longue que celle du traitement source lorsque le responsable de ce traitement a lui-même décidé d'archiver lesdites données, les rendant inaccessibles à partir de son site Internet, marquant par là qu'il n'entend plus faire usage de sa liberté d'expression ; qu'en affirmant le contraire, pour en déduire qu'aucun trouble manifestement illicite n'aurait été caractérisé, la cour d'appel a violé les articles 9, 38, 40 et 67 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable en l'espèce transposant la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ensemble les articles 9 du code civil et 809 du code de procédure civile ;

2°/ que, selon les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable au litige, toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement ; elle peut exiger du responsable d'un traitement que soient notamment verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite ; que, selon l'article 6 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce, un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes : 1° Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite./ 2° Elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités (...)./ 3° Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs./ 4° Elles sont exactes, complètes et, si nécessaire, mises à jour (...)./ 5° Elles sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ; qu'enfin, selon l'article 7 de la même loi, dans sa rédaction applicable, à défaut d'avoir reçu le consentement de la personne concernée, un traitement de données à caractère personnel doit satisfaire à l'une des conditions suivantes : 1° Le respect d'une obligation légale incombant au responsable du traitement./ 2° La sauvegarde de la vie de la personne concernée./ 3° L'exécution d'une mission de service public dont est investi le responsable ou le destinataire du traitement./ 4° L'exécution, soit d'un contrat auquel la personne concernée est partie, soit de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci./ 5° La réalisation de l'intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée ; que ces dispositions réalisent la transposition, en droit interne, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, à la lumière de laquelle elles doivent être interprétées ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que si la finalité poursuivie par le journal « Le Républicain lorrain », au sens de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, était de donner une information sur l'actualité judiciaire d'intérêt local, information journalistique rapidement dépassée, ce qui expliquait l'archivage des deux articles sur son site, celle de Google était nécessairement différente de par son activité même de moteur de recherche, et pouvait légitimer le traitement des mêmes données à caractère personnel pour une durée différente, condition exigée à leur conservation posée par l'article 6 susvisé, sans préciser cette finalité, laquelle conditionnait pourtant l'appréciation de la licéité de ce traitement, tant dans son principe que dans sa durée, la cour d'appel a en tout état de cause privé sa décision de base légale au regard des articles 6, 7, 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable en l'espèce transposant la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ensemble les articles 9 du code civil et 809 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en tout état de cause, selon les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable au litige, toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement ; elle peut exiger du responsable d'un traitement que soient notamment verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite ; que les articles 12, sous b), et 14, premier alinéa, sous a), de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dont les articles susvisés réalisent la transposition en droit interne, doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de l'appréciation des conditions d'application de ces dispositions, il convient notamment d'examiner si la personne concernée a un droit à ce que l'information en question relative à sa personne ne soit plus, au stade actuel, liée à son nom par une liste de résultats affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom ; que cette dernière pouvant, eu égard à ses droits fondamentaux au titre des articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, demander que l'information en question ne soit plus mise à la disposition du grand public du fait de son inclusion dans une telle liste de résultats, ces droits prévalent, en principe, sur l'intérêt de ce public à accéder à ladite information lors d'une recherche portant sur le nom de cette personne sauf à ce qu'il apparaisse, pour des raisons particulières, telles que le rôle joué par ladite personne dans la vie publique, que l'ingérence dans ses droits fondamentaux est justifiée par l'intérêt prépondérant dudit public à avoir, du fait de cette inclusion, accès à l'information en question ; que la juridiction saisie d'une demande de déréférencement est tenue de porter une appréciation sur son bien-fondé et de procéder, de façon concrète, à la mise en balance des intérêts en présence ; qu'en se bornant à relever, pour exclure l'existence d'un trouble manifestement illicite à raison du fait qu'une simple recherche à partir du nom de M. S... E... renvoyait à des articles traitant d'une condamnation pénale dont il avait fait l'objet en 2011 pour une infraction fiscale commise dans le cadre de sa sphère privée, que les données litigieuses étaient pertinentes au regard de la profession de l'intéressé, que ces informations intéressaient le public et que M. E... devait être considéré comme ayant un rôle dans la vie publique, sans vérifier ni constater que le droit à l'information du public présentait, au jour où elle statuait, un caractère prépondérant, nonobstant le caractère sensible des données en cause et la gravité de l'atteinte aux droits fondamentaux de M. E... qui résultait de leur traitement, et alors même qu'elle relevait que ces données n'étaient pas relatives à la vie professionnelle de ce dernier, la cour d'appel a méconnu son office et a violé les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable en l'espèce transposant la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ensemble les articles 9 du code civil et 809 du code de procédure civile ;

Attendu que, conformément à l'article 9 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018, qui a transposé l'article 8, § 5, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, applicable en la cause, les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en oeuvre que par les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales, les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l'exercice des missions qui leur sont confiées par la loi, et les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d'atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d'assurer la défense de ces droits ;

Attendu que, saisi de quatre requêtes portant, notamment, sur le droit au déréférencement de telles données, le Conseil d'Etat a, par décision du 24 février 2017 (n° 391000, 393769, 399999 et 401258), renvoyé à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles qui suivent :

1° Eu égard aux responsabilités, aux compétences et aux possibilités spécifiques de l'exploitant d'un moteur de recherche, l'interdiction faite aux autres responsables de traitement de traiter des données relevant des paragraphes 1 et 5 de l'article 8 de la directive du 24 octobre 1995, sous réserve des exceptions prévues par ce texte, est-elle également applicable à cet exploitant en tant que responsable du traitement que constitue ce moteur ?

2° En cas de réponse positive à la question posée au 1° :

- les dispositions de l'article 8 paragraphes 1 et 5 de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que l'interdiction ainsi faite, sous réserve des exceptions prévues par cette directive, à l'exploitant d'un moteur de recherche de traiter des données relevant de ces dispositions l'obligerait à faire systématiquement droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web qui traitent de telles données ?

- dans une telle perspective, comment s'interprètent les exceptions prévues à l'article 8 paragraphe 2, sous a) et e), de la directive du 24 octobre 1995, lorsqu'elles s'appliquent à l'exploitant d'un moteur de recherche, eu égard à ses responsabilités, ses compétences et ses possibilités spécifiques ? En particulier, un tel exploitant peut-il refuser de faire droit à une demande de déréférencement lorsqu'il constate que les liens en cause mènent vers des contenus qui, s'ils comportent des données relevant des catégories énumérées au paragraphe 1 de l'article 8, entrent également dans le champ des exceptions prévues par le paragraphe 2 de ce même article, notamment le a) et le e) ?

- de même, les dispositions de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque les liens dont le déréférencement est demandé mènent vers des traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ou d'expression artistique ou littéraire qui, à ce titre, en vertu de l'article 9 de la directive du 24 octobre 1995, peuvent collecter et traiter des données relevant des catégories mentionnées à l'article 8, paragraphes 1 et 5, de cette directive, l'exploitant d'un moteur de recherche peut, pour ce motif, refuser de faire droit à une demande de déréférencement ?

3° En cas de réponse négative à la question posée au 1° :

- à quelles exigences spécifiques de la directive du 24 octobre 1995 l'exploitant d'un moteur de recherche, compte tenu de ses responsabilités, de ses compétences et de ses possibilités, doit-il satisfaire ?

- lorsqu'il constate que les pages web, vers lesquelles mènent les liens dont le déréférencement est demandé, comportent des données dont la publication, sur lesdites pages, est illicite, les dispositions de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens :

- qu'elles imposent à l'exploitant d'un moteur de recherche de supprimer ces liens de la liste des résultats affichés à la suite d'une recherche effectuée à partir du nom du demandeur ?

- ou qu'elles impliquent seulement qu'il prenne en compte cette circonstance pour apprécier le bien-fondé de la demande de déréférencement ?

- ou que cette circonstance est sans incidence sur l'appréciation qu'il doit porter ?

En outre, si cette circonstance n'est pas inopérante, comment apprécier la licéité de la publication des données litigieuses sur des pages web qui proviennent de traitements n'entrant pas dans le champ d'application territorial de la directive du 24 octobre 1995 et, par suite, des législations nationales la mettant en œuvre ?

4° Quelle que soit la réponse apportée à la question posée au 1° :

- indépendamment de la licéité de la publication des données à caractère personnel sur la page web vers laquelle mène le lien litigieux, les dispositions de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que :

- lorsque le demandeur établit que ces données sont devenues incomplètes ou inexactes, ou qu'elles ne sont plus à jour, l'exploitant d'un moteur de recherche est tenu de faire droit à la demande de déréférencement correspondante ?

- plus spécifiquement, lorsque le demandeur démontre que, compte tenu du déroulement de la procédure judiciaire, les informations relatives à une étape antérieure de la procédure ne correspondent plus à la réalité actuelle de sa situation, l'exploitant d'un moteur de recherche est tenu de déréférencer les liens menant vers des pages web comportant de telles informations ?

- les dispositions de l'article 8 paragraphe 5 de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que les informations relatives à la mise en examen d'un individu ou relatant un procès, et la condamnation qui en découle, constituent des données relatives aux infractions et aux condamnations pénales ? De manière générale, lorsqu'une page web comporte des données faisant état des condamnations ou des procédures judiciaires dont une personne physique a été l'objet, entre-t-elle dans le champ de ces dispositions ?

Attendu qu'au regard des griefs formulés par le moyen et des question préjudicielles précitées, la décision de la Cour de justice de l'Union européenne à intervenir est de nature à influer sur la solution du présent pourvoi ; qu'il y a lieu, dès lors, de surseoir à statuer jusqu'au prononcé de celle-ci ;

PAR CES MOTIFS :

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-136/17 ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du 22 octobre 2019.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 ; articles 9, 38, 40 et 67 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ; article 9 du code civil ; article 809 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 février 2018, pourvoi n° 17-10.499, Bull. 2018, I, n° 31 (cassation partielle sans renvoi) ; Cf. : CE, 24 février 2017, n° 391000, publié au Recueil Lebon.

1re Civ., 5 juin 2019, n° 17-27.066, (P)

Rejet

Protection des consommateurs – Directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 – Effectivité des droits reconnus aux consommateurs – Obligation précontractuelle d'information du prêteur – Preuve – Clause type – Effets – Limites – Détermination

Donne acte à Mme T... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. F... V... et Mme K... V... ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 1er juin 2017), que, suivant offre préalable acceptée le 5 décembre 2012, la société Financo (le prêteur) a consenti à D... V... et à Mme T... un prêt destiné au financement d'un camping-car ; que D... V... a adhéré à un contrat collectif d'assurance souscrit par le prêteur auprès de la société Suravenir (l'assureur), pour la garantie du risque décès « senior » des personnes âgées de plus de 65 ans ; que D... V... est décédé le [...], laissant pour lui succéder ses deux enfants, F... et K... ; qu'après avoir prononcé la déchéance du terme, le prêteur a assigné Mme T... en paiement du solde du prêt ; que celle-ci a assigné l'assureur en exécution du contrat d'assurance ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur les deuxième et troisième branches de ce moyen :

Attendu que Mme T... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, pour défaut de qualité pour agir, ses demandes formées à l'encontre de l'assureur, alors, selon le moyen :

1°/ qu'un codébiteur solidaire peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la nature de l'obligation ; qu'il peut en conséquence opposer l'existence d'une garantie d'assurance-décès ayant vocation à éteindre la dette, peu important qu'il ne l'ait pas personnellement souscrite ; qu'en l'espèce, tout en relevant qu'en qualité de coemprunteur solidaire, Mme T... avait un intérêt incontesté à voir pris en charge le remboursement du prêt au titre de la garantie décès souscrite par D... V..., la cour d'appel lui a dénié la possibilité de revendiquer le bénéfice de la garantie souscrite par D... V... ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1208 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ subsidiairement, que si le codébiteur ne peut en principe bénéficier des exceptions qui sont personnelles à un autre coobligé, il peut néanmoins se prévaloir d'une garantie assurance-décès souscrite par le coemprunteur solidaire dès lors qu'il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que coemprunteur solidaire, Mme T..., avait un intérêt incontesté à voir pris en charge le remboursement du prêt au titre de la garantie décès souscrite par D... V... ; qu'en la déclarant néanmoins irrecevable à agir à l'encontre de l'assureur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des articles 1208 et 1165 du code civil, dans leur rédaction applicable en l'espèce ;

Mais attendu que l'exception de garantie soulevée par le débiteur solidaire poursuivi par le prêteur, créancier de l'obligation de paiement, et tirée de l'existence d'un contrat d'assurance-décès souscrit par un autre codébiteur constitue une exception purement personnelle à celui-ci, que le débiteur poursuivi ne peut opposer au créancier ; qu'après avoir constaté que D... V... était seul signataire du contrat d'assurance, que Mme T... n'avait ni la qualité d'assurée ni celle de bénéficiaire du contrat et qu'elle ne venait pas aux droits du défunt, la cour d'appel a décidé à bon droit que sa demande était irrecevable, pour défaut de qualité pour agir ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que le prêteur fait grief à l'arrêt de prononcer la déchéance du droit aux intérêts et de rejeter sa demande en paiement des intérêts contractuels, alors, selon le moyen, qu'est conforme à la directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les crédits de contrats aux consommateurs et aux dispositions de l'article L. 311-6 du code de la consommation, la clause type aux termes de laquelle l'emprunteur atteste avoir reçu du prêteur la fiche d'information précontractuelle européenne normalisée ; qu'en estimant qu'une telle clause, qui figurait dans le contrat conclu par Mme T..., ne permettait pas de faire la preuve que la fiche d'information précontractuelle européenne normalisée lui avait été remise, et en déclarant, pour cette raison, l'établissement de crédit déchu de son droit aux intérêts, la cour d'appel a violé les articles L. 311-48 et L. 311-6 du code de la consommation, ensemble la directive européenne précitée ;

Mais attendu, d'abord, que, par arrêt du 18 décembre 2014 (CA CONSUMER FINANCE, C-449/13), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à ce qu'en raison d'une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l'exécution desdites obligations de nature à compromettre l'effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48 (point 32) ;

Que la Cour de justice précise qu'une clause type figurant dans un contrat de crédit ne compromet pas l'effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48 si, en vertu du droit national, elle implique seulement que le consommateur atteste de la remise qui lui a été faite de la fiche d'information européenne normalisée (point 29) ; qu'elle ajoute qu'une telle clause constitue un indice qu'il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents et que le consommateur doit toujours être en mesure de faire valoir qu'il n'a pas été destinataire de cette fiche ou que celle-ci ne permettait pas au prêteur de satisfaire aux obligations d'informations précontractuelles lui incombant (point 30) ; que, selon le même arrêt, si une telle clause type emportait, en vertu du droit national, la reconnaissance par le consommateur de la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, elle entraînerait un renversement de la charge de la preuve de l'exécution desdites obligations de nature à compromettre l'effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48 (point 31) ;

Attendu, ensuite, que l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu'il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu'il a satisfait à son obligation d'information ; qu'il constate que celui-ci se prévaut d'une clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle l'emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d'information précontractuelle normalisée européenne, mais ne verse pas ce document aux débats ; qu'ayant déduit de ces constatations et appréciations que la signature de la mention d'une telle clause ne pouvait être considérée que comme un simple indice non susceptible, en l'absence d'élément complémentaire, de prouver l'exécution par le prêteur de son obligation d'information, la cour d'appel a prononcé à juste titre la déchéance du droit aux intérêts contractuels ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Truchot - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Boulloche ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Articles 1165 et 1208 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 ; articles L. 311-6 et L. 311-48 du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

CJUE, arrêt du 18 décembre 2014, CA Consumer Finance/ Ingrid Bakkaus e.a., C-449/13.

1re Civ., 5 juin 2019, n° 16-12.519, (P)

Cassation totale partiellement sans renvoi

Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 – Article 4, § 2 – Clauses abusives – Domaine d'application – Contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs – Professionnel – Définition – Entreprise qui conclut un contrat de crédit avec ses salariés

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant acte du 3 avril 1995, la société Electricité de France (la société EDF) a consenti à M. L..., salarié de la société, et à son épouse (les emprunteurs) un prêt relevant du dispositif d'aide à l'accession à la propriété, soumis à la loi n° 79-596 du 13 juillet 1979 relative à l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, en vue de financer l'acquisition de leur habitation principale, remboursable en deux cent quarante mensualités ; que, le 1er janvier 2002, M. L... a démissionné de l'entreprise ; qu'après avoir fait application de la clause de résiliation de plein droit du contrat de prêt en cas de cessation d'appartenance du salarié à son personnel, la société EDF a assigné les emprunteurs en paiement de diverses sommes ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches :

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 2, sous b) et sous c), de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

Attendu que, selon le premier texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;

Attendu que, par arrêt du 19 mars 2019 (C-590/17), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que :

1) L'article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que le salarié d'une entreprise et son conjoint, qui concluent avec cette entreprise un contrat de crédit, réservé, à titre principal, aux membres du personnel de ladite entreprise, destiné à financer l'acquisition d'un bien immobilier à des fins privées, doivent être considérés comme des « consommateurs », au sens de cette disposition ;

2) L'article 2, sous c), de la directive doit être interprété en ce sens que ladite entreprise doit être considérée comme un « professionnel », au sens de cette disposition, lorsqu'elle conclut un tel contrat de crédit dans le cadre de son activité professionnelle, même si consentir des crédits ne constitue pas son activité principale ;

Attendu que, pour dire que la résiliation de plein droit du contrat est intervenue le 1er janvier 2002 et condamner les emprunteurs à payer à la société EDF une certaine somme, augmentée des intérêts au taux contractuel de 6 % l'an à compter de cette date, sauf à déduire les sommes postérieurement versées, ainsi qu'une somme au titre de la clause pénale augmentée des intérêts au taux légal à compter de la même date, l'arrêt retient que c'est en sa seule qualité d'employeur et au regard de l'existence d'un contrat de travail le liant à M. L... que la société EDF lui a octroyé, ainsi qu'à son épouse, un contrat de prêt immobilier, que cette société n'est pas un professionnel au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, quand bien même il existerait en son sein un département particulier gérant les avances au personnel, et que les emprunteurs n'ont pas la qualité de consommateurs au sens de ce texte ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur la quatrième branche du moyen :

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 2, sous b) et sous c), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

Attendu que, pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du prêt consenti à un salarié et à son épouse en cas de rupture du contrat de travail, l'arrêt énonce que cette clause s'inscrit dans un contrat qui présente des avantages pour le salarié et équilibre ainsi la clause de résiliation de plein droit ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de prêt pour une cause extérieure à ce contrat, afférente à l'exécution d'une convention distincte, une telle clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à une modification substantielle de l'économie du contrat de prêt, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu les articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef du caractère abusif de la clause de résiliation prévue à l'article 7 du contrat de prêt immobilier consenti le 17 mars 1995 par la société EDF à M. et Mme L... ;

CONSTATE le caractère abusif de cette clause ;

DIT qu'elle est réputée non écrite ;

Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée, mais seulement pour qu'elle statue sur les autres points en litige.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Dazzan-Barel - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; article 2, sous b) et sous c), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 ; article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; article 2, sous b) et sous c), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993.

Rapprochement(s) :

CJUE, arrêt du 19 mars 2019, Henri Pouvin et Marie Dijoux/Electricité de France (EDF), C590/17. En sens contraire : 1re Civ., 9 mai 1994, pourvoi n° 92-15.063, Bull. 1994, I, n° 171 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

2e Civ., 27 juin 2019, n° 18-14.198, (P)

Rejet

Règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 – Injonction de payer européenne – Ordonnance déclarée exécutoire dans un Etat membre – Demande en nullité de la signification de l'ordonnance en France – Compétence du juge français – Détermination – Portée

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 décembre 2017), qu'à la requête de la société Boa Recycling Equipment BV, une ordonnance d'injonction de payer européenne du 23 septembre 2015, signifiée le 28 décembre 2015 à la société Bretagne hydraulique, a été rendue exécutoire par le tribunal de La Haye le 17 février 2016 ; que la société Boa Recycling Equipment BV a fait procéder le 12 avril 2016 à une saisie-attribution et délivrer un commandement à fins de saisie-vente ; que, contestant la régularité de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer européenne, la société Bretagne hydraulique a demandé la mainlevée des saisies au juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Quimper ; que la société Boa Recycling Equipment BV ayant été mise en liquidation judiciaire, M. L... a été désigné en qualité de liquidateur ;

Attendu que la société Bretagne hydraulique fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du juge de l'exécution en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de mainlevée des saisie-attribution et saisie-vente alors, selon le moyen, que le juge de l'exécution connaît des contestations élevées à l'occasion de l'exécution forcée, et donc de la régularité de la signification d'une injonction de payer européenne, peu important que celle-ci ait, postérieurement à sa notification, été déclarée exécutoire par le for d'origine ; qu'en ayant dit le juge de l'exécution incompétent pour connaître de la contestation élevée par la société Bretagne hydraulique, relativement à la régularité des actes de signification de l'injonction de payer européenne du 23 septembre 2015, qui lui avaient été délivrés les 27 octobre et 28 décembre 2015, au motif que cette ordonnance avait été, postérieurement à ces actes de signification, rendue exécutoire par le tribunal de La Haye, la cour d'appel a violé l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 21 du règlement CE) du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer ;

Mais attendu qu'ayant exactement rappelé que l'article 19 du règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer dispose qu'une injonction de payer européenne, devenue exécutoire dans l'État membre d'origine, est reconnue et exécutée dans les autres États membres sans qu'il soit possible de contester sa reconnaissance, la cour d'appel en a déduit à bon droit que le juge de l'exécution n'était pas compétent pour connaître de la demande de nullité de l'acte de signification du 28 décembre 2015 de l'injonction de payer européenne, déclarée exécutoire par le tribunal de La Haye le 17 février 2016 à défaut d'opposition formée par la société Bretagne hydraulique dans les conditions prévues par l'article 18 du règlement, qui tendait à remettre en cause la régularité de ce titre déclaré exécutoire par la juridiction de l'Etat membre d'origine, de sorte que la société Bretagne hydraulique devait être déboutée des demandes de mainlevée des saisies ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique annexé, pris en sa seconde branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 19 du règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité de contester la validité d'une signification d'ordonnance d'injonction de payer européenne, cf. : CJUE, arrêt du 22 octobre 2015, Thomas Cook Belgium NV/Thurner Hotel Gmb, C-245/14.

1re Civ., 13 juin 2019, n° 16-22.548, (P)

Rejet

Règlement (UE) 2016/339 du 9 mars 2016 – Article 25 – Rétablissement d'un contrôle à une frontière intérieure – Effes – Modification de la nature intérieure de la frontière (non)

Visas, asile, immigration – Directives – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Domaine d'application – Etendue – Portée

Visas, asile, immigration – Directives – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Placement en garde à vue – Régularité – Exclusion – Cas – Garde à vue fondée sur la seule entrée sur le territoire d'un ressortissant de pays tiers pour lequel la procédure de retour n'a pas encore été menée à son terme

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Montpellier, 22 juin 2016), et les pièces de la procédure, que, pendant la période de réintroduction temporaire, en France, d'un contrôle aux frontières intérieures de l'espace Schengen, conformément aux dispositions de l'article 25 du règlement (UE) 2016/399 du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), M. E..., de nationalité marocaine, a été contrôlé, le 15 juin 2016, au Boulou (Pyrénées-Orientales), dans la zone comprise entre la frontière terrestre séparant la France de l'Espagne et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà, dans les conditions de l'article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, alors qu'il se trouvait à bord d'un autocar en provenance du Maroc ; qu'il avait précédemment quitté la France à la suite d'une mesure d'éloignement qui lui avait été notifiée le 10 août 2013 ; que, suspecté d'être entré irrégulièrement sur le territoire français, délit prévu à l'article L. 621-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il a été placé en garde à vue ; que, le lendemain, le préfet a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français et ordonné son placement en rétention administrative ;

Attendu que le préfet fait grief à l'ordonnance de rejeter la demande de prolongation de la rétention alors, selon le moyen, qu'une réglementation d'un Etat membre de l'Union européenne ne peut permettre, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure, conduisant au séjour irrégulier, à l'emprisonnement ou au placement en garde à vue d'un ressortissant d'un pays tiers, pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n'a pas encore été menée à son terme ; que, cependant, en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, un Etat membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures, paralysant ainsi partiellement l'application de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ; que dans cette circonstance, une personne entrée irrégulièrement en France peut être contrôlée selon les dispositions de l'article 78-2, alinéa 4, [alinéa 8, devenu 9, selon le décompte actuel] du code de procédure pénale et être placée en garde à vue ; qu'en l'espèce, à la date de l'entrée en France de M. E..., de nationalité marocaine, en juin 2016, la France avait prononcé l'état d'urgence et rétabli les contrôles aux frontières intérieures en conformité avec les dispositions du chapitre II du titre III du règlement 2016/399 du 9 mars 2016 relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes et de l'article 2, § 2, a), de la directive 2008/115/CE ; qu'ainsi, les mesures protectrices de cette dernière directive n'étaient pas applicables, l'étranger en situation irrégulière étant alors susceptible de recevoir une peine de prison et d'être placé en garde à vue ; qu'en jugeant néanmoins que la directive 2008/115/CE restait entièrement applicable et qu'en conséquence une mesure de garde à vue ne pouvait être exercée à l'encontre de M. E..., entré irrégulièrement sur le territoire français avant que la procédure de retour soit mise en oeuvre, la cour d'appel a violé les articles 2, 14, 25, 27 et 32 du règlement 2016/399 du 9 mars 2016 relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, les articles 2, § 2, a), 8 et 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ainsi que les articles 62-2 et 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale ;

Mais attendu, en premier lieu, que, par arrêt du 19 mars 2019 (CJUE, arrêt C-444/17), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit :

L'article 2, § 2, sous a), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lu en combinaison avec l'article 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à la situation d'un ressortissant de pays tiers, arrêté à proximité immédiate d'une frontière intérieure et en séjour irrégulier sur le territoire d'un État membre, même lorsque cet État membre a réintroduit, en vertu de l'article 25 de ce règlement, le contrôle à cette frontière, en raison d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure dudit Etat membre ;

Attendu, en second lieu, qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15) que la directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation d'un Etat membre permettant, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure conduisant au séjour irrégulier, l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n'a pas encore été menée à son terme ; qu'il s'ensuit que le ressortissant d'un pays tiers, entré irrégulièrement en France, qui n'encourt pas l'emprisonnement prévu à l'article L. 624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'aucune procédure de retour n'a encore été menée jusqu'à son terme, ne peut être placé en garde à vue du seul chef de l'entrée irrégulière sur le territoire national ;

Attendu que l'ordonnance retient à bon droit, par motifs propres et adoptés, que la directive 2008/115 précitée est applicable à la situation de M. E... dès lors que le rétablissement d'un contrôle à la frontière entre l'Espagne et la France, en raison d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, tel que prévu à l'article 25 du règlement 2016/399, ne modifie pas la nature intérieure de la frontière qu'il a franchie ; qu'il en déduit exactement, d'une part, que cette directive s'oppose à la réglementation permettant, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure, l'emprisonnement d'un ressortissant de pays tiers pour lequel la procédure de retour n'a pas encore été menée à son terme, d'autre part, qu'à défaut d'infraction punie d'emprisonnement, la garde à vue était irrégulière, de sorte que la mesure de rétention ne pouvait être maintenue ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Article 25 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ; directive 2008/115/CE du Parlement et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ; articles 25 et 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ; article L. 621-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; article 62-2 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la question préjudicielle relative à l'interprétation des dispositions du code frontières Schengen et de la directive « retour » transmise à la CJUE dans la présente espèce, à rapprocher : 1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 16-22.548, Bull. 2017, I, n° 179 (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne). Sur le défaut d'équivalence entre une frontière extérieure et une frontière intérieure sur laquelle des contrôles ont été réintroduits, cf. : CJUE, arrêt du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales, C-444/17. Sur la non-conformité à la directive « retour » d'une réglementation nationale permettant, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure conduisant au séjour irrégulier, l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers pour lequel la procédure de retour n'a pas encore été menée à son terme, cf. : CJUE, arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15. Sur une application de la jurisprudence Affum, à rapprocher : 1re Civ., 9 novembre 2016, pourvoi n° 13-28.349, Bull. 2016, I, n° 214 (cassation partielle sans renvoi). Sur la question préjudicielle relative à l'interprétation des dispositions du code frontières Schengen et de la directive « retour » transmise à la CJUE dans la présente espèce, à rapprocher : 1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 16-22.548, Bull. 2017, I, n° 179 (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne). Sur l'application de la directive « retour » même en cas de rétablissement d'un contrôle aux frontières intérieures, cf. : CJUE, arrêt du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales, C-444/17. CJUE, arrêt du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales, C-444/17. A rapprocher : 1re Civ., 9 novembre 2016, pourvoi n° 13-28.349, Bull. 2016, I, n° 214 (cassation partielle sans renvoi).

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